Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

MÉDITATIONS BIBLIQUES.

LA GRANDEUR DU PAUVRE ET L’ABAISSEMENT DU RICHE.


***

(Jacq. I, 9, 10.)


«Qu'on ne traite plus la pauvreté de roturière; le Roi de gloire l'ayant épousée, l’a anoblie par cette alliance.

Les pauvres sont les aînés dans la famille de Jésus-Christ»

Bossuet


Il nous faudrait être, ou de bien mauvaise foi, ou bien aveuglés par nos préjugés et nos passions, pour ne pas reconnaître que la Bible, dans son esprit et dans sa lettre, est sévère pour le riche, et qu’elle est au contraire indulgente pour le pauvre.

Aussi, quand elle le mentionne ou les met en présence, c’est habituellement pour établir entre eux un contraste, un rapport d’opposition.

Cette opposition concerne, tantôt le salut et la sanctification de l’âme:

«Qu'il est difficile que ceux qui ont des biens, dit Jésus, entrent dans le royaume de Dieu!

Dieu n’a-t-il pas choisi, dit St Jacques, les pauvres de ce monde, qui sont riches en la foi et héritiers du royaume qu'il a promis à ceux qui l’aiment?»

tantôt le bonheur:

«Malheur à vous, riches, dit Jésus, car vous remportez votre consolation. Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim.

Mais vous êtes bienheureux, vous pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous. Vous êtes bienheureux; vous qui avez faim maintenant, parce que vous serez rassasiés;»

tantôt enfin la dignité, le rang:

«Que le frère de basse condition, dit St Jacques dans notre texte, se glorifie de son élévation, mais le riche de sa basse condition, car il passera comme la fleur de l’herbe.»


C’est de cette dernière opposition que l’apôtre établit, dans ces paroles, entre le pauvre et le riche, que nous allons faire l’étude; et veuille le Seigneur nous donner d’en comprendre le sens, et d’en sentir la portée pratique!

Avant d’entrer dans le développement de notre sujet, entendons-nous sur le sens des expressions pauvre et riche. 


Remarquons d’abord qu’elles ont un sens relatif.

Ce qui est pauvreté pour l’un est richesse pour l’autre.

Tel est riche ici, qui est pauvre là, et l’inverse. Il peut se présenter des circonstances sociales si exceptionnelles, l’abondance ou la misère sont quelquefois tellement le partage de tous, qu’à peu de chose près, tous sont riches ou tous sont pauvres.


Mais c’est assez insister sur un mode d’explication qui deviendrait aisément le thème favori de la subtilité, de l’égoïsme ou de l’orgueil. Pour aucun de nous assurément, il n’est embarrassant de distinguer un pauvre d’un riche, ou un riche d’un pauvre. N’entrons donc pas là-dessus dans des définitions que les auteurs sacrés ne donnent point, parce qu'ils les ont sans doute jugées superflues; et donnons, ou plutôt laissons, aux mots riche et pauvre, la signification que le bon sens et l’expérience leur attribuent partout et chaque jour.

Remarquons ensuite que notre texte oppose au riche, non pas un pauvre, mais UN FRÈRE DE BASSE CONDITION, comme si l’apôtre avait voulu par là nous avertir de ne pas confondre la pauvreté et la bassesse; mais comme, d’ordinaire, c’est la richesse, plus encore que les talents et les vertus, qui fait les positions soi-disant élevées, et la pauvreté, plus encore que la médiocrité ou le vice, qui fait les positions soi-disant chétives; comme, tôt ou tard, la richesse donne et la pauvreté ôte une position élevée selon le monde, au moins dans la plupart des cas, il suit de là que, dans les paroles bibliques qui nous occupent, pauvreté et bassesse, comme aussi richesse et élévation, sont synonymes, et que le débat se résume ici simplement entre la richesse et la pauvreté.

