Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L’ÉGLISE

SOUS LA CROIX

* * *

Ramener le cœur des enfants vers les pères.

(Malachie, IV, 6.)

* * *

UNE PAGE DE L’HISTOIRE RELIGIEUSE
 DES HAUTES-ALPES


I


Dans les montagnes du Dauphiné, à une altitude de quinze cents mètres environ, se trouve une haute vallée, tellement retirée et sauvage que les loups eux-mêmes ne la fréquentent point. Çà et là quelques hameaux misérables, surplombant des abîmes ou protégés à peine des avalanches par quelque rocher, abritent de rares habitants qui réalisent bien la parole du prophète Sophonie: «Je ferai habiter au milieu de toi un peuple pauvre et affligé, et il se confiera dans le nom du Seigneur (Soph. III, 12)

Cette vallée, que plus d’un lecteur sans doute a déjà nommée, est celle de Freissinières. Tous ceux qui la visitent ne se lassent pas d’en décrire l’âpre et sauvage beauté. Ils y admirent, comme s’exprime l’un d’eux:

«les cimes neigeuses du Pic Brun, les torrents qui tombent en cascades des hauteurs vertigineuses et tout ce chaos de crêtes déchiquetées, de sommets dénudés, dont l’ossature seule semble debout (Eug. Réveillaud, dans le Signal du 8 octobre 1881).»

Mais ils font aussi le plus navrant tableau des besoins matériels et des souffrances de ce pays déshérité. L’hiver y dure neuf mois; alors tout disparaît sous une couche épaisse de neige. Toute communication d’un hameau à l’autre est interceptée, et quand le printemps arrive, souvent les éboulements de pierres et les avalanches viennent raviner les sentiers qui serpentent au flanc des montagnes et mettre en danger la vie des passants. Parfois même ils forment comme un barrage devant les rivières qui grossissent et emportent, dans leur cours impétueux, les quelques prairies qui s’étagent au fond des vallées.

Les habitants sont bergers plutôt que cultivateurs. Leurs prairies sont riches en plantes aromatiques et pourraient nourrir de bonnes vaches laitières. Malheureusement le foin, coupé très tard, perd une partie de ses qualités, et les troupeaux, mal nourris pendant les longs mois d’hiver et mal soignés en tout temps, ne leur donnent pas les revenus qu’ils pourraient en attendre.

Outre le fourrage pour les bestiaux, ces pauvres montagnards récoltent encore pour eux-mêmes un peu de seigle et quelques pommes de terre. Ils font ces différentes cultures dans de petits coins de terre, suspendus en quelque sorte au flanc des rochers et préservés des éboulements au moyen de murs en pierres sèches.

Telle pièce de terre n’a qu’un mètre carré de superficie. Un seul arbre appartient quelquefois à deux propriétaires. C’est pendant les trois mois d’été qu’ils doivent faire, tout ensemble, les fenaisons, les moissons, le labourage et les semailles destinées à l’année suivante.

Ami Bost, rencontrant un jour une pauvre femme qui moissonnait, lui fit observer que son blé était encore tout vert: «Ah! dit-elle, je n’ai pas le temps d’attendre davantage.» Aussi le proverbe suivant a cours dans le pays: «Neuf mois d’hiver, trois mois d’enfer.»

On comprend ce que doivent être les intérieurs de ces pauvres gens. Ils frappent le voyageur, même prévenu, par leur aspect misérable. Voici la description que donne Bost de l’un d’eux, le plus confortable pourtant, puisqu’il avait l’honneur de recevoir les évangélistes de passage:

«Nous entrâmes par l’écurie, désormais partout la pièce principale, ou même, sauf une noire cuisine, habituellement l’unique pièce de ces cabanes. Ces écuries sont assez vastes, puisqu’elles doivent tout contenir: souvent une ou deux vaches, dix, quinze, vingt moutons, des poules; quelquefois, je crois, quelques porcs; puis habituellement une ou deux caisses à deux personnes, servant de lit; puis, pendant tout l’hiver, les gens mêmes de la maison ou leurs voisins et, enfin, plusieurs ustensiles relatifs aux travaux de la campagne.

De cette écurie, en tournant à gauche, nous entrâmes, en nous baissant, dans la cuisine. Toutes ces cuisines sont sur le même pied. Pour fenêtre, un trou d’environ un pied de haut et de large, toujours sans croisée, sauf en hiver. Auprès de la fenêtre, une table, sur laquelle on voit une planche de bois dur, munie, à l’un des bouts, d’un gros anneau en fer, auquel tient, par un crochet, un gros couteau destiné à couper leur pain d’un an...

Le manteau de la cheminée, ou ce qui ressemble à un manteau, quoique très large, est trop haut pour empêcher la fumée de se répandre dans toute la cuisine, qui est ainsi, à peu près couleur de suie. Et le bois? Hélas! qui le croirait? C’est ici presque un objet de luxe; nous sommes déjà, pour les arbres, au-dessus de la ligne de la végétation (A. Bost, Visite dans la portion des Hautes-Alpes de France qui fut le champ des travaux de Félix Neff, pages 67 et suiv. C'est pour économiser le combustible qu’on ne cuit le pain qu’une fois l’an, en septembre.).»


