Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L’ÉGLISE

SOUS LA CROIX

* * *

Ramener le cœur des enfants vers les pères.

(Malachie, IV, 6.)

* * *

LE PORTEFEUILLE D’UN PASTEURDU DÉSERT

I


Qui connaît Pierre Peirot, l’un des pasteurs les plus remarquables des Églises réformées au dix-huitième siècle?

Peu de personnes assurément.

Nos historiens protestants, les frères Haag, Charles Coquerel, M. Edmond Hugues, citent bien son nom, mais en passant, sans nous donner sur lui des renseignements suffisants, et ce qu’ils nous disent de ses mérites ne fait qu’éveiller notre curiosité, bien loin de la satisfaire. Et pourtant, Pierre Peirot fut élu secrétaire du synode national de 1744, dont il avait efficacement travaillé à préparer la réunion.

Il présida les délibérations de ceux de 1748 et de 1756, et fut encore le modérateur adjoint du dernier synode national, tenu au Désert en 1763. Il fallait donc qu’il jouît d’une grande réputation auprès de ses collègues pour qu’ils lui confiassent ainsi, à plusieurs reprises, les fonctions les plus honorables et les plus difficiles; et son nom mérite d’être sauvé de l’oubli.

Or, il nous est facile de satisfaire la curiosité du lecteur à son égard. Une descendante du ministre sous la croix, Mme Chalamet, de Valence, veuve d’un sympathique préfet de l’Ardèche, a bien voulu nous confier ce que nous appellerions volontiers le portefeuille de son aïeul. Il est volumineux et renferme de précieux documents.

À côté d'un grand nombre de lettres et de pièces relatives aux affaires du temps, et qui éclairent, en particulier, d’un nouveau jour, la tragique existence d’un collègue et d’un ami de Peirot, le jeune pasteur Desubas, on y trouve une collection de soixante-deux sermons qui ne sont pas sans mérite, au double point de vue du fond et de la forme; puis viennent des fragments du journal du pasteur et des pensées détachées sur divers points de théologie et de morale.

Nous avons parcouru ces pièces avec une vive curiosité. Elles nous transportent un siècle et demi en arrière, au milieu de l'âge héroïque de notre Église, et nous font vivre dans l’intimité d’un homme de foi et d’intelligence qui, à travers mille obstacles, sut travailler avec succès, par la plume et par la parole, au relèvement de la Sion protestante.

Le plaisir que nous, a procuré cette lecture, nous voudrions le faire partager à nos lecteurs. Qu’ils ne s’attendent pas à une biographie détaillée. Nous n’ambitionnons que le rôle modeste de porte-voix. Mais avant de céder la parole à notre pasteur, il faut bien raconter en quelques mots son histoire.


I


Pierre Peirot naquit, vers 1712, dans la paroisse de Champ-Clause, en Velay. Il appartenait à cette forte race montagnarde, si accessible de nos jours à la prédication de l’Évangile, et qui a fourni plus d’un pasteur fidèle aux Églises du Désert.

De bonne heure il sentit s’éveiller en lui la vocation du martyre, et il se lia d’étroite amitié avec Pierre Durand, l’apôtre du Vivarais, qui le fit bientôt recevoir au nombre des prédicateurs de la province.

Un des sermons de notre collection fut prononcé en septembre 1733. Trois ans après, le jeune proposant obtint d’un synode l’autorisation d’aller perfectionner ses études à Lausanne. Il passa trois ans au séminaire de cette ville, de juillet 1736 à juillet 1739, époque de sa consécration, au synode des Boutières. Le certificat, qui lui fut délivré l’année suivante par ses professeurs, va nous dire avec quel sérieux il avait poursuivi ses études et s’était préparé aux redoutables fonctions du ministère évangélique:

«M. Pierre Peirot, natif de la paroisse de Champ-Clause, en Velay, s’étant adressé à nous pour avoir un témoignage des pasteurs et professeurs de l’académie de Lausanne, touchant sa conduite et ses études,... nous le lui avons accordé avec d’autant plus de plaisir que nous n’avons et ne savons rien que de bon et de louable à dire sur son compte. Dès son arrivée à Lausanne, en juillet 1736, il s'est appliqué, avec toute l’assiduité dont il était capable, à toutes les études qui lui étaient nécessaires pour exercer dignement, un jour, le saint ministère de l’Évangile; et il a toujours fait paraître, dans toute sa conduite, des moeurs très réglées, une piété sans fard, un grand amour pour la vérité et la charité et beaucoup de zèle pour notre sainte religion. Ce qui, joint aux preuves réitérées qu’il nous a données de ses lumières naturelles et de ses connaissances acquises, nous a fait juger qu’il pouvait être un fidèle ministre de Jésus-Christ.

En conséquence de quoi, après avoir obtenu l’autorisation de nos supérieurs, il a reçu l’imposition des mains pour ce saint emploi, le 27 juillet de l’année dernière 1739. Et nous ne doutons pas qu’aidé du secours de Dieu, que nous implorons pour lui de tout notre cœur, il n’en remplisse les fonctions avec fruit et édification, partout où il sera appelé.»


Le jeune pasteur ne démentit pas ces belles espérances.