Remarquons enfin que St Jacques, en employant le mot FRÈRE, pour désigner le pauvre, évite le terrain des idées ou des passions mondaines, pour nous placer sur celui de l’Évangile.

Il veut donc nous parler ici du riche et du pauvre devenus chrétiens; ce qu’attestent d’ailleurs et la doctrine évangélique, et l’expérience, lesquelles établissent avec une incontestable évidence que le pauvre, étranger à la foi, n'est pas vraiment grand, et que le riche, devenu croyant, n’est pas véritablement abject devant Dieu. Ces remarques faites, commençons l’étude de notre sujet.

Et d’abord, évitons avec soin un double écueil. N’élevons pas la pauvreté trop haut, et ne mettons pas la richesse trop bas.

Ne faisons pas de la première une vertu, un état de perfection, et de la seconde un vice, un état de péché.

Ne faisons pas en particulier de la pauvreté un état de grandeur,

ni de la richesse un état de dégradation.


On voit souvent des hommes faire de la pauvreté un mérite, une gloire, et de la richesse une tache, une honte; mais le mépris de ces hommes pour la richesse dont ils sont privés, est-il souvent autre chose que LE MASQUE DE L’ENVIE, DE LA JALOUSIE, ou de l’un des orgueils les plus coupables et les plus invétérés: L’ORGUEIL DE LA PAUVRETÉ?

Gardons-nous de pareilles aberrations.

- Ni l’état de pauvreté n’est absolument en soi un honneur;

- ni l’état de richesse n’est absolument en soi une flétrissure.

Devant Dieu, «qui a fait le riche et le pauvre,» il ne suffit pas d’être pauvre pour être grand, ni d’être riche pour être abject; et si l’Évangile modifie profondément, il est vrai, ces deux états, il ne les détruit pas.

Je n’ignore point que le Seigneur Jésus commanda un jour à un jeune riche «de vendre ses biens, et de les donner aux pauvres, s’il voulait avoir un trésor dans le ciel,» et que l’Église primitive, à son âge héroïque, loin de reculer devant le dépouillement commandé, pratiqua, au contraire, le dépouillement volontaire, inspiré par l’amour. Mais ces dépouillements-là sont exceptionnels de leur nature, et tiennent à des circonstances ou nécessités dont Dieu seul est l’auteur ou le juge.


Jésus n’a pas commandé à tous les riches qui l’entouraient, ou qu’il a rencontrés, de vendre leurs biens, mais de LES ADMINISTRER FIDÈLEMENT AU NOM DU MAÎTRE qui en est le seul vrai propriétaire, et auquel ils devront rendre compte un jour de leur administration.

Paul, dirigé par l’Esprit de Dieu, n’a pas commandé aux riches de ce monde de vendre leurs biens, mais d’en user «pour faire du bien, d’être riches en bonnes œuvres, prompts à donner et à faire part de leurs biens.» La pauvreté et la richesse sont donc deux états providentiels, ayant chacun ses devoirs et ses privilèges.

Ce sont des vocations diverses, permanentes ou temporaires, et s’étendant de l’extrême richesse à l’extrême pauvreté: vocations à chacune desquelles la Providence a attaché un ministère spécial pour les chrétiens dont elles sont le partage.

À ce point de vue là, qui est le seul vrai, il n’y a donc, entre la richesse et la pauvreté, aucune différence dénaturée: elles sont, aussi bien l’une que l’autre, l’ouvrage du divin dispensateur «qui enrichit et qui appauvrit.»

Mais n’y a-t-il, entre elles, aucune différence de degré, au point de vue de la dignité?

Ces deux états, voulus et créés l’un et l’autre par la Providence, sont-ils également caractérisés et honorés par elle?

Non assurément. Au lieu de rabaisser la pauvreté et d’exalter la richesse, comme le fait le monde, St Jacques fait l’inverse: il fait de la pauvreté un état de grandeur, et de la richesse un état d’abaissement.


