Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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AU SECOURS DES SINISTRES DE PARIS ET DE LA BANLIEUE


L’INONDATION À PARIS ET DANS LA BANLIEUE

UN DÉSASTRE NATIONAL

La Capitale sous l’eau — Éboulements et catastrophes — Un problème angoissant L’Organisation des Secours


Innondations1-2

Innondations3-4

Innondations5

Comment parler d'autre chose? Un fléau comme celui qui a dévasté Paris, la banlieue et une partie du bassin de la Seine s’impose à l'attention publique. Les cœurs et les esprits en sont pleins. Les mêmes pensées occupent le cerveau de tous, les mêmes sentiments étreignent les cœurs. À la curiosité des premiers jours a succédé la désolation. Le matin, en s’éveillant c’est le même question sur toutes les lèvres: Où en est la Seine? Quel est son niveau?

On s’arrache les journaux: le matin, à midi, le soir, avides de savoir et la stupeur se peint sur les visages — un silence angoissant plane sur tous — lorsqu’on constate, encore et encore, que la Seine monte, monte toujours, semant l'effroi sur son passage contraignant les habitants à fuir leur logis, laissant derrière eux, mobiliers, linge, vêtements, emportant à la hâte quelques paquets de hardes.

Bientôt, en effet, le désordre fut complet, semant la ruine sur son passage. Le flot envahisseur monte tumultueux balayant tout ce qu’il rencontre, chariant des épaves de tous genres qui flottent au gré des vents et deviennent bientôt à leur tour une autre source de danger en interceptant l’écoulement des eaux sous les parapets des ponts.


La vitesse et le débit du fleuve sont prodigieux.

Des chiffres montreront mieux que toutes les descriptions la masse énorme d’eau que roulait la Seine et la vitesse avec laquelle elle se comportait.

En temps normal le débit à l’étiage est de 90 mètres cubes, il était mercredi de 2.400 mètres cubes. La vitesse moyenne du fleuve est de 0 m. 439 à la seconde, elle était le même jour de 2 mètres.

Or, ce ne sont pas là les chiffres les plus élevés puisque le jeudi et le vendredi le fleuve n’a cessé de grossir en volume et en impétuosité. Dès le début de la crue, Bercy est sous l’eau, les barriques de vin de l’entrepôt flottent au gré des flots.


Ivry, Charenton, Alfortville, Maison-Alfort, sont submergés et les habitants fuient affolés, trempés jusqu’aux os, transis de froid et ayant dû laisser derrière eux tout leur avoir. Dans la Capitale, c’est la même situation douloureuse, Passy est envahi par les eaux, Grenelle et Javel sont tous particulièrement éprouvés.

Les Champs-Elysées sont envahis à leur tour, le boulevard de Saint-Germain, la rue du Bac, la rue de Lille, etc., etc.

La vie est absolument bouleversée à Paris, la plupart des voies de communication sont interdites — les tramways ne marchent pas — quelques rares lignes d’omnibus fonctionnent et encore avec quelles complications! Les voies télégraphiques et téléphoniques sont dans le désarroi.

L’éclairage manque dans certains quartiers et les rues sont transformées en rivières. Vendredi fut le jour d’angoisse par excellence. La Seine était montée de 9 m. 30 à 9 m. 50, où allait-elle s’arrêter. Dans la banlieue ouest le spectacle était pareillement lamentable.

Les quartiers bas d’Asnières avaient été des premiers sous l’eau et entre beaucoup d’autres habitants, nos Colonels avaient dû fuir dès le dimanche précédent leur habitation à l’aide de barques voguant sur la rue comme dans le lit du fleuve.

Mais le point noir à l’horizon était Colombes, Gennevilliers. La digue de Gennevilliers allait-elle se rompre? Sous la pression grandissante des eaux elle céda et ce fut alors un sauve-qui-peut général. Des milliers de familles affolées se précipitant loin du fleuve meurtrier, enfouies à mi-corps dans le flot boueux. Dans cette immense presqu’île formée par une branche de la Seine, il y avait plus de 10.000 personnes.


Le lendemain la plaine n’était plus qu’un lac immense au milieu duquel émergent seuls quelques îlots déserts. En pleine nuit, le tocsin et la «générale» avaient soudain retenti à Genevilliers et dans les communes environnantes, annonçant la rupture de la digue derrière laquelle les populations s’abritaient avec confiance. Les ouvriers de l’usine à gaz durent arrêter les machines et s’enfuirent précipitamment, et de ce fait trente communes furent plongées dans l’obscurité.

Plusieurs ensevelissements ne purent être faits et l’on vit flotter sur l’eau un cercueil recouvert de couronnes, emporté sans doute à quelque demeure que le flot avait sapé en passant.

