Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES PRÉDICANTES DE LA ROCHELLE

CONFESSION DE FOI FAITE À LA ROCHELLE PAR UNE FEMME

ACCOMPAGNÉE DE QUARANTE-CINQ AUTRES FEMMES

DE SES COMPATRIOTES

LE 9 AVRIL 1699

***

Note de la bibliothèque Regard:

Dans la mesure du possible nous avons adapté l'orthographe et la conjugaison à notre époque.


La Rochelle, 1er décembre 1869.


Monsieur,

Il y a quelques années, M. Callot, mon oncle, auteur d’une brochure intitulée: la Rochelle protestante, a découvert, chez un bouquiniste de cette ville, un vieux petit cahier, d’une cinquantaine de pages, jauni par le temps, sali par l’usage, et portant ce double titre:

«Confession de foy faitte à La Rochelle par une femme, accompagnée de quarante-cinq autres femmes de ses compatriotes, le 9 avril 1699. – Les peines, interrogatoires et confession de foy de Jean-François Mesnard, de Marennes, depuis 1755 jusqu’en 1758, dont finit ses peines

Ce n’est évidemment qu’une copie, ancienne cependant, de manuscrits qui ne pouvaient être imprimés, mais dont on multipliait sans doute les exemplaires par l’écriture, pour l’édification des fidèles et pour les fortifier dans leur foi.

Ces sortes de nouvelles à la main devaient être très répandues au temps de la persécution, et de nombreux documents démontrent par combien de moyens ingénieux et avec quelle incorruptible discrétion se transmettaient avis, mots d’ordre, convocations, etc.

C’est que les persécutions avaient eu cet effet, que les faibles ou les tièdes n’avaient pas résisté et avaient abjuré, et que les fervents et les forts étaient seuls restés; et parmi eux les femmes se montraient les plus exaltées et les plus énergiques.

Plusieurs lettres adressées à l’intendant de La Rochelle par le ministre de Maurepas, témoignent qu’elles étaient en plus grand nombre que les hommes dans les assemblées du Désert, et qu’elles y remplissaient souvent le rôle de ministre et de prédicante.

C’est ainsi qu’il écrivait, le 21 août 1748:

«J’ai lu avec attention la lettre de M. le prince de Royan... concernant les assemblées de religionnaires qui s’y tiennent. Quoiqu’elles paraissent n’être composées pour le plus grand nombre que de femmes, il est très convenable d’en arrêter le cours... Quelques brigades de maréchaussée... intimideront assez pour empêcher de nouvelles assemblées, soit en faisant arrêter et conduire à l’hôpital de La Rochelle quelques-unes des femmes qu’on saura avoir fait les fonctions de ministres, etc.»

Et le 13 novembre suivant:

«Il (l'évêque de Saintes) me marque que les femmes qui ont paru il y a quelque temps dans les assemblées de religionnaires aux environs de Royan, et qui y faisaient les fonctions de ministres et de prédicantes, continuent toujours à y paraître, et font même impression... On ne crut pas devoir alors traiter fort sérieusement ce nouveau spectacle. Cependant, il convient que vous vous fassiez informer si ces assemblées continuent, et si ces mêmes femmes, qui y faisaient personnage, continuent toujours d’y paraître de la même manière. En ce cas, vous pourriez m’envoyer les noms de quelques-unes, qu’on ferait renfermer comme insensées à l’hôpital de La Rochelle, ainsi que vous l’aviez ci-devant proposé...»

Les papiers de l’ancienne intendance ne contiennent rien sur l’époque à laquelle se rapporte le premier récit, et je n'ai pu découvrir quelle était la femme intelligente et énergique qui l’avait écrit, ni de quel lieu étaient et à quelle occasion avaient été arrêtées les quarante-cinq femmes qui l’accompagnaient. Ce récit m’a paru néanmoins mériter de vous être transmis, et si vous désirez la seconde partie du manuscrit, je me ferai un plaisir de vous l’adresser.

Tout en transcrivant textuellement cette première partie, j’ai cru devoir corriger les fautes d’orthographe les plus grossières, qui pourraient bien être le fait d’un copiste peu lettré.

