Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L’ÉGLISE

SOUS LA CROIX

* * *

Ramener le cœur des enfants vers les pères.

(Malachie, IV, 6.)

* * *

JEAN BÉRENGER


1730-1813


I


Jean Bérenger naquit vers 1730, dans la commune de Montvendre, au hameau des Ferrands, situé à dix kilomètres environ de Valence. Il appartenait à une famille du Dauphiné qui s’était toujours distinguée par son attachement aux doctrines de la Réforme et sa fidélité à l’heure des persécutions.

Le hameau des Ferrands, situé au pied des collines boisées de la Raye et caché dans un pli de terrain, était naturellement désigné pour servir de retraite aux pasteurs proscrits. Ils s’y rendaient souvent lorsqu’ils présidaient des assemblées dans les environs, et ils trouvaient, sous le toit des Bérenger, une hospitalité sûre et cordiale.

Bien souvent, le soir, pendant les longues veillées d’hiver, un coup discret, frappé à la porte, avertissait la famille de l’arrivée du pasteur. On faisait cercle autour du foyer. Le prédicant racontait les péripéties souvent douloureuses, toujours attrayantes, de ses tournées évangéliques. Ensuite le culte rassemblait autour de la vieille Bible, qu'on tirait avec précaution de sa cachette, les membres de la famille et quelques voisins.

On s’abstenait de chanter, pour ne pas donner l’éveil, les psaumes de Marot, si goûtés pourtant; puis la prière recueillait les esprits et les cœurs en présence du Père céleste, dont le secours était invoqué avec ferveur; et le pasteur allait goûter un repos bien mérité, – à moins que quelque alerte ne le fit rentrer dans sa loge (On voyait encore, il y a quelques années, aux Ferrands, une cachette dissimulée dans un double plancher), – pour recommencer le lendemain ses courses aventureuses.


Ce fut dans ce milieu favorable que la piété naissante du jeune Bérenger se développa et s’affermit. Aussi conçut-il de bonne heure le projet de consacrer sa vie au service des Églises sous la croix.

Les périls de toute nature, qui étaient l’apanage des pasteurs du Désert, ne le rebutèrent point. Il sortait à peine de l’enfance, lorsque, en 1745, se dressèrent dans le Dauphiné, à trois mois d’intervalle, les potences de Louis Ranc et de Jacques Roger, qu’il avait, sans doute, vus plus d’une fois chez ses parents.

Le supplice de Desubas suivit quelques mois après. Ce fut en apprenant la fin bienheureuse de ces trois martyrs, si calmes en face de la mort, en particulier celle de Desubas, que le jeune Dauphinois sentit s’affermir sa vocation.

«Cette mort, bien loin de causer quelque découragement parmi nos jeunes gens,» écrivait Court en parlant des étudiants de Lausanne, «ne sert qu’à enflammer leur zèle. Rien n’est si beau que les sentiments qu’ils expriment; et, ce qu'il y a de plus digne d’admiration, c’est que, depuis cette mort, il se présente deux nouveaux sujets.» Bérenger était l’un d’eux.


Antoine Court disait encore, en parlant de Bérenger, dans une lettre qu’il adressait, le 10 avril 1746, à Sarasin l’aîné, pasteur et professeur à Genève:

«Il n’a besoin que de votre décision et de l’avis qu’il vous plaira m’en donner pour être reçu ici. Son admission et sa consécration aux Églises du Dauphiné seraient, au jugement, en particulier, de M. de Monttrond, qui connaît cette province-là et beaucoup la famille du sieur Bérenger, fort avantageuses aux Églises de ladite province. L’avis, néanmoins, de M. le P. P. (le professeur Polier), est, par rapport à ce jeune homme, en supposant qu’il soit admis, qu’il s’engage de restituer tout ce qu’il aura reçu, au cas que, dans la suite, il vînt à changer de dessein.»


Quatre ans, toutefois, devaient s’écouler avant que Bérenger vît les portes du séminaire s’ouvrir devant lui. Il suivit, en attendant, les pasteurs de la province en qualité d’élève ambulant.

«Il fit avec eux de rapides progrès,» nous apprend M. Arnaud, «car il avait de l'intelligence et une mémoire prodigieuse

En 1749, il fut agrégé au corps des proposants, c’est-à-dire qu’il reçut l’autorisation de prêcher, sans pouvoir toucher aux sacrements; et il prit enfin le chemin de Lausanne, dans le courant de mai de l’année suivante.

Un séminaire protestant s’était fondé dans cette ville, grâce à l’initiative d’Antoine Court. Ce restaurateur des Églises manquait de collaborateurs. Les pasteurs réfugiés demeuraient sourds à ses appels. Ils se trouvaient, disaient-ils, trop amplement dédommagés des persécutions souffertes, par les sympathies dont on les entourait, pour songer à rentrer dans la mère patrie. Il intéressa à son projet les nations protestantes. Des hommes éminents l’aidèrent de leurs conseils et de leurs dons, et, en 1730, il se rendit à Lausanne et devint l’âme de ce séminaire, où les professeurs de l’académie donnaient des leçons et qui contribua, pour une si grande part, au relèvement du protestantisme français.

Jean Bérenger passa deux ans à Lausanne. Il s’y prépara, par l’étude et la prière et sous la direction de maîtres habiles, à sa vocation future, et c’est avec joie qu’il traversa la frontière, au mois de juin 1752, pour rentrer dans le Dauphiné et se consacrer aux chères Églises de sa province.


II


Un autre étudiant, Gaspard Marcel, dit Olivier, de Crupies, qui devait mourir jeune, l’y suivit quelques mois après. Il était orphelin et c’est en accompagnant ses pieuses tantes aux assemblées du Désert qu’il avait senti naître en lui la vocation pastorale. Les prédicateurs qui s’y trouvaient n’étaient qu’au nombre de trois: Pierre Rozan, surnommé Dunoyer, consacré au Désert le 18 octobre 1744 avec Louis Ranc; Alexandre Ranc, le frère du martyr, encore proposant et qui devait recevoir l'imposition des mains quatre mois après l’arrivée de Bérenger; et François Descours, qui n’exerçait toutes les fonctions pastorales que depuis 1749. Ces hommes dévoués saluèrent avec bonheur l’arrivée de ces nouveaux collaborateurs et s’empressèrent de leur ouvrir leurs rangs.

On connaît la vie agitée de ces ouvriers du Seigneur, qui n’avaient souvent pour tout abri, selon l’expression de l’un d’eux, «que la couverture du ciel.» Parfois, ils se trouvaient réunis dans un même lieu, et, dans leurs assemblées synodales tenues au Désert, ils s’entretenaient avec quelques anciens des progrès de leur œuvre et des mesures à prendre pour la consolider. Ils correspondaient avec leurs frères du royaume et de l’étranger, et ne se séparaient jamais sans avoir retrempé leurs forces dans la communion fraternelle et dans la prière.

Mais, le plus souvent, ils étaient seuls à courir la campagne sous divers déguisements. Ils avaient aussi des noms d’emprunt pour dérouter les recherches; Bérenger se faisait appeler Colombe, par allusion, sans doute, à cette colombe du Cantique des cantiques (II, 14) qui se tient dans les fentes des rochers et dans les cachettes des lieux escarpés.

