LES NAUFRAGÉS DE LA VIE
En commençant le compte-rendu de cette tournée du Colonel, je ne sais quoi me pousse irrésistiblement à lui donner comme sous-titre celui qui précède.
Je l’ai vu quelque part sur une affiche criarde, annonçant un nouvel ouvrage à sensation, destiné à nous apitoyer sur des malheurs imaginaires. Peut-être le souvenir constant de l’inondation encore actuelle me pousse-t-il à faire ce rapprochement.
Notre train, en effet, roulant à toute vapeur vers le but de notre voyage traversait de véritables champs de désolation. On en a déjà tant parlé, tant lu, on y a tant pensé mais on y pense encore puisque c’est d’aujourd’hui. Que de naufrages cette lente et persistante montée des fleuves n’a-t-elle pas provoqués!
Naufrages d’espérances, de gagne-pain assuré, de petits avoirs péniblement et laborieusement amassés!
Tout à fait place, semble-t-il, au flot noir qui a transformé en une mer mouvante les champs, les plantations naguère prospères et verdoyants.
Les naufragés de la vie!
Mais n’est-ce pas pour eux que le Christ a vécu, pour eux que nous cherchons à vivre, pour leur tendre la bouée de sauvetage?
Qu’il y en a, tout le long du chemin!
Ils viennent à nous, d’un peu partout, dans nos salles de réunions, cherchant toujours, sans trop oser l’espérer, la planche de salut qui les tirera d’affaire. Aussi, quelle joie d’en trouver ici et là qui, ayant saisi la bouée du salut, débarrassés de toute entrave, vont maintenant pour sauver d’autres naufragés.
C’était là notre privilège ce premier dimanche matin à Saint-Étienne.
La neige tombant brusquement d’une façon inattendue avait bien retenu quelques personnes à la maison. Malgré cela, nous eûmes un moment béni. C’est toujours avec émotion que je vois ces Camarades fidèles continuant à louer Dieu et Son amour pour la merveilleuse transformation qu’il a opérée dans leur vie.
Que d’encouragements dans les paroles commentées par le Colonel avec amour et fidélité. Paroles d’avertissement, s’il en est: «Veillez et priez, de peur de tomber dans la tentation....»
«Le phare qui avertit les bateaux, grands et petits de la présence des récifs terribles et meurtriers, mais qui ne saurait fonctionner sans un entretien minutieux de chaque jour, la sentinelle de la fidélité de laquelle dépend parfois le sort d’une armée entière, LA CONSCIENCE, enfin, CETTE SENTINELLE, ce phare de l’âme QUE NOUS DEVONS CONSTAMMENT ENTRETENIR DE PEUR QU’ELLE NE SE ROUILLE OU NE S’ATROPHIE.»
Combien nous avons tous senti, à mesure que se poursuivit la réunion, la nécessité de «veiller» sur la moindre entrée, la moindre issue de notre forteresse intérieure.
L’après-midi, un plus grand nombre d’amis avaient répondu à l’invitation de l’Adjudante Steinmann.
Le Colonel parla de la Bible, le Livre sacré qui contient force et sagesse pour ceux qui y puisent.
Puis, il parla de LA CONDITION TERRIBLE DE L’HOMME QUI EXCLUT DIEU DE SA VIE et qui au jour de la détresse est désemparé, tel un navire sans pilote.
Ce fut une excellente réunion au cours de laquelle un homme qui avait déjà assisté à celle du matin s’avança résolument pour se convertir et changer de vie.
La neige tombée en assez grande quantité vers le soir a empêché l’affluence de l’auditoire attendu. Peut-être que des réunions tenues ailleurs en même temps y ont été aussi pour quelque chose. Nous eûmes pourtant une réunion bénie, tant il est vrai que la qualité supplée le plus souvent à la quantité.
Le Colonel parla du Bon Berger, Celui qui ne renvoie jamais à vide l’âme qui vient à Lui.
Parlant d’un anarchiste rencontré quelques années avant dans cette même salle qui lui disait qu’il ne pouvait s’entendre avec nous, puisqu’un abîme nous séparait, le Colonel nous raconta comment il avait démontré à ce jeune homme que nous étions les révoltés et lui le résigné à l’encontre de ce qu’il avait toujours pensé.
Nous les révoltés contre le péché, la grossièreté, le vice, le mal
et lui, le résigné à tous ces maux qu’il était incapable de combattre.
Le lundi soir, la «pêche miraculeuse» fut le sujet de la réunion.
Bien des âmes furent touchées de l’application qu’ils pouvaient faire à leur propre vie, de cette chasse au bonheur que le Colonel décrivit avec une grande puissance.
Puis, le mardi soir, la résurrection de la fille de Jaïrus fut enfin le thème de la dernière réunion de cette campagne.
Ces deux dernières soirées furent les meilleures au point de vue de l’auditoire.
Encore, le mardi soir, nous avons écouté avec intérêt les témoignages si simples et si réels des chers Camarades. C’était plaisir de voir se lever par exemple l’un d’entre eux qui nous dit à peu près ceci, mais dans un langage rempli de la saveur du terroir et impossible à rendre:
«Autrefois, j’étais un ivrogne, autrefois, j’aimais le tabac, autrefois, je mentais et j’en ai bien fait à ma pauvre femme, mais aujourd’hui, cela m’a passé.»
Puis une autre Camarade se levant pour confirmer joyeusement ce que venait de dire son mari.
Oh! la glorieuse réalité du salut!
Le sauvetage réel des naufragés de la vie!
Béni soit Dieu pour ces fruits vivants de Son amour. Puisse-t-il faire toute Son œuvre dans le cœur et l’âme de ce malheureux qui vint plutôt s’effondrer que s’agenouiller au banc des pénitents ce dernier mardi soir. Puisse son repentir être sincère et durable.
Cette réunion puissante dès le commencement se termina dans un esprit de solennité bien spécial. On pria spécialement pour des rétrogrades puis on pria pour ce pauvre prodigue de la fin.
Après avoir adressé quelques paroles pleines d’encouragements aux Camarades le Colonel termina la réunion en laissant espérer une visite encore en 1910. Je ne veux pas oublier de dire que le Sergent Major Moilliet était venu nous surprendre à I’improviste et nous apporter son aide pour les deux dernières réunions.
L. H.
En avant 1910 03 12
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