Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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UN VERRE D’EAU FROIDE

Fin


(Voir l'avant-dernier numéro)

Mais en même temps s’élevait le murmure d’une autre voix qui me disait:

«Mon ami, c'est aujourd'hui le jour propice; c'est l'heure de rendre le bien pour le mal, de pardonner comme ton Sauveur t'a pardonné. Va et donne à boire à ton ennemi.»

Un mouvement irrésistible me poussa près de son lit, je passai mon bras sous sa tête et j’approchai la coupe de ses lèvres brûlantes. Oh! comme il but; je n’oublierai jamais l’expression de soulagement qui se peignit sur ses traits, et le regard qu’il laissa reposer sur moi, mais il ne prononça pas une parole. Je vis seulement qu’il paraissait profondément ému.

Je demandai au chirurgien en chef l’autorisation de prendre ce blessé sous ma charge spéciale. Il me l’accorda, en ajoutant qu’il allait être bientôt nécessaire de lui faire l’amputation d’une jambe, et que même à ce prix il espérait peu qu’on parvînt à le sauver.

Je le soignai jour et nuit. Longtemps il persévéra dans le même silence à mon égard, lorsqu’un jour, comme je m’éloignais de son lit, je le sentis me saisir par un pan de l’habit pour me retenir.

Je me penchai vers sa tête, et il me dit à voix basse:

Te souviens-tu du jour où tu m’as demandé à boire?

Oui, mon camarade, lui répondis-je, mais c’est une vieille histoire qui n’a plus aucun sens.

Non pas pour moi, reprit-il. Je ne sais en vérité ce qui me tenait ce jour-là; le lieutenant venait de m’appeler maraudeur; j’avais la fièvre, j’étais en colère, je n’étais plus moi-même. Peu d’instants après, je fus tout honteux de ma conduite, mais il était trop tard. Je t’ai cherché depuis deux ans, pour te demander pardon. Quand je t’ai reconnu ici, je me suis souvenu de ton serment et j’ai eu peur. Dis-moi, me pardonnes-tu?


Je l’avais cherché pendant deux ans pour me venger;

lui, m’avait cherché pour s’humilier et me demander pardon!


Lequel de nous avait agi selon l’Esprit de Jésus-Christ?

Un sentiment poignant de confusion s’empara de moi.

Camarade, m'écriai-je, tu vaux bien mieux que moi, ne parlons plus de cela.»


J’étais présent à son amputation; quand je vis que la faiblesse le gagnait rapidement, je sentis que je l’aimais comme un frère. Il apprit sans trouble que son état n’offrait plus d’espoir. Il me dicta pour sa sœur une lettre, et me confia, pour les lui faire parvenir, les quelques objets qui lui appartenaient. Puis il demanda à voir le pasteur, digne et excellent vieillard, qui lui parla longtemps, et, à mon avis, de la bonne manière.

À la fin de l’entretien, le mourant demanda s’il n’y avait pas dans la Bible un passage où il fût question du don d’un verre d’eau froide. «Celui qui aura donné en mon nom un verre d'eau froide à un de ces petits, qui croient en moi, répondit le ministre, me l'aura fait à moi-même, a dit le Seigneur» (Marc IX, 41.)

Je t’en prie, lui dis-je en interrompant son dialogue, ne parle pas de cela, tu me fais mal! Mais il reprit avec douceur:

Tu ne sais pas, mon fidèle camarade, ce que tu avais fait pour moi en ne me refusant pas ce verre d’eau glacée. Puis-je me compter, continua-t-il, parmi ces petits que le Seigneur regarde comme lui appartenant?

Puis il parla longtemps de ses péchés, de son indignité, du Sauveur, du Royaume des cieux; quelquefois je crus qu’il divaguait, et pourtant j’ai la certitude qu’il était bien sur le chemin qui conduit à la Patrie céleste.

Vers le soir, il me dit:

Il me semble que je suis enfant, au temps où ma mère, avant de m’endormir, me faisait faire ma prière. Je veux la dire encore ce soir.

Il le fit, puis se retourna sur son oreiller, ses yeux se fermèrent; ses lèvres remuèrent un instant, et il s’endormit pour l’Eternité, mon cher camarade.

En avant 1899 11 25


 

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