J’ÉCOUTAIS
Souvent, seule, je m’achemine vers la forêt. Je me couche dans la mousse et le regard fixé sur la voûte de l’épaisse feuillée, enchâssant de-ci, de-là, comme des saphirs, quelque coin du ciel bleu, j’écoute les voix de la forêt, immense harmonie.
Dans l’ombre violette d’un berceau de ronces, s’accrochant aux prunelliers et à l’aubépine en fleurs, le ruisseau murmure son argentine et monotone ritournelle, emplissant le bois de sa longue complainte, image de l’éternité qui s’écoule... s’écoule indifférente, sans repos, pour ne jamais finir. La brise égrène ses mélodies dans les dômes du feuillage.
Chaque arbre a son chant: sous la tiède caresse des autans, les rameaux préludent.
Glissant sur le sombre rideau des sapinières, les zéphirs unissent leurs plaintifs sifflements au concert de la nature, puis laissent leur voix s’égarer près de l’onde, dans le mystère de quelque saulaie.
Tout vibre, tout chante, tout paraît avoir une âme; dans la pénombre du sous-bois, c’est l'allégresse de la vie.
Dans la haute futaie, la sarabande des oiseaux apparaît avec des mélodies et des piailleries. Puis dominant tout, accompagnant le chant des oiseaux, la voix de l’onde et celle des brises, c’est l’immense bourdonnement des insectes: chacun de ces petits êtres veut aussi faire chanter ses ailes et ses élytres. Et lorsque quelque timide rayon de soleil perce la feuillée, on voit scintiller des ailes à reflets d’or, des corps diaphanes, danse aérienne des moustiques au fin corselet.
Tout cela, c’est le sublime concert de la nature.
Pour moi, C’EST LA VOIX DE DIEU parlant dans tous ces êtres, racontant sa puissance; c’est l’hymne de louanges montant vers le ciel! Toujours seule, le regard perdu dans le feuillage, je jouis!...
— Vous dormez? (C’est un bûcheron qui s’en va la pipe aux dents, la hache sur l’épaule.)
— Non, brave homme, j’écoute!
— Ah! ben oui! Quoi? Je n’entends rien!
Il en est ainsi de quelques âmes, elles ne voient pas, elles ne sentent pas... elles n’adorent pas!
Quelques instants après, la hache du bûcheron, blessant le pied d’un chêne, mêlait sa voix à la grande harmonie. Et toujours j’écoutais !...
Nelly.
En avant 1904 02 20
Table des matières |