Agréez, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

E. Jourdan.


* * *


Le mardi matin, moi, accompagnée de quarante-cinq femmes, nous fûmes conduites par l'Esprit de Dieu chez Monseigneur l'intendant (Michel Boyon, premier intendant de la généralité de La Rochelle, établie en 1694.). Après lui avoir demandé grâce, ne nous la voulant point accorder, il nous renvoya chez M. Grisson (Il faut lire probablement Griffon. Pierre-René Griffon succéda, cette même année, à son père, décédé au mois de mars, comme conseiller au présidial.), qui nous conduit chez Monsieur l'évêque (Ch.-Madeleine Frezeau de la Frezelière, qui avait d'abord embrassé la carrière des armes.) que nous trouvâmes accompagné de Messieurs du Présidial, lieutenant criminel (Jacques Guerry, sieur de la Marcadière.) et procureur du Roi (Simon Bouchereau.), et plusieurs personnes, sans oublier deux Jésuites.

En la compagnie de tous ces grands messieurs, je fis une confession de foi comme Jésus-Christ le dit lui-même: «Quand vous serez menés devant les grands de la terre, ne vous mettez point en peine de ce que vous aurez à répondre, car mon Esprit fera requête pour vous Et qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père qui est aux cieux.» (Matth. X, 19; X, 32.)

Après lui avoir demandé grâce plusieurs fois, M. l’évêque dit qu'il fallait aller à la messe; qu’il était le bon berger.

La Femme. Je lui dis que je ne voulais point aller à la messe. Après avoir goûté du lait d’intelligence qui est sans fraude, je n’en peux goûter d’autre. Vous me dites que vous êtes le bon Berger? Le bon Berger met sa vie pour ses brebis, il ne nous fait pas déchirer comme vous faites, et vous-même êtes l’instrument de toutes ces choses.

M. l’Évêque. Votre religion n’est que depuis cent trente ans: Calvin l’a faite, vous êtes damnée si vous obéissez à son Église.

La Femme. Pardonnez-moi si Votre Grandeur me permet de dire que notre religion est plus ancienne que la vôtre. Elle tient son origine de la fondation du monde:

les prophètes l’ont publiée,

Jésus-Christ l’a apportée du ciel,

les apôtres l’ont prêchée,

les martyrs l’ont signée de leur propre sang.

Votre Grandeur dit que Calvin a fait notre religion?

Calvin ne retentit point dans nos assemblées, nous n’avons point été baptisés au nom de Calvin, il n’a point été crucifié pour nous, il n’est point venu au monde pour nous préparer place.

M. l’Évêque. Où est votre Église? où sont vos pasteurs, vos conducteurs, comme dit Saint Paul? où sont vos évêques? vous êtes comme à l’abandon, sans pasteurs, sans Église et sans sacrifice.

La Femme. C’est l’assemblée des fidèles; chaque fidèle fait un pasteur de l’Église; Jésus-Christ en est le chef, nous en sommes les membres.

Cette pauvre Église, qui a toujours été affligée, le sera jusqu’à la venue du Fils de l’homme. Vous me dites: où sont vos pasteurs?

Puisque l'on nous les a ôtés et que nous en sommes privés, nous avons Jésus-Christ, qui est le grand pasteur de nos âmes. Monsieur, je fais excuse à Votre Grandeur, nous ne sommes point à l’abandon, nous prions Dieu de tout notre cœur, nous avons ce divin Esprit, qui est le vrai consolateur de nos âmes, et qui nous fait crier: Abbas! père! Il dit lui-même: «Mon enfant, donne-moi ton cœur (Prov. XXIII, 26.)

M. l’Évêque. Où sont vos autels?

La Femme. Je fais excuse à Votre Grandeur; Jésus-Christ a été crucifié une fois; il ne se fait point de sacrifice sans effusion de sang.

M. l’Évêque. Il faudrait un fouet de cordelettes pour vous châtier et vous faire abandonner cette maudite religion. Un si bon Roi, qui vous appelle avec tant de douceurs! vous êtes rebelle à votre Roi.

La Femme. Dans plusieurs temples où l'on priait Dieu, où tant de ministres le servaient avec tant de respect, aujourd’hui c’est un lieu de marché !...

Il faudrait que Jésus-Christ descendît du ciel et que le Saint-Esprit en fût les cordelettes; il aurait à dire: «De ma maison vous en faites une caverne de brigands!» (Matth. XXI, 13.)

Monsieur, je fais excuse à Votre Grandeur, vous dites que vous nous ferez abandonner notre religion? Elle n’est point maudite; c’est la religion de Dieu..... (on omet ici un membre de phrase inintelligible) et de son cher fils Jésus-Christ, qui a souffert la mort et répandu son sang précieux pour nous racheter de la cruelle mort dont nous étions coupables dans la lignée d’Adam.

