Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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NOTRE OEUVRE SOCIALE A PARIS

(suite)


Pendant une grande partie de l’hiver, l’hôtellerie a eu pour hôte un journalier du nom de P... Élie, âgé de 46 ans, né dans le département du Nord. Ce brave travailleur consignait chaque soir entre nos mains, pour le reprendre au matin, une somme quelconque représentant ses recettes du jour. Nous causions parfois assez longtemps et nous croyons que ces conversations ont porté quelque fruit dans le cœur de ce cher ami.

Très économe, P... a réalisé quelques pièces d’or et il nous a montré un soir un livret de caisse d’épargne qui le rendait créancier de cent vingt francs. À ce moment il nous annonça qu’il avait loué une petite chambre à Clichy et nous remercia des conseils que nous lui avions donnés.

Nous sommes heureux que ce cher ami ait pu se tirer convenablement de la misère, mais notre joie serait plus grande encore si nous apprenions qu’il a reçu le pardon de ses péchés et qu’il marche en pleine clarté sous le regard de Dieu.


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Les enfants

Le nombre des enfants âgés de 14 à 18 ans hébergés dans notre hôtellerie populaire du 1er septembre 1898 au 1er juin s’est élevé à 365.

Trois, âgés de 14 ans seulement, figurent au registre d’inscription: ils exerçaient réellement un métier; leur livret en fait foi. Parmi les enfants âgés de 15 ans, un était sans profession; les autres au nombre de treize déclaraient en exercer une. Quelques-uns cependant ne travaillaient pas régulièrement et puisaient leurs principales ressources dans la vente de journaux ou dans l’exercice de quelque métier excentrique.

Sur ces quatorze enfants, six sont originaires de Paris; cinq appartiennent à la province, et deux sont de nationalité anglaise. Le nombre des enfants de 16 ans ayant couché à l'hôtellerie s’élève à 50 et est fourni en majeure partie par les provinciaux et étrangers. En effet, Paris nous donna seulement 22 inscriptions; la province 26; la Belgique une, et l’Amérique une. Quarante et un de ces enfants prétendent exercer une profession; en réalité ils ne peuvent présenter comme unique justification de leurs dires qu’un récépissé de déclaration de colportage d’imprimés délivré par la préfecture de police. Même l’un d’eux se parait du titre d'auteur; et comme un sourire d’incrédulité s’esquissait sur nos lèvres, il nous présenta également un récépissé de déclaration de colportage. Sans y mettre de malice, le cher garçon se paraît des plumes du paon...

Neuf autres seulement, bien que n’ayant aucune profession ni aucun métier, s’intitulent journaliers et peuvent être aptes à toute besogne: leur orgueil est à la hauteur de leur incurie.

Les enfants de 17 ans représentent un chiffre de 111 inscrits. La grande majorité soit 91 se flatte d’exercer une profession; ce n’est rigoureusement exact que pour quelques-uns. Vingt s’abritent derrière la qualification de journaliers.

Dans ce chiffre de 111 enfants, le nombre de provinciaux augmente considérablement: 71, plus deux étrangers: un belge et un italien.

Le chiffre 187 représente les enfants de 18 ans inscrits au registre de l’hôtellerie. Le nombre de parisiens est relativement minime; celui des provinciaux et étrangers réunis donne le double. En effet, nous y voyons figurer: 61 parisiens, 119 provinciaux, 7 étrangers dont la nationalité se répartit ainsi: 2 allemands, 2 suisses, 2 autrichiens, 1 turc.

Parmi les inscrits 152 déclarent exercer une profession; 35 seulement se disent journaliers.

On sait à quoi s’en tenir sur cette qualification qui ouvre la porte aux plus tristes hypothèses pour ceux qui connaissent les épouvantables arcanes de la vie parisienne.


En résumé, Paris nous fournit dans cette statistique 130 indigènes; la province nous donne 221 enfants, et l'étranger 14.

Beaucoup arrivent directement de la province; d’autres, plus anciens, sortent des asiles de nuit. Ceux qui ont quelques ressources ont séjourné dans diverses hôtelleries: rues de Georgovie, de la Huchette, Simon-le-Franc, Grande-Truanderie, des Pyrénées, du Mont-Cenis, etc.

