Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LA BAGUE D’OR DE MA FEMME


UN TRAIT DE LA VIE DE LAVATER


Lavater avait habitude de lire tous les matins quelques chapitres de la Bible, parmi lesquels il choisissait ensuite un passage pour en faire l’objet d'une méditation spéciale pendant la journée.

Un matin qu’il avait lu les chapitres V et VI de l’Évangile selon saint Matthieu, saisi d’admiration, il s’écria:

«Quelle richesse d’enseignements tous importants et inestimables! et qu’il est difficile de faire un choix entre eux.»

Après avoir réfléchi quelques instants, il se jeta à genoux et pria Dieu de le diriger dans ce choix. Plus tard, lorsqu’il vit sa femme à l’heure du repas, elle lui demanda quel passage de l’Écriture il avait choisi pour la journée. «Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi», répondit-il.

«Et comment faut-il entendre ce précepte?

«Ces paroles, répliqua Lavater, sont de Celui à qui appartient en réalité tout ce que je possède. Je n’en suis pas le propriétaire, mais simplement l’économe.

Le véritable propriétaire veut que je donne à celui qui me demande, et que je ne refuse pas à celui qui veut emprunter de moi; en d’autres termes, si j’ai deux habits, que j’en donne un à celui qui n’en a point; si j’ai de quoi manger, que je partage avec celui qui a faim; il veut que je fasse cela, même sans attendre qu’on me le demande; combien plus lorsqu’on vient me le demander!»

«Cette application du passage, continue Lavater dans son journal, me parut si évidente et si au-dessus de toute contestation, que je parlai avec une chaleur plus qu’ordinaire. Ma femme répondit simplement qu’elle réfléchirait sérieusement à ces choses.

«Je venais de quitter la salle à manger, lorsqu’une pauvre veuve avancée en âge demanda à me parler; on la fit entrer dans mon cabinet:

«Pardonnez-moi, mon cher monsieur, dit-elle, excusez la liberté que je prends; j’en suis vraiment confuse, mais mon loyer échoit demain, et il me manque six écus pour le payer; une maladie m’a forcée à garder le lit, et mon pauvre enfant meurt de faim; j’ai mis de côté sou par sou tout ce que j’ai pu épargner pour subvenir à cette dépense, mais il manque encore six écus, et c’est demain le terme.»

Ouvrant alors un paquet qu’elle tenait à la main: «Voici, dit-elle, un livre à fermoir d’argent que feu mon mari m’adonné le jour de notre mariage. C’est tout ce que je puis distraire du peu d’objets que je possède, et il m’en coûte de m’en séparer. Je sais bien que ce n’est pas assez, et je ne vois pas comment je pourrai jamais rendre une pareille somme; mais, cher monsieur, si vous le pouvez, assistez-moi.»

«Je suis bien fâché, ma bonne, de ne pouvoir vous secourir», répondis-je, et, mettant la main à la poche, je touchai machinalement ma bourse qui contenait environ deux écus. Cet argent, pensai-je, ne peut pas la tirer d’embarras, elle en demande six; et d’ailleurs fût-il suffisant, j’en ai besoin pour autre chose.

«N’avez-vous donc, repris-je, aucun ami, aucun parent qui puisse vous donner cette bagatelle?»

«Non personne !... J’ai honte de mendier de maison en maison, j’aimerais mieux travailler nuit et jour; mon excuse pour m’être présentée chez vous, c’est que tout le monde parle tant de votre bonté. Si pourtant vous ne pouvez pas me secourir, vous me pardonnerez du moins mon importunité: et Dieu qui ne m’a jamais abandonnée jusqu’à présent, ne me laissera pas sans secours dans ma soixantième année».


À ce moment, la porte de mon cabinet s’ouvrit et ma femme entra. J’étais à la fois confus et vexé; je l’eusse renvoyée volontiers; car la conscience murmurait: «Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.»

Elle s’approcha de moi et me dit avec douceur: «Cette pauvre femme mérite notre intérêt; elle sort évidemment de maladie; il faut l’assister, si tu le peux.»

La honte et la compassion luttaient ensemble dans mon pauvre cœur.

«Je n’ai que deux écus, lui dis-je à voix basse, et elle en demande six; je vais lui mettre une bagatelle dans la main et la congédier.»