Leurs assemblées avaient lieu le plus souvent de nuit et à des époques irrégulières, connues seulement quelques heures à l’avance pour ne pas donner l’éveil. Hélas! ces hommes dévoués ne parvenaient pas toujours à dérouter les recherches. C’est ainsi que, deux ans seulement après sa sortie du séminaire, Bérenger eut la douleur d’apprendre la capture et le martyre de son ami Teissier, dit Lafage, qu’il avait eu pour condisciple à Lausanne. Mais cette douloureuse nouvelle ne fit qu’enflammer son zèle et lui inspirer le vœu du prophète: «Que je meure de la mort du juste et que ma fin soit semblable à la sienne.»

En 1756, les protestants de France tinrent un synode national. Le Dauphiné y députa Pierre Rozan et Alexandre Ranc. On y prit l’engagement, renouvelé du synode de 1744, de tenir les assemblées de jour, autant que faire se pourrait, et les ministres du Dauphiné se conformèrent à cette décision. Voici la description d’une de ces assemblées du Désert qui se multipliaient alors sur tous les points de la France protestante. Elle est due à la plume de Paul Rabaut qui fait parler un officier catholique.

«Un jour de dimanche, j’avais à peine fait une lieue, que je vis une grande quantité de gens traverser le grand chemin. Surpris de voir tant de monde en campagne à pareil jour, j’en demandai la raison; on me dit que c’étaient des huguenots qui allaient tenir une assemblée. Il n’en fallait pas davantage pour exciter ma curiosité; j’avais été plusieurs fois en détachement pour dissiper ces sortes d’assemblées, sans trop les connaître, et ma troupe a eu arrêté, à cette occasion, des gens qui ont été condamnés aux galères. Je désirais donc de savoir ce que c’étaient que ces assemblées, et, trouvant l’occasion favorable de m’en instruire par moi-même, je demandai à l’un des plus apparents de la troupe, qui traversait le chemin, s’il ne voudrait pas me conduire au lieu où ils allaient. Ils me dirent qu’ils allaient prier Dieu et que, si je voulais être de la partie, il se ferait un plaisir de m’accompagner. Je le suivis, et, au bout d’une demi-heure, nous arrivâmes dans un petit bois où il y eut, en peu de temps, de sept à huit mille personnes.

Mon conducteur m’ayant annoncé comme un étranger, on me fit placer dans une espèce de parquet, tout près d’une chaire ambulante.

Je fus bien aise d’être là pour mieux observer tout ce qui se passerait. C’était pour moi comme un monde nouveau; aussi fus-je tout yeux et tout oreilles, et je suis en état de vous détailler jusqu’aux plus petites choses.

Quand j’arrivai, on n’avait pas encore commencé l’exercice; mais un instant après un homme monta en chaire et lut un chapitre de la sainte Écriture. Je demandai si c’était le ministre; on me répondit que c'était le lecteur et que le ministre ne paraîtrait que lorsqu’il devrait prêcher. Après la lecture du chapitre, on chanta un psaume de David. Mon conducteur me remit son livre afin que je visse ce qu’on chantait; je n’y trouvai rien que d’édifiant. Ce sont nos psaumes latins mis en français. La poésie n’en est pas riche; elle est fort simple et c’est ce qu’il faut pour le peuple. On continua à lire la sainte Écriture et à chanter des psaumes, jusqu’à ce que le ministre voulût monter en chaire. Avant qu’il commençât, on lut les dix commandements, tels qu’ils sont dans les livres de Moïse, tout le peuple étant debout et tête nue.

Immédiatement après, je vis paraître le ministre, avec une robe de procureur et un rabat tel que celui de nos prêtres (Les rabats des pasteurs du dix-huitième siècle étaient noirs, avec un petit liséré blanc, comme ceux de Paul Rabaut. D'autres étaient tout blancs, comme ceux de François Roux et du martyr Étienne Teissier, dit Lafage. On en conserve un de ce dernier aux Archives de Montpellier.).

Il lut une prière qu’on appelle, à ce que j’ai appris, Confession des péchés; ensuite il fit chanter quelques couplets d’un psaume, ce qui fut suivi d’une seconde prière qu’il fit sans livre, après quoi il prit son texte.

Je fus fort attentif au sermon, qui roula principalement sur la morale. Les auditeurs me parurent fort pénétrés et je vous avoue que je l’étais moi-même. Je ne sais si le prédicateur avait étudié ou non la rhétorique, mais il n’y eut pas beaucoup de fleurs dans son discours. C’était une éloquence simple et mâle. Il voulait être entendu et il l’était. Il voulait toucher, et il y réussissait d’autant mieux qu’on voyait qu’il parlait du cœur; ce sont là des choses qu’il est aisé de sentir.

Le sermon fini, on chanta quelques versets du Miserere mei qui avait rapport au sujet qui venait d’être traité; ce qui fut suivi d’une prière imprimée dans laquelle on fait des vœux pour tous les hommes, dans quelque état qu’ils soient, depuis le sceptre jusqu’à la houlette.

Mais voici où je fus agréablement surpris: ce fut lorsque le ministre pria en faveur du roi, de la reine, de Monseigneur le Dauphin, de Madame la Dauphine, de toute la famille royale et qu'il rendit grâces à Dieu de l’heureux accouchement de Madame la Dauphine. J’avais peine d’en croire mes oreilles; vous pourrez pourtant vous en rapporter à leur témoignage; rien de plus certain que ce que je vous dis.

Jugez, Monsieur, de mon étonnement. Vous savez avec quelles couleurs on nous peint les huguenots et comment on qualifie leurs assemblées. J'étais prévenu contre eux, tout comme bien d’autres; mais je commence à voir qu’on nous en impose et que leurs ennemis ne doivent pas en être crus sur parole.

Enfin, après la prière, le ministre souhaita au peuple la bénédiction de Dieu et recommanda les pauvres. J’entendis à l’instant des gens, qu’on appelle diacres et anciens, qui répétaient au peuple de se souvenir des pauvres: sur quoi chacun donnait ce qu’il trouvait à propos; et c’est ainsi que l’assemblée finit et se sépara.»


Ceci se passait dans le Languedoc en 1757; mais le culte ne se célébrait pas autrement dans le Dauphiné. Les intendants et les commandants de troupes auraient dû suivre l’exemple de cet officier, pour savoir à quoi s’en tenir sur les dispositions hostiles des protestants; mais ils préféraient fulminer contre eux et renouveler les mesures de rigueur pour extirper l’hérésie du royaume. C’est ainsi que, l’année même où Rabaut le mettait en scène, le comte de Marcieu, commandant du Dauphiné, adressait de Grenoble la lettre suivante aux consuls des villes et villages de la province:

«Il me revient de toutes parts, Messieurs, qu'au mépris des déclarations et ordonnances du roi, qui défendent toutes assemblées publiques de jour et de nuit aux religionnaires, elles continuent à se tenir sur le territoire de votre communauté ou des environs, même par des prédicants ou ministres étrangers que vous auriez dû faire arrêter. Le silence que vous avez gardé sur ces sujets importants semble annoncer, de votre part, une indifférence trop marquée à remplir les devoirs de vos charges et autoriser tacitement ces assemblées défendues: ce qui vous rend très punissables.

Cependant je veux bien, avant d’en venir aux voies de rigueur, vous avertir que si vous n’informez pas sur-le-champ ou, tout au plus tard dans les vingt-quatre heures, le commandant des villes, places et des troupes le plus à portée de vous, en même temps que moi, des assemblées de religionnaires qui pourront se tenir à l’avenir sur le territoire de votre communauté et des environs, avec tous les détails circonstanciés, je ne pourrai me dispenser de sévir contre vous comme désobéissants. Faites sur cela les attentions les plus sérieuses et ne me mettez pas dans le cas de vous traiter à la rigueur.»


