LUNETTES ROSES!
«De leur meilleur côté tâchons de voir les choses;
Vous vous plaignez de voir les rosiers épineux,
Moi je me réjouis, et rends grâces aux cieux.
Que les épines aient des roses!»
A. K.
L’homme qui a écrit ces vers n’était point un salutiste, ni un chrétien, au sens propre du mot; mais sa philosophie, simple certes, et à la portée de tous, valait mieux, peut-être, que le christianisme de plus d’un...
Oh! l’optimisme, le vrai, l’intelligent optimisme! — Je ne parle pas de la béate satisfaction de quelques esprits irréfléchis — qui en mesurera le prix?...
Mais, au fait, cet optimisme ne ressemblerait-il pas à cette chose précieuse dont parle l’Apôtre, je veux dire LE CONTENTEMENT D’ESPRIT?
Quoi? dira quelqu’un:
être content quand on souffre, quand les affaires vont mal, qu’on ne sait où chercher du secours!
être content, quand on voit tous ses plans renversés comme par une fatalité méchante!
Content, au milieu d’indifférents, de railleurs, content si l’on échoue, si l’on est incompris de ceux qu’on aime?...
Oui, content toujours, partout et malgré tout.
Le vrai soleil moral ne vient pas du dehors, mais du dedans.
Oh! la valeur de ce petit secret: être joyeux! Prendre, comme on dit vulgairement, gens et choses du bon côté, voir la vie à travers des verres roses!
N’en connaissez-vous point de ces personnes, honnêtes, respectables, oh! foncièrement; pieuses, sincèrement, mais à leur manière, et cette manière fait qu’en les rencontrant vous vous sentez un désir intraduisible d’être à plusieurs kilomètres?
Elles ont le malheur de tout voir par ces lunettes qui étendent un épais voile noir sur la nature. Encore, si elles ne voyaient que ce qui est!... Mais elles envisagent l’avenir, un lointain gros de nuages orageux; pis que cela, elles regardent dans l’intérieur de leur prochain, comme si elles disposaient, pour cette opération, de rayons Rœntgen d’un genre perfectionné, et leur œil soupçonneux y distingue des sentiments malveillants, des intentions mauvaises, que sais je encore...
En un mot, il n’est sorte de souffrance que ne forgent à eux-mêmes et à leurs proches ces êtres plus riches en imagination qu’en saine raison.
Si vous essayiez, si nous essayions de mettre d’autres verres?
Si nous courions le risque de pécher par trop de bienveillance, trop de contentement plutôt que par une humeur trop morose?
Si, lorsqu’on a eu un tort envers nous, nous adressions, non une aigre réprimande, mais une observation «dans l’amour», accompagnée d’un sourire qui console et réchauffe? Le coupable en serait il moins contrit?
Si nous supposions que la maladresse ou l’étourderie peuvent être causes de ce que nous attribuons si volontiers à la malveillance, en serions-nous moins heureux?
Et pour notre avenir et celui de nos bien-aimés, un peu plus de sérénité, de CONFIANCE EN CELUI QU’ON NE VIT JAMAIS MANQUER À SA PAROLE, et qui a promis d’avoir soin de nous? Les nuages s’amoncellent! — Il est plus haut que les nuages, et il règne, notre Soleil!
Rien n’est trop grand ni trop petit pour son amour.
Il rendra la force à celui qui s’est lassé pour le service de ses frères.
Mais nous n’avons parlé que de la vie de tous les jours et du talisman qui doit nous rendre maîtres de ses difficultés.
Épines et roses bientôt seront passées!
Mais enfin ce contentement serait il possible quand il faudra voir agoniser ceux que nous aimons, puis leur dire adieu, quand se posera sur nous, glacée, la main de la mort, détruisant nos énergies, émiettant jour après jour nos forces?
— Oui! si nous avons mis notre espérance en Celui qui est le premier et le dernier! Elles viendront, ces heures dont la seule pensée nous fait tressaillir d’effroi; elles viendront; mais avec elles descendra d’En-Haut, souveraine, une grâce qui nous fera sourire et chanter au milieu des larmes, et, l’âme inondée d’une clarté inconnue et infiniment radieuse, nous nous écrierons:
«Dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs
par Celui qui nous a aimés !... »
En avant 1904 06 25
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