II


Les habitants de cette contrée inhospitalière sont originaires des Vallées vaudoises. Vers le douzième siècle, leurs ancêtres traversèrent les Alpes pour fuir la persécution, et vinrent se fixer dans le Briançonnais. Mais là encore, ils devaient rencontrer les ennemis de leur foi. Les évêques de Gap et d’Embrun excitèrent leurs soldats contre ces hérétiques obstinés, et ceux-ci, obligés d’abandonner le fond des vallées, où leurs moyens d’existence étaient moins précaires, durent se réfugier dans des solitudes inaccessibles, jusqu’au pied des glaciers, et disputer leur asile aux aigles et aux chamois. Ils s’abritaient dans les anfractuosités des rochers; mais leurs retraites sauvages ne les mirent pas toujours à l’abri des persécuteurs.

Souvent les cavernes où ils cherchaient un refuge furent baignées de leur sang. On en montre une, à l’entrée de laquelle on alluma un grand feu pour étouffer ces malheureux. Ceux qui tentèrent de s’échapper à travers les flammes furent égorgés ou précipités du haut des rochers.

C’est vers ce temps que les Alpins bâtirent le village de Dormilhouse, qui devint, sur le flanc de la montagne, comme une citadelle où ils se défendirent vaillamment, et où s’est perpétuée, jusqu’à nos jours, la race des confesseurs. On voit encore, à l’entrée de la vallée, quelques vieux pans de mur, renforcés de trois tours, qui en défendaient l’approche à leurs ennemis. Là, dans leurs retraites inaccessibles, ces pieux montagnards conservaient le bon dépôt de la foi.

Pendant les longues veillées d’hiver, ils lisaient leurs vieilles Bibles, que des cachettes pratiquées dans la terre dérobaient aux regards indiscrets, et, de temps en temps, ils recevaient la visite des barbes du Piémont, humbles missionnaires qui, au péril de leur vie et portant sur le dos la balle du marchand ambulant, venaient distribuer, jusque dans les cabanes les plus reculées, le pain de vie à leurs coreligionnaires.

Pendant la période de l’édit de Nantes, les protestants de Freissinières et ceux de la vallée d’Arvieux, moins sauvage que la précédente, jouirent en paix des bienfaits de l’Évangile. Dormilhouse, Guillestre, Vars, Arvieux, Château-Queyras, Molines, eurent leurs pasteurs. Mais, avant même la Révocation de l'édit de Nantes, le 8 mai 1684, l’exercice de la religion réformée fut interdit à Freissinières, ainsi que dans les autres vallées. Leurs habitants restèrent fidèles à l’Évangile.

C’est en vain qu’on voulut les obliger d’aller à la messe, et qu’on bâtit dans ce dessein, à Dormilhouse, une église catholique, en 1745, c’est-à-dire l’année même qui vit mourir sur la potence les deux pasteurs du Dauphiné, Louis Ranc et Jacques Roger. Ces protestants, qu’un trait de plume avait faits catholiques malgré eux, ne voulurent jamais assister aux cérémonies de l’Église romaine. Le prêtre, que l’archevêque d’Embrun leur envoya, et qui passa vingt ans au milieu d’eux, avait bien des paroissiens sur ses registres, mais non à ses prônes. Il dut prendre un domestique catholique pour servir la messe et, par un juste retour des choses d’ici-bas, l’Église où il officiait dans le désert est actuellement le temple où les habitants s’édifient tous les dimanches, tandis qu’on a transformé le presbytère, qui y était attenant, en salle d’école.

Longtemps ces pauvres Alpins, demeurés sans pasteurs, s’édifièrent entre eux, le soir, dans les étables, à la clarté vacillante de quelque lampe fumeuse. Mais, quand ils apprirent que les Églises du Désert se réorganisaient et qu’en particulier le réveil religieux se propageait dans le Bas-Dauphiné, ils voulurent à leur tour, participer aux bienfaits de l’Évangile. Ils écrivirent aux pasteurs de la province la lettre inédite suivante, que nous publions intégralement, malgré ses expressions recherchées ou fautives, en nous permettant seulement d’en corriger l’orthographe. Elle nous montre combien le sentiment religieux était vivace chez ces descendants des anciens Vaudois:

«Au commencement d’août 1774.

À Messieurs les pasteurs des Églises réformées
du Dauphiné.

Messieurs,

Permettez que la majeure partie des habitants de la communauté d’Arvieux prennent la liberté de s’adresser à vous, en qualité de ministres de la parole de Dieu. Le zèle, qui est l’unique empressement de vos soins et de vos occupations pour ramener les brebis égarées dans le bercail de Jésus-Christ, nous y engage.

Nous avons l'honneur de vous représenter, Messieurs, que, depuis l’époque de la Révocation de l’édit de Nantes jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons eu aucun conducteur pour professer notre religion. À peine avons-nous vu paraître comme un éclair la clarté de l’étoile d’Orient qu’elle a disparu à nos yeux incontinent. La joie qu’elle nous a occasionnée nous fait résoudre de courir nuit et jour pour tâcher de rattraper cette planète lumineuse.

