EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LE PROCÈS DE LUCIFER

A PARIS

Compte-rendu analytique

Après lecture sur deux numéros consécutifs de cette annonce sensationnelle et juridique inspirée par le Commissaire: le Procès de Lucifer, le lecteur qui s’intéresse à notre œuvre éprouve assurément une légitime curiosité de connaître les résultats de cette «Affaire». Eh bien! elle s’est déroulée jeudi à la salle Auber avec un réel succès.

C’est avec joie que nous avons vu le palais de justice de circonstance rempli d’un auditoire paraissant agréablement surpris autant par le solennel que par la fidélité de cette illustration judiciaire.

Mais, essayons l’analyse succincte de la soirée, aussi bien ces détails pourraient-ils être utiles à nos camarades de province qui voudraient donner quelques séances de ce genre.

* * *

Sur le gradin supérieur de l’estrade est une assez longue table recouverte d’un tapis, où prendra place, entre quatre juges, le Président de la Cour.

Devant une petite table se tiendra à gauche le Procureur général et devant une autre à droite prendra place le greffier.

L’honorable avocat du prévenu avec son malheureux client à ses côtés se tiendra debout à gauche du Procureur général devant un pupitre fixé obliquement à la cour tandis qu’en face, devant un autre pupitre parallèle au premier, viendront de divers points de la salle, déposer les témoins.

Mais voici l’heure de l’audience. «Le Tribunal» annonce l’huissier d’une assez forte et solennelle voix. Le Tribunal entre en effet, dans sa tenue digne et correcte, le Président en tête suivi de ses juges, enfin le Procureur général, et, derrière lui le greffier. L’éminent défenseur du prévenu, Maître Spennel était déjà à son poste.

La séance s’ouvre, et, sur l’invitation du Président, l’huissier amène l’accusé dans son éclatant costume de Méphisto, puis lecture est donnée par le greffier, de l’acte d’accusation dont voici in-extenso la teneur.

Le Ministère public.

Vu les pièces de la procédure suivie contre Lucifer poursuivi sous l’inculpation de provocation au vol, à l’escroquerie, à l’abus de confiance, au suicide, à l’homicide, à l’excitation, à la haine des citoyens les uns contre les autres, à l’ivrognerie, à la débauche, etc., etc.

Considérant qu’il en est résulté les charges suivantes:

1° Lucifer a depuis temps de droit, sur cette terre, causé par ses pernicieux conseils, chez des gens de toute condition, un changement d’état de conscience qui les a amenés de la transformation d’hommes honorables en hommes improbes, en maître de mauvaise foi, en serviteurs infidèles, en usuriers, en négociants, trompant sur la qualité ou la quantité de la marchandise livrée ou vendue;

2° Dans le même temps, au même lieu, Lucifer a provoqué un nombre considérable de gens à blasphémer le nom du Créateur de l’Univers, à prendre Son nom en vain et aussi à mettre en doute l'existence de Dieu, notre Rédempteur et sa puissance pour la rédemption des âmes qui veulent être délivrées du péché;

3° Dans le même temps, au même lieu, Lucifer a également causé la profanation du jour du Seigneur et amené un nombre considérable de gens à travailler en ce jour sous le fallacieux prétexte d’un gain plus considérable, ou encore à passer ce jour dans les lieux de débauche;

4° Dans le même temps, au même lieu, Lucifer a détruit les liens d’obéissance et de respect qui unissaient autrefois les gens d’une même famille; il a notamment détruit l’amour filial et causé à un nombre incalculable de reprises, contre les individus, les crimes de parricide, fraticide, uxoricide (meurtre de son épouse, de sa compagne, de sa partenaire amoureuse.) et infanticide.

5° Dans le même temps, au même lieu, Lucifer a provoqué la désorganisation de la société en semant la haine des citoyens les uns contre les autres, en remplaçant l’amour du prochain par l’envie, la discorde, la haine, en excitant le scandale et en amenant nombre de gens au pillage des propriétés, à l'homicide, etc.

