LES DROITS DE L’HOMME
Une lettre est sur mon bureau portant le timbre de trois sous: une femme assise paraissant méditer ces paroles gravées sur une sorte de pierre tombale: Droits de l’homme.
J’entends
fort
bien l’allégorie de mon timbre: cette femme, c’est la
République; ces droits de l’homme sont les droits de l’humanité;
en particulier, les droits de tout citoyen français, hommes et
femmes indistinctement.
Il s’agit de cette Déclaration fameuse, de ce fier et sublime cri de liberté poussé, cent ans passés, par la France en révolution, et qui résonne toujours, répercuté par les échos, des Ardennes aux Pyrénées et des Alpes aux collines bretonnes.
Clameur ardente, enthousiaste, qui, dépassant nos frontières, fit vibrer tous les peuples et ébranla sur leurs bases les trônes des souverains: pour ceux-ci, tel un glas funèbre, un tocsin d’alarme; mais, pour ceux-là, vers la chaumière, vers l’humble, vers le paysan, ce cri de liberté allait, porté sur les ailes de l’espérance, éclatant comme une fanfare guerrière, attendu et réjouissant comme est, pour le malade abattu sur sa couche d’insomnie, l’annonce de l’aurore.
Ce cri chante victoire au manant, au vilain courbé depuis douze siècles sur cette terre française, qu’il a arrosée de ses larmes et fécondée de sa sueur, pour lui, jusqu’ici si ingrate, si généreuse pour le seigneur...
Alors, la première fois de sa vie, il embrasse le sillon d’un regard attendri d’amour, d’espérance et de foi. «Mon droit, ma liberté!» Il épelle ces mots avec ravissement. Il ne se lasse de les répéter. Quelle musique délicieuse! Mon droit, ma liberté... De retour, le soir, au foyer: «Mon droit! ma liberté!» s’écriera-t-il en abordant la compagne de sa vie, que cet accueil, d’abord, surprend. Et l’enfant qui ne marche pas encore, qui sait à peine bégayer «maman», il le met sur ses genoux et, triomphant, cherche à lui faire dire les mots magiques: MON DROIT, MA LIBERTÉ.
C’est comme une ivresse, une folie, de posséder un tel trésor. Il ne sera donc plus, le manant, le serf: il sera l’homme. Un homme.
– Il pourra disposer à son gré de son champ, de sa famille, de sa personne, de sa vie.
– Il n’aura plus à rendre compte qu’à la loi, égale pour tous.
– Affranchi du caprice, de l’arbitraire, de la tyrannie du noble châtelain, il ne relèvera plus désormais que de la loi.
TOUT EST CHANGÉ. ENFIN, IL VA ÊTRE HEUREUX!
Combien de temps durera cette réalité? moins de temps que ne dure un rêve!...
Je viens d’interroger le mineur dans sa fosse, le pêcheur sur sa barque: ils se sont plaints.
J’ai demandé aux paysans, aux temps de la moisson, quand son grenier se remplissait de belles gerbes d’or, bien à lui;
j’ai demandé à l’artisan, à l’ouvrier qui se sont plaints amèrement.
«Nous n’avons fait que changer de maître, m’ont ils dit. Autrefois, c’était le seigneur; maintenant, c’est le billet de banque ou le banquier...
Malgré tout, cependant, ajoutent-ils, nous ne voudrions pas retourner aux temps anciens, mais, pour cette raison, que nous approchons de la Révolution sociale... Voici l’aurore des temps nouveaux.»
Ô PEUPLES, UNE PREMIÈRE LEÇON NE T’A-T-ELLE DONC RIEN APPRIS?
Vas-tu encore persister dans la fatale voie où tu t’éloignes toujours plus de Dieu, où, méconnaissant les Droits de ton Créateur, tu repousses, sans cesse, tes devoirs envers Lui.
Oui, tu as tes droits. Ils sont intangibles. Ta liberté est sainte. Ton travail est sacré.
Mais, sur quelle base les établis-tu, tes droits?
Quels sont les fondements qui soutiendront éternellement l’édifice?
Quelle pierre angulaire, quel granit as-tu choisi pour y construire la forteresse invincible, le temple impérissable qui abriteront ton bonheur et ta liberté?
Tu te souviens quand la Bastille s'écroulait avec fracas sous le poids de ta juste colère, quand les sombres donjons furent renversés, les chaînes brisées et les prisons ouvertes, quels transports! Quelles larmes de joie! Quel délire de victorieuse liberté!
Va revoir, dans ta capitale, près du pont d’Austerlitz, à deux pas de cette caserne, ancien couvent des Célestins, va revoir le dernier vestige de l’autorité féodale, quelques pierres entourées d’une grille, qui finissent de s'émietter sous le baiser mordant de l'âpre brise. C’est là, tout ce qui reste de la Bastille.
Mais, dis-moi, qu’est-il resté de ta liberté?
C’EST DONC BIEN VRAI, TU AS BÂTI SUR LE SABLE.
Et voici que tu veux recommencer, mais pire encore! Tu arrives chargé de matériaux:
– avec le puissant ciment de tes syndicats,
– avec les lourds moellons de tes revendications sociales,
– avec les clefs de voûte de ton opiniâtre volonté;
et tu te mets à l’oeuvre, assuré de succès, chantant la victoire.
N’entends-tu pas quelqu’un ricaner sous la terre, à l’endroit même où tu déposes ta pierre et ton ciment?
— Qui est-ce? :
— Celui qui se joue de toi, qui te berne et qui te hait, ton ennemi éternel, ton ennemi, à toi, et l’ennemi de Dieu, Satan.
Tu ne veux pas chercher, creuser jusqu’à Dieu?
Tu ne veux pas bâtir sur sa Puissance, sur sa Vérité, sur son Amour?
TRÈS BIEN. DIEU, QUI RESPECTE TA VOLONTÉ, SE RETIRE.
Alors, c’est Satan qui s’offre. Il a les reins solides.
Sur l’incrédulité, sur l’impiété, sur le matérialisme, tu peux commencer ton ouvrage. Qu’il s’élève bien haut, bien haut. Pose le toit, maintenant. Suspends la crémaillère.
Ça y est. Satan sort alors de son trou; et dans l’abîme qu’il laisse, ta tour de Babel, ô peuple, chancelle et s’effondre entraînant dans une ruine profonde, toi, ta liberté, ton bonheur!
Tant que les Droits de Dieu ne seront pas respectés,
les Droits de l’homme ne subsisteront jamais!
En avant 1904 07 14
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