Rentré dans le Vivarais, il s’y consacra, avec un grand zèle, au bien de ses coreligionnaires et se mit à parcourir en tout sens la province, en faisant l’œuvre d’un évangéliste.

«Depuis que je suis arrivé dans ce pays,» écrivait-il à Court (Lettre du 11 mai 1741), «j’ai été dans tous les endroits où il y a des gens de notre religion. Je me suis informé de leur état et de leurs vues. J’en ai trouvé quelques-uns dont la conduite et les sentiments m’ont beaucoup édifié. Ils ont plusieurs bons livres instructifs et pieux qu’ils lisent en famille, les jours de dimanche. Ils se donnent des soins pour apprendre la religion à leurs enfants et pour les former à la vertu...»

Mais ce n’est là que l’exception. Ailleurs la persécution et le manque de pasteurs ont eu des résultats déplorables que le correspondant de Court lui signale avec tristesse:

«J’ai remarqué, en plusieurs, beaucoup de froideur et d’indifférence pour ce qui regarde leur salut, une profonde ignorance, plus d’amour pour leur pays que pour leur religion. J’en ai trouvé, de l’âge de trente ans, à qui j’ai raconté l’histoire de la vie et de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui m’ont avoué ingénument que jamais ils n’avaient entendu parler de ces choses. Ils avaient de la peine à se persuader que Dieu eût tout fait pour le salut des hommes.

S’ils ont quelque connaissance, elle ne roule, pour l’ordinaire, que sur les controverses que nous avons avec l’Église romaine ou sur d’autres matières encore moins intéressantes par rapport à eux.»


Peirot se mit résolument à l’œuvre pour dissiper tant d’ignorance et de préjugés. Il fut efficacement secondé dans son ministère par sa fidèle compagne, née de Lorme, qui habitait une propriété de ce nom, dans la paroisse de Silhac, près de Vernoux. Elle était aguerrie aux persécutions et avait dû, pour crime d’assemblée, passer quelque temps derrière les épaisses murailles de la tour de Constance. Elle fut une aide précieuse pour son mari, dont elle excitait le zèle, bien loin de le refroidir.

Nous ne raconterons pas en détail la longue carrière du pasteur vivarois. Il devint bientôt non seulement l’âme des Églises de sa province, mais encore un des pasteurs les plus influents du royaume.

Les ennemis de l’Évangile le savaient bien. Ils redoutaient fort son influence et mettaient tout en œuvre pour le perdre. Un espion, dans une liste qu’il dressa, vers 1750, des pasteurs du Languedoc, nous donne le signalement de cet homme dangereux:

«Le nommé Peirot, prédicant, ou du Perrault, taille de cinq pieds, deux pouces et demi environ, âgé d’environ trente ans, a le département du Vivarais et du Velay.»

La maréchaussée le rechercha longtemps et ne put mettre la main sur lui. Plus heureux que Durand, que Desubas, que tant d’autres, s’il vit plusieurs fois la mort de près, il put du moins éviter la potence et, jusqu’en 1771 , époque où ses forces épuisées l’obligèrent à prendre du repos, il fit face aux devoirs multiples de son ministère avec une infatigable activité.

Pendant près de quarante ans, il préside des assemblées religieuses, convoque des synodes, correspond avec ses collègues ou les amis des pays étrangers, écrit des lettres pastorales aux temporiseurs qu’effraie la persécution ou aux galériens pour la foi, et s’interpose comme arbitre des différends qui surgissent au sein des Églises.

Quand la persécution se ralentit, comme son cœur s’ouvre à l’espérance! Quelle joie profonde éclate dans ces lignes écrites, le 9 décembre 1743, à l’étudiant Blachon, de Lausanne:

«Béni soit Dieu! nos Églises sont beaucoup plus tranquilles qu’elles n’aient été depuis longtemps. On paye des amendes, en certains endroits, mais peu. On ne prend aucune fille pour les couvents. Ceux que nous avons mariés sont en repos. L’évêque de Viviers écrivait ceci, vers le printemps, à un curé de son diocèse: «J’ai souvent parlé au roi touchant les mariages bénis à la lune sans avoir pu rien obtenir contre eux, et présentement le roi n’en veut pas même entendre parler.»

La plupart des catholiques sont alarmés et disent que, dans peu, on verra nos temples rebâtis, la persécution cesser, chacun servir Dieu selon les mouvements de sa conscience.

Quels vœux, mon cher ami, ne devons-nous pas faire! Quelles prières ne devons-nous pas adresser au Tout-Puissant pour qu’il lui plaise de nous faire voir cet heureux temps! Quel sujet n’aurions-nous pas de nous écrier alors: «C’est ici la journée de l’Éternel. La droite de l’Éternel a fait vertu!» Jusqu’à présent, j’avais toujours été dans le doute, toujours craint de ne voir jamais des événements si intéressants et si agréables. Aujourd’hui je change de sentiments, je suis tout rempli de ces flatteuses espérances.» 


Hélas! ces espérances étaient prématurées.