La mauvaise humeur que respire cette lettre montre bien que la réorganisation de l’Église protestante marchait à pas rapides et que toutes les mesures qu’on prenait pour l’arrêter demeuraient impuissantes. Les pasteurs ne se laissèrent pas arrêter par ces menaces. Au mois d’avril 1758, ils consacrèrent au saint ministère Jean Bérenger et Gaspard Marcel, et fortifièrent ainsi le corps pastoral. Cependant les persécutions redoublaient. On recherchait les personnes qui s’étaient mariées au Désert; on obligeait les parents à faire baptiser leurs enfants par les curés, sous peine de poursuites extraordinaires.

Au printemps de 1759, Jean Bérenger monta dans le Trièves pour y présider des réunions religieuses. Elles furent très nombreuses.

«Cela fit du bruit,» écrivait Rozan quelques semaines plus tard. Le commandant de la province écrivit aux officiers du lieu de faire cesser les assemblées. Les protestants voulurent continuer. On écrivit mille faussetés contre eux: qu’on avait voulu assassiner le curé et miner l’église pour la faire sauter lorsqu’il célébrerait le service divin. Le parlement envoya un commissaire sur les lieux pour prendre des informations. Il fut précédé par deux compagnies de soldats, comme si l’on eût craint pour sa personne. Dans les interrogats, il avait, à ce qu’on m’a assuré, les pistolets sur la table pour faire dire aux témoins ce qu’il voulait.»

Une vingtaine de personnes des deux sexes furent arrêtées et traduites dans les prisons de Grenoble. On condamna les unes au bannissement, les autres à l’amende. Quant au pasteur qui les avait édifiées par sa parole, l’arrêt suivant, rendu le 7 septembre 1759, montre le sort qui lui était réservé, s’il tombait jamais entre les mains du pouvoir:

«Entre le procureur général du roi d’une part, le nommé Colomb (sic), prédicant de l’autre.

Vu, etc.

La Cour, pour les causes résultant des procédures, dit la contumace instruite à la forme de l'ordonnance et, en conséquence, a condamné le nommé Colomb, prédicant, à être livré entre les mains de l’exécuteur de la haute justice, pour être par lui panda (sic) et étranglé jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive, à une potance (sic), qui sera, à ces fins, dressée sur la place du marché du bourg de Mens, et, attendu la contumace, il sera exécuté par effigie sur ladite place, et le condamne à une amende de dix livres envers le roi et à une aumône de cinquante livres et aux dépens et frais de justice (Bulletin, t. X, p. 152. On y trouve les noms de tous les condamnés. C’est donc à cette date qu'eut lieu à Mens l’exécution en effigie de Bérenger, et non, comme le disent de Félice (Histoire des protestants de France, 20 édit., p. 532) et les frères Haag (France protestante, Pièces justificatives, p. 407) en 1707.)


Bérenger, averti du danger qui le menaçait, avait eu le temps de se cacher en lieu sûr. Une maison amie, celle d’un catholique, l’abrita pendant ces longues journées d’attente où la maréchaussée était à sa poursuite. On raconte même qu’il put assister, d’une lucarne, à son propre supplice. Il vit la rage impuissante de ses ennemis s’acharner sur un vain simulacre et peut-être ces paroles du Christ, relatives à son Église, lui revinrent-elles en mémoire: «Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle

Les protestants dauphinois étaient atterrés; sous le coup de ces nouvelles mesures de rigueur, ils envoyèrent un placet à Louis XV. Rarement nos pères persécutés s’exprimèrent dans leurs requêtes avec une plus touchante éloquence:

«Hélas! Sire,» disaient-ils, «que les coups qu’on frappe sur nous sont affreux! Ce sont nos enfants arrachés de nos bras, ce sont nos mariages dissous, ce sont les liens qui nous détenaient le plus fortement au monde rompus, c’est la nature même poursuivie dans les asiles les plus sacrés et violentée dans ses sentiments les plus tendres, qui jettent tour à tour l’horreur dans nos âmes et nous forcent à faire monter à votre trône la voix de nos sanglots.

Nous sommes, Sire, si persuadés de toute l’étendue de vos bontés, que nous n’avons pas craint de vous présenter de si tristes objets: les baptêmes de nos enfants, nos mariages illégitimes, sujet perpétuel de nos frayeurs. Nous en avons déjà porté l’affligeant tableau (Allusion à un placet de 1748, resté sans réponse.) aux pieds de Votre Majesté, avec nos larmes, et nous avions osé nous flatter que si on nous regardait comme coupables, on nous trouverait cependant encore dignes de pitié.

Mais, Sire, votre parlement de Grenoble n’en connaît point pour nous. Reprenant ses premiers principes de rigueur, il nous poursuit à ces deux égards avec une effrayante sévérité, et dans l’abîme de nos maux, nous ôtant jusqu’à l’espoir, il ne présente à notre choix que des alternatives également cruelles.

Que Votre Majesté juge elle-même l’horreur de notre situation; qu’elle décide si, dans la nature, on pourrait en imaginer même de plus douloureuse et de plus touchante. Il faut que nous fassions rebaptiser nos enfants ou que nous nous perdions avec eux, en nous soumettant aux peines des ordonnances; il faut que nous fassions bénir une seconde fois nos mariages ou que nous en rompions pour jamais les noeuds. Mais, Sire, entre ces deux extrémités, nos âmes flottantes s’étonnent et ne savent à quel parti se résoudre.

La conscience nous défend le premier, le second soulève la nature. Si nous sommes rebelles à ce que nous croyons les ordres de Dieu, nous voilà pour jamais livrés aux remords vengeurs; si nous sommes sourds à la voix du sang, nous perdons sans espoir les seuls êtres pour qui nous chérissons la vie. Que ces extrémités, Sire, sont déplorables, et que notre situation aussi violente est bien digne de toucher votre cœur!

Aussi nous ne dissimulons pas à Votre Majesté que votre parlement de Grenoble ne nous a pas tous enveloppés à la fois dans la même calamité. Dans les lieux mêmes où ces mariages et ces baptêmes sont les plus nombreux, il n’en poursuit qu’un petit nombre. Mais, Sire, à quels excès affreux nos maux nous ont-ils réduits! Cette clémence même n’est pour nous qu’un sinistre présage et de la qualité et de la durée des peines qu’on nous prépare. Oui, si nous sommes également coupables, nous sentons bien que nous méritons un traitement égal et, ne sachant à quoi imputer cette distinction, elle ne nous permet que les conjectures les plus désolantes.

Voudrait-on, Sire, par là éterniser la rigueur pour rendre la sévérité plus formidable?

Voudrait-on dérober à la connaissance de Votre Majesté une partie des coupables, de crainte qu’un trop grand nombre de malheureux n’émût trop sensiblement sa pitié?

Ou voudrait-on enfin, par un genre de supplice nouveau, faire languir nos âmes abattues dans cet état ténébreux, où, morts à toute espérance qui nous fuit, nous ne sommes réveillés de notre douleur profonde que par l’exemple continuel des maux qui nous attendent?

Hélas! Sire, notre sort n’a pas besoin d’être aggravé, il est assez cruel. Nos coeurs brisés par la douleur ne luttent pas même contre le sentiment de leurs maux. Ils sont au-dessus des nouveaux coups qui pourraient les atteindre; nous sommes dans le dernier désespoir. Nous le disons sans crainte à Votre Majesté, car le désespoir de la vertu n’est jamais un crime. Oui, Sire, on a beau nous tourmenter, nous persécuter, on peut nous lasser, nous fatiguer même; nous exciterons la pitié, jamais l’horreur, et toujours malheureux, sans être un instant criminels, si nous cherchons encore des consolations ce ne sera que dans le sentiment de notre innocence.»


