Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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IL FAUT NIVELER


Tel était le mot de la fin et, en même temps, l’idée générale d’une petite brochure, très répandue dans LE MONDE SOCIALISTE, à l’usage des jeunes, et que je parcourus un jour.

Ces mots «Il faut niveler» firent naître en mon esprit un monde de pensées.

D’instinct, j’éprouvais une grande répugnance pour cette théorie d’un nivellement général que je pressentais injuste autant qu’irréalisable: car la plus simple logique me disait qu’on ne peut évidemment penser au nivellement matériel en ce monde, c’est-à-dire à cette égale répartition des ressources de la vie, avant d’avoir résolu le problème du nivellement moral, — cela étant forcément la conséquence de ceci.

Point n’est besoin d’être doué d’une géniale perspicacité pour comprendre qu’en donnant à un homme vicieux une chose qu’il n’aura pas honnêtement gagnée, on l’encourage à la paresse et au vice; pour comprendre que de songer au bien-être matériel de l’humanité, avant d’avoir avisé à son relèvement moral, c’est vouloir mettre la charrue avant les bœufs. – Non; il faut ici être sincère, simplement.


L’homme est malheureux, d’abord parce qu’il est mauvais!

Ceci ne signifie pas que tous les hommes mauvais sont forcément misérables, pas plus, du reste, que tous les hommes bons sont heureux; non, la preuve du contraire nous la voyons se vérifier tous les jours. Mais nous voulons dire que LA CAUSE INITIALE DU MALHEUR EST DANS LE CŒUR DE L’HOMME ET NON DANS SES CIRCONSTANCES.

Que de personnes, en effet, n’avons-nous pas vues se lamenter sur leur sort; et puis, ces mêmes personnes, après que leur cœur avait été purifié et transformé par la grâce de Dieu, s’estimaient les plus heureuses du monde; et cependant leur condition matérielle n’avait que peu ou point changé.

Qui ne connaît le proverbe: «Mieux vaut un morceau de pain avec un cœur content qu’un million avec un cœur triste?»

«Mais, objecte-t-on, quand ce morceau de pain même manque?»

À ceux-ci encore nous pouvons répondre:

«Demandez-en raison à l’état de perversité du cœur humain».

«Eh bien! voilà pourquoi, justement, nous voulons niveler, disait mon livre; voilà pourquoi nous voulons ôter à celui qui a trop pour donner à celui qui n’a pas assez».

Oui, vous auriez parfaitement raison si, en donnant le nécessaire à l’homme qui en a besoin, vous apportiez en même temps un frein à ses mauvaises habitudes, une délivrance à ses passions.

Je connais un père de famille: lui, sa femme et ses trois enfants sont dans la plus affreuse misère; il est mécanicien et très adroit dans son état. Au début de son mariage, il se faisait des journées de 7, 8, jusqu’à 10 fr.

Il s’est mis à boire, s’est fait chasser de sa place et le voilà réduit, aujourd’hui, à mendier son pain à l’assistance publique. Ce cas en représente des milliers.


L’ivrognerie n’est pas la seule à apporter la misère!

Le jeu fait aussi sûrement son œuvre de ruine.


Interrogez ces habitués des asiles de nuit, écoutez leurs confidences. Neuf fois sur dix ils vous diront: «Je puis faire dater mon malheur du premier petit verre que j’ai bu». Un autre dira: «Maudite soit la première carte que j’ai touchée!»

Et que de ménages brisés, que de foyers désolés par l’inconduite, par la légèreté, par le gaspillage de l’homme ou de la femme, car la femme a aussi sa lourde part de responsabilité.

Oui, nous disons que c’est bien plutôt de ce côté-là que devraient se diriger les efforts de ceux qui se disent les véritables amis de l’humanité.

«Nous voulons niveler!» dites-vous? Mais AVEC QUOI COMBLEREZ-VOUS CET ABÎME D’INIQUITÉ, DE DISSOLUTION, DE CRIMINELLE IMPIÉTÉ?

Répondez! avec quoi?

Où sont-ils ces trésors de sainteté, de charité, de pureté, afin que nous allions y puiser pour combler cet effroyable gouffre béant? Car, lorsqu’on veut niveler, il ne suffît pas de saper, de démolir. Il faut aussi combler.


En quoi, d’ailleurs, le partage le plus équitable changerait-il en quoi que ce soit l’ordre actuel des choses?

Le pauvre d'aujourd’hui ne devient-il pas, quelquefois, le riche de demain? Alors, lui qui a connu les affres de la misère et de la faim, ne devrait-il pas être le plus compatissant de tous?

Or, ne savons-nous pas que la classe la plus chiche et la plus égoïste est presque toujours justement la classe des parvenus?

Et que les plus difficiles à attendrir sont les pauvres enrichis?

