Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L’ÉGLISE

SOUS LA CROIX

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Ramener le cœur des enfants vers les pères.

(Malachie, IV, 6.)

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JEAN MARTIN

1719

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Le Poitou occupe dans nos annales protestantes une place glorieuse par la grandeur des souffrances que nos pères y ont endurées et l’héroïsme avec lequel ils les supportèrent.

Dès 1680, c’est-à-dire cinq ans avant la Révocation, Michel de Marillac, intendant de cette province, inventa le système odieux des dragonnades qui, pratiqué bientôt sur une vaste échelle, amena tant de conversions forcées, plongea dans la douleur un si grand nombre de familles et fit exécrer, sous le nom de «mission bottée», cette étrange manière de convertir les âmes au Dieu de paix (On croit rêver quand on lit dans un historien les phrases suivantes: «Heureuse la France, si la voix de Bossuet fût parvenue jusqu’aux rochers des Cévennes! Les dragonnades et les excès de la jacquerie huguenote ne souilleraient point nos annales ensanglantées. Mais sa seule sagesse ne pouvant suffire à prévenir tant de malheurs, il présente à Louis XIV le plus chéri de ses disciples pour diriger dans le Poitou des missions qui ne seront ni éclairées par le feu des bûchers ni soutenues par le fer des soldats.» Il est vrai qu’elles sont tirées d’une éloge de Bossuet, couronné par l’Académie des Jeux Floraux. Recueil de l'Académie, année 1842.).

Toutefois, le premier moment de stupeur passé, on vit se produire dans le Poitou le même réveil de la foi qui s’était manifesté dans le Languedoc et le Dauphiné. Les protestants sentirent le besoin de se réunir pour le culte et pour la prière. Ils se rendaient en grand nombre, et quelquefois en plein jour, sur les ruines de leurs temples ou dans quelque grange isolée.

Là des hommes dévoués, qui rachetaient par une grande ferveur religieuse la culture intellectuelle qui leur manquait, leur distribuaient le pain de vie.

Des femmes même, à l’exemple d’Isabeau Redostière, des Cévennes, firent plusieurs fois l’office de prédicantes. On cite une certaine Robine, «qui,» dit un contemporain, «avait une mémoire angélique; elle se mit dans l’esprit d’apprendre des sermons par cœur et de les réciter, et y réussit assez bien.»

Ces premiers essais de culte au Désert ne provoquèrent pas une trop forte opposition. Quelques emprisonnements, quelques amendes, beaucoup de menaces et peu de voies de fait: tel fut le bilan de cette période.

Les choses changèrent de face lorsque, en 1713, Chebrou, avocat de Niort, un dévot dangereux, fut nommé subdélégué de l’intendant dans cette ville. Rempli de haine pour les protestants, il se mit aussitôt en campagne, à la tête des archers de la maréchaussée.

Il surprit et fit pendre plusieurs prédicants obscurs, en condamna d’autres aux galères et fit peser un joug de fer sur les religionnaires. Il fut, dans le Poitou, un Bâville au petit pied.

Un prédicateur célèbre évangélisait alors cette contrée. Il s’appelait Berthelot et avait tant d’influence sur ses coreligionnaires qu’on appelait la religion protestante la religion berthelote. Condamné au dernier supplice par contumace, il allait passer en Angleterre, lorsque survint la mort de Louis XIV (septembre 1715). Espérant qu’elle mettrait un terme à la persécution, il resta. En fait, le sort des réformés reçut quelque adoucissement à l’avènement de la Régence, bien que les principes de la persécution restassent debout.

Les assemblées recommencèrent; elles se tinrent même publiquement sans porter ombrage à l’autorité. D’ailleurs, se réunir au grand jour, n’était-ce pas, pour nos pères, répondre aux calomnies dont ils étaient l’objet, et montrer à la fois leur nombre imposant, la droiture de leurs intentions et la pureté de leur doctrine?

Ce que les protestants du Midi n’osèrent essayer que vers 1744, – et l’on sait au milieu de quels périls, – ceux du Poitou le tentèrent dès cette époque. Ils le firent d’abord impunément. Deux assemblées, qui comptaient plus de deux mille personnes, se tinrent, à quinze jours d’intervalle, sur les ruines du temple de Mougon, sans être inquiétées. D’autres suivirent; elles se multiplièrent à tel point que chaque bourgade réclama la sienne. Ce fut un réveil général.


II


Parmi les hommes dévoués qui, au péril de leur vie, annonçaient l’Évangile à leurs coreligionnaires, il faut citer en première ligne, à côté de Berthelot, le prédicateur Jean Martin, prédestiné, comme tant d’autres, au martyre.