Ma femme appuya sa main sur mon bras en souriant et me dit à haute voix ce que ma conscience m’avait déjà dit tout bas:

«Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.»

Je rougis et répondis un peu vexé:

«Donnerais-tu ta bague pour cet objet?»

«Avec plaisir», répondit-elle en l’ôtant de son doigt. La bonne vieille, trop simple ou trop modeste pour faire attention à ce qui se passait, allait se retirer. Ma femme lui dit d’aller attendre dans l’antichambre. Quand nous fûmes seuls, je lui demandai si c’était sérieusement qu’elle parlait de se défaire de sa bague.

«Certainement, répliqua-t-elle, en peux-tu douter? Crois-tu donc que je voudrais plaisanter avec la charité?

Rappelle-toi ce que tu me disais il y a six mois. Oh! cher ami, ne faisons pas de l’Évangile un vain semblant; tu es toujours si bon, si compatissant, comment se fait-il que tu trouves si difficile d’assister cette pauvre femme?

Pourquoi ne pas lui avoir donné sans hésiter ce que tu avais dans ta bourse? Et ne savais-tu pas qu’il reste encore six écus dans ton bureau, et que nous devons toucher ton trimestre avant huit jours?»

Puis elle ajouta d’un ton profondément senti:

«Ne soyez pas en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. Regardez les oiseaux de l’air: ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n’amassent rien dans les greniers, et cependant votre Père céleste les nourrit!»

«Je pressai ma femme contre mon cœur, et mes joues se couvrirent instantanément de larmes.

«Merci, oh l merci mille fois de cette humiliation!»

J'ouvris mon bureau, j’en tirai les six écus, et je courus à la porte appeler la pauvre veuve. Tous les objets me semblaient s’obscurcir autour de moi, à la pensée que j’avais pu oublier la toute science de Dieu au point de dire à cette femme: Je ne peux pas vous secourir. Oh! fausse langue! oh! double cœur! Etemel! si tu prends garde aux iniquités. Seigneur, qui pourra subsister devant toi!

«Voici ce qu’il vous faut», dis-je à la veuve.

«D’abord elle ne parut pas me comprendre; elle croyait que je lui offrais une légère aumône, dont elle me remercia en me serrant la main; mais quand elle s’aperçut que je lui avais donné la somme entière, elle eut peine à trouver des paroles pour exprimer ce qu’elle sentait:

«Cher Monsieur, s’écria-t-elle, je ne pourrai pas vous le rendre; je ne possède que ce pauvre livre qui est déjà vieux.»

«Gardez votre livre, lui dis-je, et l’argent aussi, et remerciez Dieu et non pas moi, car en vérité je ne mérite pas de remerciements après avoir si longtemps résisté à vos instances. Allez en paix, et pardonnez à un frère qui a péché.»

«Je rejoignis ma femme en baissant les yeux, mais elle me reçut en souriant et me dit:

«Ne prends pas la chose si fort à cœur, mon ami; tu as cédé à mon premier appel; mais promets-moi qu’aussi longtemps que je porterai au doigt une bague d’or, et que tu sauras que j’en possède encore plusieurs autres, tu ne diras jamais à personne: Je ne peux pas vous secourir.»

Elle me serra la main et sortit de la chambre.

Resté seul, je m’assis à mon bureau et j’écrivis dans mon journal ce qui précède, afin d’humilier mon cœur si habile à se tromper lui-même.

«Je relus alors les chapitres que j’avais lus le matin avec si peu de profit, et je me sentis toujours plus humilié, toujours plus convaincu qu’il ne saurait y avoir de paix là où les principes et la pratique ne sont pas pleinement d’accord.

Comme j’aurais pu finir paisiblement et heureusement cette journée, si j’avais agi d’une manière conséquente avec les principes dont je fais profession!

Cher Sauveur! envoie ton Saint-Esprit dans ce cœur encore ténébreux.

Purifie-le des fautes cachées, et apprends-moi à faire, servir ce dont tu m’as commis, le soin, à ta gloire, au bien de mes frères et à mon propre salut.»

Lecteur, va et fais de même!

En avant 1910 02 05


 

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