La persécution n’était qu’assoupie, grâce à la guerre de la succession d’Autriche, qui réclamait toute l’attention de la cour. Elle se réveilla plus violente que jamais après la victoire de Fontenoy, et bientôt l’arrestation de Desubas vint jeter le deuil et l’épouvante dans le Vivarais. C’est alors que Peirot se dépense, qu’il se met en campagne pour sauver son ami, – ou du moins, –, car les intendants ne relâchaient guère des prisonniers de cette importance, – pour prévenir les funestes conséquences qu’une tentative d’enlèvement aurait eues pour les Églises.

Il dissipe les attroupements armés qui veulent arracher Desubas aux mains de ses ennemis; il écrit aux officiers de l’escorte, à La Devèze, le commandant de la province, pour plaider la cause des protestants; et quand le jeune confesseur a donné joyeusement sa vie pour son Maître, Peirot, veillant encore sur sa chère mémoire, demande que le souvenir de sa constance soit conservé pour servir d’exemple aux générations futures. N’est-ce pas à Desubas, entre autres, qu’il pensait lorsqu’il écrivait à Court, quelques années après:

«Ce qui serait surtout fort édifiant pour tous les bons fidèles, ce serait de leur apprendre comment la plupart de ces zélés ministres, qui ont travaillé au bien des Églises, ont courageusement souffert pour la défense de la vérité et terminé leur pénible carrière, en signant de leur sang l’Évangile qu’ils avaient prêché?»

Tel est ce chrétien, qu’on ne peut s’empêcher d’aimer, dès qu’on apprend à le connaître; mais il est temps d’ouvrir son portefeuille et de voir les révélations intéressantes qu’il renferme.


II


On trouve dans le portefeuille de Peirot des fragments de son journal. Le journal d’un pasteur du Désert! À ces mots, plus d’un lecteur s’est mis, sans doute, à rêver d’assemblées surprises, de prédicateurs poursuivis, de cachettes obscures qui les mettent à couvert de la maréchaussée. Il est possible que si nous étions, de nos jours, exposés aux mêmes traverses, nous consignerions, avec un soin jaloux, dans nos tablettes, les moindres dangers que nous ferait courir la profession de la foi et que nous les raconterions avec une prolixe complaisance.

La recherche de l’effet, la mise en scène, le besoin de nous produire, comme nous tombons volontiers dans ces travers! Nos pères du siècle dernier ne les connaissent pas. On peut s'en convaincre par le journal de Paul Rabaut, qu’a publié le Bulletin du protestantisme. Il parle bien des dangers qu’il a courus, mais en quels termes! Écoutez plutôt:

«Le 15 du mois de novembre, je convoquai une assemblée au puits de Saumade, par-dessus la métairie de Granon, à une lieue de Nîmes, qu’il ne fut pas possible de finir, parce qu’un détachement vint à quelque distance de là. Il fallut donc prendre la fuite.»

Et c’est tout: pas de détails émouvants, pas de phrases!

De même, quand il parle de l’arrestation et du martyre de ses collègues. Voici, consignée sans réflexions, sans qu’il donne cours à sa douleur, la mort d’un de ses compagnons d’œuvre, qu’il aimait bien pourtant, Étienne Teissier:

«Les troupes du Languedoc, ayant fait une recherche générale dans le Bas-Languedoc et dans les Cévennes, le 4 août 1754, M. Teissier, surnommé Lafage, ministre des Basses-Cévennes, eut le malheur d’être arrêté, et il fut exécuté à Montpellier, le 17 du même mois.»

Ces notes, comme on le voit, n’ont rien de dramatique; mais leur laconisme même n’est-il pas éloquent? Mieux que beaucoup de paroles, ne fait-il pas ressortir le caractère indomptable et la foi sereine de ces hommes de Dieu?


Le journal de Peirot ne ressemble en rien à celui du pasteur de Nîmes. C’est plutôt un recueil de réflexions, de «pensées diverses,» comme il le dit lui-même, que le résumé des événements de sa vie. Le pasteur du Vivarais s’y révèle à nous comme un homme qui aime à rentrer en lui-même et à se rendre compte de ses impressions. Deux motifs l’ont porté à l’écrire, et il prend soin de nous les indiquer dans les préliminaires de ses Pensées:

«On laisse toujours, lorsqu’on écrit, échapper quelque trait qui nous dépeint, quand même nous ne le voudrions pas... Une idée qui n’existe que dans notre imagination nous échappe aisément, au lieu que, si on lui donne de la figure et un corps, elle devient plus sensible et plus propre à fixer notre attention. Enfin, rien ne me persuade mieux de la nécessité d’écrire de la façon que je l’ai dit, que lorsque je pense sur le passé.

Quel plaisir n’aurais-je pas, aujourd’hui, de trouver une espèce de journal de ce que je faisais, de ce que je pensais, des vues que j’avais, des motifs qui me faisaient agir, il y a dix, il y a vingt ans!

Quelle satisfaction n’aurais-je pas, si je pouvais lire ce que j’avais entendu dire à un parent, dont je regretterai toujours la perte et dont le souvenir me fait arroser ce papier de mes larmes!

Quelle satisfaction n’aurais-je pas, si j’avais eu la précaution d’écrire ce que j’entendais prononcer, ou en public ou en particulier, aux grands maîtres dans les sciences qui rendent l’homme de Dieu accompli!»