C’est à vous, zélés pasteurs, à qui nous nous adressons pour vous supplier de produire en nous la nuée qui guida les Israélites dans la terre promise. N’oubliez pas, nous vous en prions, un pauvre peuple désolé, à qui on a mis des barrières qui les empêchent de paître dans les pâturages que l'Éternel leur avait donnés et qui, par ce moyen, sont tombés en friche.

Venez, disciples de notre divin Rédempteur, nous nourrir de la parole évangélique.

Venez aplanir les sentiers raboteux, arracher les ronces et les épines qui nous empêchent d’entrer dans les pâturages.

Ah! nous ne sommes pas dignes d’élever nos yeux au ciel pour demander nos besoins. Accordez-nous, en grâce, un peu de part dans vos prières et dans vos charitables soins, lesquels tous les soussignés, de même que ceux qui n’ont su, réclament, avec des instantes et réitérées prières de nous secourir, pour rétablir notre Église que les ennemis de notre foi ont fait tomber en ruine.

C’est la grâce que nous espérons de vos bontés pastorales, et nous ne cesserons d’adresser nos faibles prières au Tout-Puissant pour la conservation de la santé et prospérité de vous tous et de vos appartenances. Ce de quoi on vous prie d’être persuadés, de même que de nous croire, jusqu’à extinction de chaleur, avec un profond respect, vos très humbles et très obéissants serviteurs.»

Cette lettre, qui portait la signature d’une trentaine d’habitants des vallées du Queyras et de Freissinières, en particulier du hameau de Dormilhouse, parvint aux pasteurs du Désert pendant qu’ils étaient réunis en synode.


Bérenger, dont nous entretiendrons bientôt nos lecteurs, présidait l’assemblée. Homme d’un rare dévouement, il avait eu l’honneur d’être pendu deux fois en effigie. Le modérateur adjoint, Rozan dit Dunoyer, pasteur à Dieulefit, avait aussi subi deux condamnations à mort par contumace. Il exerçait le ministère depuis trente ans, avec une activité infatigable. Il bénit, dans une seule nuit, quarante mariages et baptisa quatre-vingt-dix enfants.

Le secrétaire du synode était Lombard, dit Lachaux, jeune prédicateur de talent, alors fixé à Nyons, que nous avons vu s'intéresser au sort de Paul Achard. Il était secondé, dans ses fonctions de secrétaire, par Alexandre Ranc. C’était le frère du martyr, et les protestants de la vallée de la Drôme l’appelaient notre parrain, parce qu’il les avait presque tous baptisés.

L’assemblée ne pouvait manquer d’accueillir avec bienveillance la demande des Alpins. Voici la décision qu’elle prit à leur sujet:

«Les fidèles du Queyras, de Freissinières et autres lieux, s’étant adressés à notre synode pour qu’on leur donnât un pasteur attitré, pour qu’ils fussent visités, à l’alternative, de quelques-uns d’entre nous, l’assemblée, prenant en considération leur demande, a statué, à cet égard, ce qui suit:

Que M. Champrond ira les visiter au commencement de ce mois ou au commencement du prochain, et que, pendant son absence, M. Roche (Surnom de Voulant le fils) ira faire une assemblée pour lui dans son quartier; que M. Bérenger les visitera dans le courant d’octobre prochain, et, dans le cas qu’il survînt quelque chose de pressant en Trièves, ce quartier pourra s’adresser à M. Olivier, le pasteur voisin; que M. Armand y ira dans le courant de mars 1775, ou au commencement d’avril, et plutôt si cela se peut, et qu’alors le quartier de la Drôme recourra à M. Olivier pour les cas pressants et pour y donner une ou deux assemblées.» 


Après eux, les pasteurs Dusserre (Surnom de Grangeron.), Lachaux et Vouland devaient, à leur tour, porter l’Évangile à ces coreligionnaires isolés.

Reboul, dit Champrond, qui était originaire de Saint-Etienne-en-Quint, répondant aux vues du synode, se rendit dans les hautes vallées des Alpes. Il y trouva environ cinq ou six cents familles qui gémissaient de leur abandon et qui l’accueillirent avec la plus grande joie. Mais le clergé ne voyait pas sans douleur ce réveil de la piété huguenote. Les autorités civiles avaient beau se relâcher de leurs anciennes rigueurs, il conservait le même esprit d’intolérance.

Reboul, sa tournée terminée, rentrait dans son quartier de La Motte-Chalançon. Il s’arrêta à la Maison-du-Roi, non loin du Mont-Dauphin, et, quittant les personnes qui l’accompagnaient, il voulut visiter le fort; c’est alors qu’une troupe de gens, conduite par des curés, se mit à sa poursuite. Il eut le temps de s'enfuir, mais non sans laisser entre les mains des agresseurs son cheval, que le commandant du fort lui fit rendre.