Ainsi je connais très bien une personne qui gagna une fortune à la loterie: c’était, autrefois, un petit commerçant pouvant à peine subvenir à ses besoins. Coup sur coup, il gagna un lot de cinq cent mille et un lot de cent mille francs. Or, pour l’intéresser aujourd’hui à une oeuvre de bienfaisance, il faudrait discuter de grands quarts d’heure avec lui, et encore ne réussit-on pas toujours à arracher cinquante centimes à ce quasi-millionnaire. C’EST UN PAUVRE QUI EST DEVENU AVARE.

Est-il plus riche qu’auparavant?

En tous cas, il n’est pas plus heureux, il le dit lui-même! Pour rendre heureux celui-là, il faudrait donc niveler son cœur et non point sa bourse!

Ainsi donc, d’un côté, le nivellement aurait servi, neuf fois sur dix:

à verser dans la poche de l’ivrogne de quoi boire à son saoul tant qu’il aura de force;

au joueur, de quoi faire plus gros jeu jusqu’à la ruine finale;

au dissipateur matérialiste, de quoi fêter plus cyniquement la vie;

à l’avare, de quoi enfouir davantage;

enfin aux jouisseurs, à tous les égoïstes en général, cela aura apporté pour un jour de quoi satisfaire dans une plus grande mesure leurs égoïstes passions.

D’autre part, le nivellement tant vanté par les théoriciens du grand partage et qui, d’après eux, résoudrait merveilleusement l’angoissant problème social, ce nivellement ne pourrait être atteint que par la force brutale, non par la persuasion.

Ainsi, les gens dépossédés de la sorte, ne l’accepteront jamais de bon cœur; ils ne vivront plus que pour rentrer dans leurs biens; ils ne parleront qu’avec amertume, qu'avec haine de l’injustice dont, selon eux, ils auront été victimes; ils ne rêveront plus que de se venger!

Résultats magnifiques, comme on voit....

Mais écoutons ce cri surhumain poussé par un agonisant que son amour pour l’humanité conduit jusqu’au dernier des supplices. Ce cri s’est élevé en une soirée terrible, dominant le fracas des éléments bouleversés. Et depuis dix neuf siècles, il plane comme un murmure toujours plus indistinct, au dessus du tumulte des nations et des cris de haine, ce cri qui vint apporter la nouvelle que la seule et véritable solution tant cherchée était enfin trouvée, que le salut du monde était assuré si le monde voulait le croire, ce cri qui aurait du résonner si joyeusement au cœur des prisonniers de cette terre comme tressaille au bruit de la clef libératrice l’homme dont le cachot va s’ouvrir pour toujours, ce cri jeté du haut de Golgotha par le Sauveur du monde:


TOUT EST ACCOMPLI!


C’était le mot magique qui proclame à l’univers la solution du terrible problème contre lequel l’humanité désespérée s’était longtemps débattue.

Un jour, un seul jour, les hommes écoutèrent et prirent au sérieux cette bonne nouvelle: ce jour-là ils furent heureux. Ils avaient cru au Christ, l’avaient accepté comme leur Sauveur et, en retour du sacrifice inouï qu’il avait accompli pour eux, lui avaient promis amour et fidélité.

Et par un merveilleux miracle, les cœurs de tous furent fermés, tous goûtèrent le bonheur divin, parfait, universel. Ce fut le véritable âge d’or. Écoutez plutôt le récit sacré:

«La multitude de ceux qui avaient cru n'étaient qu’un cœur et qu'une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartinssent en propre, mais tout était commun entre eux. Et une grande grâce reposait sur eux tous, car il n’y avait parmi eux aucun indigent: tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, en déposaient le prix aux pieds des apôtres, et l'on en faisait des distributions à chacun, selon qu'il en avait besoin(Actes des Apôtres, ch. IV, vers. 32 et suivants.)

Tel est le véritable nivellement: celui que la grâce de Dieu, seule, peut produire par la puissance de la foi au Fils de Dieu. Il n’appartenait qu’au Christianisme de donner au monde un tel exemple en action.

Les vains philosophes d’aujourd’hui, les théoriciens aux transcendantes doctrines qui prétendent s’élever jusqu’à la charité divine, avec des cœurs incrédules et orgueilleux, sont semblables à cet Icare de la mythologie qui voulut un jour atteindre jusqu’au soleil. Mais en s’approchant de l’astre de feu, ses ailes de cire se fondirent et il fut précipité dans la mer.

Ainsi s’effondrent les doctrines humaines.

Ainsi s’abîment dans le néant les vains projets des hommes impies en entraînant avec eux dans la même ruine, des peuples entiers.


Fonder la charité, qui vient de Dieu,

sur l'impiété, qui nie Dieu, quelle étrange folie!


Le Christianisme commença, il y a 19 siècles par l’amour le plus pur. Bientôt, hélas, les hommes le dénaturaient pour le faire servir à leurs ambitions passionnées. Il devint pour la multitude un ferment de haines et d'iniquités. Quel sera l'avenir de ce dogme nouveau qui, au commencement, prêche la haine avec la négation de Dieu? ?


«Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, Tout est vanité».


DIEU SEUL EST BON!

Dieu seul pourra mettre la paix sur la terre lorsque les hommes reviendront à Lui.

A. Antomarchi.

En avant 1899 03 04



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