Ces derniers mots font sans doute allusion aux professeurs de Lausanne et à ses années d’étude; mais quel est ce parent dont le départ prématuré lui arrache ce cri touchant:

«Pourquoi, ô mort, m’as-tu privé de ce cher parent qui devait courir avec moi la même carrière? ou pourquoi ne m’as-tu pas couché avec lui dans le même tombeau?»


Nous avons lieu de croire qu’il s’agit de son cousin Morel, dit Duvernet, un jeune pasteur d’un zèle infatigable et d’un courage à toute épreuve. C’est encore un de ces morts inconnus qu’il faut inscrire sur le livre d’or du martyrologe protestant.

Voici des détails navrants sur sa fin, tels que nous les recueillons dans une lettre inédite du temps:

«Il y a trois semaines, deux paysans arrêtèrent un homme à Lamastre, dans la maison de la Péronne, que l’on nomme Duvernet et qu’on dit être ministre, avec un jeune garçon qui s’est dit son neveu et une autre personne. Ces paysans, après les avoir tous trois attachés, les conduisirent dans l’hospice des jésuites, à Machevillié, et le lendemain à Tournon. Ils voulurent se rafraîchir à Colombier-le-Jeune où ils se soûlèrent; et, pendant ce temps, ledit M. Duvernet trouva un couteau, duquel il coupa la corde qui le tenait attaché, avec un nommé Ducros, huissier. Il n’eut pas fait six pas que ces paysans, commandés par M. Durbillac, lui tirèrent trois coups: un à la tête, l’autre à l’épaule et un aux reins. Il ne resta pas sur le coup; il eut encore le temps de pardonner à ses ennemis et de recommander son âme à Dieu. Dès qu’il eut expiré, on le conduisit à Tournon, avec les deux autres et l’huissier. On les a mis tous trois dans les prisons de Beauregard. On ne sait point encore ce qui en sera...

Le défunt a été enseveli au pied d’une croix, au bord du Rhône, avec un chien qui lui servait de chevet; et ils dirent qu’il aurait de quoi manger et boire. Et depuis, on a pensé arrêter deux jeunes hommes que l’on dit être étudiants. Personne n’est en sûreté dans ce pays. Il ne faut que vouloir mal à une personne et la tuer, puis dire: C’est un ministre.»

Ces derniers mots en disent long sur les souffrances de nos pères et les dangers que couraient les pasteurs.

Aussi comme ils soupirent après la tolérance religieuse! On ne lira pas sans intérêt les réflexions que ce sujet inspire à Peirot. Elles sont datées du 8 avril 1751 et portent ce titre: Sur l'État présent de l'Église:

«Pourquoi désiré-je avec tant d’ardeur la tranquillité des Églises de ce royaume? Est-ce uniquement par un principe de zèle pour la gloire de Dieu? Je le crois; mais ne me fais-je pas illusion? Mon propre intérêt ne peut-il pas y entrer pour quelque chose? Il se peut fort bien qu’il y entre pour sa part. 11 ne me manque pourtant pas de raisons, indépendamment de mon intérêt, pour me faire souhaiter la délivrance des Églises de ce pays.

1° Persuadé, comme je le suis, de la vérité de la religion que je professe, je désire de toute mon âme, comme c’est mon devoir, qu’elle fasse des progrès, afin que Dieu soit servi selon qu’il l’a commandé et que chacun puisse faire son salut. Ce désir n’est pas borné à ce pays. Il s’étend à tous les pays du monde. On doit souhaiter que le règne de Christ s’établisse par toute la terre.

2° Mais, outre cette raison, j’en ai qui me font plus particulièrement souhaiter un changement en mieux pour ces Églises: l’état triste où sont tant de personnes qui sont persuadées de la vérité de la religion protestante et qui, cependant, en gémissant, dissimulent leurs sentiments. Qu’il serait à souhaiter que ces personnes-là pussent servir Dieu selon le mouvement de leurs consciences!

3° L’ignorance dans laquelle la plupart sont, où ils seront toujours, tandis que l’exercice de la religion qu’ils professent ne sera pas toléré dans le pays, doit faire soupirer toute personne pieuse après quelque heureux changement.

4° Les cruautés qu’on exerce contre tant de fidèles doivent avoir bien de force pour émouvoir une âme chrétienne, pour lui faire désirer que Dieu change le coeur du roi et de son conseil en faveur des protestants. Peut-on voir tant de chrétiens enfermés dans des couvents, dans des prisons, chargés de chaînes, exilés de leur patrie, réduits à la mendicité, sans être attendri et sans désirer que Dieu écoute le cri et les gémissements de ses enfants?

Il ne manque pas, d’ailleurs, de considérations qui me font faire le même souhait. Le désir de me voir tranquille dans ma patrie, sans être continuellement exposé à mille fatigues et à des dangers très grands, ni sans me voir contraint à aller chercher un asile dans les pays étrangers, ce désir, dis-je, ne peut qu’avoir beaucoup de force sur mon esprit. Et c’est ainsi que l’amour-propre se glisse dans nos souhaits les plus saints.