En effet, si, aux yeux de Dieu, la condition du chrétien pauvre n’était pas plus honorable que celle du chrétien riche, Jésus, par ses paroles et par sa vie, aurait-il tant relevé, encouragé et honoré la pauvreté, et aurait-il si vivement rabaissé, menacé même la richesse?

Si donc il y a, pour le chrétien, de l’honneur à être riche, et qui en douterait, puisque tout ce qui est providentiel est digne de considération? Il y en a plus encore, pour lui, à être pauvre.

Cette assertion peut paraître étrange, exagérée; or il ne s’agit pas de savoir si elle nous paraît telle en effet, si elle choque nos préjugés, mais de SAVOIR SI ELLE EST VRAIE, SI ELLE EST BIBLIQUE.


Or, sur ce point, en face de notre texte, le doute n’est pas possible, à moins d’être volontaire. Au lieu de repousser la Bible, quand elle nous condamne, ou de la tordre, pour lui donner le pli de nos préjugés, écoutons-la avec docilité et humilité. N’en faisons pas l’abri, l’encouragement, mais, au contraire, le correctif de notre orgueil naturel.

Il reste donc vrai, d'après St Jacques, qu’il y a, que Dieu a mis, entre la pauvreté et la richesse, sous le rapport de la dignité, une différence de degré incontestable: différence qui est entièrement à l’avantage du chrétien pauvre contre le chrétien riche.

Cette différence qu’établit l’Écriture sainte, l’expérience chrétienne la confirme.

La supériorité que St Jacques accorde au chrétien pauvre sur le chrétien riche, éclate dans LES LUTTES DE LA FOI AVEC LES NÉCESSITÉS, dures souvent, de l’existence temporelle et matérielle.

Tandis que la richesse tend, à cet égard, à reléguer la foi dans le domaine des besoins purement spirituels, ou à la laisser inactive, et partant à l’endormir; la pauvreté favorise d’une manière douloureuse, il est vrai, pour la chair, mais glorieuse pour l’esprit, l’exercice, le développement et le triomphe de cette même foi.

Sous ce rapport:

La part du riche est en Canaan, où il vit, avec reconnaissance, je le veux, des produits de la terre, des biens d’ici-bas:

la part du pauvre, au contraire, est au désert, où il vit de manne, de l’eau du rocher.

Le riche est en rapport immédiat avec la Providence, ce gouvernement du monde qui lui prépare et lui garantit ses récoltes et ses revenus:

le pauvre, au contraire, est en rapport plus immédiat, plus intime, plus constant, plus personnel avec le Maître de la Providence, avec Dieu lui-même, à qui il doit chaque jour tout demander, de qui il doit directement tout recevoir; auquel il doit arracher même quelquefois, par la prière instante, importune de la Cananéenne, le morceau de pain, le verre d’eau qui doivent soutenir son existence, et l’abri, le vêtement qui doivent la protéger.


À l’égard des besoins temporels, le riche, presque forcément, vit plutôt de vue que de foi; il n’a qu’à étendre la main autour de lui, et souvent cet effort lui est épargné, pour contenter ses besoins et ses désirs, au fur et à mesure qu’ils surgissent.

Le pauvre, au contraire, n’ayant pas où prendre autour de lui, pour apaiser les siens, est contraint, À MOINS QU’INFIDÈLE À SA MISSION il n’étende la main plus bas, de l’étendre plus haut; et il devance ainsi, héroïque sentinelle avancée, cette glorieuse économie future, où il ne vivra plus de pain, mais seulement de la parole de son Dieu; où la foi, changée en vue, vainement désirée par les uns, joyeusement possédée par les autres, sera reconnue par tous comme le seul vrai trésor de l’Âme immortelle; où les richesses terrestres ne seront plus que des inutilités ou des embarras; et où le riche de ce monde, comme tel,

À MOINS QU’IL N’AIT LA SEULE RICHESSE QUI NE PASSE POINT, la richesse du chrétien pauvre, «se flétrira dans ses entreprises,» au soleil dévorant de l’éternité.

