APPEL AUX ARMES!
Par le Commissaire
Dans un ordre du jour à ses troupes, le Général Stoessel, Commandant militaire de Port-Arthur, cette place fortifiée située à l’extrémité de la presqu’île de Liao-Toung, et tant de fois bombardée par les forces japonaises, s’exprimait ainsi:
«Les attaques des Japonais contre Port Arthur et le bombardement de la place et des différentes baies donnent lieu de supposer que l’ennemi a l’intention de débarquer dans la presqu’île, d’essayer de s’emparer de la place forte, et, en cas d’insuccès, de se retirer après avoir détruit le chemin de fer. Les Japonais se trompent.
Quant à nos troupes, elles savent, comme je le fais savoir aussi à la population, que nous ne céderons pas. Il faut que nous combattions jusqu’à la dernière extrémité; car moi, le Commandant, je ne donnerai jamais l’ordre de céder. J’appelle sur ce fait l’attention même de ceux qui sont les moins courageux, afin que tout le monde soit convaincu de la nécessité de livrer une lutte à mort.
Ceux qui s’en iront sans combattre ne seront pas sauvés pour cela; il n’y a pas d'issue. De trois côtés, il y a la mer, et de l’autre, il y a l’ennemi: on n'a donc plus qu’à combattre.»
Quelle résolution énergique en face du péril! Quel froid mépris de la mort! Quel courage indomptable! Pour sauver l’honneur militaire, pour défendre une partie du patrimoine national, une garnison de plus de vingt-cinq mille soldats s’expose non seulement au plus grand péril, mais détermine que, s’il le faut, chacun des combattants versera jusqu’à la dernière goutte de son sang plutôt que de céder.
Dans le courant de février, l’escadre japonaise bloquant Port-Arthur envoyait quelques transports chargés de matières explosibles avec ordre à ceux qui les dirigeaient de les faire couler à l’entrée du goulet pour fermer ainsi la baie de Port-Arthur. Les hommes chargés de cette besogne dangereuse savaient qu’ayant à l’accomplir sous le feu des canons formidables de la place, ils couraient les plus grands risques de mourir à la tâche; et cependant l’enthousiasme des officiers et soldats japonais fut tel, les offres furent si nombreuses, qu’on dut recourir à la flotte marchande pour ne pas faire de jaloux parmi les militaires. Et tout cela, en vue de mieux bloquer une place contenant de précieuses vies humaines, de détruire propriétés, biens, vies, tout, s’il le fallait afin de s’emparer du port convoité!
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Lorsqu’ils furent attaqués soudainement, en pleine rade de Chemulpo en Corée par une flotte formidable, et qu’ils virent qu’il ne leur restait aucun moyen de sauver leurs navires, les équipages russes du croiseur Varyag et de la canonnière Koreiets, au lieu de se rendre, marchèrent avec fierté à la mort au son de l’hymne national. Quelques instants après les deux navires coulaient, percés de part en part par les obus et boulets japonais, et leur équipage ne fut sauvé que grâce à l’intervention de quelques navires européens tel le Pascal qui recueillirent les naufragés et les blessés.
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Et nous ne sommes qu’au commencement de cette guerre qui semble s’annoncer formidable! À quels dévouements sublimes, à quelles hécatombes humaines allons-nous peut-être encore assister!
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Voilà la manière dont les hommes comprennent la guerre de la destruction, de la haine, du sang, de la mort! Aucun sacrifice n’est trop grand, aucune douleur trop poignante, aucune blessure trop profonde. «La patrie est en danger!» c’est le courant électrique qui fait vibrer et tressaillir en quelques heures l’âme d’une nation entière; les partis rivaux oublient leurs luttes, le soldat (un père, un mari, un enfant peut-être) fait taire ses sentiments et arrête les déchirements de son âme à la pensée de ne plus revoir ceux qu’il aime.
On place tout sur l’autel de la patrie, on immole sans réserve, biens, êtres aimés et chéris, vie même, on donne sans compter ni calculer quand la patrie est en danger.
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Le christianisme lui aussi a des pages sublimes; il est impossible de lire sans sentir son âme frémir jusque dans ses profondeurs l’étendue des dévouements héroïques de ces chrétiens des premiers siècles, de ces martyrs du moyen-âge, de ces protestants de France, traqués par les dragons de Louis XIV.
Mais, hélas! combien nous sommes loin de ces temps héroïques, de cette foi audacieuse, de cet amour furieux qui, en leur temps, ont renouvelé le monde et l’ont purifié.
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En comparant la tiédeur, l’indifférence, le mondanité du christianisme d’aujourd’hui avec celui des siècles passés; en constatant avec douleur l’esprit de renoncement et de sacrifice des prêtres de la guerre, — de ce gouffre béant où vont s’engloutir tant de vies précieuses, — avec celui des hommes qui se réclament du Christ du Calvaire, un pourquoi angoissant vous monte au cerveau, vous saisit l'âme, vous étreint le cœur, vous oppresse!
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Pourquoi tant de lâcheté lorsqu’il s'agit de sauver, en face de tant de courage lorsqu’il est question de détruire?
Pourquoi tant de tiédeur lorsqu’il s’agit d’aimer, lorsqu’on montre tant de feu quand on est poussé à haïr?
POURQUOI TANT D’INDIFFÉRENCE EN DONNANT AUX ÂMES LE SALUT ÉTERNEL DU CHRIST, LE PARDON, LE CIEL, tandis que les apôtres de la guerre demandent impérieusement et exigent de ceux qui les suivent une obéissance absolue, jusqu’à la mort même?
Oh! Dieu réveille ton peuple, saisis nos âmes, rends-nous logiques, détruis notre égoïsme!
Serait-ce parce qu’on n’a saisi qu’imparfaitement les solennelles vérités de la Bible que les chrétiens actuels sont si faibles?
Tant de lâcheté, tant de faiblesse, tant de compromis avec le monde et la chair
NE SERAIENT-ILS POINT LE RÉSULTAT D’UNE FOI MORTE, PARTANT STÉRILE?
Frères d’armes! pourquoi seriez-vous en retard, pourquoi hésiteriez-vous encore à donner votre tout au Christ qui vous aime?
Pourquoi calculer plus longtemps puisqu’il s’agit de cœurs meurtris que le Christ veut guérir; d’âmes qui s'en vont périssant et qu’il faut sauver?
– Je crois à l’inspiration de la parole de Dieu;
– Je crois dans Ses vérités solennelles si redoutables.
– Je crois au triomphe final de Christ.
– Je crois en la puissance de Sa Résurrection.
– Je crois que la Belgique peut et doit être sauvée.
Mais pour accomplir cette œuvre glorieuse de régénération IL FAUT DES HÉROS.
Si nous voulons réussir dans notre entreprise apostolique il nous faut le même enthousiasme, le même dévouement, la même foi, le même mépris des choses du monde, le même feu que les soldats des armées de la destruction montrent en ce moment pour un but inférieur au nôtre, pour une cause qui ne touche que les intérêts passagers de cette terre.
Réveillons-nous donc, car il en est temps!
Brandissons avec courage l’épée que Dieu nous a confiée, secouons les indifférents, encourageons les timides, stimulons les masses; montons à l’assaut des âmes. Sauvons! Sauvons! Sauvons la Belgique!
En avant 1904 03 12
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