Il était originaire de Fressines, village qui fait aujourd’hui partie du canton de Celle-sur-Belle, dans les Deux-Sèvres. Marié et père de famille, il aurait pu goûter en paix les joies du foyer, mais il avait à cœur le salut des âmes, et il n’hésita pas, par dévouement aux intérêts spirituels de ses frères, à s'exposer aux périls du ministère sous la Croix.

Sans grande instruction, comme la plupart de ses collègues dans l’apostolat, il annonçait simplement, mais avec force et non sans succès, la parole de Dieu. Peut-être avait-il plus de zèle que de prudence.

Le dimanche, 19 février 1719, pendant que deux assemblées se tenaient, l’une à Saint-Maixent, l’autre à Melle, il ne craignit pas d’en convoquer une troisième à Benet, petit bourg à moitié chemin de Niort à Fontenay-le-Comte. Le culte se célébra au milieu d’une grande affluence d’auditeurs. On dressa la chaire du Désert sur l’emplacement du temple démoli depuis plus d’un demi-siècle, et les vieillards ne pouvaient retenir des larmes de joie, à la pensée que les jours de leur deuil allaient finir et que l'ère de la tolérance, – ils l’espéraient du moins, – ne tarderait pas à se lever.

Martin, à l’issue de sa prédication, eut l’audace de convoquer une autre assemblée à Niort pour le dimanche suivant. C’était jeter un défi à Chebrou et vouloir, en quelque sorte, forcer le lion dans son antre. Le subdélégué se tint sur ses gardes et prit ses mesures pour surprendre l’audacieux prédicant. Elles furent inutiles. Il y eut une assemblée, mais elle se tint à La Mothe-Saint-Héray, loin de Niort, et Martin se garda bien d’y paraître.

L’heure approchait, toutefois, où il allait tomber entre les mains de son implacable ennemi. Le comte de Chamilly, qui avait un commandement dans l’Ouest, vint de La Rochelle dans le Poitou. Il voulait, selon ses propres expressions, «prendre le flambeau à la main» et brûler les maisons et les granges où se réunissaient les protestants, afin de les réduire par la terreur.

Chebrou, inspiré moins par des sentiments plus humains que par la jalousie, et voulant se réserver un rôle, aurait préféré qu’on les démolît juridiquement. Il fit néanmoins loger une compagnie de soldats chez les habitants de Benet, et prit avec lui trente hommes, afin de se livrer à d’actives recherches pour saisir les prédicants.

Un traître vint à son aide et lui révéla la retraite de Martin. Il mit aussitôt la main sur lui, sans que celui-ci songeât à se défendre, et le conduisit dans les prisons de Niort, en même temps que Jean Nousille, accusé d’avoir rempli les fonctions de lecteur dans l’assemblée du 19 février.


III


L’intendant de Poitiers, Des Gallois de La Tour, n’avait pas attendu la capture de Jean Martin pour demander au conseil de régence un arrêt d’attribution qui lui permît de juger en dernier ressort les prédicants qu’il pourrait saisir. L’arrêt se faisant attendre, il écrivit à son subdélégué de Niort:

«Les longueurs pour l’expédition de cet arrêt peuvent faire juger du peu d’attention que le conseil de régence fait sur tout ce qui lui revient de la conduite des religionnaires dans ce pays; mais il n’en faut pas moins aller son chemin.»

Paroles remarquables, qui nous le montrent plus royaliste que le roi et confirment ce que nous avons dit, à propos d’Étienne Arnaud, de la demi-tolérance du duc d’Orléans.

«C’est ainsi,» dit avec raison M. Lièvre, «que les autorités poitevines, en continuant de sévir contre les protestants, ne prenaient bien réellement conseil que de leur zèle.»


La cour qui, livrée à elle-même, n’aurait pas songé à prendre un arrêt semblable, céda aux sollicitations de l’intendant; l’arrêt d’attribution arriva, et, le 21 mars, le conseil rendit une ordonnance qui interdisait les assemblées, afin, disait-il, «de détromper ceux qui s’imaginent que le gouvernement les tolère, à la condition de n’y point porter d’armes.»

Une circonstance imprévue vint accroître la gravité de cet arrêt, qu’on afficha dans toutes les paroisses, et permettre à Des Gallois et à Chebrou de l’appliquer dans toute sa rigueur.