M. le Procureur du Roi interrompt. Croyez-vous que M. Massiot du Brigenez (Probablement Louis Massiot, négociant et raffineur, qui avait signé, au mois de septembre 1685, une promesse d'abjuration. Archives départementales.) et plusieurs autres qui ne sont pas écrits n’aient pas autant de conscience que vous? Ils sont bien venus au giron de l’Église et font mieux leurs devoirs que vous.

La Femme. Monsieur, je vous prie de me dire en quel lieu du monde où il est dit: je me viens jeter au giron de l’Église romaine pour y faire mon salut; car les uns y sont venus par faveurs, les autres par grandeurs, les autres par charges éminentes et les autres pour de l’argent.

M. l’Évêque. On leur promet des douceurs pour les attirer au giron de l’Église, à la foi catholique. Crois-tu avoir plus de savoir et de force que vos pasteurs qui ont connu la vérité de leur changement? mais il n’y a que ce petit peuple opiniâtre qui se rebelle contre la foi catholique.

La Femme. Monsieur, je fais excuse, la véritable religion ne s’achète point pour de l’argent, comme dit saint Pierre; quand il imposait les mains aux apôtres, le don du Saint-Esprit leur était donné.

Simon le magicien crut qu’on offrait à Saint Pierre de l’or et de l’argent.

Vous dites, Monsieur, quoique nous sommes un petit peuple, que nous sommes opiniâtres et rebelles; nous ne le sommes point contre la vérité évangélique.

C’est elle qui nous conduit au ciel par la foi que nous avons en Jésus-Christ.

Vous dites, Monsieur, que nos pasteurs nous ont abusés?

Comme il est dit dans l'Évangile que les étoiles tomberont du ciel et que les vertus du ciel seront ébranlées. Dieu connaît ceux qui sont siens.

Vous dites, Monsieur, qu’ils se sont jetés entre vos bras parce qu’ils ont connu la vérité. Il est impossible qu’ils la puissent quitter et abandonner.

M. l’Évêque. Elle veut être plus savante que les ministres qui étaient de savants hommes qui sont venus à la messe de mon temps, à Paris, et qui étaient de savants docteurs de chaire, et ont reconnu leurs fautes et la vérité de l’Église romaine.

La Femme. Votre Grandeur me permettra de dire que c’est aux (sic) Ponce-Pilate et Hérode et Félix; [ils] étaient instruits en la rhétorique, en la philosophie et en toutes bonnes sciences; cependant, ils ont crucifié Jésus-Christ, qui s’est déclaré à de pauvres pécheurs qui n’avaient nulle science, et a caché les choses saintes aux sages et aux entendus et les a déclarées aux petits, comme il le dit lui-même: «Crois, et tu seras sauvé.» (Actes XVI, 31; Rom. X, 9.)

Monsieur, Votre Grandeur s’est trompée: il n’y a point d’hérésie en notre religion; c’est la pureté de l’ouvrage des cieux, c’est la vérité évangélique. Notre religion est plus claire que le soleil en plein midi, quoiqu’elle soit affligée par les ennemis de notre salut.

M. l’Évêque. Je vous dis que hors de l’Église, il n’y a point de salut.

Venez donc à la bonne religion, un Roi vous y appelle avec tant de douceur.

Jetez-vous entre les bras de votre évêque, et Dieu et le Roi m’ont donné plein pouvoir de vous faire ce que son conseil en a ordonné. Vous ne priez point Dieu, vous êtes comme à l’abandon, car vous n’êtes qu’une nuée parmi le monde.

La Femme. Monsieur, j’avoue à Votre Grandeur que, hors de l’Église il n’y a point de salut.

Cette Église a deux parties, l’une est triomphante, l’autre est militante sur la terre.

Ce grand apôtre Saint Paul qui reçut trente-neuf coups de fouet sous l’empire romain, on lui défendit avec menace le nom de Jésus-Christ; le grand apôtre répondit: «Il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes.»(Actes V, 29.)

Si nous jetions les pierres par les..... toutes les souffrances d’ici-bas ne sont point à contre-peser à la gloire de Dieu, qui nous a préparé là-haut, au ciel, la couronne de gloire.

Monsieur, voulez-vous que je vous dise pourquoi elle [l’Église] est petite sur la terre?

À cause des afflictions qui l'accompagnent jusqu'à la fin du monde; mais elle triomphera dans le Ciel, et sera victorieuse, et vaincra les ennemis qui l'ont affligée ici-bas, avec ceux qui ont souffert avec elle et qui ont combattu le bon combat; ils auront la couronne de vie qui leur est préparée dès la fondation du monde.

