Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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ABNÉGATION


Je lisais dans un journal, l’autre jour, un trait sublime de dévouement. Le fait se passait en Belgique, il y a quelques années.

Par une glaciale nuit de décembre, un aiguilleur attendait à son poste le passage de l’express de Paris à Bruxelles. Au moment voulu, il fit manœuvrer son appareil pour donner la voie libre, quand il entendit un coup sec qui résonna dans son cœur comme un glas: le ressort de l’aiguille venait de se casser net sous l’action du froid intense. Il n’y avait aucun remède, l’express arrivait à grand fracas et n’était plus qu’à quelques secondes. C’était trop tard pour l’arrêter, et s’il s’engageait sur la voie fatale, une horrible catastrophe allait s’ensuivre.

L’aiguilleur vit, comme dans un éclair, tout cela, lorsque, par une inspiration héroïque, il se jeta avec un sang-froid inouï, tout de son long, bien au milieu de la voie, et, s’arc-boutant de toute la force suprême de son désespoir entre les deux rails, pour remplacer l’aiguille, il attendit le passage du train. Quand il se releva, l'express avait déjà disparu dans la nuit. Par miracle, notre héros était sain et sauf bien que le frein Westinghouse descende très bas et aucun voyageur ne se douta jamais, sans doute, à quelle affreuse mort il avait échappé.

Telle est la vraie abnégation, sans discussion, sans phrase: l’expression naturelle de l’élan d’un grand cœur. Cela ne se paye pas, cela ne se médaille pas..., ce serait dérision!


De tels actes, les hommes ne les ont peut-être pas connus, ni applaudis, mais Dieu s’est chargé de les inscrire au livre d’or de la gloire éternelle.

C’est ainsi que le Fils de Dieu est venu ici-bas pour sauver ce pauvre monde. Et les hommes qu’il venait arracher à l’abîme de honte et de misère l’ont payé de l’ignominie de leurs insultes et de leurs crachats; puis, ils l’ont crucifié.

Notez bien que JÉSUS S’EST OFFERT, POUR SAUVER L’HUMANITÉ, sachant tout ce qu’il avait à attendre des hommes. Aucune de ses déceptions amères, aucun détail de son supplice de trois années, de son agonie, de son Calvaire, Il ne les ignorait; mais II S’OFFRIT QUAND MÊME!


Ce fut sa compassion divine qui l’emporta.

Que demandait-il en retour? Seulement un peu d’amour. Et les hommes le lui ont refusé.

Oh! ils ne lui refusent pas des médailles, des statues, des honneurs! De cela, les hommes sont prodigues. Mais de l’amour, point!

Les hommes ne médaillent, ne décorent ainsi Jésus, ne lui élèvent des statues, et ne lui bâtissent des palais QUE pour se sentir plus à l’aise pour se médailler, pour se décorer, POUR SE GLORIFIER EUX-MÊMES; mais, je vous dis que de l’amour il n’yen a point dans ce culte hypocrite.

Là où il n’y a point d’abnégation, où il n’y a point de renoncement, non, il n’y a pas non plus d’amour.

Mais qu’est-ce que le renoncement, le vrai?

Ne nous y trompons pas! Je proteste avec la dernière énergie lorsqu’on appelle renoncement, ou abnégation, cet orgueilleux étalage d’un ascétisme aussi vain et stérile qu’insensé.

Le Renoncement ne peut avoir de valeur, aux yeux de Dieu, que tant qu’il reste dans le domaine de l’humain. Je veux dire que LE RENONCEMENT QUI PLAÎT À DIEU, C’EST CELUI QUI CONSISTE À SACRIFIER CE QUI NOUS COÛTE, et ce qui nous coûte LE PLUS, en vue de sauver, non point notre propre âme, mais l’âme de notre frère.

L’homme qui «renonce pour renoncer» ne dépasse pas d’une ligne le niveau de l’homme qui «mange pour manger» quoique le premier se croie infiniment supérieur au second.

L’homme qui, par un effort inhumain et contre nature, veut faire «l’ange» ne mérite que notre mépris, ou plutôt notre pitié !... «Je vois ton orgueil à travers les trous de ton manteau!» disait Platon à Diogène qui se pavanait sur la place publique, avec son habit en loques. Ce renoncement là, est un faux renoncement. Il n’a, devant Dieu, que le mérite de l’orgueil, et devant les hommes, son salaire, c’est le dédain.


Ce n’est pas à un renoncement semblable que l’Armée du Salut convie ses officiers, ses soldats et amis pendant cette semaine du 22 au 29 octobre. Ce que veut être, et ce qu’est en effet, l’esprit de cette semaine de renoncement, c’est de vous rappeler à tous, chrétiens, LA RÉALITÉ DU SACRIFICE DU CALVAIRE; c’est de nous fournir l’occasion, non point de renoncer huit jours sur 365 de l’année, mais de nous pousser, plus particulièrement, à la Vie et au Renoncement apostoliques; ce n’est point une espèce de carême en vue d’éteindre ou de mortifier nos énergies viriles, mais c’est, au contraire, comme un autel où nous attendrons le feu du ciel, la flamme dévorante et vivifiante de la charité.

Oh! mes camarades, mes amis, en cette semaine sainte, sachons saisir les merveilleuses occasions que Dieu nous présentera de nous renoncer, de nous donner pour le salut des pauvres âmes, pour le salut de notre chère France, pour que le règne de Dieu vienne!

Tous, nous aimons, nous cherchons, nous demandons sincèrement la Sainteté; mais QUAND ON NOUS PRÉSENTE LE RENONCEMENT NE BAISSONS PAS LA TÊTE, et ne nous en allons pas tout triste, car:


Le Renoncement est à la Sainteté ce que la terre est à la plante:

le seul milieu où elle puisse croître.


Qu’enfin notre devise soit, maintenant et toujours, celle des premiers chrétiens:


Aimer, croire, souffrir, et ne pas le dire!


A. Antomarchi.

En avant 1899 10 21


 

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