Sentons par conséquent la grandeur, la noblesse de l’état de pauvreté; car il fait du chrétien un héros qui, par l’exercice indispensablement journalier de sa foi, fait sans cesse descendre le pain du ciel, jaillir l’eau du sein de la roche, fleurir le désert devant ses pas, et fait ainsi de sa foi, constamment tenue en haleine et mise en demeure de porter ses fruits, son unique trésor, son véritable coffre-fort.

Si le Juif errant de la légende a toujours à sa disposition un sou inépuisable, le chrétien pauvre, si toutefois il comprend les privilèges exceptionnels de sa position providentielle, a aussi dans sa foi, en face des nécessités pressantes et sans cesse renaissantes qui en sollicitent l’exercice, son sou inépuisable. Qu’il compte pleinement, simplement et fermement sur son Dieu, et «la farine qui est dans la cruche ne manquera point, et l’huile qui est dans la fiole ne tarira point,» et, autre Elie au désert, les corbeaux lui apporteront chaque jour sa nourriture de la part de l’Eternel.


«Prédicateur imprudent et téméraire, me dira-t-on peut-être, à quoi bon traiter publiquement, et à notre époque surtout, un pareil sujet?

Ne voyez-vous pas que vous enorgueillissez les uns, et que vous risquez d’aigrir les autres ou de les décourager; que vos paroles, loin d’humilier l’orgueil du riche, auront en revanche pour effet d’enflammer celui du pauvre?

Ensuite, êtes-vous sûr d’avoir bien saisi la pensée de l’apôtre, ou de ne l’avoir pas exagérée; et St Jacques, loin d’avoir eu l’intention que vous lui supposez, de peindre la pauvreté comme un état d’élévation, et la richesse comme un état d’abaissement, n’aurait-il pas simplement voulu, sous une forme paradoxale, rendre plus incisive l’exhortation générale que la pauvreté ne doit point abattre, et la richesse ne point enfler le cœur?»

Il n’y a jamais imprudence et témérité, mais au contraire sincérité et fidélité, à prendre au sérieux les enseignements sévères de l’Évangile, surtout quand on le fait dans un esprit de modération et de charité.

Quant à l’explication en vertu de laquelle on ne voudrait voir, dans les paroles de mon texte, qu’un langage paradoxal, je la repousse, comme remplaçant un enseignement sérieux et fécond autant que positif, par un enseignement banal que la philosophie humaine a donné souvent, et qu’il n’eût pas valu la peine que le Saint-Esprit descendît du ciel pour nous communiquer.

Cette explication, je la repousse également comme indigne de la Bible, comme lui ôtant cet accent et cette saveur amère qui conviennent mieux qu'un langage radouci, fade et incolore, à des cœurs comme les nôtres, naturellement enflés par l’orgueil, ou énervés par la concupiscence.

Loin de repousser ces enseignements sévères, ou, ce qui est pis, de les affadir, laissons-leur plutôt leur âpre énergie, et recherchons-les avec avidité comme un tonique précieux et indispensable.

Prenons le remède en entier, quoi qu’il doive en coûter à notre cœur. La Bible ne nous le présenterait pas avec tant de force, si nous n’en avions pas un besoin urgent.

Or, pourquoi l’enseignement que St Jacques nous donne, dans notre texte, nous est-il si nécessaire?

Parce que les hommes en général, les pauvres comme les riches, sont portés à mépriser et à fuir la pauvreté, comme aussi à honorer et à rechercher la richesse.

La pauvreté, en effet, est considérée par la plupart des hommes comme un état d’abaissement. On pourrait encore se consoler, si elle n’avait pour effet que d’ôter la considération et l'influence, ou de les rendre impossibles; mais ce dont il est, à bon droit, moins aisé de prendre son parti, c’est qu’elle diminue l’estime dont le pauvre doit être l’objet, si elle ne l’en dépouille pas.

