MÉLI-MÉLO
LES BEAUTÉS DE LA GUERRE
Au lendemain de la bataille de Magenta, on trouva dans une des rizières qui bordent les remblais de la route deux cadavres enlacés: un soldat autrichien, et un grenadier de la Garde française.
Sur leurs visages, point de colère, une tristesse résignée. Bleuis, sentant venir la fin, ils s’étaient traînés pour rapprocher leurs misères, ignorant pourquoi ils avaient tué, pourquoi ils étaient tués.
Obéissant à l’impulsion qui rapproche les hommes aux grandes infortunes, ils étaient morts dans les bras l’un de l’autre, ne sachant plus s’ils avaient, été ennemis et s’endormant du sommeil éternel, après avoir fait leur devoir auquel ils n’avaient rien compris, sinon qu’ils en périssaient.
C’est l’humanité, c’est le sentiment supérieur à tout autre qui les avait réunis dans une étreinte suprême, et ce sentiment est d’une puissance invincible.
( Ami de la Maison.)
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LENDEMAIN DE BATAILLE
La guerre du Transvaal n’a pas laissé seulement des cadavres et fait des ruines dans l’Afrique du Sud, elle a aussi jeté près de 20.000 blessés et infirmes sur le pavé de Londres.
Parmi ces infirmes, il en est près de 2 000 particulièrement intéressants: ce sont ceux qui ont été frappés d’épilepsie. Leurs attaques étaient occasionnées non par des blessures, mais par les détonnations déchirantes des armes modernes. À la longue, en effet, le bruit sec des canons à répétition et les explosions de bombes à la lyddite (Explosif dérivé de l'acide picrique) produisaient un effet particulièrement énervant.
Quant à ces 2 000 épileptiques, victimes des commotions de la bataille et devenus inaptes à aucun travail, la patrie anglaise a, paraît-il, pris soin d’eux. Ils recevront une pension de 60 centimes... par jour (en 1904)! Plus d’un regrettera de n’avoir pas été débarrassé de la misère par une balle au Transvaal. C’est beau et glorieux, le lendemain de bataille, mais pas pour tout le monde!
(Élan.)
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ASSASSIN OUI OU NON?
Se peut-il rien de plus plaisant qu’un homme ait droit de me tuer parce qu’il demeure au delà de l’eau et que son prince a querelle avec le mien, quoique je n’en aie aucune avec lui...?
— Pourquoi me tuez-vous?
— Eh quoi! Ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau?
— Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, cela serait injuste de vous tuer de la sorte. Mais puisque vous demeurez de l’autre côté, je suis un brave, et cela c’est juste.
Pascal.
C’est bien ça, quelle chose repoussante que la guerre!
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UNE BONNE LEÇON PENDANT LA RÉVOLUTION
C’était pendant la Révolution d’Amérique; un caporal commandait à ses hommes de soulever une poutre pour la construction d’une forteresse. La poutre était trop lourde. Un monsieur qui passait à cheval demanda au caporal pourquoi il ne donnait pas un coup de main.
— «Je ne le dois pas, dit-il, je suis caporal».
— Le monsieur descendit de sa monture, prit place au milieu de ces hommes et la poutre fut mise à l’endroit voulu. Puis, il dit:
«Caporal, quand vous aurez une poutre trop pesante pour vos hommes, vous enverrez chercher votre commandant en chef».
C’était le général Washington qui pratiquait ainsi l’Évangile, la loi de secours mutuel, d’amour et de coopération.
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L’AMOUR DE L’HUMANITÉ
Salle Favié, rue de Belleville, à Paris, un citoyen du quartier occupe la tribune et hurle de toute la force de ses poumons.
— Plus de barrières! plus de frontières! J’aime autant les Canaques que les Parisiens. Je suis comme le poète allemand, j’embrasse l’humanité. La voix fluette d’un gamin l’interrompt.
— Est-ce que tu embrasses ta femme?