Quelques mois après, le pasteur Bérenger, de Mens, dut, à son tour, visiter les protestants de ces hautes vallées. C’était pendant le mois de décembre; il se trouvait dans le Queyras et il venait d’arriver à Saint-Véran, le village le plus élevé de l’Europe, lorsqu’il apprend que la maréchaussée de Briançon, renforcée de gardes forestiers, est à ses trousses.

Avant qu’il ait pu s’enfuir, la maison est cernée, le chef de la troupe entre et demande le pasteur. Tout le monde est consterné. Bérenger se nomme; mais, s’appuyant sur l’inviolabilité du domicile à des heures indues, il répond qu’il attendra le jour pour obéir à la sommation. L’agent de la force publique veut employer la violence et met la main sur lui. Chacun prend fait et cause pour le pasteur. Un catholique s’élance même entre lui et l’archer et fait lâcher prise à ce dernier. Bérenger est dégagé, mais il faut le sauver.

L’aubergiste souffle à l’oreille de quelques-uns d’éteindre les chandelles, dès qu’ils entendront un grand vacarme à la cuisine. Aidé des siens, il renverse, à un signal donné, toute sa vaisselle et ses vases en métal. En même temps les lampes sont éteintes; les gardes, postés au portail, accourent à la fenêtre pour voir ce qui se passe. Bérenger en profite pour s’élancer vers la porte, au milieu de l’obscurité. Il est dans la cour, dans les champs, et s’enfuit, à la faveur des ténèbres, au cœur de l’hiver. II rencontre des précipices, déchausse ses souliers et, pieds nus, il achète une seconde fois sa vie en courant sur les glaciers. Quelques jours après, il arrive à Mens, au milieu de ses amis, et montre, en pleurant, ses bas déchirés, qu’il conserva longtemps comme souvenir d’une nuit déplorable (Nous tirons ce récit, en l’abrégeant, de l’ouvrage de Bost, déjà cité. M. Arnaud ajoute que la maréchaussée arrêta l'aubergiste et deux protestants qui avaient soupé avec le pasteur et qui se nommaient Bertrand et Martin. Les deux premiers furent bientôt relaxés. Le troisième mourut des suites de sa détention à Briançon et à Grenoble.).

Ainsi les tentatives d’évangélisation, dont ces contrées inhospitalières étaient l’objet, n’aboutissaient pas. Elles soulevaient du moins de nombreuses difficultés. La persécution, assoupie ailleurs, reprenait vie dans ces montagnes. Cela ne découragea pas le troisième

pasteur, chargé par le synode d’en visiter les habitants. Moins heureux que ses devanciers, Armand fut arrêté et gardé en prison pendant quelques mois. Racontons, avec quelques détails, cet épisode peu connu des annales du Désert.


III


On garde précieusement, dans une famille de Beaumont-Ies-Valence, dans la Drôme, un vieux portrait, peint à l’huile, qui n’est pas, malheureusement, dans un état parfait de conservation. Il représente un homme aux traits fins, à la physionomie expressive, au regard intelligent. On dirait qu’il va sortir du cadre, et ouvrir la bouche pour raconter quelques scènes du passé. Cet homme, dans toute la force de l’âge, est le pasteur du Désert Daniel Armand.

Armand était né à Arnayon, près de la Motte-Chalançon, en 1745, cette année de néfaste mémoire. Ses ancêtres étaient Vaudois, de la vallée de Luserne. Il avait étudié à Lausanne et reçu l’imposition des mains en 1775.

Bien doué pour la chaire, ses débuts dans le ministère avaient été remarqués. Peu de temps après sa consécration, les Églises du Dauphiné le prêtèrent pour un an à leurs soeurs du Vivarais. Quand ce délai fut expiré, le synode de cette province lui délivra ce témoignage flatteur:

«Le synode du Dauphiné rappelant M. Armand, qu’il avait eu la bonté de nous prêter pour un an, la compagnie, pénétrée de reconnaissance pour cette faveur, lui a accordé ce congé pour ce terme expiré, et lui témoigne les vifs regrets qu’elle ressent de son départ, regrets fondés sur la manière distinguée dont il a rempli les fonctions de son ministère, dans l’exercice duquel il a manifesté des talents supérieurs, une piété exemplaire et des sentiments qui lui ont concilié l’affection de tous les membres de l’Église qu’il quitte.» 


Armand partit pour le Queyras, en mai 1775, comme l’avait décidé le synode. Prévoyant les dangers qui le menaçaient, il se faisait passer pour un maquignon du nom de Pontaix. Deux guides l’accompagnaient. Le 2, il arrive chez un de ses coreligionnaires nommé Faure, à Brunissard, hameau de la commune d’Arvieux. Dès le lendemain, il part pour Château-Queyras.

Quelques personnes, qui se disent protestantes, l’ayant rejoint, il fait route avec elles: c’étaient des espions. Dès qu’il est arrivé devant la maison du curé de Château-Queyras, il en voit sortir des soldats. «L’un,» dit M. Arnaud, «lui met la bouche de son fusil sur la poitrine, les autres le couchent en joue; puis on le fait entrer seul dans la cuisine du curé, et, après qu’on a fouillé ses poches, on lui lie les mains derrière le dos; ainsi garrotté, on le conduisit au fort Queyras

Il n’y resta pas longtemps. Le surlendemain, la maréchaussée de Briançon vint le transférer dans cette ville, chargé de chaînes comme un malfaiteur. Là, du moins, on eut quelques ménagements pour lui, et des amis purent le visiter dans sa prison.

