Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CONVERSION DE LA NOBLESSE PROTESTANTE

AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

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(Fragment inédit.)

On sait que notre collaborateur M. Ch. Weiss prépare un ouvrage sur les réfugiés protestants français du dix-septième siècle. Il a lu à l’Institut, au mois de juillet 1851, plusieurs mémoires ou fragments détachés de son travail, qui ont excité un vif intérêt; cinq de ses mémoires, insérés au Moniteur et au Compte-rendu de l’Académie des Sciences morales et politiques, ont été reproduits par la plupart des journaux protestants.

Ils avaient pour objet:

1° l’état de l’agriculture, de l’industrie et du commerce des protestants de France au dix septième siècle;

2° l’émigration protestante après la révocation;

3° la participation des réfugiés à la révolution d’Angleterre de 1688;

4° les principales industries dont le refuge a doté l’Angleterre;

5° la constitution religieuse et politique du parti protestant en France, depuis la promulgation de l’édit de Nantes jusqu’à la prise de la Rochelle.

Deux autres morceaux, relatifs à la conversion de la noblesse protestante au dix-septième siècle et à l’état actuel de la colonie de Berlin, n’ont pas été publiés.

C'est le premier de ces deux fragments inédits que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs.


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La plus grande partie de la noblesse ne persista pas dans son attachement à la Réforme.

Elle avait prodigué son sang et ses trésors pour défendre ses convictions religieuses, tant qu’elle avait été soutenue par le sentiment du danger que présentait la lutte, et par l’obligation de garder son honneur en restant fidèle à la cause qu’elle avait embrassée.

Sous Louis XIII et Louis XIV, ces mêmes hommes qui avaient bravé les supplices se trouvèrent désarmés contre les faveurs de la cour.

Plusieurs pensèrent sans doute, comme autrefois le Béarnais, que les honneurs et les dignités valaient bien une messe. Il faut ajouter que l’Édit de Nantes, en donnant une constitution légale au parti protestant, avait mis naturellement ce parti sous la direction de ses assemblées, dans lesquelles les ministres avaient toujours une influence prépondérante.

Les grands seigneurs dont les ancêtres s’étaient jetés dans ce parti, pour satisfaire ce besoin d’indépendance féodale qui fermentait encore au cœur de la noblesse, éprouvèrent dès lors pour lui un attachement moins vif.

Ils étaient humiliés, comme autrefois le baron des Adrets, de voir donner les diseurs pour juges aux faiseurs, et ils étaient tout disposés à suivre son exemple et à quitter une secte dans laquelle ILS NE POUVAIENT PLUS JOUER DÉSORMAIS QU’UN RÔLE SECONDAIRE.

Ils se souvenaient sans doute aussi des rudes paroles que le duc de Rohan avait été obligé d’adresser à une assemblée qu’il présidait dans le Languedoc pendant la guerre civile terminée par Richelieu.

Interrompu violemment par quelques-uns des pasteurs les plus influents, en butte aux attaques les plus passionnées, aux invectives les plus cruelles, le grand seigneur, dominant tout à coup le tumulte, s’était écrié avec colère: «Vous n’êtes que des républicains, et j’aimerais mieux présider une assemblée de loups qu’une assemblée de ministres.»

D’autres furent sincères dans leur changement et cédèrent à la réaction religieuse qui fut si puissante en France à cette époque.

Le succès mérité qu’obtinrent «l'Exposition de la doctrine de l'Église catholique» et le célèbre ouvrage de «la perpétuité de la foi» que Bossuet et Arnault dirigèrent contre le calvinisme, furent pour beaucoup dans la conversion de plusieurs des familles les plus illustres.

D’ailleurs l’Église protestante, contrairement à son intérêt et par un scrupule qui l’honorera toujours aux yeux de la raison, inclinait à admettre que l'on peut être sauvé dans les deux communions.

Le ministre Jurieu soutenait ouvertement cette doctrine avec cette conviction vigoureuse qu’il apportait dans les questions de controverse. Il avait, selon l'expression de Bossuet, ouvert, la porte du ciel à ceux qui vivaient dans la communion de l’Église romaine.

Il n’avait pas craint de déclarer que l’opinion contraire était inhumaine, cruelle, barbare, et qu’il la considérait comme une opinion de bourreau.

Claude, ministre de Charenton, qui était d’un caractère plus doux et plus conciliant que Jurieu, condamnait, il est vrai, cette doctrine; mais il était tous les jours témoin des pertes que faisait son Église, et il était naturellement hostile à un principe si préjudiciable à son parti.

L’Église catholique, au contraire, était inflexible dans son dogme, et elle n’hésitait pas à enlever l’espoir de la vie éternelle à tous ceux qui n’adhéraient pas à sa doctrine.

Dans le doute, on suivait le principe qu’il faut prendre le parti le plus sûr, et l’on se réunissait au parti dominant.

Telles sont les raisons diverses qui décidèrent la plupart des grandes familles à abandonner successivement la religion protestante.

