Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LISEZ DE BEAUX ROMANS.

(... regardez de beaux films, de belles vidéos en 2022 - 23 - 24... etc)


Annonce unique - Primes splendides - Crédits avantageux - Affaires merveilleuses - Lisez des romains - Pour rien - Pour rien.

Vos yeux ont peut-être été attirés, lecteur, par l’affriolante et extraordinaire annonce qui remplissait presque la quatrième page de votre journal quotidien, la semaine passée. Il s’agissait d’une trentaine de romans, tous plus admirables les uns que les autres, aux titres suggestifs et alléchants, splendidement reliés. L’offre était d’autant plus tentante que, justement, elle se conciliait, par la facilité du paiement, avec l’exiguïté de votre petit budget de la semaine ou du mois.

Vous avez fait le compte, avec un bout de crayon sur la marge blanche du journal, et vous avez trouvé qu’en supprimant, par exemple, telle dépense qui vous avait semblé urgente au seuil de l’hiver — un bon manteau bien chaud pour votre femme et pour vous je crois — vous feriez la plus magnifique, la plus avantageuse acquisition que vous ayez jamais faite de votre vie!

Du reste, votre femme était d’accord.

Quant aux enfants, cela ne les regardait pas.


Et le bulletin de souscription est là, devant vous; vous l’avez bien soigneusement découpé dans le journal, et, de votre plus belle écriture, vous avez même déjà rempli les lignes en blanc: vos nom et prénom, votre adresse bien exacte, votre profession; tout est bien en règle.

Une enveloppe, un timbre dessus, et le tour est joué. Dans quelques jours, arrivera le fameux colis, avec la prime splendide, la valeur de celle-ci équivalant au tiers de ce que vous devez débourser! Et vous serez à la tête d’une magnifique bibliothèque contenant les «immortels chefs-d’œuvre de la littérature française», du moins l’annonce l’affirme.

Et pendant cet hiver, les pieds sur les chenets, quand au-dehors font rage le vent glacé et la pluie cinglante, vous aurez le suave bonheur de laisser votre pensée suivre l’imagination ardente de l’écrivain délicat au talent subtil et charmeur...


Halte-là! mon ami!

Écoutez-moi un instant: c’est un marché de dupe que vous allez faire.

Comment!

Oui, un marché de dupe, je le répète, car il n'y va rien moins que de votre ruine.

Ma ruine? mais quand je vous dis que jamais je n’ai conclu une aussi belle affaire!

Ah! quelle erreur est la vôtre; si seulement vous vouliez m’écouter cinq minutes, de sang-froid, avant de faire partir votre lettre...

Parlez, que voulez-vous dire?

Je veux dire que LES ROMANS, ET SURTOUT LE GENRE DE ROMANS QUI VOUS EST OFFERT, constituent, au premier chef, l'élément le plus terrible et le plus effrayant de corruption et de dégradation du cœur humain.

Ces romans sont, par excellence:

- l’école de la paresse, du vice, de la folie, du suicide;

- ils produisent les aberrations, les troubles les plus profonds dans l’esprit et dans le cœur qu'ils faussent, qu’ils dénaturent, qu'ils avilissent.

On vous promet des éclats de rire, des larmes, toutes les sensations les plus raffinées, les plus intenses, les plus délicieuses, les jouissances les plus exquises, le bonheur suprême enfin.


On vous promet tout cela, oui, par quel moyen?

- Par le moyen des récits les plus lubriques,

- des allusions les plus indécentes de scènes révoltantes de viols, de rapts, d’adultères,

- par une abominable cuisine des crimes les plus honteux, les plus effrayants!


Au prix de quoi?

- Au prix de la souillure de votre âme,

- au prix de votre déchéance morale,

- de l’empoisonnement de votre esprit.


Et ne me dites pas que j’exagère: car, quel poison est comparable à celui que distillent ces romans maudits, ces feuilletons immondes?

Je signale en eux, la première, en ses effets désastreux, des sept plaies dont souffre notre chère France!

Que les romans poussent à l'immoralité et à la débauche? — cela est superflu de le dire — ils poussent, par conséquent, à l’alcoolisme, cette seconde plaie, et ainsi ils peuplent nos asiles d'hystériques et de fous.

Et on ose appeler cela les immortels chefs d’œuvre de la littérature française?

Ô mensonge éhonté Et vous, philosophe moraliste, vous cherchez le pourquoi de l’affaiblissement toujours progressif de la volonté en notre génération fin de siècle?

Vous vous creusez la tête pour savoir d’où vient que l’enthousiasme, à notre époque, n’est que trop rarement recruté pour la défense des plus justes et des plus nobles causes?

Vous vous demandez pourquoi, aujourd’hui, LES PARENTS NE PEUVENT NI NE SAVENT PLUS SE FAIRE OBÉIR DE LEURS ENFANTS?

POURQUOI NOTRE JEUNESSE EST SI CYNIQUEMENT IMPURE ET DÉPRAVÉE?

Vous vous inquiétez des statistiques effrayantes de ces milliers et de ces milliers de suicides annuels (près de dix mille en 1899) tous, ou presque tous, suicides de lâcheté, et qui n’ont rien de commun avec celui de la Lutèce antique.

Vous vous effrayez de l’immoralité croissante?

Vous vous effrayez de voir la famille se désagréger, s’anéantir, les mariages ne devenir de plus en plus qu’une «affaire»;

Enfin vous constatez avec angoisse l’affaissement général, l'atrophie des convictions et des viriles énergies et, anxieux, vous vous dites: D’OÙ VIENT LE MAL?


Le mal? c'est comme un fleuve, il coule à pleins bords dans cette littérature infâme qui ne fait appel qu’à la bête.

Le mal? c'est l’impiété, oui; c’est l’alcoolisme, oui; c’est le fol orgueil de l’homme, oui; mais encore je vous dis que la source qui alimente le plus largement ce torrent destructeur, c’est la littérature infâme.


Je dénonce ici le danger avec toute l’énergie, toute la violence dont je suis capable, me souvenant, hélas! que c’est le premier mauvais roman que j’ai lu — si l’on admet qu’il y en a de bons — qui a porté à ma conscience le premier trouble le plus profond dont je me souvienne, et à mon jeune cœur la première flétrissure.

La police arrête de misérables camelots qui offrent, le soir, au passant attardé, de mystérieuses et obscènes gravures, tandis que je vois étalées au clair soleil, dans les flamboyantes vitrines, à portée de la main qui a trois francs cinquante — ou chez les bouquinistes du quai, seulement dix sous — et sous la protection de la même police, des œuvres odieusement pornographiques, écrites en un français plat et sale. Dérision!


Ô combien est grande la responsabilité de ceux qui pourraient, sinon arrêter, du moins entraver ce débordement!

Je cherche et j’appelle de tous mes vœux l’Hercule qui nettoiera ces écuries de nos temps modernes.

La liberté de la presse, il est vrai, ne permet pas de supprimer le roman ou le journal illustré et autres du même sucrier, auxquels je fais allusion. Et je suis pour la pleine liberté de la presse.....

Allons, ami lecteur, brûlez-moi ce bulletin et gardez votre argent pour vous acheter un bon manteau, cet hiver.

A. Antomarchi.

En avant 1899 11 18


 

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