Fureur du citoyen, et fureur qui s’explique, car de tous les coins de la salle, où on le connaît bien on crie: «Il roue sa femme de coups...». Sans commentaires, n’est-ce pas?
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LES FUNÉRAILLES D’UN JAPONNAlS
Les yeux sont tournés vers le Japon, c’est le moment d’en parler. Trarodjé Foukazavoa était de son vivant tenancier de maison de jeux et avait eu maille à partir avec la justice. Au moment de sa mort il subissait une peine méritée par une série de malversations. Il était riche, on lui fit des funérailles splendides en rapport avec sa fortune... mal acquise. Mais d’après une dépêche de Yokohama, la police japonaise intervint au nom de la morale offensée et déclara qu’un pareil criminel n’aurait pas de pareilles funérailles.
La famille fut obligée de s’incliner et d’enterrer modestement ce condamné que la mort ne libérait pas.
Et dire qu’en d’autres pays plus civilisés on se serait bien gardé de juger si sévèrement M. Trarodjé Foukajavoa parce qu’il se serait enrichi.
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AMIRAL RUSSE
On raconte que le grand-duc Alexis, grand amiral de la flotte russe, est ami de la France, adore les pommes de terre frites. Pendant son séjour à Paris, il ne manquait pas chaque matin, en sortant de son hôtel, d’acheter un cornet de «frites» à une marchande qui se trouvait sur son passage. Il les savourait sur place et payait en grand seigneur.
La marchande étonnée et ravie se demandait qui pouvait être ce client. Un voisin, mieux informé qu’elle, la renseigna:
— Vous ne savez pas qui vous venez de servir. C’est un Russe.
— Ça ne m’étonne pas. Les Français sont moins généreux.
— C’est un des plus hauts personnages de Russie: le Grand Duc Alexis, oncle du tzar. La marchande laissa, de saisissement, tomber son écumoire dans l’huile bouillante.
— Et... comment... comment les appelle-t-on... quand on leur parle... les oncles du tsar? — Mais, «Votre Excellence», je suppose, ou «Notre Altesse Impériale».
La marchande se le tint pour dit et le lendemain, en saupoudrant de sel les pommes dorées que le Grand Duc couvait des yeux: «Je les recommande à Votre Altesse Impériale lui dit-elle. Jamais Son Excellence n’en a mangé de pareilles.»
Le Grand Duc éclata de rire, paya plus largement que d’habitude, mais, ennuyé de voir son incognito révélé, ne revint pas.
La marchande ne s’est pas consolée de sa gaffe.
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TRAÎTRE? NON!
«Prie! tu n’en as jamais eu plus besoin!» Et l’Officier sortit sa montre tandis que le peloton se formait.
Un soldat d’un régiment d’Écosse avait été accusé de trahison; on l’avait vu à plusieurs reprises se rendre dans un bois touffu du côté de l’ennemi. Le major André venait d'être pendu comme espion et les Anglais courroucés ne pouvaient se montrer indulgents envers un homme soupçonné d’entretenir des relations avec les Américains.
Le soldat fut donc amené devant le colonel par les témoins de son crime supposé.
— Qu’as-tu à dire? demanda le colonel d’une voix sévère.
— Rien que ceci, mon colonel, je me suis retiré seul dans le bois pour prier un peu et mes camarades m’ont arrêté.
— Tu as l’habitude de prier?
— Oui, mon colonel.
— Alors, prie à cette heure; jamais tu n’en as eu plus besoin. Croyant qu’il n’avait que quelques heures à vivre le jeune soldat chrétien s’agenouilla et répandit son âme devant Dieu, son Père!
Un tel torrent d’amour, de foi, ne pouvait sortir que d'un cœur qui depuis longtemps avait Dieu pour ami. Ceux qui étaient présents, ainsi que l’officier, furent frappés d’étonnement.
«Va, dit celui-ci, tu as dit la vérité; si tu n'avais pas été souvent à l'exercice, tu ne te serais pas si bien tiré d’affaire à la revue.»
(Marius.)
En avant 1904 03 05
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