En vertu de je ne sais quelle fascination dont nous sommes tous plus ou moins les jouets, le pauvre est vu avec d’autres yeux que le riche.

Même au jugement de plusieurs, il n’y a pas loin d’un homme qui n’a rien, à un homme de rien; et, chose inconcevable!

Quel est, très souvent, celui qui méprise ou qui déprécie le plus la pauvreté?

C’est celui qui devrait le plus en apprécier la grandeur, c’est le pauvre lui-même.

Je fais la part de l’influence de l’Évangile sur les chrétiens, et je reconnais volontiers que, dans nos contrées en particulier, on est revenu, sur ce point, à des notions plus saines et plus bibliques; et cependant dans certains rapports privés, dans les relations de classe, de société, dans les alliances, trop souvent on voit percer, régner, même chez des chrétiens, de l’éloignement, sinon du dédain, pour le pauvre et la pauvreté, ET, PAR CONTRE, UN PENCHANT PLUS ON MOINS VIF À RECHERCHER LE RICHE ET LA RICHESSE.


Quelle urgence n’y avait-il donc pas que la Bible condamnât et réformât un préjugé aussi coupable, et qu’elle exhortât le pauvre, par la bouche de St Jacques, non pas à s’humilier à cause de la soi-disant bassesse où il est habituellement relégué, mais à faire de cette bassesse apparente un titre de gloire, «à se glorifier de son élévation?»


La richesse, au contraire, est considérée par la plupart des hommes comme un état de grandeur.

Ce que la Bible donne à la pauvreté, et que nous lui refusons si souvent, nous l’accordons à la richesse.


Assez habituellement la richesse attire, sinon l’estime, au moins une certaine estime, à des hommes qui ne sont que riches, et quelquefois même à des hommes qui ne sont rien moins qu’estimables; et si elle ne va pas jusque-là, elle leur attire, par compensation, les hommages flatteurs, la considération et l’influence.

Que de portes fermées à la pauvreté, même vertueuse, lesquelles s’ouvrent toutes grandes devant la richesse, même coupable!

Que de personnes pour lesquelles la richesse tient lieu d’esprit, de talents et même de vertus!

Encore ici, je reconnais l’influence réelle, bénie de l’Évangile sur l’Église et sur le monde; je reconnais volontiers que les chrétiens sérieux ne se laissent point aisément éblouir par ce veau d’or de la richesse qu’adore avec tant d’impudeur, de nos jours surtout, an monde cupide et vulgaire; et  cependant, que de progrès ils ont à faire encore pour s’affranchir du joug de leurs préjugés mondains, pour donner à la richesse, dans leurs motifs, dans leurs paroles et en particulier dans leurs actes, la place que Dieu lui assigne, pour la considérer comme un état d’abaissement!

Que d’orgueilleuse persistance encore, même chez les meilleurs d’entre eux, à méconnaître, non par leurs paroles, j’aime à le croire, ils ne l’oseraient, mais 
par leur conduite, la bassesse que Dieu a attachée à la richesse, et la grandeur morale qu’il a attachée à la pauvreté!

Aussi, voyant un tel renversement de notions religieuses et chrétiennes si essentielles, ne soyons pas surpris d’entendre l’apôtre Jacques relever le pauvre et abaisser le riche, nous apprendre que:

1. la richesse est si peu un honneur qu’elle est au contraire une bassesse,

2. et que la pauvreté est si peu une flétrissure qu’elle est au contraire  une grandeur, une dignité.

Veux-je par là flatter le pauvre?

Un grand poète de notre temps a dit: «Je n’ai flatté que l’infortune.» Je n’irai pas jusque là; je ne flatterai personne. Mais...:


je veux, de concert avec la Bible, encourager le pauvre;

je veux le réconcilier avec la position trop souvent humiliante et difficile que lui fait le monde, en lui en faisant apprécier les avantages spirituels et surtout la grandeur;

je veux le relever, c’est-à-dire lui rendre sa place, dans l’estime du monde et de l’Église;

je veux surtout, dans la mesure où St Jacques le fait, le relever à ses propres yeux, lui apprendre à s’estimer, à se faire estimer, à se glorifier humblement de son élévation.