Les pasteurs n’attendirent pas l’effet de cette requête pour continuer leur œuvre bénie. Bérenger, plein d’activité, présidait des assemblées, bénissait des mariages et célébrait des baptêmes, se transportant partout où les fidèles réclamaient le secours de son ministère. C’est ainsi qu’il bénit au Désert, près de Combovin, le 19 août 1761, le mariage de Barthélemy Matras et de Lucrèce Bonnet, et qu’il baptisa, dans le même lieu, le 3 juillet de l’année suivante, leur fils Pierre Matras. On conserve avec soin, dans une maison de la Baume-Cornillanne, au hameau des Clabellots, les certificats de ces deux cérémonies écrits et signés de la main du pasteur du Désert.

Ces hommes, sans cesse traqués comme des bêtes fauves, couraient des dangers de plus d’un genre, et leurs tournées pastorales étaient fécondes en péripéties émouvantes. Certains faits, grossis par l’imagination populaire, ont pris des proportions surhumaines, et la légende du Désert s’est formée; mais d’autres sont bien réels, comme le suivant, qui nous donne une idée des souffrances et des périls du ministère sous la croix.

Un jour, le fidèle pasteur arrive, harassé de fatigue, près d’une ferme isolée du Bas-Dauphiné. Ce sont des frères qui l’attendent, et il se promet quelques heures de repos sous leur toit. Il rencontre sur la porte un enfant d’une dizaine d’années et lui demande s’il y a des étrangers dans la maison.

Non, Monsieur, lui répond l’enfant.

Et ton père, que fait-il?

Il est allé chercher les hommes de la maréchaussée, parce que le ministre doit venir loger chez nous ce soir.

Eh bien, dis-lui, réplique Bérenger, que le ministre est bien venu, mais qu’il a jugé bon de continuer sa route.

Trahison odieuse, dont l’exemple, grâce à Dieu, est rare dans les annales du Désert, mais qui fait bien ressortir, en même temps que les dangers du ministère sous la croix, la paternelle sollicitude avec laquelle Dieu veillait sur ses serviteurs.


À l’époque où nous sommes arrivés, sept pasteurs ou proposants desservaient les Églises du Dauphiné, sans compter deux étudiants qui se préparaient, à Lausanne, pour le ministère dans cette province.

Le sort des Églises était toujours précaire. Dans le courant de l’année 1762, Toulouse avait vu mourir, dans le plein triomphe de la foi, les trois frères de Grenier et le pasteur Rochette, et, bientôt après, le meurtre juridique de Calas était venu montrer à quelles extrémités l’homme peut se laisser entraîner, lorsqu’il est aveuglé par le fanatisme. Malgré cette recrudescence de la persécution, nos pères crurent le moment favorable pour convoquer un synode national; et cette assemblée, la dernière de ce genre qui se tint au Désert, se réunit du 1er au 10 juin 1763. Douze provinces y furent représentées par dix-huit pasteurs et seize anciens. Les Églises du Dauphiné y députèrent Bérenger et son collègue Rozan.

Les membres du synode, dont Paul Rabaut fut élu modérateur, renouvelèrent avec un saint empressement «la promesse de concourir de tout leur pouvoir à entretenir leur union, en persévérant à professer la même foi, à célébrer le même culte, à pratiquer la même morale, à exercer la même discipline et à se prêter des secours mutuels qui marquent que, comme les premiers chrétiens, ils ne sont qu’un cœur et qu’une âme.»

Ils manifestèrent aussi leur fidélité envers le souverain, en ordonnant à toutes les Églises de célébrer un jour solennel d’actions de grâces, pour remercier Dieu de la paix qu’il venait d’accorder à la France, après la guerre de Sept Ans. Ils fixèrent aussi au premier dimanche d’octobre la célébration d’un jour de jeûne et d’humiliation, «à cause de la corruption qui règne dans le monde et de la privation des avantages spirituels dont les Églises jouissaient pendant l'édit de Nantes.»

Des modifications à la liturgie et la composition d’un nouveau catéchisme furent décidées. On recommanda aux pasteurs d’expliquer familièrement, dans des paraphrases, la sainte Écriture, en même temps que le devoir de la lire était rappelé aux simples fidèles; et, après avoir réglé quelques points secondaires, les députés se séparèrent en chargeant la province des Hautes-Cévennes de convoquer le prochain synode national. Hélas! plus d’un siècle devait s’écouler avant qu’il se réunît.

Un des articles du synode enjoignait à chaque province de nommer des correspondants pour écrire, de trois en trois mois, aux autres provinces, afin qu’on pût se tenir mutuellement au courant des faits importants qui se passeraient dans les différentes circonscriptions synodales. Ce fut pour répondre à ce désir que Bérenger correspondit, à plusieurs reprises, avec Jean Journet, dit Tenjour, pasteur du Béarn, qu’il avait connu à Lausanne. Il lui écrivait, quatre mois après le synode:

«Le pigeon battu de l’épervier se regarde, quoique en sûreté, comme guetté par son ennemi et n’ose se donner aucun mouvement, crainte d’être saisi.»

C’était là, disait-il, la situation des Églises du Dauphiné trois ou quatre mois auparavant, et il mentionne un grand nombre de poursuites et d’emprisonnements.

«Depuis,» ajoute-t-il, «il y a bonace et on reprend courage.»


L’année suivante, le pasteur du Dauphiné écrit une nouvelle lettre à son collègue, à la date du 13 février. Il y rend hommage à la tolérance du commandant de la province et exprime le regret qu’il soit rappelé, par suite de ses démêlés avec le parlement de Grenoble.»

Un synode provincial se tint dans le Dauphiné, les 6 et 7 avril 1764. L’assemblée chargea le pasteur Rozan d’écrire à Court de Gébelin, alors fixé à Paris, pour l’encourager dans ses efforts en vue de procurer aux protestants un état plus tranquille. On décida de présenter aussi une requête au premier président du parlement de Grenoble, au nom de tous les protestants de la province, pour le féliciter de son heureux retour et pour le prier de leur être favorable.

Le synode, se souvenant de l’article du national, qui ordonnait aux Églises d’entretenir entre elles une exacte correspondance, chargea Bérenger d'écrire à celles du Haut-Languedoc, des Basses-Cévennes et du comté de Foix. Le besoin de pasteurs se faisant sentir dans la province, l’assemblée décida qu’on écrirait aux directeurs du séminaire de Lausanne pour les prier d’accorder une place à Daniel Armand; et Bérenger fut chargé d’écrire à Lombard, dit Lachaux, alors étudiant, pour l’engager à revenir sans retard. On lui vota cent livres pour l’aider à payer ses dettes; mais il fut entendu qu’on ne lui donnerait cette somme qu’à son arrivée.


III


La vallée du Trièves, qui s’étend sur la rive gauche du Drac, au midi du département de l’Isère, dans cette contrée montagneuse qui faisait autrefois partie du Haut-Dauphiné, comprend, sur un espace d’environ vingt-cinq lieues carrées, une population protestante nombreuse, répandue dans près de quarante villages ou hameaux, d’où le vent de la persécution n’est jamais parvenu à la chasser. C’est moins une vallée uniforme qu’un ensemble de vallées, reliées par des cols plus ou moins élevés et des chemins couverts en hiver de plusieurs pieds de neige, et praticables seulement aux piétons et aux cavaliers. Pays accidenté s’il en fut, propice aux assemblées du Désert et qui favorisait l’évasion des protestants compromis; d’ailleurs admirablement pittoresque et qu’on n’oublie plus quand on a eu le privilège de le parcourir.