Le vieux Lesdiguières abjura en 1622 et fut créé connétable. Sa fille, Madame de Créqui, était convertie depuis longtemps, mais elle avait tenu son changement secret, de peur de diminuer le crédit de son père parmi les huguenots.

Le propre fils de Gaspard de Coligny, Charles de Coligny, marquis d’Andelot, abjura la religion protestante.

Le maréchal de Châtillon, fils de François de Coligny, qui s’était réfugié à Genève après le meurtre de l’amiral son père, rentra dans le sein de l’Église romaine en 1653.

Le duc de La Trémouille, cet ancien chef de la noblesse protestante du Poitou, neveu du prince d’Orange et du duc de Bouillon et pupille de Duplessis-Mornay, fit son abjuration au camp de Richelieu, devant La Rochelle, en 1628.

Sa femme, douée d’un courage viril, et l’une des héroïnes du parti, s’empara, il est vrai, de l’autorité domestique et fit élever ses enfants dans la religion de leurs ancêtres. Mais son fils Henri Charles de La Trémouille, prince de Tarente, après avoir servi quelque temps en Hollande, sous les stathouders, ses proches parents, revint en France, après la mort de sa mère, s’attacha à Turenne qu’il espérait remplacer un jour, et se convertit un an après lui.

Ses enfants furent élevés dans la religion catholique.

La maison de La Rochefoucault comptait un de ses aïeux parmi les victimes de la Saint-Barthélemy. Cependant une branche de cette famille abjura dès le règne de Louis XIII.

Le maréchal de Rantzau se convertit en 1615.

Cette même année, Marguerite de Rohan, fille unique du duc de Rohan et dernière héritière de l’une des branches de cette illustre famille, que son père avait, disait-on, destinée au duc de Weimar, pour réunir par cette alliance les luthériens et les calvinistes, épousa un catholique, Henri Chabot, seigneur de Saint-Aidaye et de Montlieu, et les princes de Rohan-Chabot, arrivés à l’âge de faire un choix, optèrent pour la religion de leur père qui était celle du roi.

Le duc de Bouillon, fils du maréchal de ce nom et frère aîné de Turenne, renonça à sa religion, en 1635, pour épouser la fille du marquis de Berghe, zélée catholique, qui contribua dans la suite à ses malheurs, ce qui fit dire aux écrivains protestants de cette époque, qu’elle lui avait apporté pour dot la perte de Sedan.

Turenne lui-même abjura entre les mains de l’archevêque de Paris, en 1668.

Les maréchaux de Duras et de Lorge, ses neveux, suivirent son exemple.

Leur sœur, Mademoiselle de Duras, qui fut dame d’atour de la duchesse d’Orléans, provoqua cette conférence célèbre de Claude et de Bossuet, à la suite de laquelle elle se convertit en 1078.

Louis de Duras, leur frère, fut envoyé en Angleterre par les soins de sa mère, protestante zélée, qui espérait le retenir ainsi dans le culte de sa famille. Mais il ne tarda pas à se convertir à la cour des Stuarts, qui l'élevèrent aux plus hautes dignités de l’État sous le titre de comte de Feversham.

Le duc de Montausier, élevé à Sedan, sous la direction du célèbre ministre Du Moulin, se convertit, à l’hôtel de Rambouillet, sous l’influence de la pieuse Julie d’Angennes à laquelle il s’unit plus tard.

L’abbé Dangeau, de l’Académie française, fut ramené à la religion catholique par Bossuet, en 1667.

Le marquis de Dangeau, son frère, si célèbre depuis dans l’art du courtisan, avait abjuré dans sa première jeunesse.

Les marquis de Maintenon, de Poigny, de Montlouet, d’Entragues, rentrèrent successivement dans le sein de l’Église romaine.

De toutes les grandes familles protestantes deux seulement persistèrent dans leur attachement à la religion de leurs ancêtres: les Jaucourt en Bourgogne, les Preissac en Guienne.

La petite noblesse se convertit également presque tout entière sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. La plupart des gentilshommes, accoutumés depuis longtemps à suivre à la guerre les grands seigneurs qui avaient du crédit dans chaque province, les suiviront aussi à la cour et sollicitèrent de l’emploi au service du roi, qui était donné presque toujours de préférence aux catholiques.

Obligés d’ailleurs de servir sous des chefs animés trop souvent de la haine la plus vive contre les calvinistes, exclus de l’ordre récemment institué de Saint-Louis qui devenait, pour chaque officier, à la fois la marque de sa croyance et celle de sa bravoure, éloignés presque toujours de leurs familles et des pasteurs qui avaient élevé leur enfance, ne pouvant pas regarder comme voués à une damnation éternelle ceux avec lesquels ils passaient leur vie, ils adoptaient volontiers la doctrine que l’on peut se sauver dans les deux religions et embrassaient celle qui dominait.

Il n’est donc pas étonnant qu’il ne soit guère resté de protestants parmi les nobles que ceux qui renonçaient au service, et le nombre en diminuait à chaque génération, parce que bien peu consentaient à être réduits au rôle de gentilshommes de campagne.

Ch. Weiss.

Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français 1853


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