Cependant, comme ce désir n’a rien de mauvais, et qu’il est soutenu de tant d’autres considérations, je ne cesserai jamais de faire des vœux en faveur de Sion et de faire de son rétablissement le sujet de ma joie.

Cependant je me soumettrai humblement aux ordres de la divine Providence. Je supporterai, aussi patiemment que je pourrai, les afflictions auxquelles elle jugera bon de m’appeler. Je considérerai que, quoique l’Église soit persécutée, elle n’est pas pour cela abandonnée; que Dieu sait mieux ce qui nous convient que nous-mêmes et que, lorsqu’il le jugera à propos, il trouvera des moyens pour faire cesser nos maux.»


Nous serions surpris si ces réflexions ne paraissaient pas au lecteur pleines de modération, de sagesse et de piété. Celles qui suivent présentent le même caractère et le même intérêt. Après nous avoir dit ce qu’il pense des persécutions, Peirot va nous donner son sentiment sur le catholicisme:

«Du 29 septembre 1751.

Lorsque je lis les ouvrages de certains docteurs de l’Église romaine, qui traitent des matières de philosophie ou quelques sujets de morale sur lesquels nous pensons à peu près comme eux, je m’imagine que ces auteurs ne sont pas aussi éloignés de nos sentiments que nous le croyons ordinairement. Ce sont des hommes, me dis-je, de la même nature que nous; leur esprit, fait comme le nôtre, doit voir les objets de la même manière que nous les voyons; les règles dont ils se servent pour découvrir la vérité sont les mêmes que celles que nous suivons; les principes généraux sur lesquels ils s’appuient, et dont ils tirent leurs conséquences, nous sont également communs à tous.

De là je me figure que la créance de l’Église romaine n’est peut-être pas aussi mauvaise qu’on le pense et que nous pourrions être trop prévenus contre cette communion. Mais mes sentiments changent bientôt lorsque je considère le culte qu’on y rend à Dieu ou plutôt aux saints, l’ignorance dans laquelle on laisse gémir le peuple, les mauvais principes dont on timbu (sic), les contes ridicules qu’on lui fait croire comme autant d’articles de foi et les superstitions grossières dans lesquelles on le nourrit, sans lui parler jamais de la Parole de Dieu, qui doit être la véritable règle de la conduite de tous les chrétiens.

En dernier lieu, étant dans mon endroit natal, j’ai été pénétré de douleur, mon esprit s’en aigrissait, de voir les sentiments extravagants dans lesquels les curés entretenaient le pauvre peuple. Pour se faire considérer, ils lui font croire qu’ils ont le pouvoir de défendre leurs paroisses contre la grêle. Là-dessus, ils se vêtent de leurs habits sacerdotaux, comme s’ils avaient la vertu de conduire les nues. Ce que j’ai entendu dire, touchant les chenilles qui broutent les blés, les apparitions des morts, les prétendus miracles du Père Régis, de Lalouvesc, n’est pas moins ridicule ni moins impie. On ne saurait penser à de telles extravagances, sans bénir le Seigneur de ce qu’il nous a délivrés des superstitions où nos pères étaient plongés

Ces lignes, écrites depuis un siècle, sont encore aujourd’hui d’une frappante actualité.


Rien n’est changé dans le sombre tableau qu’elles nous tracent des superstitions romaines. Chaque année, de nombreux pèlerins gravissent encore la montagne de Lalouvesc, dans l’Ardèche. De nouveaux sanctuaires, encore plus renommés, sont venus fournir un aliment de plus à la superstition populaire.

Oui, bénissons Dieu qui nous a fait sortir de ces ténèbres. Faisons plus encore: fils des persécutés, vengeons-nous en amenant à la connaissance du pur Évangile les enfants des persécuteurs.


III


Le portefeuille de Peirot contient, avons-nous dit, soixante-deux sermons: chiffre imposant qui nous permet de nous faire une assez juste idée de ses aptitudes pour la chaire. Elles étaient considérables.

Avec un fonds biblique excellent, une forme sévère et correcte, le pasteur du Vivarais devait exercer une réelle influence sur ses auditeurs, à supposer, ce que nous ignorons, qu’il possédât les qualités physiques nécessaires à l’orateur. Ces vieux cahiers, jaunis par le temps, exhalent un parfum d’austère piété qui fait du bien.

C’est la folie de la croix que prêche l’apôtre du Désert, et il trouve parfois des accents pénétrants pour graver la vérité chrétienne dans les cœurs. Il a pris soin lui-même de formuler sa théorie de la prédication dans une page intéressante qui porte ce titre assez inexact: Sentiments de Peirot sur la discipline.

C’est comme un petit cours d’homilétique à l’usage des proposants du Désert, mais qui renferme plus d’un conseil dont les prédicateurs de nos jours pourraient faire leur profit:

«On doit ordonner aux ministres, dit Peirot, d’éviter de prêcher sur les controverses que nous avons avec l'Église romaine. Si quelquefois ils y sont obligés, ils doivent le faire avec beaucoup de circonspection, éviter soigneusement tous les termes qui peuvent offenser, comme ceux de papistes, d'infidèles, d'idolâtres, d'ennemis, de barbares. On doit aussi leur représenter qu’il n’est pas nécessaire de faire entrer dans tous les sermons quelques traits des persécutions auxquelles nous avons été exposés. De tels prêches ne peuvent servir qu’à irriter nos supérieurs et à inspirer à nos protestants une haine contre les catholiques, qui n’est déjà que trop grande.