Elle dit elle-même: «Je suis brunette à cause des afflictions qui m'accompagnent.» Mais l’orgueilleuse dit: «Je suis reine et ne verrai point de deuil, parce qu'elle a la coupe de la colère de Dieu en sa main, pour verser sur ceux qui sont sous icelle qui ont adoré la bête avec elle.»

M. l'Évêque. Qu'est-ce que vous voulez dire de cette orgueilleuse Église, cette Babylone qui a la coupe de la colère de Dieu pour verser sur ceux qui n’ont point servi Dieu?

Dites-moi l'explication de cela, — en se mettant en grande colère, en frappant de ses pieds par trois fois, — et me dites si notre Roi est damné.

La Femme. C'est elle qui est la grande paillarde, qui a fait paillarder plusieurs, et qui la servent; c'est la coupe de la colère de Dieu qu’elle a en sa main, tombant sur elle et sur ceux qui ont adoré la bête; Monsieur, je fais excuse à Votre Grandeur.

Vous dites si nous croyons que notre Roi est damné.

C'est pour nous surprendre en paroles, comme firent les soldats romains à notre Seigneur Jésus-Christ. Si nous croyions telle chose de notre Roi, nous mériterions la mort; mais, devant Dieu, tant s'en faut: nous prions Dieu, le soir et le matin pour lui. Il n'y a point personne qui craigne Dieu qui n'en fasse la même chose.

M. l’Évêque. Que dites-vous? vous n'êtes qu'un petit nombre au prix de nous. Je suis fâché du mal qu'on vous prépare. Je vous prie, venez à l'Église entendre l'Évangile.

La Femme. Je fais excuse à Votre Grandeur; sous le règne d'Achab, le prophète Élie fut caché dans le désert, lequel fit sa prière à l'Éternel: «Seigneur, ils ont démoli les autels, ils ont tué tes prophètes avec des épées, et moi je suis demeuré seul; encore veulent-ils m'ôter la vie!» Il lui fut répondu du ciel: «Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi les genoux devant Baal, desquels la bouche ne l'ont point baisé.» (Rom. XI, 3-4.)

M. l’Évêque. Nous avons lu les saints Pères de l’Église, savoir: Saint Jérôme, Saint Athanase, Saint Étienne et Saint Augustin, et plusieurs autres qui ont écrit contre votre religion.

Ils la dépeignent par une entière réformation faite de mains d'hommes, sortie d’un Jean Huss, d’un Bèze et d’un Calvin: voilà une belle religion faite par la main des hommes!

La Femme. Monsieur, après avoir lu la Bible vingt-quatre fois, j’ai lu aussi les saints Pères de l’Église dont vous parlez.

Votre religion est éloignée de l’Écriture sainte comme l’Orient est éloigné de l’Occident. Nous marchons sur les traces de Jésus-Christ. Monsieur, je ne doute point que Votre Grandeur n’ait lu les livres de la....., dont sont enclos (sic) les œuvres de M. Arnaud (?) docteur en théologie, lequel en les derniers qu’il a faits dit en propres termes devant le grand évêque d’Allemagne: «Si j’avais tous les écrits et les livres contre les Messieurs de la religion prétendue réformée, mal nommée, je les ferais brûler, car j’en ay écrit contre ma conscience, et j’en demande pardon à Dieu de tout mon cœur.»

Vous me parlez de Jean Huss, de Bèze et de Calvin? Il est vrai que ces personnes ont été, dont j’en loue Dieu.

Dieu s’est servi de leur éloquence pour appeler le peuple à sa connaissance. Quelle est la mémoire de Calvin, aussi bien que des autres qui avoient fait trembler la terre et démonter le Pape de son siège? Il paraît aujourd’hui par plusieurs personnes qui souffrent pour l’Évangile de Jésus-Christ.

M. l’Évêque. Avez-vous leurs édits, leurs décrets?

La Femme. Je ne les ai point, Monsieur.

Il me dit pour toute conclusion: «Voilà la foudre, et la tempête qui va tomber sur vous!»

La Femme. Je fais excuse à Votre Grandeur, nous n’aurons pas plus de mal que Dieu n’en a ordonné en son conseil. II dit lui-même: «On vous dira des injures et l’on vous fera mourir, croyant faire service à Dieu (Jean XVI, 2.)

Et Jésus-Christ dit lui-même: «Ayez bon courage; j’ai vaincu le monde. Ceux qui persévèrent jusqu’à la fin, je leur donnerai la couronne de vie(Jean XVI, 33; Matth. X, 22; XXIV, 13.)

Dieu nous fasse la grâce de vaincre avec lui!

Amen.

Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français / 1870



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