Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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DANS LES MINES

DEUX SPÉCIMENS D’HUMANITÉ


Dans une mine de houille abandonnée — aux États unis, à Wheeling, West-Virginia — on a découvert, en 1896, quatre squelettes; près d’eux, enfermé dans une bouteille, un papier signé du nom de Joseph Edney, où l’on pouvait lire encore ce qui suit:


2 novembre 1863. La mine s’est effondrée et nous sommes prisonniers. Ni eau, ni aliments. Voici le huitième jour de notre emprisonnement.

4 novembre. Ewing et Akelson viennent de tuer Ayres et dévorent son cadavre.

6 novembre. Ewing a tué Akelson; il brandit son couteau et danse comme un fou.

7 novembre. J’ai tué Ewing, qui voulait me tuer, et je renferme ce récit dans une bouteille.

Voilà donc ce que devient l’homme sous l’impulsion de l’instinct primordial, de la faim, de la folie engendrée par la faim et par le désespoir. La scène est d’autant plus horrible qu’elle est, en même temps, un symbole.

Cette lutte sur cet étroit théâtre, entre ces quatre individus, dans les entrailles de la terre, évoque la vision de l'universelle, de l’impitoyable guerre que se livrent incessamment les êtres vivants.

Dans l’humanité, comme ailleurs, sous les hypocrisies et sous les beaux décors de la politique, du commerce, des organisations sociales, on se demande avec épouvante s’il y a autre chose, en réalité, que cette question unique: qui sera mangé, qui mangera les autres? Qui tuera, ou sera tué le premier?


* * *


Hélas! les catastrophes semblables à celle de Wheeling ne sont pas rares. Il y a quelques années, dans une mine anglaise, à Seeham, en déblayant des galeries où, à la suite d’une explosion, beaucoup de mineurs avaient péri, on a trouvé ces mots écrits à la craie par l’un d’eux sur une porte de ventilation:

«Tous vivants à 3 heures. Seigneur, aie pitié de nous! Prié ensemble pour la délivrance». Signé: Robert Johnson.

Et ailleurs, sur une planche: «Le Seigneur a été avec nous. Nous sommes tous prêts pour le ciel». Signé: Richard Cole.

Quelle éclatante lumière, cette fois, dans le redoutable caveau! Elle brille dans ces caractères tracés sur le bois qu’a respecté le fléau, au fond du trou noir, aussi merveilleuse que celle qui faisait jadis flamboyer aux regards des Voyants les buissons du désert: aussi merveilleuse et non moins sainte! Il semble qu’une voix se fasse entendre encore: N’approche pas! Découvre-toi! Ce sol est sacré!


* * *


En tous cas, il y a là un fait, et un fait humain. Pour apprécier équitablement, ou si on le veut, scientifiquement, l’humanité, il sera nécessaire de tenir compte aussi de lui. Vous dites que la civilisation — tout en nous laissant apercevoir pourtant pas mal d’infamies — nous trompe encore.

Vous dites que, aussitôt que l’homme sera privé de ces avantages et de ces soutiens artificiels, on verra reparaître en lui le naturel vrai, la bête fauve, ou, comme s’exprimait H. Taine, «le gorille lubrique et féroce».

Vous ajoutez que, par une conséquence évidente, les efforts déployés en vue de la paix permanente sont le fruit de rêves enfantins, et vous déclarez, avec M. Melchior de Vogüé, que la guerre durera aussi longtemps que, entre deux hommes, il y aura une femme et un morceau de pain.

Et vous triomphez de la confirmation que donne à votre thèse la conduite des Ewing, des Akelson et des Edney.

Mais je vous prie de m’expliquer alors la conduite des Robert Johnson et des Richard Cole. Car eux aussi, c’étaient des hommes.

Si vous affirmez que les premiers ont suivi la nature, il faudra avouer que, par une anomalie bizarre, les autres ont été en dehors de la nature; ils ont échappé à ses bornes; ils se sont évadés dans un monde nouveau.

Dans la nature, il y a, dit-on, trois règnes; l’homme a beau appartenir au règne supérieur, ce n’est toujours que le règne animal. Mais vous voyez bien qu’il n’y est pas forcément enfermé.


Au-dessus du monde de la nature, il y a le monde de l’esprit;

l’enfant de la poudre peut être le fils de Dieu.


Combien peu vous saviez, humbles et nobles mineurs de Seeham, lorsque, au milieu des horreurs du tombeau où vous étiez ensevelis vivants; quand, ayant demandé et n’ayant point obtenu votre délivrance, VOUS AVEZ TROUVÉ L’EXAUCEMENT DANS LA PRÉSENCE EN VOUS DU DIEU DE VOTRE ESPÉRANCE; à l’heure où vous vous apprêtiez à mourir souriants, consolés, vous aidant mutuellement dans le parfait accord de vos âmes.

Combien peu vous vous doutiez que vous contribueriez à révéler ce monde de l’esprit, ce règne de Dieu, à ceux qui, si loin de vous à tous égards, vont lire ces lignes, et que vous illustreriez magnifiquement pour eux cette parole étonnante du Psalmiste:


TA GRÂCE VAUT MIEUX ENCORE QUE LA VIE!


En avant 1904 07 14



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