Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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NOTRE OEUVRE DES BAS-FONDS

26, passage Raoul, Paris


C’était un jour où beaucoup de malheureux nous avaient donné l’occasion d’exercer notre ministère. Toute la matinée s’était passée à recevoir ceux qui frappaient à notre porte, à écouter leur histoire et à les aider dans la mesure du possible. Il avait fallu choisir parmi les vêtements usagés que l’on nous donne ceux qui convenaient le mieux aux besoins (et à la taille) de quelques-uns de ces pauvres gens, ce qui n’est pas toujours facile.

Voici une pauvre ouvrière, mère de famille, qui doit faire de grandes courses pour livrer son travail si mal rétribué. Elle est souffrante, mais n’a ni le temps ni les moyens de se soigner. Ses souliers n’ont plus de semelles et ses pieds sont tout meurtris. Par bonheur, nous en trouvons une paire pour les remplacer. Avec quelle joie elle les reçoit et les chausse de suite. Nous prions ensemble, et elle s’en va plus heureuse, remettant son fardeau de soucis à Dieu.


Nous venons en contact avec les pires détresses morales et matérielles.

La certitude que «DIEU EST AMOUR, QU’IL PEUT TOUT», nous inspire dans nos rapports avec ces victimes du péché.

Donc, la matinée avait été bien remplie. Nous causions, tout en prenant notre modeste repas de midi, avec ma camarade, de ces cas si compliqués qui s’imposent et auxquels il est difficile de trouver une solution.

En ce moment, la concierge apporta une lettre. Je l’ouvris et lus ce qui suit:

«Mademoiselle, il y a trois mois que je suis à l’hôpital avec ma petite fille âgée de 15 mois; mes deux autres, de 6 et 8 ans, sont au dépôt. Mon mari m’a abandonnée il y a longtemps. Je dois quitter l’hôpital demain et ne sais où aller, n’ayant pu payer mon terme. Si vous pouviez faire quelque chose pour moi et mes enfants!»

Nous répondîmes à ce cri de détresse en allant à l’hôpital de suite. Là, nous trouvâmes une femme de 34 ans, poitrinaire et ayant la main gauche paralysée. Sa fillette avait une bronchite chronique. Une voisine de lit, voyant la peine de cette femme, lui avait parlé de nous et donné notre adresse, l’assurant, que si nous pouvions, nous ferions quelque chose. Elle fut très contente de nous voir et nous raconta un peu son histoire.

«Ah! j’ai bien souffert de toutes manières depuis mon mariage. Mon mari avait une bonne place à la ville comme balayeur, mais il en a tant fait qu’on finit par le renvoyer. Toujours ivre, il abandonnait ses outils n’importe où, et le lendemain, il était incapable de les retrouver. Le soir, il rentrait et faisait des scènes épouvantables, tellement que ma petite qui a six ans prend des crises. Et puis, il dépensait tout son salaire; enfin, un beau jour, il est parti et nous ne l’avons plus revu.

Je n’ai pas eu toujours du pain à donner à mes enfants; malade et impotente, je ne puis plus faire mon travail, et enfin, n’en pouvant plus, je suis entrée à l’hôpital. Demain, mes deux enfants me seront rendues; il me tarde de les voir, mais qu’allons-nous faire?

Ne pouvant pas payer mon loyer, la concierge a enlevé de la Chambre que j’occupais mon lit et mes pauvres affaires. Elle m’a fait dire que tout cela était au fond d’un couloir depuis trois mois.»

La pauvre femme pleurait beaucoup en nous racontant ces choses, et son visage si pâle nous disait aussi combien elle avait souffert. Ce qui la désolait surtout, c’était la pensée de mourir bientôt et laisser ses enfants. Cette pauvre infortunée ne pouvait se confier en Dieu, elle était seule pour porter son fardeau, et certes il y avait de quoi être accablée. Nous fîmes notre possible pour l’aider à sortir de cette triste situation, en tâchant d’intéresser les auditeurs dans une ou deux réunions à ce cas, et ainsi nous eûmes la somme nécessaire pour lui louer une chambre pendant un trimestre. Personne ne voulait accepter cette malheureuse avec ses trois enfants.

Avec bien des difficultés nous pûmes trouver enfin une petite chambre bien claire dans une maison où quelques mois auparavant nous avions soigné une vieille infirme de 86 ans. L’aînée des fillettes fut placée chez une dame charitable pour quelque temps. Le vieux lit moisi fut transporté dans la chambre avec les autres choses indispensables, mais si sales. Ah! si nous avions pu remplacer tout cela, mais impossible pour le moment. Pas de draps, pas de couvertures, et c’était en décembre!

La pauvre femme était déjà bien reconnaissante d’avoir un «chez elle». Les enfants étaient à peine vêtus. Quelle misère navrante! Nous aurions aimé conduire dans cet intérieur ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes.

À Noël, notre chère Commissaire n’a pas oublié les pauvres des Bas-Fonds, et une petite fête a réuni autour d’elle parents et enfants. Avec un repas auquel chacun prit part avec plaisir, chaque mère reçut un paquet de vêtements et d'épicerie. Les enfants reçurent des jouets, et vraiment ce Noël est un point lumineux dans la vie de quelques-uns. Ils en parlent encore avec enthousiasme.

Notre protégée reçut sa bonne part dans la distribution, et le lendemain, comme nous lui apportions son paquet, car ses forces ne lui permettaient pas de porter un tel poids, c’était des cris de joie et de surprise en voyant tout cela. Sa reconnaissance envers nous est grande.

Nous bénissons Dieu pour l’œuvre qu’il fait dans le cœur de cette chère femme. Sa santé décline toujours, mais elle travaille un peu. Maintenant, elle coud des torchons pour des magasins et est heureuse de pouvoir faire cela. Nous croyons la rencontrer un jour parmi les rachetés, et si, selon toute probabilité, elle doit bientôt quitter ce monde, nous savons aussi que le Seigneur prendra soin de ses pauvres orphelines.

C’est un cas pris entre beaucoup de ceux qui nous occupent dans le troisième poste des Bas-Fonds à Paris. Voilà juste un an qu’il est ouvert, et avec nous plusieurs s’écrient:


«Gloire à Dieu pour ce phare brillant dans l’obscurité profonde.

Puisse leur nombre s’étendre de plus en plus, dans notre chère France!»


H. Coste.

En avant 1899 05 27


 

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