Lorsqu’on arrive de Saint-Jean-d’Hérans au collet de Mens, et que le bassin du Trièves se déroule sous vos yeux, on s’arrête involontairement pour contempler les nombreux villages disséminés dans la vallée et les montagnes qui bornent l’horizon: «Leurs flancs sont entourés de sapins, comme d’une belle ceinture noire; leurs sommets, couronnés de verdoyants pâturages et d’affreux rochers pittoresquement découpés, s’élèvent majestueusement dans les cieux.» Tout près de Mens se dresse le mont Châtel, que sa forme particulière a fait nommer dans le pays Bonnet de Calvin. «À peine,» dit l’auteur déjà cité, la neige et les frimas ont-ils abandonné sa pelouse qu’elle se couvre de violettes, de tulipes, d’anémones, de toutes les fleurs du printemps.»

Au-dessus du Châtel, le mont Obioux, le roi de ces pics neigeux, atteint une altitude de trois mille mètres au-dessus de la Méditerranée, d’où les marins peuvent l'apercevoir avant d’entrer dans les ports de Marseille et de Toulon. Au midi et au couchant, les crêtes de Roche-Sac, de Ferrand, de Menis, de Lans, de Glandaz, d’Aiguille, sur lesquelles s’ébattent les chamois, entourent ce paisible canton d’un rempart formidable et semblent l’isoler du monde.

Ce fut vers 1765 que Bérenger, qui l’avait déjà parcouru à plusieurs reprises, dut y fixer définitivement sa demeure. L’année précédente il était encore dans le Bas-Dauphiné, comme nous l’apprend l’article 9 du synode de 1764, et, d’autre part, quand Bérenger fut pendu une seconde fois en effigie, en 1766, il habitait Mens.

Notre pasteur s’était d’abord fixé à Tréminis.

«Ce village,» dit Blanc, «fut longtemps la retraite des pasteurs persécutés. La piété simple et le caractère affectueux des habitants avaient rendu ce pays cher à des hommes exposés tous les jours à être entraînés par la maréchaussée.» 


Ce fut aussi vers cette époque que Bérenger épousa Angélique Allouard, compromise dans le procès de 1759, et que le même arrêt, qui avait condamné Bérenger à mort par contumace, avait condamnée, ainsi que ses deux sœurs, Marguerite et Madeleine, à une amende de dix livres envers le roi, une aumône de cinquante livres et aux dépens. Elle était de Mens, et sa famille avait eu à subir plus d’une persécution.

Un jour, la maréchaussée arrive dans sa maison. Par une coïncidence douloureuse, le corps de sa mère, décédée la veille, était déjà dans la bière; son père était au lit malade. On ne la saisit pas moins avec ses sœurs pour les conduire à Grenoble. Là on leur fit choisir entre la détention à la conciergerie ou le couvent. Heureusement le président du parlement, qui possédait une campagne dans les environs de Mens, connaissait leur famille. Il les dissidua d’accepter le couvent, comme on les y engageait sous prétexte qu’elles auraient une prison plus douce. Une seule refusa de suivre son conseil et ne recouvra plus sa liberté. Les autres purent bientôt reprendre le chemin de Mens.

La femme de Bérenger, dont la foi s’était trempée dans l’épreuve, lui fut d’un grand secours pendant le reste de sa vie missionnaire. Les mauvais jours n’étaient pas tous passés pour lui, et la persécution, qui semblait parfois se ralentir, reprenait ensuite une vigueur nouvelle. On a vu, dans l’étude précédente, les dangers qu’il courut à Saint-Véran. Il se trouvait un autre jour, à Saint-Bonnet, dans le Champsaur, chez une pauvre femme, quand la maréchaussée frappe à la porte. Bérenger n’hésite pas: mettant à profit sa petite taille, il se blottit dans la table à pétrir qui se trouve au milieu de la pièce et le couvercle est remis en place. Bientôt les soldats arrivent et demandent à grands cris le ministre.

«Cherchez bien, depuis la cave jusqu’au grenier,» leur répond la maîtresse du logis. «Je suis bien sûre que vous ne le trouverez pas.»

Leurs recherches, en effet, furent infructueuses, et cette femme, assure-t-on, eut même le courage de leur servir à boire sur cette table qui abritait dans ses flancs le proscrit.

Toutefois l’esprit public devenait moins défavorable aux protestants. À cette époque, le comte de Clermont-Tonnerre, commandant des troupes du Dauphiné, hésitait à dissiper par la force les assemblées des protestants de la province. Les intendants semblaient prendre leur parti de ces infractions aux édits royaux qu’ils étaient impuissants à réprimer.

On eut la preuve, en 1766, du progrès qu’avaient fait les idées de tolérance. Une pauvre femme, Marie Robequin, du Trièves, fut, ainsi que ses enfants, abandonnée par son mari, sous prétexte qu’ils n’avaient été mariés qu’au Désert.

Ce misérable avait abjuré pour épouser une autre femme, une servante qu’il avait rendue mère, et il avait même reçu, à cet effet, des dispenses de l’évêque de Die. Les lois en vigueur lui étaient favorables. Les mariages bénis au Désert étaient déclarés concubinaires par les édits, et l’on avait, dans le pays même, appliqué ces derniers, vingt ans auparavant, dans toute leur rigueur.

La pauvre délaissée réclama des dommages-intérêts au parlement de Grenoble. L’avocat général Servan, qui s’était lié à Paris, pendant ses études, avec les encyclopédistes et avait été promu, à peine âgé de vingt-six ans, au siège de Grenoble, prit sa défense:

«Voici peut-être,» dit il aux magistrats, «la plus belle occasion de faire briller vos fonctions.»

Et il n’eut pas de peine à leur montrer que cette cause, si secondaire en apparence, était au fond celle de tout un peuple persécuté qui allait accueillir l’arrêt des juges «comme un cantique de paix ou comme un ordre de proscription.» Ce généreux plaidoyer fut entendu. On fit droit à Marie Robequin, et on lui accorda douze cents livres de dommages-intérêts; mais, par une étrange contradiction, son pasteur, Jean Bérenger, fut, précisément cette année-là, condamné une seconde fois à mort par contumace et pendu à Grenoble en effigie.

Qui provoqua contre lui cette mesure extrême de rigueur?

Qui fut l’instigateur de cette nouvelle condamnation à mort, heureusement la dernière? Les documents nous manquent sur ce point; mais il est permis de penser que l’intervention du clergé n’y fut pas étrangère. Quoi qu’il en soit, voici le texte même de cet arrêt:

«Arrêt du 31 mai 1766 qui condamne les nommés Desnoyers et Colombes (Desnoyers ou Dunoyer, comme on le sait, était le surnom de Pierre Rozan, déjà condamné à mort par contumace en 1746, et Colombe, celui de Bérenger), prédicants contumax, à être pendus, et le nommé Girard, lecteur, aussi contumax, aux galères; plusieurs autres particuliers, y dénommés, à des peines afflictives; tous convaincus de contraventions aux édits et déclarations du roy, concernant la religion prétendue réformée.

