Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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À MES AMIS LES AVARES

(SEULEMENT POUR EUX)


Quand je dis «amis», vous comprenez, c’est une façon de parler. Avec toute la meilleure volonté du monde, je n’éprouve aucune joie à vous serrer la main. Je dirais même que c’est le contraire, si je ne craignais que cela ne se répète

Au fait, le savez-vous que vous êtes avare?

Vous l’a-t-on dit?

Quelqu’un a-t-il eu le courage, a-t-il osé vous dire bien en face, en vous regardant dans les yeux: «Vous êtes un avare!»

Je suppose que personne ne vous l’ait dit, et que vous soyez aveugle sur votre triste état; eh bien! à ceci vous reconnaîtrez que vous êtes un avare, c’est que, lorsqu’on vous demande quelque chose, n’importe quoi, pourvu que cela vous appartienne, CELA VOUS FAIT MAL DE LE DONNER, MAIS VRAIMENT MAL. Vous ne le dites peut-être pas, ni ne laissez voir, mais cela vous fait mal.

Un coup de poing, voire un coup de pied vous eussent semblé préférables à la nécessité de donner. Pardonnez-moi mon ton peu respectueux, mais lisez quand même.

Oh! si je pouvais vous faire prendre l’avarice en haine et en dégoût.


J’ai plusieurs petites histoires à vous raconter qui vous intéresseront, j’en suis certain, d’autant plus quelles sont vraies. C’est vrai, je m’en veux de ne pas vous aimer davantage, mais c’est plus fort que moi; par contre, je vous plains. Oh! que je vous plains! Vous me paraissez l’être le plus infortuné de la terre. Quel triste sort est le vôtre! C’est si bon de donner; je l’ai si souvent entendu dire et, dans la mesure de mes faibles moyens, je l’ai aussi ressenti. Mais, pour vous, cette joie se transforme en angoisse, en souffrance; VOUS ÊTES À LA TORTURE QUAND IL VOUS FAUT OUVRIR CE MAUDIT PORTE-MONNAIE, sortir le bas de la cachette et..... donner.

Et pourtant, c’est si bon de donner! D’ailleurs qui vous aime? Dieu? Oui, Dieu je le crois. Mais encore? Car cela ne peut vous suffire que Dieu vous aime, puisque vous ne l’aimez pas.

Non, ne dites pas que vous aimez Dieu!


ON NE PEUT PAS AIMER DIEU QUAND ON LUI PRÉFÈRE L’ARGENT.


Qui vous aime? Vos amis? Pour ça non, par exemple. Soyez certain qu’à votre mort ils ne prendront pas le deuil! Votre femme? J’en doute. Il faut qu’elle vous aime beaucoup pour vous aimer un peu. Et si voire femme sent — et fatalement vous le lui aurez fait sentir — qu’entre vous et elle il y a votre argent, c’est bien difficile qu’elle vous aime beaucoup. Que je vous plains, pauvre ami!

Et vos enfants, vous aiment-ils? S’ils sont petits, qu'ils ne comprennent pas, peut-être qu'ils vous aiment. Mais attendez qu’ils soient grands, Des enfants d’avare, je l’ai toujours entendu, ne disent pas «le père» ils disent «LE VIEUX!»

Votre avarice vous fermera le cœur de vos amis, de votre femme, de vos enfants... et elle vous fermera le cœur de Dieu!

Si seulement vous vous aimiez vous-même!

Mais non, vous êtes peut être encore plus dur pour vous-mêmes que pour ceux qui vous entourent.

Vous ne vous aimez pas, vous n’aimez personne, personne ne vous aime. Quelle triste existence!

Oh! si maintenant vous vous rendiez compte de votre état! Si votre conscience parle, jetez-vous à genoux et suppliez Dieu de vous délivrer de cette affreuse et odieuse chaîne. Dieu seul peut vous en délivrer. Ce n’est pas une réforme, c’est une transformation divine, un miracle; demandez à Dieu de l’accomplir.


* * *


Qu’avez-vous fait, par exemple, pour la semaine de renoncement?

Vous êtes chrétien, dites-vous, peut être salutiste, et depuis longtemps vous êtes converti, vous témoignez même et vous priez, et quand s’est présentée la semaine de renoncement, pour remercier Dieu de vous avoir sauvé, pour lui prouver votre grande reconnaissance pour Sa grâce et pour Son amour, vous avez mis vingt sous dans votre enveloppe, vingt sous (en 1899)! moins que l’année dernière, alors que vous pouviez, sans renoncer à quoi que ce soit, sauf à votre avarice, donner vingt francs, pour le moins!

