UN CÔTÉ TROP PEU CONNU DE LA MISSION SALUTISTE
Les héros les plus grands, ce sont les moins connus.
Ce sont ceux qui dans l’ombre accomplissent leur tâche.
Je ne sais pourquoi cette première partie des vers d’Alice Chambrier revenait sans cesse à ma mémoire, rappelant telle chose, telle circonstance. Et alors apparaissait la figure sereine et aimée d’une femme idéale, connue dans mon enfance, aujourd’hui dans la Patrie céleste.
J’avais lu! mais très peu connu de ces héros: combien j'aurais aimé connaître de si nobles cœurs!...
— Quel bonheur de rencontrer cette chère Capitaine! et cette pensée en éveilla une autre. Vite, joyeusement je descendis avenue de la Gare de la ville de X... Armée du Salut! C’est ici! Presque noir, pensai-je, en ouvrant la lourde porte d’entrée d’où je voyais l’escalier pas très engageant. Mais qu’importe! il me tarde d’arriver.
— Entrez au bureau! me dit la Lieutenante avec un gentil sourire. La Capitaine viendra tout à l’heure; maintenant elle est occupée avec une personne qui bientôt partira. Oh! le bon petit bureau! très propret, hospitalier; de suite on se sent à l’aise. Ici, un bon texte biblique:
«Mon âme se repose sur Dieu».
«Que ferait Jésus à ma place?»
J’aime particulièrement cela; sûrement la Capitaine observe et médite journellement cette parole Une guitare, une mandoline, etc., suspendues à la paroi: ceci me rappelle son talent de musicienne. C’est vraiment délicieux.
— Qu’il fait bon vivre ici, pensai-je en regardant l’ameublement simple et soigné de ce home salutiste.
— Bonjour! c’est vous, ma chère! Un instant avec cette dame et je suis prête. Restez ici, je vous prie, vous pouvez entendre! Ainsi, je me trouvai sous le charme de cet intérieur ensoleillé de la présence de Dieu.
«Que ferait Jésus à ma place?» brillait en lettres d’or.
L’Officière assise en face de la dame écoutait son récit. Moi, songeuse, anxieuse, navrée. C’était l’histoire d’une enfant perdue, vie brisée, lâche abandon. La honte, la maladie s’étalaient affreuses. Le péché sous la plus hideuse forme. Pourtant le cœur de la mère aimait toujours. Mais devait-elle pardonner, recevoir l’enfant égarée qui depuis si longtemps trompait et retombait?
Pauvre mère âgée! pâle et maigre; une intense souffrance l’avait rongée; au travers de ses larmes elle regardait et questionnait l’Officière.
— Dites-moi, mademoiselle, que dois je faire? Dois-je la recevoir? Je suis pauvre et âgée, personne ne s’occupera d’elle; qui nous aidera?
Et des larmes plus abondantes encore inondaient son visage torturé par l’angoisse. C’était une supplication.
La Capitaine comprit et, prenant sa main dans la sienne, comme aurait fait son Sauveur et Maître:
— Moi, chère mère! Je vous aiderai et je ferai tout ce qui me sera possible; et notre Dieu fera le reste, Il vit pour vous soutenir et vous affermir dans votre tâche difficile.
Plus de larmes, la mère regarde avec reconnaissance cette jeune femme si peu connue dans la ville, comme elle ignorée dans sa souffrance, et cependant elles se sont rencontrées:
l’une pour déverser l’affreuse angoisse,
l’autre pour réconforter et faire connaître son œuvre, son amour.
— C’est trop beau, trop bon, murmurai-je, regardant l’Officière entourer de ses bras la vieille mère souriante qui, se sentant redevenir forte, répétait avec conviction:
— Merci, mademoiselle, merci! oui, Dieu m’aidera.
«Que ferait Jésus à ma place?» brille, scintille et me paraît plus grand, plus beau; car une solution m’est donnée par l’amour, l’abnégation de la Capitaine.
J’aime revivre ce matin brumeux d’automne, gris et triste dans la rue; mais là, dans ce petit bureau, régnait une atmosphère céleste. Pas de clair-obscur, chacune a compris son devoir. J’ai retrouvé des héros accomplissant leur tâche dans l’ombre. Sincèrement je remercie Dieu d’avoir suscité les Officières de l’Armée du Salut.
En avant 1904 02 06
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