Qu’il apprenne, s’il n’est pas chrétien, qu’il lui est beaucoup plus facile qu’au riche de le devenir, puisque, relativement au salut, LA PAUVRETÉ EST UNE FACILITÉ, tandis que la richesse est un obstacle.

Et, s’il est déjà chrétien, qu’il apprenne, pour son édification, que LA RICHESSE TEND À FAVORISER L’ORGUEIL «qui va devant l’écrasement,» tandis que la pauvreté tend à favoriser l’humilité «qui va devant la gloire.»


Que la richesse tend à favoriser l’indolence, la volupté et l’amour de soi,

tandis que la pauvreté tend à favoriser l’activité, la persévérance et l'abnégation.

Que la richesse tend à fermer et à rétrécir le cœur,

tandis que la pauvreté tend à l’ouvrir aux larges émotions et aux actes de la charité.


Qu’il apprenne surtout pour sa consolation, sa joie et sa noble récompense, qu’appelé à ressembler plus particulièrement à Jésus-Christ pauvre, sa vie chrétienne a, ici-bas, un caractère d’élévation que ne saurait présenter celle du riche; que si le monde est particulièrement pour lui un désert, loin de soupirer après «les poissons, les concombres, les poireaux et les oignons de l’Égypteil doit compter sur la manne céleste pour conjurer ses privations, ou sur la patience pour les supporter  dignement; que de concert avec ses frères pauvres, il forme sur la terre, la vraie noblesse du royaume des cieux; qu’il n’a qu’à faire usage de sa foi pour opérer des miracles, pour se procurer le nécessaire.

Dieu ne l'a fait pauvre que pour le mettre en demeure, pour l’honorer de la familiarité de tout obtenir par la foi; qu’en  le rendant pauvre, Dieu a comme ENGAGÉ SA FIDÉLITÉ à l’enrichir continuellement, à lui faire faire et renouveler sans cesse la précieuse, la magnifique expérience que «tout est réellement à lui.»

Élevez-vous donc, chrétiens pauvres, à la hauteur de la carrière glorieuse où la foi vous a fait entrer! et, sans négliger de faire servir cette foi, qui est «la victoire du monde,» à l’apaisement de vos besoins temporels, apprenez, comme vous y exhorte, dans les paroles suivantes, l'éloquent prédicateur auquel nous avons emprunté celles qui servent  d’épigraphe à ce discours, apprenez, dis-je:

«à ne demander à votre Dieu rien de mortel; demandez-lui des choses qu’il soit digne de ses enfants de demander à un tel père, et digne d’un tel père de les donner à ses enfants. C’est insulter à la misère que de demander aux petits de grandes choses; c’est ravilir la majesté que de demander au Très-Haut de petites choses. C’est son trône, c’est sa grandeur, c’est sa propre félicité qu’il veut vous donner, et vous soupireriez après des biens périssables! Non, ne demandez à votre Dieu rien de médiocre; ne lui demandez rien moins que lui-même: vous éprouverez qu’il est bon autant qu’il est juste, et qu’il est infiniment l’un et l’autre. (Sermon sur la justice)»


Veux-je par là accabler le riche?

Loin de là; mais je veux, de concert avec la Bible, l’humilier salutairement; je veux l’humilier salutairement aux yeux du monde et de l’Église, et surtout l’humilier à ses propres yeux, en lui apprenant, ou en lui rappelant, puisque, hélas! on le fait si peu ou si mal, que, devant Dieu, il est à l’égard du pauvre, non point dans une position de supériorité ou même d’égalité, mais dans une position d’infériorité.

