Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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INVENTAIRES SPIRITUELS


Les négociants ont l’habitude de faire chaque année un inventaire détaillé de leurs marchandises. Grâce à cette opération, ils peuvent voir exactement où ils en sont.

Ceux même qui ne sont pas commerçants visent à faire de temps en temps le compte de ce qu’ils possèdent.

Voyez les ménagères: avec quel soin minutieux elles passent en revue leur linge, leur batterie de cuisine, tout ce petit domaine intérieur dont elles ont la charge.

L’avare, d’un œil jaloux, compte et recompte ses écus.

Il n’est pas jusqu'aux enfants qui n’aiment à faire l’étalage des jouets qu'on leur a donnés et qui composent toutes leurs richesses. C'est un besoin pour eux, lors même qu'ils ne s’en servent guère, de les remettre souvent sous leurs yeux, pour bien se convaincre que leurs droits de propriété s’étendent à un grand nombre d’objets.

Plus tard, ils auront d’autres joujoux de plus grand prix, infiniment précieux peut-être, comme sont des âmes humaines. Le roi David n'encourut-il pas la réprobation divine pour avoir voulu faire, PAR ORGUEIL, le dénombrement de son peuple?

Quel inventaire que celui-là! compter des têtes humaines et pouvoir dire: Tout cela est à moi!

Il y en a aussi qui comptent des morts et qui se les approprient fièrement, comme ce maréchal de France qui ouvrait devant ses visiteurs un livre richement relié où étaient racontées quelques-unes de ses batailles; il allait à la liste des officiers ennemis tués dans la plus sanglante de ses campagnes, et couvrant toute la page de sa main, il s’écriait d’une voix terrible: Ceux-là, ce sont mes morts!

Donc, que ce soit par amour de l’ordre, que ce soit par orgueil:


L’HOMME SE PLAÎT À COMPTER CE QUI LUI APPARTIENT.


Il fait aussi le dénombrement de ses vertus. Parfois même, il semble qu’il les voie avec un verre grossissant ou qu’il s'en découvre d’imaginaires. Mais passons, c'est d’un autre inventaire spirituel que je voudrais parler, bien plus sérieux et plus important: celui de nos péchés.

Ce n’est certes pas par orgueil qu'on se livre à une telle opération, car elle ne va pas sans peine ni sans humiliation. Là, il ne s'agit plus de nos profits, de nos acquisitions, mais de nos pertes, et il est toujours douloureux d’avoir à les constater. Pour désigner ce travail de l'âme qui se replie sur elle-même, qui se regarde et qui se juge, on a trouvé une fort belle expression; on dit que c'est UN EXAMEN DE CONSCIENCE.

Mais peut-on examiner sa conscience, comme un commerçant examine son magasin?

Peut-on nombrer ses fautes avec une entière exactitude et dire, chiffres en mains: voilà où j’en suis?

Ne souriez pas, lecteur; il y a une multitude de personnes qui, aux approches de Pâques, vont essayer de se livrer à cette opération-là.

Qui sait? peut-être vous-même l’avez-vous fait plus d’une fois.

Voici venir l’époque de l’inventaire annuel pour les choses de l’âme. On va chercher en soi-même, se scruter, se sonder, se fouiller.

Et pourquoi faire? Dans quel but?


Pour que Dieu, sur l’aveu de nos péchés, nous accorde son pardon.


Alors le terrain sera déblayé, l’éponge sera passée sur toute la liste des fautes, — et nous pourrons recommencer, jusqu’à ce que vienne le prochain inventaire, suivi du prochain pardon.

Vous avez sans doute entendu parler du terrible enfer de la mythologie grecque. Il y avait là d’épouvantables supplices qui étaient un symbole saisissant de l’éternité des peines; tel le supplice de Sisyphe. Ce damné avait à monter un bloc de rocher au sommet d'une montagne; quand il y était arrivé, l’énorme pierre roulait au bas; il lui fallait recommencer avec de nouveaux efforts, puis la pierre retombait, et ainsi de suite, à jamais.

S’il était un personnage réel, ne plaindriez-vous pas Sisyphe?

Eh bien! que dire de ces pauvres pénitents qui ont sans cesse à charger de nouveau, sur leurs propres épaules, le lourd rocher de leurs fautes et de leurs misères, toujours, les mêmes?

Quelle œuvre fastidieuse! quelle œuvre effrayante?

Plus on la prend au sérieux, plus l’épouvante vous saisit. On voudrait alors s’attacher aux pas d’un confesseur comme l’ombre s’attache au corps, afin d’avoir sans cesse, toute prête, l’absolution pour le péché commis, car SI LA MORT SURVENAIT À L’IMPROVISTE, SONGEZ DONC! C’EST L’ENFER!

Oh! quelle vie que celle d'une âme qui ne connaît point d’autre salut!


Mais gloire à Dieu! il y en a un autre, et c’est le VRAI, le SEUL salut.

Il ne s’acquiert point par un dénombrement illusoire de nos fautes; hélas! il nous serait aussi impossible de les compter que les cheveux de notre tête.

Il ne se gagne point par une certaine quantité de bonnes œuvres, qui n’ont aucune valeur devant Dieu, si elles proviennent d’une œuvre impure.

Il n’est pas non plus le produit d’une certaine contrition sentimentale, aussi fugitive que les impressions reçues.

Quel est donc le salut de Dieu? Voici la réponse:

«Que le méchant abandonne sa voie et l'homme d'iniquité ses pensées; qu’il retourne à l’Éternel, qui aura pitié de lui.Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.»


Voilà comment Dieu sauve.

Quand l’enfant prodigue, rentrant en lui-même, renonce à sa vie de révolté et revient à son père, celui-ci le reçoit à bras ouverts et LUI PARDONNE TOUT, POUR TOUJOURS.

Le fils se convertit et le père lui accorde sa grâce.

Mais que diriez-vous, si le fils rebelle, chaque année ou chaque mois, dressait une liste de toutes ses actions impures, de toutes ses mauvaises paroles, et venait la présenter à son père en lui disant: «Père, voilà tout ce que j’ai commis contre vous; veuillez m’absoudre... pour que je puisse retourner au plus vite en pays étranger»? Vous pensez avec raison que de la part du fils ce serait se moquer, et que jamais le père ne pardonnerait dans de telles conditions.

En serait-il autrement de notre Père céleste?

Comment pourrait-il nous accorder sa grâce, si nous n’avons un sincère repentir et si nous ne sommes décidés à nous détourner de notre mauvaise voie?

Ce qu’il nous demande, ce n’est pas de lui énumérer sèchement nos fautes, à périodes fixes: c’est de tomber au pied de la croix où son Fils a été cloué pour nous. Là est le pardon, là est le salut et la vie éternelle.

Ch. Fleury.

En avant 1899 03 18


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