Entre le procureur général du roy, etc.,

La cour dit la contumace contre lesdits Desnoyers, Colombes, prédicants, Delègue et Girard, être bien et dûment instruite; et, pour les causes résultantes des procédures, a condamné lesdits Desnoyers et Colombes à être livrés entre les mains de l’exécuteur de la haute justice pour, la hart au col, être conduits à la place du Breuil de cette ville, et, à une potence qui sera à cet effet dressée, y être pendus et étranglés jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive; et, attendu la contumace desdits Desnoyers et Colombes, leur effigie sera mise sur un tableau qui sera attaché à ladite potence; et a condamné lesdits Desnoyers et Colombes à dix livres d’amende envers le roy, chacun le concernant, aux dépens et frais de justice: «Signé Boisset (Communiqué par M Fazende de Rosans. Girard fut condamné à trois ans de galères avec flétrissures, et Delègue vit son mariage annulé.)


Cette double condamnation capitale, à laquelle, à cette date, on était si loin de s’attendre, produisit dans les Églises une émotion profonde. Court de Gébelin s’éleva avec force contre cet arrêt d’un autre âge. Il fit entendre à Paris la protestation de sa conscience de citoyen et de chrétien; mais des années devaient s’écouler encore avant qu’elle fût écoutée.

Comme pour le dédommager des persécutions dont il était l’objet, Dieu donna un fils au pasteur du Désert, le 8 avril 1767. C’est à Mens que naquit cet enfant dont le berceau fut environné de tant de périls, et qui devait un jour, par un étrange retour de la fortune, être favorisé des honneurs de ce monde.

D’abord médecin, puis député à l’Assemblée constituante, créé comte par Napoléon et honoré de son amitié, quoique son esprit indépendant l’eût fait surnommer par l’empereur la Contradiction, il fut appelé plus tard à la pairie. D’autres fils de pasteurs du Désert devaient briller par leurs talents. Court de Gébelin, Daniel Encontre, ces savants si remarquables, appartenaient, par leurs familles, au ministère sous la Croix. On sait que Guizot était petit-fils d’un pasteur du Languedoc, ainsi que Samuel Vincent, le célèbre pasteur de Nîmes; et quand Rabaut Saint-Étienne fut appelé au fauteuil de la Constituante, il put écrire à Paul Rabaut, son vénérable père, dont la tête fut mise à prix tant de fois: «Le président de l’Assemblée nationale est à vos pieds.»


IV


L’arrestation de Daniel Armand, racontée plus haut, fut la dernière mesure de rigueur dont les protestants du Dauphiné eurent à souffrir. Les synodes se tinrent avec régularité, et peu à peu l’on vit grandir le nombre de leurs pasteurs.

Les actes du synode de 1777 nous apprennent qu’ils étaient à cette époque douze pour desservir les Églises du Dauphiné. Bérenger fut élu modérateur adjoint de cette assemblée, qui le chargea de correspondre avec les Églises de la Saintonge et du pays d’Aunis. Il assista encore au synode de 1783. Quelques noms nouveaux apparaissent sur la liste des pasteurs; mais leur petit nombre ne peut suffire aux besoins des Églises. Aussi l’article 6 s’exprime en ces termes:

«Vu le besoin pressant que la province a de pasteurs, l’assemblée charge M. Bérenger, pasteur, d’écrire à nos bons amis du comité (de Lausanne), et d’insister fortement auprès d’eux de vouloir bien admettre M. Morel (Il était d’Arvieux et fut pasteur à Valdrôme, puis à Mens où il mourut en 1839, à l’Âge de soixante-dix-huit ans. Il avait passé six mois dans les prisons de Gap, sous la Terreur.) à ses épreuves, et de lui accorder l’imposition des mains, s’ils l’en jugent digne.»

En même temps, Bérenger devait demander

«à MM. les respectables membres du Comité une place pour M. Borrel (Il fut pasteur à Dieulefit et mourut, dans cette ville, en 1824.), proposant de cette province, afin qu’il fût agrégé au nombre des séminaristes, dès que M. Morel serait de retour.»


Quatre ans après, en novembre 1787, Louis XVI fit paraître son célèbre édit de Tolérance, et la persécution, dont les protestants furent si longtemps victimes, cessa d’une manière légale. Cet édit, toutefois, était loin, comme son titre l’indique, de leur accorder la liberté de conscience avec toutes les conséquences qu’elle implique, et il interdisait même aux pasteurs de porter le titre de ministres.

«La religion catholique, que nous avons le bonheur de professer,» disait le roi dans le préambule, «jouira seule, dans notre royaume, des droits et des honneurs du culte public, tandis que nos autres sujets non catholiques ne tiendront de la loi que ce que le droit naturel ne permet pas de leur refuser: de faire constater leurs naissances, leurs mariages et leurs morts, afin de jouir, comme tous nos autres sujets, des effets civils qui en résultent.»

C’était donc uniquement le droit de naître, de se marier et de mourir que recouvraient nos pères. Ils n’en saluèrent pas moins avec joie et reconnaissance cet acte réparateur.

«L’exécution de ce bienfaisant édit,» dit Rabaut le jeune, «suivit de près sa promulgation; et l’on vit bientôt les réformés accourir en foule chez les juges royaux pour faire enregistrer leurs mariages et les naissances de leurs enfants... On vit des vieillards faire enregistrer avec leurs mariages ceux de leurs enfants et de leurs petits-enfants.»


Bérenger pouvait espérer que ses dernières années s’écouleraient en paix, et qu’à la première période si agitée de sa vie allaient succéder des jours tranquilles, surtout lorsque la Révolution proclama les droits de l’homme et affirma, par un décret de l’Assemblée constituante, l’égalité des cultes devant la loi. Mais la Révolution, «étrangère à la vie de Dieu,» était grosse d’orages, et bientôt une effroyable tempête se déchaîna sur la France.

Bérenger supporta ces nouvelles épreuves avec l’humble courage de la foi. Il fallut chercher de nouveau dans les forêts de sapin un asile pour le culte proscrit. Il fut même supprimé quelque temps pendant la Terreur. Notre pasteur dut encore se déguiser et se blottir dans des cachettes pour éviter les tribunaux révolutionnaires. Mais les curés, cette fois, couraient les mêmes risques que les ministres. L’un d’eux, nommé Aulagnier, trouva même, dans ces jours néfastes, une retraite sûre dans la maison de la famille Richard, alliée aux Bérenger. Ce prêtre, nommé plus tard vicaire général à Valence, conserva toute sa vie un souvenir reconnaissant de cette hospitalité généreuse.

Il naquit au vieux pasteur une petite-nièce, le 27 octobre 1794. Elle s’appelait Madeleine-Priscille Richard et devait épouser le pasteur Cadoret, de Mens. Les parents auraient désiré que son oncle la baptisât quelques jours après; mais il aurait fallu le faire en cachette. Bérenger conseilla d’attendre des jours meilleurs, afin que la cérémonie pût avoir lieu publiquement. En effet, l’année suivante, un décret du 3 ventôse an III (21 février 1795) autorisa le libre exercice des cultes, en laissant aux fidèles le soin de les entretenir de leurs propres deniers et en leur défendant de célébrer aucune cérémonie sur la voie publique.

Ce fut le jour de Pâques de cette année que Bérenger baptisa, non seulement sa petite-nièce, mais un grand nombre d’autres enfants. Cette cérémonie fut très émouvante et remplit une grande partie de l’heure consacrée au culte. Les enfants étaient si nombreux qu’on se demandait, en sortant, si quelqu’un n’aurait pas été oublié dans la foule.

