CHOSES ET AUTRES
Il y aura bientôt un an et demi qu’un terrible cataclysme fondit sur l’île de la Martinique, 30.000 personnes passèrent dans l’éternité en quelques instants. La destruction de tous ces êtres humains, hommes, femmes et enfants, fut aussi soudaine qu’inattendue; inattendue, parce que malgré les signes précurseurs, les grondements du monstre volcanique, les habitants de la Martinique ne prirent point les précautions que la prudence la plus élémentaire leur prescrivait.
La ville était tout entière à la grande préoccupation du jour: les élections; les partis politiques luttaient pour savoir à qui l’emporterait. Ce fut la mort, hélas, qui l’emporta; elle les engloutit tous dans sa farouche et inexorable impartialité.
«Car la figure de ce monde passe.» (I Corinthiens, VII, 31.)
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Bâtie sur deux îles et s’étendant sur divers îlots d’un des plus beaux fjords de la Norvège, en face de belles montagnes aux cimes neigeuses, la petite ville d’Aalesund était célèbre par son charme pittoresque; elle était le centre de pêcheries importantes, elle exportait beaucoup de beurre.
Au dernier recensement, sa population s’élevait à 11.777 habitants; au moment des pêcheries, toutefois, deux mille autres personnes habitaient Aalesund.
Vendredi, le 22 janvier, environ quatorze mille personnes se trouvaient dans la ville ou dans de petites embarcations ancrées aux quais les plus abrités. À minuit, Aalesund dormait. Un ouragan rageait du Sud-Ouest. Les lames des vagues atteignaient le toit des maisons; mais ce n’était rien d’extraordinaire. Et Aalesund continuait de dormir, insouciante de la terrible catastrophe, tel un cauchemar, qui allait bientôt la réveiller de son sommeil. Vers deux heures et quart du matin on entendit les cris d’alarme des pompiers; une grande fabrique située près de l’église était en feu; des efforts désespérés ne réussissaient point à le circonscrire; des flammes envahirent bientôt l’église, l’hôtel des postes, l’école, et.... Aalesund se réveilla.
Comme la plupart des villes Scandinaves, Aalesund était bâtie presque entièrement en bois. Ses habitants effrayés virent bientôt qu’il ne restait aucun espoir de sauver la partie ouest de la ville, séparée de l’autre par un petit bras de mer; ils s’élancèrent au travers du pont; mais les flammes et l’ouragan s’étaient mis contre eux; de Iongues flammes se projetaient de l’autre côté du Sund, incendiant les maisons situées sur l’autre rive, atteignant jusqu’au port où nombre de bateaux furent brûlés.
La destruction s’étendit ainsi de maison en maison, de rue en rue; en quelques heures la belle Aalesund n’était plus qu’un monceau de cendres: sur 850 maisons il n’en restait guère cent. Les dommages matériels s’élevaient à plus de vingt-cinq millions de francs (en 1904).
Il n’y eut pas de panique, autrement beaucoup de vies eussent été perdues. Les cris déchirants des petits enfants se cramponnant aux jupes de leurs mères firent sortir des larmes des yeux de plus d’un homme fort et courageux.
La nouvelle du désastre créa une profonde douleur dans toute la Scandinavie, dans l’Europe entière. Les États-Unis envoyèrent immédiatement dix mille couronnes, l'empereur d’Allemagne dix mille également, avec un grand bateau rempli de provisions, d’habillements et de médecines; la ville de Chicago a envoyé cent mille couronnes; la Suède et le Danemark sont aussi venus en aide aux malheureux; le Président Loubet et l’Armée du Salut leur ont adressé chacun trois mille couronnes. (La couronne norvégienne vaut 1 fr. 35.)
«Que ceux qui pleurent soient comme ne pleurant pas.... Car la figure de ce monde passe.» (I Corinthiens, VII, 30-31.)
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Il y a quelques années, que, sur l’instigation du Tzar de toutes les Russies, l’aréopage européen se réunissait à La Haye pour poser les hases d’un Tribunal d’Arbitrage en vue de diminuer les possibilités de guerres entre les puissances. Idée noble et généreuse, s’il en fut!
Aujourd’hui, la Russie et le Japon sont sur le point d’en venir aux prises, de déchaîner ce monstre de la guerre, parce que ces deux nations ne peuvent s’entendre sur ce qu’on est convenu de nommer la question mandchourienne et celle de Corée. Plaise à Dieu qu’on nous épargne les horreurs d’une telle guerre qui risquerait beaucoup de dégénérer en une conflagration européenne. «La figure de ce monde passe.»
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A 21 ans, Whitaker Wright, dont il a été tant parlé ces derniers temps, était sans un sou vaillant.
A 31 ans il possédait plus de vingt-cinq millions de francs et.... n’était pas content.
Assoiffé d’or, rempli d’ambition il spécula, il joua, il forma de vastes trusts financiers, puis, un beau jour, tout s’effondra pour laisser, hélas! une armée de gens sans ressources.
Ce Goliath de la finance finit par le cyanure de potassium; il s’empoisonna au moment où on venait de le condamner à sept ans de travaux forcés. Après l’autopsie, son corps fut transporté dans l’antichambre du palais princier qu’il avait fait construire dans les jours de sa grandeur.
Deux jours plus tard, tout ce qui restait de ce richissime fut un cadavre recouvert de six pieds de terre. Tout homme doit mourir; mais APRÈS LA MORT SUIT LE JUGEMENT...
«Car la figure de ce monde passe.»
En avant 1904 02 13
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