Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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DANGER DE MORT


Dans un port de l'Ouest, où mon devoir de propagandiste m’avait conduit, ce dimanche, j’ai eu la révélation subite et horrible, d’un danger imminent pour la France, d’un danger de mort. Et je n’hésite pas à jeter le cri d’alarme.


Oui, la France est menacée de mourir.

Je ne parle pas de la dépopulation, encore que le mal dont il s’agit ici en soit l’agent le plus direct et le plus actif: je parle de l’empoisonnement graduel de notre race, qui a pris, en ces dernières années, une intensité et une rapidité dont je n’avais pas la moindre idée.

Ce n’est pas d’hier que je connais les méfaits de l’alcoolisme! À Caen, où j’ai passé six ans à la Faculté des Lettres, je m’étais épouvanté de ses ravages, et j’avais, de concert avec les instituteurs, secrétaires de mairie, et sous la direction d’un très distingué et très dévoué inspecteur de l’assistance, le Dr Barthès, dressé une carte étiologique de la région. Il en résultait cette évidence que, si une révulsion heureuse ne se produisait pas, la Normandie serait, cinquante ans plus tard, une sorte de désert peuplé de fous, d’idiots et de meurtriers.

La communication que j’apportai, à ce propos, chiffres en main, devant l’Académie des Sciences Morales et la Société d’Économie Sociale, fit quelque bruit, — et l’on n’y pensa plus, moi tout le premier, absorbé par la tâche que vous savez.

Le hasard d’une visite dans l’Ouest m’a remis tout à coup en présence des hommes qui sont le mieux à même de connaître cette triste matière.

Eh bien! leur ai-je demandé, et l’alcoolisme? Est-on parvenu à en limiter ou à en enrayer la marche?

lls ont levé les bras au ciel et ont répondu avec accablement!

«Le mal n’a cessé de s’accroître, et il est tel, aujourd'hui, qu’on ne peut plus en parler!

L’enfance est gangrenée dans l’école, souvent dans la famille même; les adolescents fournissent un contingent croissant au vice, au crime, au rachitisme et à la démence;

ici, la moitié des conscrits, là, les deux tiers, sont impropres au service; les soldats entrés sains au régiment sont entraînés par l’exemple. Rien de plus épouvantable que devoir, le dimanche soir, la «rentrée» du jour de congé, dans les petites gares qui avoisinent la ville. Pas de chants joyeux, pas de tapage de jeunesse: des faces contractées et sinistres, l’hébétude brutale du damné.

Allez sur les quais, c’est pis: le manœuvre ne mange presque plus, il ne change jamais d’habits, il ne se lave même pas: il n’a ni l’argent, ni le loisir pour cela, il boit.

Ne vous étonnez pas si la grève est l’état normal, si le rendement du travail baisse de jour en jour, si les frais de manutention grandissent: toute une classe populaire est en train de se tuer, de la façon la plus abjecte et la plus misérable.»

J’étais atterré; on me citait des chiffres, des faits précis, et, encore une fois, l’autorité, la compétence de mes informations sont indiscutables. — Mais pourquoi ne dit-on pas, ne crie-t-on pas cela au pays? — À quoi bon! Personne n’entendrait... Et puis, c’est trop tard: ici, au moins, il n’y a plus de remède possible. Les chiffres, je ne vous les répéterai pas, — ceci n’est pas un article de statistique, et, d'ailleurs, je ne pourrais le faire sans toucher à «des intérêts».

Et parmi les faits, je n’en retiendrai que deux, parce qu’ils comportent une sanction. — c’est-à-dire, en un sens, un remède.

Lisez d’abord ceci, vous croirez rêver; mais le doute n’est pas possible: dans le port dont je parle, les armateurs payent les débardeurs en jetons, qui ne sont échangeables que chez les débitants de boissons. Dominons notre indignation: c’est l’alcoolisme forcé, c’est la dîme nécessairement prélevée sur le travail par l’industrie de mort. J’avais appris cela, il y a tantôt quinze ans, lorsque je faisais mon enquête, et j’avais même, alors, amené un certain nombre d’intéressés à déposer une plainte devant le procureur de la République.

Il va sans dire que l’affaire n’avait pas eu de suites judiciaires, mais on nous avait formellement promis que la pratique changerait. Elle n’a pas changé.

Pourquoi les armateurs s’y tiennent-ils?

Je vous le donne en mille: c’est, d’abord, qu’ils n’ont pas assez de monnaie disponible, et que les jetons leur sont d’un usage plus facile pour payer les tâcherons à l’heure; c’est, ensuite, que les débitants leur recrutent leur personnel de manœuvres et trouvent leur rémunération dans les «fournitures» qui résultent du système; c’est, enfin, que les jetons, ainsi rémunérés sur la santé et la vie des pauvres gens, ne sont échangés que tous les trois mois, et que ces patrons philanthropes profitent ainsi de l'intérêt courant. (Le fait et les raisons sont hors de contestation).

Eh bien! il faut que cela finisse: et je m’adresse aux Annales pour provoquer, d'accord avec les Ligues compétentes, un soulèvement d'opinion contre une aussi abominable exploitation.

Voici l’autre fait:

Le Parlement croit enrayer le progrès de l’alcoolisme — tout en continuant d'alimenter le budget — lorsqu’il élève les droits fiscaux sur la matière. Pur enfantillage: la fraude a bien vite tourné l’obstacle. Comme les «droits» sont proportionnels aux «degrés», et que l’ouvrier veut que la boisson meurtrière le «gratte» au passage, on a trouvé des équivalents à la force alcoolique: les essences!

Or, «l’essence» est le principe de tous les détraquements nerveux et cérébraux, de toutes les maladies qui abrutissent et affolent. L’alcool d’aujourd’hui est mille fois plus dangereux, plus terrible, que celui d’il y a vingt ans. Avant de tuer l’homme, il en fait une bête féroce.

À chaque instant, dans les révisions, on voit un conscrit se dresser, les yeux convulsés, se rouler à terre, s’évanouir... C’est qu’il vient de faire la fête avec ses camarades — pour se préparer à bien servir la patrie!

Français, mutualistes ou non, je viens de vous dire la vérité: concluez. Nous sommes à la veille des élections générales: c’est le moment de nous adresser à nos représentants et de leur dire — de façon nette et efficace — que la France ne veut pas mourir!

L. Mabilleau

En avant 1910 04 23



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