Cependant, la nouvelle de son arrestation s’était répandue comme une traînée de poudre dans toutes les Églises réformées. Elle y inspira les plus vives appréhensions. Treize ans seulement s’étaient écoulés depuis le martyre de François Rochette.

Annexe: 1762. Martyre de François Rochette et des trois frères Grenier.

Né à Vialas, dans les hautes Cévennes, d’une famille pauvre maispieuse, Rochette, après avoir terminé ses études théologiques à Lausanne, fut appelé à desservir les Églises disséminées duMontalbanais et du Quercy. Le 3 juin 1761, il était au Synode tenu au Désert et y remplissait les fonctions de secrétaire.

Depuis vingt mois, il se dévouait à son apostolat avec un zèle qui nereculait devant aucune fatigue lorsque, pour rétablir sa santé délabrée, on lui conseilla d’aller prendre les eaux deSaint-Antonin. Une patrouille l’arrêta près de Caussade.

Trois frères de Grenier, gentilshommes verriers, originaires de Gabre,apprenant cette arrestation, résolurent de délivrer Rochette. On les saisit au moyen de chiens de boucher. Ils furent conduits avec lejeune pasteur à Cahors, puis à Montauban.

Malgré les instances de Paul Rabaut et même de Voltaire, les accusésfurent transférés, en 1762, à Toulouse. La cour, fidèle à ses anciennes traditions d’impitoyable cruauté, les condamna, Rochetteà être, pendu et les trois frères à être décapités. Partout, sur le passage du funèbre cortège, éclataient des regrets et deslarmes.

L’inexprimable sérénité du pasteur, sa physionomie pleine de douceur, de grâceet d’esprit, ses paroles remplies de confiance et de fermeté, tout intéressait pour lui. Il exhorta jusqu’à la fin ses compagnons desupplice et mourut en entonnant un verset du psaume 68: «La voici l’heureuse journée.» Les deux frères aînés offrirent ensuite leur tête à la hache.Quand ce fut le tour du troisième, le bourreau lui dit:

«Vous venez de voir périr vos frères; abjurez pour ne pas périr comme eux.»

Le jeune homme se contenta de lui répondre: «Fais ton devoir!»

Tous les assistants rentrèrent chez eux consternés, pouvant à peine sepersuader qu’il y eût dans le monde tant de courage et tant de cruauté. François Rochette fut le dernier ministre martyr.

Le parlement de Grenoble, qui s’était toujours montré si cruel, ne suivrait-il pas les traces de celui de Toulouse?

Genève, Lausanne, Nîmes, Paris se mirent en mouvement.

Le comité, qui dirigeait à Lausanne le séminaire fondé par Antoine Court et qui avait pu apprécier les mérites d’Armand, fit des démarches en vue d’obtenir son élargissement.

De Végobre, de Genève, écrivit à une dame influente; Paul Rabaut à Court de Gébelin, l’agent officieux des Églises réformées auprès du gouvernement, en même temps qu’à «un seigneur humain et généreux de Paris.»

Gal-Pomaret, de Ganges, réclama l’intervention de Voltaire; et ce grand écrivain, à qui son dévouement aux Calas et aux Sirven fait pardonner bien des fautes et qui fut l’apôtre de la tolérance en un siècle qui ne la pratiquait guère, n’épargna pas ses démarches en faveur du pasteur prisonnier. «Hé quoi!» s’écria-t-il en apprenant sa capture, «je croyais que le fanatisme allait disparaître de la France, et voilà qu’il se réfugie dans les Alpes!» Et l’infatigable vieillard s’était mis en campagne.

«Pardon, Monsieur, mille pardons,» écrivait-il, le 5 juillet 1775, au pasteur Moultou, de Genève, «je ne retrouve que dans ce moment-ci votre billet du 25 juin. Je me hâte de réparer cette méprise et ce temps perdu... Il y a longtemps que je suis l’emprisonnement du pasteur dauphinois.

M. Pomaret m’en écrivit, et, sur le champ, je suppliai Madame la marquise de Clermont-Tonnerre, gouvernante du Dauphiné, de vouloir bien interposer ses bontés et son autorité. J’ai envoyé la réponse de Mme de Tonnerre à M. Pomaret (Voltaire, Lettres inédites sur la tolérancei publiées par Ath. Coquerel fils, p. 260.)