Qu’on prêche les vérités capitales que plusieurs ignorent et la morale chrétienne sur laquelle il n’y a pas de dispute, mais qu’on ne pratique pas.

Il serait fort à souhaiter qu’on apprît à plusieurs ce que c’est que bien prêcher. Ce n’est pas, comme quelques-uns se l’imaginent, débiter quelque sentence, quelque maxime, rapporter quelque trait d’histoire souvent sans discernement, encore moins affecter de se servir de certains termes qui ne sont pas entendus de la dixième partie de l’auditoire.

Qu’il serait à souhaiter qu’on lût et qu’on relût les Ostervald, les Werenfels, les Galatin, les Roques, les Tillotson et plusieurs excellents sermons anglais, et qu’on se réglât là-dessus! Je crains extrêmement que l’ignorance, le manque de bon goût de plusieurs ministres et le désir qu’ils ont de briller, ne les porte à faire des sermons peu édifiants, je dis même ridicules.

Les meilleurs prédicateurs du royaume feraient donc bien d’être les premiers, pour donner l’exemple aux autres, à s’étudier à composer des sermons d’un style simple, évitant cependant tout ce qui est bas et rampant. De tels sermons ne produiraient-il pas de meilleurs effets que ceux qui marquent quelque savoir, quelque esprit, mais point de solidité, point de jugement?

Quelques-uns de ceux que j’ai entendus auraient aussi bien besoin de se corriger sur la manière de réciter, de gesticuler, qui tient plutôt du mauvais charlatan que de la gravité du bon pasteur.»


Voilà la théorie: voyons maintenant comment le prédicateur s’y conforme dans la pratique. Prenons le sermon le plus ancien de notre collection: il est du mois de septembre 1733. Peirot n’est encore qu’un jeune proposant de vingt et un ans environ. C’est avec beaucoup de soin, beaucoup d’amour, faut-il dire, et de sa plus belle plume, qu’il a rédigé ce premier essai de prédication. Son écriture sera moins soignée dans les autres manuscrits et ses compositions moins longues, preuve certaine que nous avons affaire à un débutant; or c’est un début plein de promesses. Le prédicateur a pris pour texte le verset 7/ 8 du psaume IV:

«Tu as mis plus de joie dans mon cœur qu'ils n'en ont, lorsque leur froment et leur meilleur vin abondent.»

Voici comment il développe son sujet:

«Quand les fidèles seraient encore plus souvent persécutés par les méchants qu’ils ne le sont, cela ne renverserait pas nos preuves; car nous n'avons pas dit que les méchants fussent toujours soumis aux bons, mais nous avons dit que, quoique les gens de bien soient quelquefois affligés, ils sont encore plus heureux que les méchants au milieu de leurs victoires et de leurs triomphes.

Caïn persécute Abel, il est vrai; mais en est-il pour cela plus heureux? Au contraire, il dit lui-même que sa peine est plus grande qu’il ne la peut porter.

David, affligé, persécuté, déclare formellement qu’il est plus heureux dans son affliction que ceux qui le persécutent ne le sont dans leur plus grande prospérité. «Tu as misdit-il dans mon texte, «tu as mis plus de joie dans mon cœur, au temps de mon affliction, que les méchants en ont au temps que leur froment et leur meilleur vin ont été abondants.»

Saint Étienne lapidé est plus heureux dans cet état que ceux qui le lapident. Il possède une si grande paix, il ressent une si grande joie au milieu de son martyre, qu’elle lui fait devenir le visage aussi resplendissant que celui d’un ange.

Saint Paul est plus heureux dans les chaînes que le cruel Néron sur le trône.

Si, d’un côté, Dieu permet que son apôtre soit affligé, de l’autre côté, il lui donne la force de le supporter. Aussi l’apôtre dit qu’il se glorifiera dans les infirmités, afin que la vertu du Christ habite en lui. «Je prends plaisir,» dit-il, «dans les infirmités, dans les injures, dans les nécessités, dans les persécutions et dans les angoisses pour Christ, car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.»


Mais pourquoi chercher au loin des exemples?

Les annales du Désert n’en fournissent-elles pas de bien touchants?

Ici, la pensée de Peirot s’arrête sur son maître vénéré, sur Pierre Durand qui, l’année précédente, a subi avec tant de constance le dernier supplice à Montpellier. Que de fois n’a-t-il pas édifié cet auditoire! Les paroissiens du martyr n’ont pas oublié sa ferme attitude devant ses juges et sa sérénité en face de la mort; aussi Peirot continue en ces termes:

«Dieu n’en use pas seulement ainsi avec saint Paul; mais il en use de la même manière envers tous ceux qu’il appelle à souffrir pour son nom. Il leur accorde à tous son Saint-Esprit, qui leur donne la force de supporter patiemment les maux auxquels ils sont exposés, qui fait que lorsqu’ils paraissent faibles, c’est alors qu’ils sont forts.