Cette affluence de provinciaux a lieu de donner de sérieuses inquiétudes, tant au point de vue moral qu’au point de vue matériel. L’équilibre de nos forces sociales est singulièrement menacé: des plumes autorisées ont signalé il y a longtemps déjà ce péril sur lequel nous n’avons pas à insister ici.

L’aspect général des entants et jeunes gens venus à l’hôtellerie est médiocre. À part un petit nombre dont l’attitude dénote quelque bonne éducation, le grand nombre présente le triste cachet de la capitale.

On connaît cette jeune population au teint pâle, à l’œil éveillé, que l’on trouve dans toutes les situations où elle peut toucher un salaire sans travailler: on la rencontre sur les grands boulevards vendant une feuille quelconque à la sortie des théâtres ou des cafés-concerts; on la reconnaît facilement: chétifs de taille ou de corpulence, déjà vieux de figure, le teint livide, les yeux battus, ramassant des bouts de cigare qu’ils semblent fumer en connaisseurs, ouvrant la portière des voitures, offrant parfois des services d’une voix enrouée et avec une obséquiosité gouailleuse.

Quelques-uns sont déjà, en dépit de leur jeune âge, profondément vicieux: familiers depuis leurs premières années avec les dépravations les plus raffinées ils présentent un mélange de ruse, de couardise. Et cependant, il y a encore de l’émotion et des larmes; il y a des lambeaux de grand cœur sous cette affectation gouailleuse. Aussi ces enfants comprennent-ils vite qu’on les aime.

Le Christianisme peut transformer ces pauvres natures, et d’êtres inutiles qu’ils sont actuellement pour la plupart, ils peuvent devenir des hommes.

L’Armée du Salut a rendu quelques services à divers enfants et à leurs familles. Nous pouvons donner quelques faits significatifs:


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Léon O..., âgé de 16 ans, polisseur sur métaux, dont les parents demeurent rue de Puteaux, quitta un matin, la maison paternelle, sans esprit de retour. Il vint un soir à l’hôtellerie, muni de pièces régulières pour l’inscription. Questionné sur sa situation de famille, il nous raconta que ses parents étaient décédés récemment et qu’il était depuis peu de jours sans travail. Les vêtements de cet enfant étaient dans un état lamentable; il n’avait pas mangé de la journée, disait-il: cette situation nous inspira une profonde pitié et à quelques reprises, nous le gratifiâmes de la nourriture et du logement.

La vérité nous fut connue un jour par les révélations de la préfecture de police: les parents prévenus vinrent rechercher ce pauvre vagabond qui réintégra le domicile paternel le 25 octobre.


Pendant quelques mois, O... donna toute satisfaction à ses parents, puis ses instincts nomades reprirent le dessus. Il disparut de nouveau, et son père alarmé vint nous demander si nous avions revu le déserteur. Notre réponse fut négative.

Léon O..., pensant, en effet, qu’il ne nous prendrait pas deux fois à ces mensonges, avait cherché un refuge moins paternel que le notre; mais la préfecture de police a retrouvé de nouveau ses traces et il est retourné au domicile paternel.


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Paul D..., âgé de 15 ans, typographe, abandonna un jour la maison paternelle, rue Championnet, et vint nous demander asile. Son attitude, qui semblait aussi franche que résolue, sans être empreinte de cette effronterie familière à tant d’enfants de Paris, nous disposa d’autant mieux en sa faveur qu’il était monté de pièces d’identité régulières et d’un livret de caisse d’épargne.

Il nous raconta une histoire touchante, parla de ses parents décédés, de son amour pour le travail et de son désir de se créer une situation. Il demeura quelque temps à l’hôtellerie, partant de grand matin, rentrant tard, toujours aux mêmes heures. La conduite de cet enfant, chez nous, aurait pu servir d’exemple à beaucoup d'adultes. Ses vêtements étaient toujours en bon état; sa politesse, son affabilité envers petits et grands lui avaient concilié toutes les sympathies, et nous étions charmés de constater que cet enfant donnait de sérieuses espérances d’avenir. Le 9 novembre, nous apprîmes que Paul D... avait menti pour cacher sa fugue, et un de nos employés le reconduisit au domicile paternel.

(À suivre).

En avant 1899 07 01


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