Bérenger dut saluer avec joie, comme tous ses collègues, le concordat du 18 germinal an X (7 avril 1802); et, trois ans après, un décret de l’empereur, du 25 fructidor an XIII (septembre 1805) accordait une Église consistoriale de la communion réformée à Mens, «sans préjudice, toutefois, des cérémonies extérieures du culte catholique.»

Bérenger, nommé président du Consistoire, fut investi solennellement de sa charge, et, à genoux, la main étendue sur la Bible ouverte devant lui, il prêta serment, en présence du maire et du juge de paix. Qui dira sa joie et sa reconnaissance en voyant ses fonctions pastorales recevoir cette consécration officielle, lorsque, si longtemps, elles avaient suffi pour le désigner aux coups du pouvoir.

Ce fut le dernier acte important de sa vie. Le pasteur septuagénaire ne tarda pas à se démettre de sa charge; mais il vécut encore plusieurs années à Mens, dans une maison qu’il s’était fait construire et que nous avons visitée, petite et modeste comme lui, entouré du respect et de la considération de tous. Il était de petite taille et portait le chapeau tricorne et la perruque poudrée, à la mode du temps. Son regard était pétillant. Son caractère, naturellement gai, avait conservé tout l’entrain de la jeunesse. Il aimait à plaisanter dans l’intimité, avec grâce, et ne dédaignait pas d’assaisonner la conversation de quelques mots empruntés au dialecte du pays.

Il fit le voyage de Paris, où son fils le réclamait avec instance. Mais les merveilles de la capitale ne l’éblouirent point. Le bruit de la grande ville ne pouvait convenir au vieux prédicant du Désert. Il préférait celui des torrents du Trièves et du vent dans les branches sonores des sapins. Comme une colombe effarouchée, il se hâta de regagner les montagnes de son pays d’adoption. C’est à Mens qu’il mourut, en 1813, précédant de quatre ans dans le tombeau sa fidèle compagne. Quelques-unes de ses dernières paroles montrent combien sa communion avec le Seigneur était profonde.

«Donnez-moi un peu de cette liqueur,» dit-il peu de temps avant de mourir, «afin que je puisse m’entretenir quelques instants encore avec mon Dieu.»

Bientôt cet entretien, interrompu sur la terre, se continuait dans les tabernacles éternels. Bérenger allait jouir pour toujours de la communion du Sauveur, qu’il avait servi et prêché fidèlement pendant plus d’un demi-siècle.


V


Une question se présente à nous avant de terminer:

Quel était l’enseignement de notre pasteur?

Quelle idée se faisait-il de Dieu, de Jésus-Christ, du péché, de la rédemption?

Quelle était, en un mot, sa dogmatique?

Cette question est aussi actuelle qu’intéressante. N’a-t-on pas dit, à plusieurs reprises, que les pasteurs du Désert étaient les pères du libéralisme protestant, et n’est-il pas utile d’examiner de près cette assertion à l’occasion de Bérenger?

Deux réflexions s’imposent à l’esprit dès l’abord. Dans les questions ecclésiastiques personne, assurément, de moins libéral que nos pères. N’eurent-ils pas l’étrange idée de rétablir les synodes et d’exercer la discipline sous le feu des persécutions?

Ils voulaient prévenir les hérésies de doctrine et de conduite, et, malgré le péril des temps, ils ne permirent pas que le faisceau des Églises protestantes, qu’ils avaient formé si péniblement, fût rompu. De plus, si, pour les idées religieuses, les ministres sous la croix avaient été les parrains du christianisme dit libéral, qui n’est guère chez ses représentants les plus avancés qu’un système impuissant de philosophie, pourrait-on leur appliquer ces belles paroles de l’Apocalypse:

«Ils ont vaincu par le sang de l’Agneau et par la parole à laquelle ils rendaient témoignage, et ils n’ont point aimé leur vie, mais ils l’ont exposée à la mort (Apocalypse, XII, 11.)?»

Non, sans doute; il est fort à croire qu’ils auraient caché leur drapeau au lieu de manifester leurs convictions. Imitateurs d’Érasme, peut-être, ils n’auraient pas été les émules des Jean de Caturce et des Louis de Berquin. Ils se seraient bornés à maudire tout bas l’affreuse intolérance, sans s’exposer à ses coups.

L’histoire prouve que les prédicateurs qui affrontent les bûchers, aussi bien que les missionnaires qui bravent les périls du ministère parmi les païens, NE PRÊCHENT QUE LA CROIX DE JÉSUS-CHRIST.

La simple philosophie fait rarement des martyrs. Antoine Court, on le sait, était un orthodoxe rigide, et quant à Paul Rabaut, Charles Coquerel résume ainsi le caractère de sa prédication:

«Beaucoup de simplicité et d’onction, plus de douceur que de véhémence, une exposition dogmatique, sans cesse soutenue de conseils moraux.»

Le même écrivain dit encore du célèbre pasteur de Nîmes

«qu’il prenait le dogme, sans y rien ajouter, dans l’esprit et dans les paroles de l’Évangile.»

Les deux cents sermons, que possède de lui la Bibliothèque du protestantisme, confirment ce jugement. Ils se font remarquer par la vigueur des exhortations, leur fidélité scripturaire et cette éloquence qui n’a rien de commun avec les procédés oratoires, mais qui jaillit d’un cœur pénétré de l’Esprit de Dieu. Ils flétrissent le péché, et convient les âmes à la repentance:


Ils présentent surtout Jésus-Christ crucifié et ressuscité

comme le Fils de Dieu et l’unique refuge des pécheurs.


Ces remarques s’appliquent aux sermons de Bérenger. S'ils ne sont pas dépourvus de tout mérite littéraire, ils brillent surtout par l’exposition des vérités chrétiennes. On ne sera pas tenté d’accuser de rationalisme le pasteur qui distingue aussi nettement entre la raison et la foi:

«La foi nous est donnée pour suppléer à l’insuffisance de la raison, pour nous conduire où la raison ne pouvait point. Ce n’est point agir contre la raison que de suivre la foi; mais c’est anéantir la foi que de vouloir la réduire au niveau de la raison. Il n’est que trop ordinaire de voir les hommes confondre ce qui passe la raison avec ce qui lui est contraire. Constamment, ce qui est contraire à la raison est une fausseté: mais traiter de fausseté ce qui passe la raison, c’est abandonner la raison même.»


Veut-on savoir maintenant ce que pense notre pasteur de l’œuvre de Jésus-Christ et de l’impuissance où nous sommes de nous sauver par nous-mêmes?

Qu’on lise l’exorde du sermon qui renferme la citation précédente:

«Jésus-Christ a été fait pour nous, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption. Il n’y a pas d’autre vraie sagesse pour nous que celle qui nous a été enseignée de Dieu. Courez après les docteurs du siècle, dévorez leurs leçons; faites plus: devancez vos maîtres; mais si elle n’est conforme à celle qui nous a été enseignée de Dieu, la sagesse des hommes n’est que folie devant Dieu.

Il n’y a point d’autre vraie justice que celle de Jésus-Christ. En vain, le juif s’attache-t-il à l’observation de la loi; tous ses efforts sont inutiles et ne sauraient le garantir de la malédiction que la loi dénonce contre les transgresseurs. En vain, a-t-il paru et paraît-il encore parmi les chrétiens un certain nombre de personnes qui se flattent de faire plus que Dieu ne nous commande, et, après avoir obtenu la justice pour eux, de l’obtenir encore pour les autres. Il est certain, il n’est que trop certain, que nous sommes tous très éloignés d'avoir rempli la tâche qui nous a été donnée et qu’il ne peut y avoir de vraie justice pour nous qu’en la personne de notre Chef. Ce n’est qu’autant que la justice de Christ nous a été imputée que nous sommes justes.

