QUELQUES PAGES DE MA VIE
Par la Commissaire
Ces «Pages de ma vie», simples souvenirs, ne seront pas une notice biographique, même succinct, elles seront tantôt une reproduction fidèle de quelques-unes de mes expériences personnelles les plus saillantes, ou le récit du chemin par lequel Dieu m’a conduite; tantôt, comme ci-dessous, quelques-unes des manifestations de la puissance de Dieu se traduisant par des miracles, des appels frappants faits aux âmes que j’ai connues ou des glorieuses bénédictions reçues par d’autres.
Absorbée par l’œuvre qui se produit sans cesse actuellement autour de nous, je n’ai pas le temps de les classer comme j’aimerais le faire. Je vous les donne donc comme ils me viennent à l’esprit, dans l’espoir que Dieu rencontrera des cœurs par ce moyen, que cela fera revivre chez plusieurs la foi disparue ou endormie et que d’autres seront appelés à cette occasion à renouveler leur consécration absolue au service du Maître et qu’ils obéiront à cet appel.
Lucie E. Cosandey.
* * *
Un appel resté sans réponse
— «Maman chérie, ne penses-ta pas pouvoir me donner tout à fait pour Dieu et les «mes?
— «Que veux-tu dire, Jeanne? Voudrais-tu quitter ta pauvre mère veuve et la laisser seule pour faire face aux difficultés de la vie? Tu sais que je n'ai jamais demandé à Charles de revenir de nouveau, si dur que cela a été pour moi de le laisser partir. Il appartient à Dieu et je le lui ai donné sans réserve. Mais toi. Jeanne, pourquoi devrais-tu partir aussi? Que ferait ta pauvre mère sans toi?
— Très bien, mère chérie, restons-en là. Nous ne parlerons plus jamais de cela.»
C’était un lundi matin. La mère et la fille se mirent à coudre avec ardeur en vue d’une commande qui venait juste d’arriver. Elles gagnaient eu effet leur vie par la couture, soit en faisant à la maison les commandes reçues, soit en allant en journées au dehors.
Le jour précédent Jeanne et sa mère avaient assisté à une petite réunion de l’Armée du Salut tenue dans la maison d’une dame de Lausanne. C'était les premiers jours de l’Armée du Salut en Suisse. Il n’y avait pas encore de Corps dans cette ville mais quelques amis avaient été dans des endroits voisins où il y avait déjà des Corps établis et avaient été bénis en assistant aux réunions. C’est pourquoi ils m’avaient suppliée de venir de Genève et de tenir une réunion dans leur propre ville.
Jeanne et sa mère avaient aussi reçu une grande bénédiction, ainsi que la dame dans la maison de laquelle la réunion avait été tenue.
Pendant cette après-midi des témoignages avaient été demandés et Jeanne fut parmi les premières à se lever. Ses paroles brûlantes partant d’une âme inspirée révélaient un cœur renouvelé par la grâce divine et baptisé du Saint-Esprit, un instrument prêt et propre pour le service du Maître, pour de meilleures choses que la confection de vêtements qui passeront avec la mode.
Cette pensée m’avait fortement frappée pendant que je dirigeais la réunion, et pour un instant je laissais mon esprit s’y arrêter.
«Quelle bonne Officière Jeanne pourrait faire! Mais qui oserait demander à sa mère son Isaac? Au moins moi, je n’ose pas.»
Telles étaient les pensées qui couraient avec rapidité dans mon esprit, aussi la question ne fut-elle jamais abordée ni avec la mère ni avec la fille.
Trois semaines plus tard dans mon petit bureau de Genève, un télégramme nous était remis nous apprenant que Jeanne avait rejoint la milice céleste vêtue de robes blanches et demandant que son frère, qui était dans le Midi de la France, vint pour conduire les funérailles.
Des sentiments bien divers remuèrent mon cœur:
«Jeanne partie! Pas Officière et pourtant pas l'aide et le soutien de sa mère. Comme c'était étrange!»
Mon premier devoir était une lettre à la mère affligée et un télégramme au fils absent. Ce fils était un monument de la puissance de Dieu et de sa fidélité à répondre à la prière fervente et pleine de foi d’une mère vraiment chrétienne.
Quand l’Armée ouvrit ses opérations à Neuchâtel, Charles était un prodigue, loin de la maison et loin de Dieu. La boisson et d'autres passions avaient pris le dessus en lui et il allait rapidement à la dérive. Mais les prières de la mère étaient arrivées jusqu’à l’oreille toujours attentive du Dieu tout-puissant.
Charles fut l'un des premiers parmi ceux qui se pressaient à ces réunions d’ouverture de Neuchâtel. Il fut aussi l'un des premiers qui s’agenouillèrent au banc des pénitents avec un cœur brisé et contrit, et il s'en releva déterminé à servir Dieu avec autant de résolution qu’il avait jusque-là servi le diable.
Et c’était ce même fils qui devait maintenant remettre à la terre et aux soins de Dieu jusqu'au matin de la Résurrection la dernière dépouille de sa sœur si douce, si dévouée et si fidèle. À cette occasion, il renouvela à Dieu la consécration de son être entier et s’engagea à le servir jusqu'à la mort.
Son premier devoir semblait naturellement de prendre la place laissée vide auprès de sa chère mère restée seule au monde, par le déport de sa sœur. Mais elle ne voulut pas en entendre parler: Demander ton retour, Charles? Jamais, jamais! Si seulement j'avais donné Jeanne d'un coeur content!
Quelques mois plus tard, dans une petite salle de la même ville, un groupe de bouillants et ardents salutistes se tenaient groupés autour du Drapeau. On lut les articles de guerre, point par point; treize recrues, debout en demi-cercle reçurent les S S, quand l’une d'elles, une mère agée, un moment où les insignes allaient lui dire remis, s'arrêta et me dit: «Attendez un moment, je vous prie: je ne puis prendre ces SS avant de vous avoir dit ce qui est dans mon cœur!»
Je m'empressai alors de m'écarter pour quelle pût s’avancer sur le devant de l’estrade. C'était la mère de Jeanne! Jetant un regard circulaire sur l'auditoire qui remplissait la salle, d'une voix qu'elle pouvait difficilement dominer, son âme secouée par une émotion profonde, elle dit:
«J'espère que je suis la première mère, (Dieu fasse que je sois la dernière) qui Lui refusera son enfant.»
Elle raconta ensuite de la façon la plus touchante l'histoire de ce lundi matin et termina par ces mots:
«L'idole que je n'ai pas voulu donner à Dieu volontairement. Dieu a été obligé de la reprendre. Mais depuis la mort de ma chère fille, II m’a suffi dans toutes les circonstances, suffi pour le corps, pour l'âme et pour l'esprit. Pourtant combien les choses eussent été différentes si j'avais accepté Sa volonté! J'aurais pu alors partager sa joie en voyant les âmes qu'assurémemt elle curait gagnées pour Dieu.
Puisse, Celui-ci, qui m'a pardonné ma mauvaise volonté et mon indignité, me donner la joie de lui en graguer au moins quelques-unes pendant le temps qui me reste à vivre et permettre que ma vie Le glorifie dans tous les détails. C’est tout ce que je demande. Et maintenant, je crois que je puis accepter ces SS. et les porter pour Lui.»
En avant 1904 12 03
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