EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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AIDEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES!

Un pauvre invalide était un soir au Prater, à Vienne. Il jouait du violon, et son chien fidèle tenait le chapeau dans lequel les promeneurs jetaient en passant quelques sous. Mais ce soir-là, l’on passait tout droit et le chapeau restait vide.

L’invalide voyait s’écouler devant lui la foule joyeuse, et la tristesse profonde qui se peignait sur son visage amaigri, s’augmentait encore de la gaieté des passants, Près de lui, un Monsieur fort bien, vêtu l’écoutait et le regardait avec compassion.

Bientôt la main ne peut plus tenir l’archet; ses jambes refusent de le porter; il s’assied sur une pierre, appuie son front sur ses mains, et pleure en silence.

À ce moment le Monsieur s’avance, il offre au vieillard une pièce d’or, et lui dit:

— Prêtez-moi votre violon! Puis l’ayant accordé avec soin, il ajoute: Prenez l’argent, et je jouerai! Il joue!...

Tous les passants s’arrêtent, frappés de l’air distingué de l’artiste et captivés par son talent merveilleux. À chaque instant le cercle s’accroît. Non seulement le cuivre, mais l’argent et l’or tombent dans le chapeau. Le chien grogne, car il ne peut plus le tenir.

Sur l’invitation des auditeurs, l’invalide en vide le contenu dans son sac et il se remplit à nouveau.

Après une mélodie nationale, que tous écoutent en se découvrant, l’inconnu pose le violon sur les genoux de l’invalide, et, sans lui donner le temps de le remercier, il disparaît.

Qui est-il? demande-t-on de toutes parts,

— C’est Armand Boucher, le célèbre violoniste! répond quelqu’un dans la foule. Il a mis son art au service de la charité. Suivons son exemple! Et le Monsieur tend aussitôt son chapeau, fait une quête et en remet le produit à l’invalide, en criant: Vive Boucher!

L’invalide ému lève les mains et les yeux vers le ciel, en priant Dieu pour son bienfaiteur.

Il y eut ce soir-là deux heureux à Vienne:

– l’invalide, mis pour longtemps à l’abri de la misère;

– et l’artiste généreux, qui sentait dans son cœur qu’il y a beaucoup de joie dans la charité, et que celui qui fait du bien aux autres, s'en fait à lui-même.

En avant 1904 06 18