Et quelle est la fin de l’avare?

Comme sa vie, triste, et parfois, terriblement tragique. Il ne se passe pas de semaine que je ne lise sur le journal, aux faits divers, quelque affreuse fin d'avare. Je collectionne les plus frappantes; quand j'en aurai suffisamment, je demanderai un peu d’argent à une personne charitable pour en faire une petite brochure qui sera envoyée à tous les avares connus.

Ainsi, à Nantes, le mois passé, on a trouvé mort, à moitié mangé par la vermine, un vieillard de 71 ans, nommé B., qui vivait dans un misérable taudis. On a découvert dans sa paillasse plus de cinquante mille francs! De sorte que L’AVARICE NE DÉTRUIT PAS SEULEMENT LE CŒUR, MAIS ENCORE LE CERVEAU; car, qu’y a-t-il de plus insensé que d’être riche et de se laisser mourir de faim?

À Paris, dernièrement, un commissaire de police était appelé à constater la mort d'un octogénaire, H. V., occupant, rue T., un appartement de 550 francs. Le magistrat trouva le défunt étendu sur un lit dépourvu de draps, d’une saleté repoussante. À terre se trouvait une croûte de pain qui baignait dans l’eau d’un verre aux bords ébréchés. Le magistrat crut qu’il se trouvait en présence d’un de ces drames terribles de misère, si fréquents à Paris, et il demanda des renseignements aux voisins, en s’étonnant qu’on put avoir laissé mourir le vieillard aussi pitoyablement. Puis il procéda aux constatations d’usage, ouvrit les tiroirs d’une vieille commode où il trouva un coffret sans serrure. Il en souleva le couvercle et son visage exprima tout-à-coup une profonde stupéfaction.

Une grande quantité de pièces d’or se jouaient au milieu de billets de mille francs et, dans un coin, se trouvait un petit paquet avec cette mention: Obligations et actions, valeur 100,000 francs.

La cassette contenait la somme de 153,000 francs qui furent mis sous scellés. Le rentier aurait pu vivre cent ans s’il ne s’était pas privé de nourriture. Son corps était un véritable squelette. Le mendiant volontaire vivait de la charité publique!

Son neveu, qui habitait C., fut prévenu par dépêche et se rendit à Paris, autant par amour familial que par intérêt! Ceci me rappelle une très curieuse inscription que l’on peut lire au-dessus du portail d'un vieux château de l’Estréchure, dans le Gard; je cite textuellement:


«L’avare est comme le porc,

il n’est utile qu’après sa mort!»


L’appréciation est rude. Mais je ne m’aventurerai pas à dire qu’elle n’est pas juste. L’avare, en vieillissant, finit toujours par devenir un être odieusement dénaturé. Témoin cette autre histoire des plus authentiques:

Une dame très riche, mais encore plus avare, vivait seule avec sa fille. Son mari était mort depuis longtemps. Les bruits les plus étranges couraient sur l’existence de ces deux créatures. La fille, on ne la voyait jamais. Quant à la mère, elle sortait souvent, mais attifée de la manière la plus baroque, crasseuse et sordide. Une de ses manies était de ramasser des peaux d’orange, dans la rue, pour faire des confitures qu’elle offrait aux amis qui, parfois, venaient lui faire visite. Sa fille faisait le ménage. On disait qu’elle était si mal nourrie à la maison qu’il ne serait pas étonnant que cette enfant, à peine âgée de vingt ans, fût un jour trouvée morte de faim. Le fait est qu’un beau matin, le docteur fut appelé en toute hâte, mais il ne put que constater le décès de la malheureuse jeune fille. «Anémie», dit le docteur. «Elle a fait mourir sa fille de faim» dirent les gens.

Cette femme fit élever un magnifique tombeau pour faire taire les mauvaises langues, et savez-vous ce quelle fit graver sur la pierre: «Ci gît mon enfant adorée, morte dans un évanouissement». C'est admirable, n'est-ce pas? J'ai vu ce tombeau.

Ô avare, avare, quel démon te possède! Ressaisis-toi, s’il en est encore temps, si ces lignes ont fait tressaillir ton cœur, et, sans perdre un seul instant, crie à Dieu, conjure-Le, supplie-le de te délivrer, de changer ton cœur, et de te sauver de cet enfer qu’est l’avarice!

A. Antomarchi.

En avant 1899 11 25


 

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