Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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ELLE N’EST PLUS!


Elle avait dix-huit ans, de beaux cheveux noirs, une taille élancée, une vive intelligence et dies doigts agiles à la couture. Elle travaillait avec acharnement et sa plus grande joie était de parer coquettement le home paternel.

C’était une maison d’ouvrier, mais grâce à ces mille petits bibelots, que sait si habilement disposer toute main féminine, la maison avait un cachet d’aisance et de gaieté. Mais un jour, Pâquerette (c’était son surnom d’enfance, car elle était née le jour de Pâques), prit froid.

Elle se mit à tousser; d’abord elle n’y fit pas attention; au printemps de la vie, un rhume est vite passé; mais celui-ci ne passait pas. Pâquerette toussait toujours. Bientôt, une sorte de langueur générale s’empara d’elle; ses doigts, jadis si habiles, refusaient maintenant d’obéir à sa volonté. Elle, toujours si vaillante, se prenait parfois à sommeiller devant sa machine à coudre, son ouvrage inachevé sur les genoux.

Il lui fallut bientôt quitter sa jolie chambre, son chez soi à elle, au milieu du chez soi familial, pour venir travailler auprès du feu; mais même le feu me voulait plus la réchauffer.

Tout semblait conspirer contre elle, jusqu’au beau soleil qui donne la vie à toute la nature et porte dans ses rayons un air de fête, il allait lui-même, l’astre resplendissant du jour, voiler sa face pour de longs mois.

Un jour, je l’invitai à la réunion. «Je ne peux pas, Monsieur, dit-elle, je suis trop fatiguée, ce sera pour dimanche.»

Le dimanche, elle vint, en effet et, d’après sa propre expression «notre religion lui plut».

Le lendemain, elle se mit au lit. Ce fut pour ne plus se relever. Je vins la visiter souvent, souvent. Assis tout près de son chevet, de plus en plus près ces derniers temps, afin d’entendre encore sa faible voix, je pouvais suivre jour par jour, les ravages de l’inexorable maladie qui, jamais, ne lâche sa victime avant d’avoir recueilli son dernier souffle.

Elle aimait les visites et sa joie était, d’entendre parler; quoique pouvant à peine répondre, elle ne se lassait pas d’écouter. Je lui parlais du Ciel, des myriades d’anges, des chœurs célestes, des beaux rivages éternels, auprès de Jésus, à l’abri des maux de ce monde et soustraite pour jamais aux conséquences de la chute.

Chaque fois, elle me répondait: «Je ne veux pas mourir!»? Capitaine, c’est trop triste, je suis trop jeune!

Je la vis pour la dernière fois, un soir, s’efforçant de manger un œuf qu’elle n’aimait pas, afin de vaincre le terrible fléau qui semblait se jouer de son frêle corps. Elle avait la fièvre! À la pâle lueur de la lampe, elle mettait ses doigts amaigris sur ses pommettes rosées: «Regardez, me dit-elle, si mes joues se sont creusées, aujourd’hui.» Seuls ses grands yeux, brillants de fièvre, semblaient avoir concentré toute la vie qui était en elle et vouloir jeter un dernier défi à la mort. Le lendemain, lorsque je revins, elle n’était plus.


* * *


Je contemplai encore ce beau profil, maintenant calme et reposé, émergeant d’une robe noire; toute trace de souffrance avait disparu, on eut dit qu’elle dormait; instinctivement, sa mère et moi, nous parlions bas, comme pour ne point l’éveiller. «Où est ma fille? Monsieur, me disait la mère, dans un sanglot qui étouffait sa voix. Au ciel, n’est-ce pas?»

Troublante question, angoissant problème, profond mystère! Qui nous donnera la réponse?

Elle n’est plus là, sa dépouille est devant nous, mais elle... en est absente. Elle a traversé la sombre vallée; le Roi des épouvantements l’a ravie à nos regards, à nos affections...

Elle contemple ce que nous cherchons à pénétrer, elle connaît ce que nous voudrions savoir. Non plus de crainte, même en traversant les eaux glaciales de la mort; le voile a été soulevé; plus de doute, le Fils Bien-aimé est venu nous révéler les admirables desseins du Père.

Plus de démarche incertaine, le sentier est éclairé des rayons du Calvaire!

«Celui qui croit en moi, vivra quand même il serait mort

Nous avons peut-être tort d’appeler «morts» ceux qui nous ont quittés, puisqu’ils sont vivants et ne peuvent plus mourir; c’est nous, les vivants, qui sommes mortels.

Quand je n'aurai plus de chair, je verrai Dieu,

Mes yeux le verront et non ceux d'un autre.

Encore un peu de temps et je verrai... comme Job, mes yeux le verront et non ceux d’un autre et il me sera favorable. Bientôt ce corps mortel aura revêtu l’immortalité et je serai semblable à Lui; je le verrai face à face, tel qu’il est, alors je connaîtrai comme j’ai été connu. Avec le poète, nous nous y retrouverons meilleurs, nous nous y reverrons sublimes.

Un jour dans les parvis célestes vaut plus que mille ailleurs.

A. Thenet.

En avant 1910 02 12



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