La voici, datée de Paris, le 5 juillet 1775:

«La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, Monsieur, m’a été renvoyée de Grenoble. Je n’ai rien eu de plus pressé que d’en parler à M. de Tonnerre qui a écrit sur-le-champ, pour que l'affaire de votre protégé ne fût point portée au parlement. Il espère avoir écrit assez tôt; mais nous ne pouvons avoir encore de nouvelles. Le nommé Ponté, prédicant, a eu de grands torts. On l’a averti pendant huit mois: ce qui prouve qu’on n’avait point envie de lui faire de la peine; son zèle l’a emporté à faire des attroupements, défendus dans tout le royaume, même aux catholiques. Il a exercé publiquement sa religion; vous savez, Monsieur, qu’on ne peut exercer publiquement la religion catholique à Lausanne, à Berne et dans la Suisse. (L’assertion de la comtesse est exacte. À Genève, tout citoyen devait être protestant et les catholiques n’étaient pas admis à devenir habitants, mais l’entourage du résident de France était catholique et avait sa chapelle à la résidence. À Berne et dans ses bailliages, l’exercice du culte catholique était interdit, sauf dans deux districts, qui, au seizième siècle, s’étaient, en majorité, prononcés contre la Réforme. Beaucoup de catholiques ont habité Lausanne au dix-huitième siècle. Ils devaient traverser le lac pour célébrer leur culte en Savoie (Voir Rilliet, Histoire de l'établissement du catholicisme à Genève).

Aussi il y a une sorte de justice à ne pas exercer publiquement la protestante, après avoir été averti. C’est ce qui rendra la prison plus longue.

Voilà le compte que l’on a rendu à M. de Tonnerre. Je voudrais qu’on pût le faire paraître moins coupable et qu’il fût possible de le favoriser. M. de Tonnerre y est tout disposé, sachant que vous vous y intéressez. Donnez-moi les moyens de faire quelque chose pour vous être agréable, vous serez content de mon empressement. Vous devez l’être, Monsieur, de l’attachement que vous a voué,

Breteuil , comtesse de Clermont-Tonnerre.»


Tant de démarches ne furent pas vaines.

Les ministres de Louis XVI ne ressemblaient pas à ceux du règne précédent, et, quoique le nouveau roi eût promis à son couronnement d’exterminer l’hérésie, le clergé avait tout lieu de craindre qu’il ne se prêterait pas, comme Louis XV, à ses fantaisies sanguinaires.

Court de Gébelin obtint à Versailles l’assurance qu’il ne serait pas donné suite à cette affaire. En effet, le 26 août, Armand s’évadait sans peine de sa prison. Aussitôt, l’exempt de la ville intenta un procès au geôlier, sans doute pour sauver les apparences et donner le change au clergé.

«M. Armand,» écrivait le pasteur Lachaux à Abraham Chiron, le 30 novembre, «vient d’être avisé par le geôlier lui-même, qui pleure et se désespère, dans la crainte des suites que cette affaire aura. Je crois qu’il joue la comédie à merveille. Il a été, il est vrai, l’instrument de cette évasion, mais un instrument manié par une main étrangère et cachée. Tout ce qui a précédé, accompagné, suivi cet événement, prouve que cet événement même, tout petit qu’il est, avait été concerté à Versailles, ou tout au moins à Grenoble. Je pense donc que M. le geôlier s’annonce dans un embarras prétendu pour s’approprier réellement quelques louis. Au reste, si mes conjectures portaient à faux, il serait juste de dédommager cet homme, alors vraiment à plaindre.»


Les frais de la capture et de la libération d’Armand se montèrent à 620 livres. Le synode, tenu au Désert du 6 au 7 septembre, sous la présidence de Bérenger, décida qu'ils seraient à la charge des Églises de la province.

Les fidèles de Nyons, Vinsobres, Orange et Saint-Paul-Trois-Châteaux, devaient fournir 105 livres; ceux du Val-de-Trièves 71; et les huit quartiers restants furent imposés pour 55 livres, 10 sols chacun.

«L’assemblée espère,» ajoutait le procès-verbal, «que tous les véritables fidèles se prêteront au remboursement de ces sommes, qui ont été employées pour la cause commune, ne pensant pas qu’aucun se refuse à l’effet du présent, attendu qu’on montrerait, par un tel refus, vouloir rompre tous les liens de la foi et de la charité qui unissent les fidèles les uns aux autres (Actes du synode provincial du Dauphiné, assemblé les 6 et 7 septembre 1775.

L’un des fils d’Armand, prédicateur de talent, mourut jeune à Nîmes, en 1815. On a publié de lui deux volumes de sermons. Il fut le père du vénéré pasteur de Paris, M. I. Armand-Delille, dont la mémoire est en bénédiction.

Un autre fils du pasteur du Désert exerça longtemps le ministère à Beaumont-lès-Valence. Il eut aussi pour fils un pasteur, Émile Armand, qui mourut à Livron en 1854, victime de son dévouement pendant une épidémie de choléra. «Tant qu’il y aura un seul protestant à Livron, je resterai à mon poste, disait-il à ceux qui le pressaient de fuir la contagion. Ses derniers moments furent des plus édifiants. Il ne précéda que de deux jours dans la tombe sa femme, petite-fille du pasteur du Désert Marcel-Olivier).»

Ces appréhensions n’étaient pas fondées. C’était là une dette d’honneur que les Églises s’empressèrent d’acquitter.