Un autre désastre était du reste venu se greffer sur le premier. Sous la pression des flots, les égouts crèvent. Le collecteur de Clichy-Asnières éclate et refoule l’eau dans le Nord-Sud. Dès lors la rue de Rome est envahie. Cour du Havre, cour de Rome, place du Havre, tout cet ensemble n’est plus qu’un immense lac, vraie mer mouvante, baignant la gare Saint-Lazare et mettant en danger les immeubles voisins.

De tous côtés, des excavations se font dans Paris, rue St-Honoré, rue Lafayette, boulevard Haussmann, rue Royale, place de l’Opéra, la circulation devient de plus en plus difficile et la lumière fait défaut en maints endroits. Ailleurs, les caves sont envahies sur divers points de Paris. Les ministères sont cernés les uns après les autres. La Chambre est envahie, on n’y accède qu’à l’aide de passerelles établies à la hâte. Les sous-sols de l’Élysée sont également inondés et la cuisine doit être apportée du dehors.

Un problème angoissant se pose maintenant.

Manquera-t-on de pain?

Pourra-t-on ravitailler Paris?

Les fours de certaines boulangeries envahies par l’eau ne fonctionnent plus ou ont éclaté. D’autres commerçants ont de la farine, mais n’ont pas de bois (le bois arrive par eau). Une note officielle vient rassurer la population: on suppléera aux fours qui ne peuvent fonctionner et aux manques d’approvisionnements. Un admirable élan de solidarité se dessine, du reste, de toutes parts et les secours arrivent.


* * *


Les secours


Ce fut là, au sein, du désastre, une note réconfortante. L’élan sublime de dévouement qui s’est manifesté de toutes parts. Il fallait, en effet, atteindre tous ceux qui emprisonnés par les eaux, se mouraient de faim chez eux. Des canots de sauvetage, et des marins réquisitionnés par le gouvernement arrivèrent. Les soldats du génie et de la ligne, ainsi que des particuliers s’ingénièrent et rivalisèrent de zèle et d’abnégation pour voler au secours des sinistrés.

On leur porta du pain et des vivres dans les barques, ailleurs on procède aux transports, de ceux dont les demeures étaient envahies par l’eau et cela donna lieu à des scènes sublimes de dévouement. Ici c’est une sexagénaire que deux braves soutiennent de chaque côté (voir gravure, 1ère page) — ailleurs, c’est une paralytique qu’on transporte dans son lit avec d’infinies précautions sur une légère passerelle. Tantôt ce sont des canots entiers qui arrivent chargés de monde, plus loin encore de courageux sauveteurs qui vont, à mi-corps dans l’eau glacée, charger sur leurs épaules de précieuses vies humaines, tel celui dont nous donnons un aperçu dans notre gravure de1ère page.

La Major Coste rencontre quelque part une femme qui pleure tenant à la main une fillette. Elle l’interroge. — Mon mari, madame n’est pas revenu! «Il avait sauvé quinze personnes en traversant le fleuve avec chaque fois une personne sur ses épaules, quand il revint la quinzième fois, je voulu le retenir. Il était tout grelottant de froid. Mais une seizième tendait les bras par la fenêtre: «Je ne puis pas la laisser périr ainsi, me dit-il, et il repartit! — Je ne l’ai plus revu! et la pauvre femme pleure en silence.

Ce n’est qu’un fait, on pourrait en citer des centaines et des milliers d’autres ont travaillé jour et nuit dans l’eau ont été admirables. Ils furent au-dessus de tous éloges. Certains hôpitaux, tel celui de Boucicaut à Javel, durent être évacués et les malades qu’on dût transporter, enroulés dans des couvertures, furent répartis sur divers hôpitaux parisiens. Mais ce n’est pas tout; des milliers et des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants, étaient sans pain et sans asile et couverts de vêtements mouillés. Les secours en argent et en nature qui, de toutes parts, affluèrent, furent distribués en grande hâte. Les diverses branches de la Croix-Rouge et plusieurs sociétés privées organisèrent immédiatement des dortoirs, des cuisines et chacun peut ainsi s’abriter et se restaurer. D’autres allèrent porter des vivres aux sinistrés chez eux.

Le Président de la République et le Président du Conseil allèrent visiter tous les quartiers les plus compromis et réconforter les sinistrés. Mais pendant longtemps encore les conséquences seront lamentables pour les malheureuses victimes de l’inondation. Le grand courant de solidarité spontané qui s’est manifesté en France et à l’Étranger a été comme un baume à cette blessure, et un réconfort aux souffrances présentes. Mais demain est là, et, nombreuses seront les misères à soulager, les chômages forcés, les maladies contractées comme conséquence du désastre. Aussi ne saurions-nous trop recommander à l’attention de nos lecteurs la souscription qu’ouvre le Colonel dans ces colonnes.

Les dons en espèces et en nature (nourriture, vêtements, couvertures, etc.), seront reçus avec une infinie reconnaissance et distribués aux sinistrés reçus dans nos Institutions ou ailleurs.

En avant 1910 02 05


 

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