Qu’il apprenne, s’il n’est pas chrétien, à n’être point orgueilleux, à ne point mettre sa confiance dans l’instabilité des richesses, mais à la mettre dans le Dieu vivant; et que, s’il peut être sauvé, car, en effet, «toutes choses sont possibles à Dieu,» ce n’est que «comme au travers du feu.»

Et, s’il est déjà chrétien, qu’il apprenne à vivre de foi, pour toutes choses, comme s’il était pauvre; à échanger joyeusement de cœur, s’il n’est pas appelé, par la nécessité des temps et des circonstances, à le faire en réalité, le faux et périlleux honneur d’être riche, contre la glorieuse humiliation d’être pauvre; à prendre plus au sérieux qu'il ne l’a peut-être fait jusqu’ici, SON RÔLE STRICT DE FIDÈLE DISPENSATEUR; à rétablir «l'égalité» entre lui et ses frères, comme le veut St Paul, par une charité prévenante, délicate autant que généreuse; à apprécier l’honneur qui lui est fait d’assister le pauvre; à se mettre ainsi, tout riche qu’il est, et qu’il devra sans doute rester, à se mettre, dis-je, par la foi et par le joyeux renoncement de l’amour, au nombre de ces «pauvres en esprit» que méprise le monde, mais auxquels appartient le royaume des cieux.

Si tels sont les avantages et les honneurs de la pauvreté, et que tels soient les périls et l’abaissement de la richesse, est-ce à dire que nous devions rechercher les uns et fuir les autres, que nous devions nous faire pauvres, si nous sommes riches, ou nous refuser à devenir riches, si nous sommes pauvres?

Non assurément.

Vouloir ainsi nous faire l’un ou l’autre, ce serait vouloir changer nous-mêmes d’état, être nous-mêmes notre Providence; ce serait vouloir vivre de manne à Jéricho, ou vouloir prolonger, sans nécessité, et malgré la volonté de Dieu, les privations du désert; et, dans les deux, cas, ce serait obéir à la voix du Tentateur qui nous crie «de nous jeter d’ici en bas,» et nous préparer ainsi témérairement, des chutes graves et peut-être mortelles.


Tout en acceptant, tour à tour avec résignation ou avec reconnaissance, les pertes, si nous sommes riches, ou les soulagements, si nous sommes pauvres, que la Providence trouvera bon de nous dispenser, en vue sans doute de la mission spéciale qu’elle nous destinera à remplir dans l’Église ou dans le monde, ne recherchons point la pauvreté, et ne fuyons point la richesse; mais, en revanche, ACCEPTONS-LES SIMPLEMENT, SI DIEU NOUS IMPOSE L’UNE OU NOUS ENVOIE L’AUTRE.

- Soyons, non pas ce que nous voulons, mais ce que Dieu veut, soit qu’il nous rende ou nous laisse pauvres, soit qu’il nous rende ou nous laisse riches.

- Soyons chrétiens riches, si Dieu le veut: mais à la condition expresse de nous garder ou de nous dépouiller de cet exécrable orgueil et de cet égoïsme ignoble ou raffiné, qui sont les pièges, et trop souvent l’écueil fatal de la richesse.

- Soyons chrétiens pauvres, si Dieu le veut: mais à la condition, expresse aussi, de nous garder ou de nous dépouiller de cet orgueil (car le pauvre a le sien) et surtout de cet avilissement, qui sont les pièges, et trop souvent l’écueil fatal de la pauvreté.

- Apprenons tous «à être contents» de l’état où Dieu nous laisse, ou de celui où il nous place; aspirons tous, riches et pauvres, à nous revêtir de l’esprit de pauvreté, et à glorifier, dans les positions diverses qui nous sont échues en partage, ou que le cours des événements pourra nous apporter, à glorifier, dis-je, le Dieu «à qui nous sommes,» et qui, «étant  riche, s’est fait pauvre pour nous, afin que, par sa pauvreté, nous fussions rendus riches.»

DESPLANDS.


Le chrétien évangélique 1859


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