IV


La Révolution française, qui détourna tant d’esprits des préoccupations religieuses, vint arrêter dans les vallées des Alpes le réveil religieux, entretenu par les visites des pasteurs du Désert.

Eux aussi subissaient plus ou moins l’influence du siècle, et leur zèle devenait moins conquérant.

Chose étonnante! la décadence religieuse coïncida avec la proclamation de la liberté de conscience. Les Alpins, laissés à eux-mêmes, tombèrent dans la plus complète indifférence. Aussi, le nombre des protestants des Hautes-Alpes ne cessa de décroître pendant les quinze années du Consulat et de l’Empire. Les prêtres romains, qui avaient seuls le droit de prosélytisme, l’exerçaient sur une vaste échelle, et bien des Vaudois français, dont les ancêtres avaient tant souffert pour leur foi, oublieux de leur origine, ne craignirent pas d’embrasser les croyances de ceux qui avaient persécuté leurs pères.

Mais Dieu, dans ses compassions miséricordieuses, allait envoyer à ces descendants des anciens martyrs un évangéliste selon son cœur. Quel homme de Dieu que Félix Neff! On a pu dire qu’il a fait, à lui seul, le travail de dix pasteurs fidèles. Ce qui est certain, c’est qu’il est le type du missionnaire infatigable, qu’aucun obstacle ne rebute, pourvu qu’il gagne des âmes à Christ.


Tout était à faire pour Félix Neff.

«Les habitants de ces tristes hameaux étaient si sauvages à mon arrivée,» écrivait-il, «qu’à la vue d’un étranger, fût-ce un paysan, ils se précipitaient dans leurs chaumières, comme des marmottes... Néanmoins, la misère de ce peuple est digne de pitié, et doit inspirer d’autant plus d’intérêt qu’elle résulte, en grande partie, de la fidélité de leurs ancêtres, refoulés par l’ardeur de la persécution dans cette affreuse gorge, où il est à peine une maison qui soit à l’abri des éboulements de neige et de rochers. Dès mon arrivée, je pris cette vallée en affection, et je ressentis un désir ardent d’être pour ce peuple un nouvel Oberlin.» 


Sa paroisse embrasse tout un département; n’importe, il visite ses paroissiens, avec un zèle infatigable, de hameau en hameau, de chaumière en chaumière, à travers quels affreux précipices! Il insiste en temps et hors de temps; il reprend, il censure, il exhorte.

Dans ses entretiens particuliers ou dans les réunions publiques, il s’efforce de mettre à la portée des plus simples les enseignements de l’Évangile. Il leur prêche, avec amour et dans un style pittoresque et familier, propre à frapper leur intelligence et à gagner leur cœur, la bonne nouvelle du salut.

Quand il a fini d’exhorter, il groupe les enfants et les adultes autour de lui; pour se reposer, il leur donne des leçons de lecture, ou bien il s'égosille, – comme s’exprimait l’un de ses élèves, – à leur apprendre à chanter. Et quand sa poitrine est en feu et que son corps, usé par ces travaux excessifs, réclamerait une nourriture substantielle, il faut qu’il se contente d’un pain noir, cuit peut-être depuis de longs mois, le seul qu’on trouve dans ces hautes vallées.

Mais ce n’est là qu’une partie de son œuvre.

Comme tout véritable missionnaire, il s’intéresse aux besoins matériels des populations qu’il évangélise; il cherche à leur donner des idées plus justes sur l’agriculture; il leur apprend à utiliser, pour l'irrigation des prairies, les filets d’eau qui se perdent sans utilité, et, s’armant lui-même de la pioche, il les oblige, par son exemple, à creuser avec lui des canaux.

Et pour accomplir tout cela, comme il sait racheter le temps! Quand on veut se faire une idée de l’activité missionnaire de Félix Neff, il faut se le représenter, non pas assis dans une étable, enseignant à ses chers montagnards, groupés autour de lui, la voie du salut; mais seul, dans ses courses d’évangélisation, dans ce voyage, par exemple, qu’il entreprend, un jour, de Saint-Laurent à Dormilhouse, en passant par le col d’Orcières.

La neige tombe à flocons serrés. L’étroit sentier devient de plus en plus impraticable et dangereux. Bientôt un orage éclate. La grêle se mêle à la neige, les éclairs déchirent les nues. L’ardent évangéliste ne connaît pas le danger, il va toujours devant lui. Il aurait pu, en faisant un grand détour, arriver sans trop de fatigue et de péril à Dormilhouse, mais le lundi seulement. Or, demain c’est dimanche; il y sera demain, et il pourra édifier dans le temple ses chers paroissiens, aussi ravis de l’entendre qu’étonnés de le voir.

Et tandis qu’il marche ainsi par une horrible tempête et longeant d’affreux précipices, il chante, à plein gosier, le cantique de l’action de grâces:


Grand Dieu, nous te bénissons;

Nous célébrons tes louanges...


