CE QU’ON ENTEND DANS UN TRAMWAY
L’ENFANT EST-IL LE SEUL COUPABLE?
Quelques voyageurs seulement... Un coup de sifflet... et la voiture s’ébranle! Dans un coin, un jeune garçon en blouse blanche, porteur d’un volumineux paquet. Dans l’ensemble, le gamin de Paris, mais dans ce qu’il a de bon: ouvert, sympathique, bon cœur.
Tout à la joie de vivre, il chantonnait je ne sais quel refrain que la distance ne me permettait pas d’entendre et parlait du reste à voix très basse. L’enfant a toujours quelque chose qui attire, et celui-ci avait spécialement gagné mon cœur.
Tout pâle, les traits tirés par un travail précoce, une nourriture peut-être insuffisante, privations de tous genres qu’on devinait, il était réconfortant de le voir prendre ainsi le dessus de ses misères et, avec la spontanéité et l’enthousiasme de son âge — l’enfance ne perd jamais ses droits — faire contre mauvaise fortune bon cœur.
J’en étais là de mes réflexions, quand un voyageur, un monsieur des plus distingués, remarqua tout haut à son voisin de face:
— «La nouvelle génération qu’on élève!» et le ton de sa voix, l’expression de son visage, le regard qu’il jetait à l’enfant, tout indiquait une idée bien arrêtée, chère à celui qui l’exprimait, et où l’on sentait malgré soi un esprit prévenu contre tout un système — pas seulement système d’éducation.
— Et oui, reprit le monsieur d’en face, pensez donc, en montant, il a trouvé moyen de m’interpeller.
— Je crois bien, surenchérit le premier, sa mère lui aura dit en partant: «Tu sais, mon garçon, quand tu seras dans le tramway, tu es chez toi, tu peux faire tout ce que tu voudras.»
Et, heureux d’avoir trouvé une tribune, le voyageur ne s’arrêta plus. Tout y passa: critique de la société, du gouvernement, du mode d’éducation publique, et, comme conclusion, le remède à apporter à cet état de chose, remède brutal et peu propre à amener un bon résultat:
— «Ce qu’il faut à ces gens, dit-il, avec une expression de rage et de mépris qui ne peut se rendre, c’est la bastonnade. Quand ces gens-là c........ la faim........!
Quel système d’éducation, pensai-je! Remplacer un mal par un autre pire encore! comme si la terreur et la force brutale pouvaient guérir le cœur humain! comme si une soumission obtenue par crainte pouvait être quelque chose de bon!
C’est par le despotisme qu'on fait les âmes viles et par l’abus de la force qu’on accumule l'aigreur et la rancune au fond des cœurs.
Il aurait suffi pour s’en convaincre de jeter un regard sur l’enfant. Il n’osait protester le petit, mais la révolte intérieure se lisait dans tout son être. Il était blessé dans sa dignité d’être humain, dans le sentiment de justice inné que nous portons tous en nous et qui fait du plus humble, un Fils de Dieu. La réprimande loin d’être un remède, avait été une aggravation du mal!
* * *
Pendant ce temps, le tramway avait marché et, arrivée à destination, je dus descendre sans avoir eu l’occasion, comme c’était mon désir, et, je le sentais aussi mon devoir, de mettre les choses au point, à la fois pour l’enfant et pour le voyageur.
* **
Pour l’enfant, car je sentais que le pauvret emportait dans son âme une blessure qui, non bandée, préparait le chemin, pour l’homme de demain, à la haine et à la vengeance, mais aussi pour réparer l’erreur faite dans cet esprit par une réprimande maladroite et dire le mot de conseil affectueux, d’appel à la raison et au cœur, que les enfants acceptent toujours de ceux qui les aiment.
Pour le voyageur, surtout, qui s’était montré en l’espèce si mauvais éducateur et qui avait détruit par sa façon de procéder toute la justesse de ses observations.
Elles étaient justes en effet, les remarques de cet homme II est un fait indéniable: c’est la mauvaise éducation que reçoivent la plupart des enfants de nos jours, et cela à tous les degrés de l’échelle sociale.
Le respect va s’affaiblissant parce qu’on a pris à tâche — sous prétexte de liberté — de détruire tout principe d’autorité.
La discipline devient gênante; on autorise l’enfant à s’en affranchir partout.
Le maître — instituteur ou patron — devient pour lui l’ennemi, l'oppresseur, croit-il.
Dans son cerveau non encore formé et incapable de discerner, se forment les idées les plus absurbes et les plus tristes par leurs conséquences.
On oublie que:
LA LIBERTÉ N’EST PAS LICENCE.
ON PARLE TOUJOURS DE DROITS, mais on néglige de parler des devoirs qui en sont la réciproque obligée.
Qui ne sait, en effet, que celui qui veut ignorer ses devoirs, ou se dispenser de les remplir, attente par cela même à la liberté d’autrui et devient par suite ce qu’il réprouve tant: un tyran lui-même.
Les parents sont eux-mêmes les premiers coupables sur ce point qui donnent l’exemple de l’irrespect, de la révolte et de l’indiscipline contre toute autorité établie.
– On soutient l’enfant contre le maître, alors qu’il a tort;
– on blâme, on critique et l’on sape tout ce qu'il y a de plus sacré;
– on sourit et on ridiculise les choses les plus saintes, les idées les plus élevées;
– on matérialise tout et l’on fausse le cerveau de l’enfant en lui faisant croire que parce qu’il n’est pas fait pour être spolié et tyrannisé il n’a plus à respecter ni rien, ni personne et peut se dispenser de toute obéissance et de toute règle.
Ah! certes la liberté, nous l'aimons! Nous la sentons le plus précieux des biens, mais c’est justement parce que nous l'apprécions tellement que nous jetons le cri d’alarme aux parents qui liront ces lignes et que nous voulons les rendre attentifs à leur mission vis-à-vis de ceux que Dieu leur a confiés.
On récolte ce que l’on sème sur ce point et pour récolter à temps, il faut semer de bonne heure.
Il est nécessaire de modeler cette jeune âme, dès son berceau, d’éclairer ce jeune cœur, de former sa raison et sa conscience.
C’est le doux et sacré devoir d’une mère de conduire son enfant dans le sentier du devoir, de la vérité et de la pureté, de lui signaler les écueils, de lui apprendre à triompher des difficultés.
C’est son précieux privilège de lui enseigner à verser son cœur dans le sien et surtout dans celui de Jésus qui seul peut l’aider à «se vaincre lui-même».
Priez-vous avec vos enfants?
Là réside le secret de la victoire. Une mère à qui son enfant peut confier toute chose — même et surtout ses torts — et qui peut ensuite prier avec lui, lui apprendre à exposer en toute simplicité ses besoins à Dieu, et recevoir de Lui le pardon, cette mère-là est une mère heureuse.
Priez-vous avec vos enfants?
En avant 1910 04 16
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