Il n’y a point pour nous d’autre vraie sanctification qu’en Jésus-Christ. En vain, emploieriez-vous les jeûnes, les macérations et les cilices; en vain, vous séquestreriez-vous du reste des hommes, tout cela est inutile. Si vous n’êtes en Jésus-Christ, vous n’êtes que des rameaux secs et stériles, sans sève et sans vigueur.

«Si vous demeurez en moi,» nous dit Jésus, «vous porterez beaucoup de fruits; mais hors moi, vous ne pouvez rien faire.» Que l’homme exalte les forces de son franc arbitre, qu’il s’efforce d’agir; mais, hélas! après avoir promis beaucoup, il ne tient plus rien: tout l’arrête, tout le surmonte, tout le fait tomber.

LA GRÂCE DE DIEU NOUS MET SEULE EN POSSESSION DE LA VRAIE LIBERTÉ. Après l’avoir obtenue, nous sommes forts et robustes. Je puis tout par Christ qui me fortifie.

II n’y a point pour nous d’autre rançon suffisante pour nous racheter que le sang de Christ.

En vain immoleriez-vous toutes les victimes possibles: le sang des taureaux, des agneaux et des boucs ne saurait ôter le péché.

En vain, vous condamneriez-vous volontairement à la peine et à la douleur, et à tout ce que votre imagination pourrait vous suggérer: toutes ces choses ne sont point la peine dénoncée par Dieu lui-même contre le péché.

La mort temporelle et la mort éternelle: voilà le prix du crime. Dès le jour que tu en mangeras, tu mourras de mort. Les gages du péché c’est la mort. Le seul sang de Christ a pu purifier nos consciences des œuvres mortes, faire notre paix avec Dieu, nous garantir de la malédiction. Le bon plaisir de Dieu a été de réconcilier toutes choses avec lui, ayant fait la paix par le sang de sa croix.

En un mot, Christ est notre tout: le seul fondement de nos espérances, la source unique de notre salut. Il n’y a point d’autre nom qui ait été donné aux hommes pour être sauvés que le sien. Il nous dit lui-même: «Je suis le chemin, la vérité et la vie; nul ne vient au Père que par moi.»


Ces citations suffisent, à elles seules, pour montrer que l’enseignement de Bérenger était conforme à celui des réformateurs et des apôtres, et tout imprégné de la sève évangélique. Nous pourrions nous y tenir.

Citons pourtant un dernier passage sur la résurrection de Jésus-Christ. On sait que, de nos jours, ce fait capital du christianisme est considéré, dans l’Église réformée, comme bien secondaire par plusieurs, quand il n’est pas ouvertement nié; et l’on se demande, avec tristesse, quels sentiments doivent agiter le cœur de certains pasteurs, le jour de Pâques, lorsqu’ils parlent aux foules, convaincues de la victoire de Jésus sur le tombeau, de celui qu’ils font reposer encore dans le jardin de Joseph d’Arimathée. Ce jour-là le pasteur du Désert n’avait pas une corvée à remplir; il rendait avec joie témoignage au divin Ressuscité. Écoutez plutôt:

«La résurrection de Jésus-Christ est comme le centre auquel viennent aboutir toutes les bénédictions spirituelles que Dieu daigne nous accorder en son Fils bien-aimé.

Notre délivrance de la puissance du démon, de l’empire de la mort et de notre corruption, notre réconciliation avec Dieu, le pardon de nos péchés, l’assistance de la grâce et le droit à la vie éternelle et bienheureuse: voilà les grands biens que Jésus nous a acquis et que le souvenir de sa résurrection ne peut que rappeler à notre esprit.

Qui pourrait donc ne pas s’unir à saint-pierre et dire avec lui: «Béni soit Dieu qui nous a donné une espérance vive par la résurrection de Jésus-Christ?»

Ce n’est pas assez de le dire, mais il le faut pratiquer, et nous ne saurions nous rappeler le souvenir de la résurrection de Jésus-Christ, sans célébrer notre délivrance, sans nous réjouir et nous égayer en Dieu qui est notre Sauveur, sans chanter et psalmodier à son nom, sans dire avec les anges:


Digne est l’Agneau de recevoir

Hommage, honneur, force, pouvoir,

Gloire, richesses et louanges.


Et, dans ce temps-ci, la charité de Dieu nous appelant à célébrer cette résurrection, par la participation à l’auguste sacrement de la sainte Cène, avec quel saint empressement ne devons-nous pas entourer sa sainte table, publier, à l’envi les uns des autres, les victoires qu’il a remportées sur le péché, sur la mort, sur le sépulcre et sur les enfers, nous entretenir des grands combats de souffrance qu’il a soutenus pour l’amour de nous et nous empresser de nous soumettre à Lui et de le suivre (Tiré d’un sermon de Pâques, sur 2 Timothée, II, 8, prêché au Désert en 1775.)


C’est le même esprit qui règne dans les autres sermons de Bérenger. On le voit, ils sont essentiellement bibliques. Soit qu’il dénonce les erreurs de l’Église romaine, soit qu’il reproche leur formalisme à ses auditeurs ou qu’il les mette en garde contre le froid déisme de Rousseau ou l’incrédulité des encyclopédistes, c'est toujours sur l’autorité des Ecritures divinement inspirées qu’il s’appuie.

Il en appelle sans cesse à la loi et au témoignage. C’est la bonne semence de l’Évangile et non l’ivraie de la sagesse humaine qu’il dépose avec confiance dans les cœurs, et, malgré les saisons contraires, elle ne devait pas rester improductive.

En 1822, un jeune évangéliste de Genève, à peine âgé de vingt-quatre ans, arrivait dans le Trièves, ce théâtre du long apostolat de Bérenger, et fixait sa résidence à Mens. Le zèle des temps anciens s’était singulièrement refroidi. Ses prédications, à la fois pleines d’onction et d’autorité, ses enseignements puisés aux sources vives de l’Écriture, son zèle vraiment apostolique eurent bientôt réveillé pasteur et troupeau, selon l’expression d’Adolphe Monod.

Les uns se réjouirent de ces doctrines qui portaient la joie et la consolation dans leurs cœurs. D’autres s’en alarmèrent et finirent par accuser le jeune prédicateur de prêcher des nouveautés.

Que fait alors Félix Neff?

Il porte en chaire la confession de foi des Églises réformées et les sermons que Bérenger avait prêchés dans la contrée cinquante ans auparavant. L’apôtre des Alpes n’avait qu’à creuser plus profondément le sillon tracé par le ministre sous la croix. Le flambeau de l’Évangile, Neff le recevait des mains de son prédécesseur, et le faisait briller d’un nouvel éclat aux yeux de ces protestants dégénérés qui avaient oublié la prédication du salut.

C’est ainsi que Dieu renoue la chaîne brisée des traditions. De génération en génération, ses témoins, ses martyrs se lèvent pour convier les pécheurs à l’humiliation et à la repentance, à la foi et à la vie chrétienne. Recueillons leurs enseignements et suivons leur exemple.


C’EST EN RESTANT FIDÈLES, COMME EUX, AU VIEIL EVANGILE DE LA CROIX

que nous nous montrerons les dignes héritiers de ces glorieux ancêtres.





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