6° Dans le même temps, au même lieu, Lucifer a désorganisé l’existence de nombreuses familles en provoquant de malheureuses filles à quitter le domicile de leurs parents pour suivre des séducteurs, qui au lieu de leur donner le bonheur rêvé ou promis, les ont amenées à la honte, à la perte de l’honneur, de la vertu et au suicide;

7° Dans le même temps, au même lieu, Lucifer a introduit dans le cœur d’un nombre considérable de gens le mensonge, la calomnie, le jugement téméraire, l’envie, la jalousie, la discorde, la gourmandise, la colère, la paresse qui a causé la ruine de nombreuses familles;

Considérant que tous ces faits sont de notoriété publique et ne sont pas contestés;

Considérant que Lucifer s’est tellement emparé de la conscience des gens soumis à ses lois que ceux-ci n’admettent plus qu’ils puissent être débarrassés de ces fardeaux sous le poids desquels ils succombent;

Considérant que la culpabilité de Lucifer est donc profondément aggravée en ce sens que la plupart de ces gens meurent dans l’état de péché et sont irrévocablement perdus;

Considérant que l’avenir de l’humanité sombre dans un tel état de choses et qu’il importe d’y apporter une solution efficace;

Le Ministère public a convoqué d’urgence un certain nombre de témoins directs et de témoins de résultance pour établir la matérialité des faits ci-dessus évoqués; Il requiert qu’il plaise au Tribunal convoqué ad hoc recevoir les dépositions de ces témoins qui parleront sans haine et sans crainte, procéder ensuite à l’interrogatoire de Lucifer.

Il requiert également, après ces formalités remplies, Lucifer entendu en ses réponses et par son défenseur, que les faits ci-dessus spécifiés soient déclarés suffisamment établis et que telle peine que le Tribunal décidera soit appliquée au prévenu.

Fait en notre Parquet le....

Après cette lecture le Président fait procéder par l’huissier à l'appellation des témoins. Ils sont au nombre de huit et chacun à l’appel de son nom vient apporter à la barre une ou plusieurs charges spéciales aussi écrasantes que possible contre le malheureux prévenu.

L’ancien alcoolique vient usurper à Lucifer les ravages et la misère produits par la désastreuse passion de l’alcool.

Un autre témoin le dénonce comme l’instigateur, le provocateur des guerres meurtrières qui sèment la désolation dans les familles et répandent des flots de sang.

Le Commissaire

En Fakir indou vient à son tour et avec énergie charger assez longuement contre Lucifer, source du paganisme dans les Indes. Il lui imputera ces aberrations religieuses qu’imposent à des millions de consciences les plus atroces martyres pour l’expiation des péchés où une place dans un monde meilleur proportionnée aux mutilations ou pénitences physiques. Il lui imputera encore cette servile organisation en castes qui oblige des millions de pauvres Indous à ramper devant les grands comme de vils esclaves et les maintient dans une misère et une ignorance forcées par les impôts et obligations qui les écrasent...

La mondaine dans ses plus beaux atours vient aussi invectiver eu face et avec une indignation qu’elle aura peine à contenir, ce fieffé menteur qui l’a leurrée de promesses alléchantes et qui, au lieu des joies, plaisirs et bonheur ne lui a laissé que souffrances, écœurements et déceptions.

L’officière des Bas-Fonds l’accuse aussi de toutes les misères qu’elle rencontre parmi ses pauvres, et pour en témoigner devant la cour, elle présente une chère petite créature pieds nus, en haillons et la figure sale.

L’ex-anarchiste Siméon présente à son tour de sérieux griefs contre le prévenu qui lui a inspiré dans le passé haine et vengeance contre son prochain et en avait fait un membre actif et militant de la ligue des anti-propriétaires opérant, suivant son expression, des déménagements à la cloche de bois.

Et pouvons-nous passer sous silence un des témoins les plus importants, la Capitaine d’E.-M. Mayor, qui ne peut que nourrir aussi la plus profonde haine pour la dégradation autant physique que morale où il entraîne tant de pauvres jeunes filles qu’elle a tant de peine à ramener à la vertu, et elle appuie son dire de quelques cas spéciaux impressionnants.

(A la semaine prochaine quelques mots sur la défense, le réquisitoire du Procureur général et la sentence finale).

En avant 1899 10 28