C’est ainsi que Dieu en a usé, il n’y a que très peu de temps, en la personne de notre très cher et bien-aimé frère, M. Durand. Si ce digne ministre de Jésus-Christ avait été abandonné à lui-même; si son divin Maître ne l’avait pas soutenu, consolé, comment aurait-il pu résister à tant d’attaques?

Comment aurait-il pu souffrir avec tant de patience de si rudes épreuves? Il ne l’aurait pu, s’il n’avait été secouru par son divin Maître. Mais son divin Maître, son divin Jésus, pour qui il combattait, ne l’abandonnait point. Il était toujours avec lui.

Dans la prison, partout, il soutenait son fidèle serviteur.

Dieu donnait tant de force à son serviteur qu’il supportait avec une patience inouïe tous ses maux, comme cela paraît par diverses relations et, principalement, par une lettre que notre cher pasteur écrivit des prisons de Tournon à un de ses collègues.

Dans cette lettre, bien loin de se plaindre, bien loin de murmurer contre la providence de Dieu, au contraire, il le bénit, il rend grâce à Dieu de ce qu’il lui avait donné la force de confesser ce qu’il était.

Ce digne ministre de Jésus-Christ, par sa grande constance, par sa grande tranquillité, fit voir que dans la prison, que sur la potence, que partout, Dieu le soutenait, qu’il le rendait fort lorsqu’il paraissait faible. Or, mes chers frères, une personne qui est soutenue par la divinité, un martyr de Jésus-Christ qui voit les cieux ouverts et son Sauveur assis à la dextre du Père céleste, qui lui tend les bras, qui lui ouvre son sein, une telle personne, quoiqu’elle soit étendue sur une roue ou attachée à une potence, n’est-elle pas plus heureuse que les méchants au milieu de leurs richesses? Notre cher pasteur était plus heureux dans la prison, et à l’heure de la mort, consolé, soutenu par son divin Maître, il était, dis-je, plus heureux que l’intendant au milieu de ses richesses et de ses honneurs.»

Sans doute, on trouve dans ce morceau des longueurs, des répétitions. Le jeune prédicateur ne se tient pas assez en garde contre une certaine prolixité. Il ne relève pas assez les plis de son éloquence traînante; mais le ton général est excellent et le trait final est d’un maître.


Transportons-nous maintenant à vingt ans plus tard, à l’année 1752, de néfaste mémoire. C’est l’année de la grande persécution, durant laquelle intendants et commandants de troupes rivalisent de zèle pour disperser les assemblées et surprendre les prédicants.

Les réformés sont obligés de faire rebaptiser leurs enfants par les curés, sous peine de voir les soldats renouveler chez eux les excès des dragonnades.

La tour de Constance et les galères regorgent de prisonniers, tandis qu’un grand nombre de protestants traversent la frontière, comme au lendemain de la Révocation, et vont grossir les rangs du Refuge.

L’échafaud est en permanence.

Le 27 mars, le proposant François Benezet scelle joyeusement, à Montpellier, le témoignage qu’il rend à l’Évangile.

Trois mois après, c’est le tour de Roques, simple cultivateur de Beauvoisin, qui, accusé d’avoir attaqué, lui seul, un détachement qui emmenait sept personnes et condamné pour ce crime à la potence, meurt à Nîmes, avec le même héroïsme, en adressant à deux jésuites qui veulent le convertir in extremis cette courte réponse:

«Hé! comment pourrais-je croire votre religion bonne, pendant que je vous vois tous les jours tremper vos mains dans le sang des chrétiens?»

Mais l’Église sous la croix ne perd point courage; elle se recueille, elle prie, et, bien loin de céder à l’orage, bien loin de se laisser effrayer par ce redoublement de rigueurs, elle se groupe avec plus d’amour autour de ses conducteurs spirituels qui ouvrent leurs rangs à de nouveaux frères. 


Nous sommes au 25 octobre 1752.

Suivons l’un de ces groupes qui, par des chemins détournés, se rendent à l’assemblée du Désert. Les fidèles seront nombreux au mystérieux rendez-vous, car il s’agit d’une cérémonie touchante qui se renouvelle encore bien rarement: une consécration de pasteurs.

Alexandre Ranc, le frère du martyr, et Alexandre Vernet, tous les deux enfants du Vivarais, vont être mis à part, par l’imposition des mains, pour le service des Églises persécutées. C’est Pierre Peirot, leur maître et leur ami, qui est chargé par le synode de les introduire dans la carrière. Il est dans la force de l’âge et du talent, et quand il paraît dans la chaire portative du Désert, adossée au tronc de quelque châtaignier séculaire, bien des prières montent pour lui vers le ciel; car on sait que sa tête est mise à prix et que les espions sont à ses trousses.

Il prononce une fervente requête en faveur des deux candidats, puis il lit son texte, tiré de saint Matthieu, chapitre X, verset 16: «Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups,» et, au milieu de l’attention générale, il introduit son sujet en ces termes:

«Oui, mes frères, nous pouvons le dire, sans crainte de mentir, nous pouvons le déclarer à la face du ciel et de la terre, nous sommes comme des brebis au milieu des loups. Que le peuple, au milieu duquel nous sommes, vante tant qu’il voudra sa politesse et son humanité, il n’est pas moins cruel à notre égard ni moins altéré de notre sang.

