EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

----------

DANS LES CAFÉS DU CIEL ET DE L’ENFER

L'autre soir, après notre réunion de bienvenue à Montmartre, la Major, accompagnée de deux officières, alla visiter ces deux cafés très renommés et bien connus sous les noms de CIEL!... et... ENFER!...

Ne pouvant commencer par l'Enfer, ces officières montèrent directement au Ciel ( S. V. P., rien de profane dans ma pensée!) Au ciel donc elles purent chanter et vendre un bon nombre de journaux «En Avant!»

Elles descendirent ensuite en Enfer, et là, elles furent encore mieux reçues qu’au Ciel. Très attentivement, très religieusement même on les écouta chanter un cantique d'appel que deux musiciens accompagnèrent avec leurs guitares.

Me trouvant dans la rue, en face de cet enfer, d'où les échos du chant et de la musique parvenaient jusqu'à mes oreilles, je ne pus résister à la curiosité de m'avancer jusque sur le seuil de la porte.

Oh! avec quel empressement les diables, faisant fonction de serviteurs dans ce café, vinrent m'ouvrir! Avec quel empressement ils s'avancèrent, en faisant résonner leurs fourches sur les dalles, pour m'inviter, très gentiment d'ailleurs, à entrer...

Mais un frisson s'empara de mes membres devant le spectacle qui s'offrit à mes regards!... Mon cœur se serra, et je détournai mon visage avec tristesse...

Comment peut-on jouer ainsi avec les vérités éternelles du Ciel et de l'Enfer?

Oui, comment peut-on s’amuser aussi calmement, aussi froidement avec ces choses-là?

Hélas! c'est ainsi qu'à la fin de ce 19e siècle (et ce siècle présent), siècle de lumière, d'invention et de civilisation, mais aussi de scepticisme et D'INCRÉDULITÉ, on réussit à

ÉTOUFFER, À CAUTÉRISER LA CONSCIENCE À UN TEL POINT

QU'ON PEUT ENSUITE RIGOLER DE TOUT.

Ah! mais il faudra bien un jour envisager ces réalités du ciel et de l'enfer. Oh! que ce sera terrible en ce jour-là! car la conscience se réveillera pour ne plus jamais se rendormir.

Quel étonnement, quel désespoir pour ces âmes, lorsque, du sein des flammes de l'enfer elles lèveront les yeux et verront les sauvés dans le repos! Il me semble que le bonheur des élus fera paraître leur malheur plus affreux et leurs souffrances plus insupportables. Oh! comme ELLES MAUDIRONT CES LIEUX D'AMUSEMENTS qui avaient endurci leur cœur et qui ont été leur perte éternelle.

— Dépendez vos guitares et vos mandolines, officières de l'Armée du Salut, et allez encore avec courage, dans ces lieux ténébreux, apporter un rayon de lumière divine.

Oui, allez, retournez dans ces endroits-là et chantez à ces malheureuses âmes ce que vous chantâtes l'autre soir:

Plaisirs trompeurs, souffrances,

Amères jouissances

Se mêlent ici-bas,

Tu dis: Tout est mensonge,

La vie est un vain songe,

Rien qu’un vain songe, hélas!

P. CHATELAIN.

En avant 1899 03 25