En prévision d’une prochaine guerre contre l’Espagne, la cour venait d’envoyer des troupes dans la province. On les fit loger dans des bourgs presque entièrement protestants, tels que Melle, Saint-Maixent, La Mothe-Saint-Héray, Lusignan et plusieurs autres. Chebrou s’en servit pour surprendre les assemblées.

Le 2 avril, il en dispersa une à Mougon. Les soldats firent feu sur les fidèles. Un grand nombre furent blessés et une vingtaine conduits en prison. On brûla, dans un cimetière, la chaire du Désert. Quelques jours après, deux autres prédicateurs de l’Évangile, Bureau et Susset, vinrent rejoindre Martin et Nousille dans les prisons de Niort.

Ces rigueurs n’eurent pas le résultat qu’en attendait le subdélégué. Bien loin d’effrayer ceux qu’on persécutait avec tant de rigueur, elles ne servirent qu’à réveiller leur zèle et à exalter leur sentiment religieux, tout en les rendant plus circonspects. Ces assemblées continuèrent, non plus ouvertement, mais en cachette, dans la forêt de l’Hermitain. D’autre part, un grand nombre de protestants, fatigués de ces persécutions incessantes, prirent le chemin de l’Angleterre et de la Hollande. La cour s’en émut; elle commençait à comprendre le danger pour l’état de ces émigrations répétées. Elle écrivit à l’intendant pour blâmer sa conduite; et, quand le prince de Conti vint prendre possession de son gouvernement du Poitou, il apporta un ordre du conseil qui mettait en liberté les personnes incarcérées par Chebrou.

Grands, on le conçoit, furent le dépit et l’irritation de ce dernier. Il dut se conformer, en apparence du moins, aux décisions de la cour, et plus d’un infortuné vit s’ouvrir la porte de son cachot; mais il en retint plusieurs dans les fers, parmi lesquels Martin et Nousille.

Il voulait faire un exemple et condamner au dernier supplice Martin, le plus compromis de tous. Pour atteindre ce but, tous les moyens lui paraissent bons. Il suborne de faux témoins qui accusent le prédicant de Fressines d’avoir prêché la révolte contre le roi et d’avoir dit que tout son désir était de tremper ses mains dans le sang des prêtres: odieuses calomnies que pouvaient démentir, au besoin, les catholiques eux-mêmes qui avaient entendu plus d’une fois ses prédications.

Mais on ne cherchait qu’un prétexte: on fut heureux de l’avoir trouvé; et, le 27 juin, Des Gallois prononça la peine de mort contre Martin, en désignant Benet pour le lieu de l’exécution, en même temps que celle des galères perpétuelles contre Nousille. Neuf autres prédicants contumaces devaient être pendus en effigie.


IV


Martin fit preuve, pendant son interrogatoire, d’une grande force d’âme, et ses réponses, marquées au coin de la sincérité, auraient pu convaincre de son innocence des juges moins prévenus. Il ne fit aucune difficulté de reconnaître qu’il avait prêché l’Évangile dans les assemblées; mais il ajouta que c’était pour obéir aux mouvements de sa conscience et sans aucun esprit de révolte contre les puissances.

C’est avec beaucoup de fermeté qu’il entendit la lecture de son jugement; mais il n’apprit que d’une manière indirecte le jour de l’exécution. La veille de son martyre, le geôlier dit aux autres prisonniers que Martin serait exécuté le lendemain. Aucun d’eux n’eut le courage de l’en avertir. À souper, on leur servit de la salade; quelqu’un ayant dit: «Cette salade est bonne; si j’en vois passer demain, j’en achèterai,» Martin dit qu’il en prendrait, lui aussi, volontiers. À ces mots, les yeux de tous se mouillèrent de larmes. Martin comprit; mais, bien loin de se laisser abattre à la pensée de sa mort prochaine, il dit aussitôt à ses compagnons de captivité:

«Ne croyez pas que cela me fasse de la peine. Ne savez-vous pas que j’attends cela de jour en jour? Ne sais-je pas qu’on ne m’a point lu ma sentence pour me laisser sortir de prison? Vous pleurez sur moi, pleurez plutôt sur vous-mêmes. Vous restez dans les tribulations de cette vie douloureuse, mais Dieu me fait la grâce de m’en délivrer pour me faire participant de la vie éternelle et bienheureuse. J’aurai quelques maux et quelques douleurs à souffrir, mais qui est celui qui meurt sans douleurs?

Au reste, ne devons-nous pas être persuadés que les souffrances du temps présent ne sont point à contrepeser avec la vie à venir? Bienheureux sont les morts qui meurent au Seigneur! Oui, pour certain, dit l’Esprit, car dès maintenant ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent. Quel sera donc mon bonheur de jouir, dans peu de temps, de la béatitude éternelle.»