Tant de zèle, tant d’héroïsme chrétien devait porter ses fruits. Bientôt, sous l’action vivifiante du Saint-Esprit, les os secs reprennent vie, et c’est pendant la semaine sainte de 1825 qu’éclate ce magnifique réveil, que Félix Neff, le cœur débordant de reconnaissance, raconte en ces termes:

«Avant, après et entre les services publics, on voyait tous les jeunes gens, réunis en divers groupes auprès des blocs de granit dont le pays est couvert, s’édifiant les uns les autres. Ici, on lisait le Miel découlant du rocher; là, le Voyage du Chrétien; plus loin Susette Baridon, entourée de jeunes filles, leur parlait de l’amour du Sauveur, tandis que le sévère François Berthalon représentait aux jeunes hommes toute l’horreur du péché et la nécessité de la repentance. Dans ces petites réunions, les larmes coulaient comme au temple, et l’on y observait le même recueillement.

«Frappé, étonné de ce réveil subit, j’avais peine à me reconnaître. Les rochers, les cascades, les glaces même, tout me semblait animé et m’offrait un aspect moins sévère. Ce pays sauvage me devenait agréable et cher, dès qu’il était la demeure de mes frères.»


Hélas! le jeune missionnaire ne devait pas cultiver longtemps un champ qui produisait déjà une si belle moisson. Il dut bientôt, contraint par la maladie, redescendre de ses chères montagnes et chercher à rétablir, soit à Plombières, soit à Genève, une santé irrémédiablement compromise.

Ses enfants spirituels ne l’oubliaient pas; ils assiégeaient en sa faveur le trône des miséricordes. Ils voulurent lui exprimer, dans une lettre collective, leur profonde reconnaissance pour le bien qu’il leur avait fait.

Cinquante ans auparavant, leurs pères avaient fait entendre aux pasteurs du Désert le cri du Macédonien: Montez vers nous et venez nous secourir! Pour eux, c’est une parole d’amour et de reconnaissance qu’ils feront parvenir à leur pasteur chéri qui s’est dépensé pour leurs âmes. Avec quelle émotion le prédicateur mourant ne dut-il pas lire la lettre suivante, signée de vingt-huit habitants de Dormilhouse, et qu’avait rédigée le plus lettré de tous:

«... En lisant votre billet, où vous nous dites de nous souvenir de ce beau temps, de cette bonne et belle semaine sainte de 1825, j’entendais beaucoup de voix dire: «Il en vaut bien la peine de s’en souvenir de ce beau temps, de ce beau vendredi saint où Dieu s’était approché de plus près de nous!» Oh! que ce jour fut heureux et bon pour quelques-uns, ce jour saint où la rosée d’en haut tomba sur la divine semence que vous aviez semée depuis longtemps! Les joues de plusieurs étaient couvertes de larmes, pensant et sachant que vous aviez donné votre vie pour nous cultiver et que, peut-être, comme il y a toute apparence, nous ne reverrions plus votre aimable personne, notre cher Jean-Baptiste...

Oh! puissions-nous faire tout ce qui dépend de nous afin de réjouir le cœur de notre bon Sauveur et le vôtre, et que nous fleurissions votre couronne... Oh! oui, c’est moi, avec tous mes amis de Dormilhouse, qui avons été la cause de votre longue maladie! Si nous avions été plus prompts à croire en Dieu, vous n’auriez pas eu besoin de vous fatiguer tant dans les neiges, ni épuiser votre poitrine. Mais nous étions si aveugles et si endurcis dans nos vieilles habitudes!... Oh! pour nous faire comprendre quelque chose concernant notre salut, vous avez épuisé toutes les forces de votre corps, et vous vous êtes oublié vous-même comme notre doux Sauveur.

Que le Seigneur vous bénisse et vous donne la patience dans ces longs moments d’épreuve! Que le Seigneur vous comble de mille bénédictions d’en haut et vous récompense de tant de peines que vous avez prises pour nous!...

Nous finissons en nous recommandant à vos prières; nous, quoique faibles, nous ne vous oublions pas dans les nôtres. Toutes les familles, sans exception, depuis la cime de Roumas jusqu’au pied des Inflous, vous saluent, et vous verrez le nom de quelques-uns sur cette lettre.»

C’est ainsi que, selon un bel emblème des Vaudois du Piémont, le lis a toujours pu croître au milieu des épines.

C’est ainsi que Dieu ne s’est jamais laissé sans témoignage, au milieu de ces pauvres Alpins, en leur faisant du bien. Après les barbes, les disciples de Guillaume Farel; après les pasteurs du dix-septième siècle, les prédicateurs du Désert; après les ministres sous la croix, Félix Neff.

Et de nos jours encore, il se trouve, dans ces vallées inhospitalières, des hommes dévoués, heureux d’annoncer l’Évangile aux fils des martyrs. Que Dieu bénisse leurs efforts, et que Dormilhouse devienne encore, comme il y a cinquante ans, cette ville située sur la montagne et qui ne peut être cachée (Depuis que ces lignes sont écrites, quelques familles de Dormilhouse, chassées par la rigueur du climat, sont allées s’établir aux Trois-Marabouts, en Algérie. Nous appelons toutes les bénédictions du Seigneur sur cette colonie.)!


 


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