Que ses ecclésiastiques se disent, tant qu'ils voudront, les successeurs des bienheureux apôtres, qui étaient d’un caractère si pacifique, affectent, tant qu'il leur plaira, une douceur apparente; qu’ils fassent semblant d’avoir en horreur le sang et le carnage, ne nous y fions pas! Regardons-les!

Ah! plût à Dieu que nous nous trompassions dans ce que nous disons!

Plût à Dieu que nous fussions obligés de nous rétracter aussi publiquement que nous le protestons!

Plût à Dieu qu’on nous donnât sujet d’avoir des idées plus conformes à la charité, à nos propres intérêts!

Mais, tandis que nous aurons tant de raisons du contraire, tandis que les auteurs de nos maux s’en glorifieront, tandis que tant de voix nous crieront que nous sommes comme des brebis au milieu des loups, pouvons-nous refuser de le croire?

Et combien de voix n’y a-t-il pas qui nous tiennent ce terrible langage?

Que nous disent les craintes où nous avons été pour célébrer cette cérémonie, les précautions que nous avons été obligés de prendre pour nous conserver?

Que nous dit le lieu où nous sommes, dans une occasion aussi solennelle?

Quoi! être sans temple! être exposés aux injures de l’air! être obligés de fuir les lieux habités pour se cacher dans les bois, dans les déserts affreux! Ces lieux sauvages ne nous crient-ils pas qu’il faut que nous nous regardions parmi les hommes comme des brebis au milieu des loups, puisque nous sommes obligés de les fuir avec tant de soins?

Que nous dit cette haine que tant de gens, à qui nous ne fîmes jamais aucun mal, ont cependant contre nous?

Que nous disent ces projets, ces complots sanguinaires qu’on trame chaque jour pour nous découvrir et pour nous perdre?

Que nous disent, non pas trente pièces d’argent, mais de grosses sommes destinées, promises aux Judas qui pourront nous trahir et nous livrer?

N’est-ce pas comme autant de voix qui nous crient: «Vous êtes comme des brebis au milieu des loups?»

Que nous disent ces troupes dont nous sommes environnés de tous côtés, toujours armées, toujours prêtes à marcher contre nous, n’attendant pour cela que le moment fatal de découvrir notre retraite?

Que nous disent ces ordonnances, ces déclarations, par lesquelles notre religion est interdite et proscrite, et par lesquelles tous ceux qui l’ont enseignée sont condamnés aux mêmes peines que les criminels?

Ne sont-ce pas là des voix de tonnerre qui nous crient que nous sommes comme des brebis au milieu des loups?

Que nous disent ces catastrophes, ces scènes tragiques arrivées au milieu de nous?

Que nous disent ces mouvements, ces soins qu’on s’est donnés pour nous écraser?

Que nous disent ces cadavres percés de coups, ces gibets ensanglantés?

Que nous disent, ô douleur! ces chères brebis, ces vénérables pasteurs, qui ont été déchirés, massacrés?... Je m’arrête... Il n’est que trop sûr que nous sommes comme des brebis au milieu des loups...

Qu’est-ce que cela demande?

Vous le sentez. Un sacré dépôt vous est confié, vous devez le garder. Une couronne vous est imposée sur la tête, vous ne devez jamais souffrir qu’on vous la ravisse.»


Il serait difficile de caractériser cette éloquence à la fois âpre et touchante; mais on comprend l’impression que durent produire sur l’assemblée ces paroles brûlantes qui nous remuent encore, après un siècle. L’orateur peut maintenant tracer leurs devoirs aux nouveaux pasteurs, il est sûr d’être écouté; et l’on peut affirmer que cette heure ne s’effacera point de leur mémoire.

Nous ne suivrons pas le prédicateur dans ses développements et nous terminerons ici les emprunts faits à son portefeuille. Bien d’autres fragments de sa correspondance avec les galériens de Marseille, avec les étudiants de Lausanne, avec les autorités civiles et militaires, nous montreraient chez lui l’heureux accord de la fermeté et de la douceur, de la prudence du serpent et de la simplicité de la colombe. Il faut se borner.

Qu’il nous suffise d’avoir esquissé à grands traits la physionomie morale de ce pasteur du Désert et de l’avoir tiré lui-même d’un injuste oubli. Peirot brille au premier rang de ces hommes intrépides et croyants du dix-huitième siècle, qui, au milieu de mille tribulations, nous ont transmis la lampe de vie, agitée mais nourrie par la tempête. Nous devons à leur mémoire, comme à notre propre sécurité, de ne pas la laisser s’éteindre dans nos mains. (Le fils de Peirot, qui fut médecin et député, présida, en 1824, une société biblique à Vernoux. «C’était, disent les Archives du Christianisme, année 1824, p. 321, le digne fils d’un ancien pasteur dont la mémoire sera longtemps en vénération dans les églises de l’Ardèche, qu’il édifia, autant par sa conduite que par son rare savoir, pendant de longues années, à la fin desquelles l’aurore de la liberté religieuse était à peine aperçue.»)




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