«Par de semblables exhortations,» ajoute l’auteur de la relation du temps qui nous fournit ces détails, «il les faisait fondre en larmes et, au lieu qu’ils devaient le consoler, c’était lui qui les ravissait en admiration. Quelques-uns m’ont confessé que, s’ils avaient vu venir le bourreau pour les lier et les mener au gibet, pour lors ils auraient été contents de le souffrir. Il leur faisait tellement bien comprendre la joie qu’il éprouvait à mourir pour la cause du Seigneur, qu’ils lui enviaient presque son bonheur.»


Après ces paroles, qu’il fit suivre d’une prière fervente, les prisonniers s’étendirent tous sur la paille pour y chercher un peu de repos, et l'on remarqua que Martin dormit, cette nuit-là, aussi tranquillement qu’à l’ordinaire.

L’exécution était fixée au 1er juillet. À huit heures du matin, la femme du geôlier vint avertir le condamné que les archers l’attendaient à la porte.

«C’est à ce coup, mes frères,» dit Martin à ses compagnons de captivité, «qu’il faut se dire adieu; non pas pour toujours, car j’ai l’espérance de vous voir dans le royaume des cieux, où je vais maintenant prendre place, moyennant la grâce de Dieu à laquelle je me suis toujours recommandé, et me recommande encore, et à laquelle aussi je vous recommande.

Vivez toujours en la crainte de Dieu; suivez les enseignements que je vous ai donnés, lorsque j’ai eu l’avantage de prêcher au milieu de vous. Soyez certains que cet Évangile que je vous ai annoncé est le véritable Évangile du Fils de Dieu. C’est celui duquel saint Paul dit: «Que si lui ou un ange de Dieu vous en annonce un autre, qu’il soit anathème!» C'est celui pour le soutien duquel tant de bienheureux martyrs ont répandu leur sang; c’est aussi pour le soutien du même Évangile que je répands aussi le mien.

Ce que j’ai prêché de bouche, je le scelle aujourd'hui de mon sang. Ce n’est plus le temps de feindre, car il me faut comparaître devant le siège judicial de Dieu. Si je croyais que la religion que j’ai professée et enseignée n’est pas la véritable, je vous le dirais; mais j’en suis aussi certain que je suis sûr de mourir aujourd’hui pour sa défense, et vous n’y pourriez renoncer sans renier le Fils de Dieu.»


La femme de Martin l’attendait dans la cour de la prison. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre et se donnèrent, au milieu de beaucoup de larmes, rendez-vous dans le ciel. Puis il fallut se livrer aux mains du bourreau.

Pendant que ce dernier, aidé des archers, le liait sur un cheval, en présence de Chebrou qui s’apprêtait à le conduire à Benet, le martyr put encore adresser à sa femme ses derniers et touchants adieux:

«Je te prie de te consoler au Seigneur,» lui disait-il. «Souviens-toi que je ne souffre pas pour aucun mal que j’aie fait, mais pour avoir prêché et annoncé l’Évangile du Fils de Dieu. Si j’avais blasphémé et outragé le saint nom de Dieu, on ne me ferait point mourir; mais on persécute les fidèles, parce qu’ils s’assemblent pour prier Dieu et s’exhorter mutuellement à faire le bien.

C’est la même idée qu’on retrouve dans cette strophe de la complainte de Teissier, dit Lafage, Ch. Coquerel, ouvrage cité, t. II, p. 572:

«Tuez, volez, jurez le sacré nom de Dieu,

Vous aurez des grâces en tout temps, en tout lieu.

Chantez au dieu Bacchus une chanson à boire,

Vous serez applaudis d’éternelle mémoire.

Chantez un hymne saint à l’honneur du Seigneur,

L’on vous regardera comme un perturbateur...»

Afin d’avoir un prétexte pour me faire mourir, on m’accuse d’avoir prêché la sédition, la rébellion contre le roi, et d’avoir dit que nous tremperions nos mains dans le sang des catholiques romains, comme si notre religion avait été quelquefois sanguinaire! Ce sont là des calomnies si noires et si connues que je ne demande pour témoins que ceux de l’Église romaine qui sont un peu de bonne foi et qui m’ont entendu. Aussi je t’exhorte, ma chère femme, à vivre et à mourir dans cette sainte religion que j’ai toujours professée et enseignée. Sois assurée que c’est la véritable qui conduit au salut.

Aie soin d’y bien élever nos enfants; imprime-leur, de bonne heure, la crainte de Dieu dans le cœur et l’obéissance pour leur souverain, car c’est notre religion que la crainte de Dieu et l’amour du roi.»

Il aurait prolongé ses adieux, mais Chebrou donna le signal du départ. Un curé à cheval accompagnait le prisonnier. Il cherchait par ses exhortations à le ramener au giron de l’Église romaine; mais, au lieu de l’écouter, Martin se livrait à des méditations pieuses ou chantait des psaumes. Le prêtre, essayant de l’interrompre:

«Je m’étonne,» lui répondit le martyr, «que vous vouliez m’empêcher de prier Dieu.»

Deux heures à peine séparent Niort de Benet. Arrivés dans ce bourg, Chebrou et les soldats de l’escorte le trouvèrent désert. Tous les habitants, protestants et catholiques, s’étaient enfuis pour ne pas voir mourir cet homme de Dieu.

L’exécution des confesseurs de la foi se faisait dans le Midi, au milieu d’un concours immense de peuple, et leurs dernières paroles, leur dernière attitude étaient notées avec soin par des frères éplorés, cachés dans la foule.

Celle de Martin n’eut pour témoins que le subdélégué, les archers, le bourreau et trois ecclésiastiques. On mit longtemps pour se procurer une échelle. Pendant que le bourreau frappait en vain aux portes fermées, le curé et le vicaire de Benet, assistés d’un capucin, entouraient le pasteur et le pressaient vivement de rétracter ses erreurs, seul moyen pour lui, disaient-ils, d’échapper à la mort. Mais le martyr leur dit pour toute réponse:


«Je suis content de donner ma vie en témoignage de ma foi.»


Simple et touchante parole qui nous montre la profondeur de sa piété, et que Chebrou, comme pour en établir l’authenticité, a pris soin lui-même de consigner dans le procès-verbal qu’il dressa de l’exécution. Mais ce n’était pour lui que propos de fanatique. En faisant mourir Martin, il n’éprouva d’autre regret, – c’est lui-même qui le déclare, – que de ne pouvoir traiter de même les neuf contumaces.


V


Quelque temps après les événements que nous venons de raconter, un certain M. de Luques, nouveau converti sans doute, qui habitait un château près de la Châtaigneraie, écrivit à l’ambassadeur hollandais à Paris pour le tenir au courant des nouvelles religieuses du Poitou.

«Les assemblées ont été fort nombreuses,» lui disait-il, «car elles ont passé trois mille personnes. Votre Excellence sait qu’on en a fait arrêter une trentaine, il y a quelques mois; ils sont tous élargis, à l’exception d’un, qu’on fit pendre, il y a trois semaines, dans un lieu qu’on appelle Benet, où il avait prêché quelquefois. Ce n’est point M. l’intendant qui l’a fait pendre, et l’on attribue sa mort à M. l’avocat du roi, à Niort, qui a voulu absolument faire un exemple. Tout est présentement tranquille (Lettre du 24 juillet 1719. Bulletin, t. IV, p. 238.)

Cette tranquillité n’était qu’apparente. Malgré la perspective peu rassurante de la prison, les protestants du Poitou ne continuèrent pas moins de s’assembler, mais de nuit seulement, et dans des lieux écartés. Les recherches recommencèrent plus actives avec l’arrivée d’un nouveau commandant militaire, le marquis de Châtillon.

Il fit arrêter un collègue de Martin, le prédicant Potet, qui souffrit le martyre avec la même constance que son ami:

«Il mourut,» disent les relations du temps, «courageusement et chrétiennement, comme il avait vécu. On le lia tout nu sur un cheval, et il fut transporté, dans cet état, de Niort à Lusignan, où il fut pendu. Son cadavre resta huit jours à la potence; car on espérait que quelques protestants viendraient l’enlever, et qu’on aurait occasion de les prendre. On finit, cependant, au bout du huitième jour, par le mettre en terre.»

Après lui, François Jollet fut pendu à Poitiers, en 1738, et son corps livré aux flammes. Il clôt, dans la province du Poitou, la liste des prédicateurs de l’Évangile qui scellèrent de leur sang le témoignage qu’ils rendaient à leur Sauveur.

Moins heureuses, celles du midi de la France devaient traverser encore de longs jours de souffrance. Avant que l’ère de la tolérance se lève pour elles, elles verront périr, de la main du bourreau, plusieurs de leurs pasteurs dévoués, dont la mort sera, comme on l’a dit, une transfiguration.





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