Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

STANCES DE LA RÉVOCATION DE L'ÉDIT DE HAUTES.

***

1698.

(Poésie inédite.)


M.le pasteur Melon, de Caen, nous a adressé la pièce de vers suivante, qu’il a trouvée dans une vieille Bible de famille et dont la lecture l’a, nous disait-il, vivement impressionné.

On comprendra ce sentiment qui sera partagé, nous n’en doutons pas; car c’est un morceau plein d’âme et d’inspiration, et renfermant de grandes beautés.

L’avant-dernière strophe est, sans contredit, admirable.

Le manuscrit que nous avons sous les yeux paraît être une copie du temps et porte la date du 16 août 1698.


* * *


COMPLAINTE DE L’ÉGLISE AFFLIGÉE


Notre cœur, ô Dieu! le réclame,

Nos cris implorent ton secours;

Regarde au triste état qui consume nos jours.

Vois l'amertume de notre âme;

Connais nos maux, viens les guérir.

Viens nous tirer, Seigneur, d’un affreux précipice.

Et jette ton regard propice Sur des pécheurs prêts à périr.


Nos pauvres tribus fugitives,

Tes autels partout renversés.

Tous tes flambeaux éteints, tes troupeaux dispersés

Tant de milliers d’âmes captives,

Des consciences dans l’effroi,

Des sentiments forcés, des cœurs dans les alarmes,

Des yeux toujours baignés de larmes,

Sont des voix qui crient à toi.


Nos filles dans les monastères,

Nos prisonniers dans les cachots,

Nos martyrs dont le sang se répand à grands flots,

Nos confesseurs sur les galères,

Nos malades persécutés,

Nos mourants exposés à plus d’une furie,

Nos morts traînés à la voirie,

Te disent nos calamités.


C’est de ta Grâce un privilège

Que le droit de fléchir les cœurs;

Mais on veut l'usurper à force de rigueurs

Par un attentat sacrilège.

Au lieu de persuasion

L’on prétend à grands coups forcer la conscience.

On fait faire à la violence

De ton esprit la fonction.


Quelles plaintes assez amères

Sur nos enfants infortunés!

Victimes des péchés de ceux dont ils sont nés,

Arrachés du sein de leurs mères,

Et qui, dans ce destin fatal,

Immolés à l’erreur par des mains inhumaines,

Du péché reçoivent la peine,

Avant que d’en faire le mal.


Naître dans cet état funeste,

Vivre alarmé, troublé, tremblant,

Mourir dans les horreurs d’un remords accablant,

Prélude du courroux céleste;

Craindre l'enfer après la mort,

Ou d’un Dieu dans son cœur étouffer toute idée,

Pour vivre et mourir en athée,

O Dieu! quel déplorable sort.


Malheureux étât où nous sommes,

On nous charge d'un joug de fer,

On nous ferme le ciel, on nous ouvre l’enfer,

Sans respect de Dieu ni des hommes.

Objets d’un injuste courroux,

Nous sentons les ardeurs d’un feu que rien n’apaise,

On nous jette dans la fournaise:

Oh! si l’ange était avec nous!


Hélas nous avions espérance,

Malgré le cours de nos malheurs,

Qu’une paix favorable arrêterait nos pleurs

Et finirait notre souffrance.

Nos péchés ne l’ont pas permis.

Mais, irritant ton bras armé contre nos crimes,

Ils nous ont laissés pour victimes

Aux fureurs de nos ennemis.


Au moins alors que tout menace

Ta Grâce nous parlait de paix,

On pourrait s’assurer de ne périr jamais;

Mais nous n’entendons plus ta Grâce,

Le mal sur nous au mal se joint,

Sans que tu daignes voir tous ces maux qui nous troublent.

Ah! Seigneur, les briques redoublent,

Mais Moïse ne paraît point.


Où sont donc tes faveurs divines?

Nous quittent-elles sans retour?

Elles seront, ô Dieu, l’objet de notre amour,

Quel fléau que tu nous destines.

Oui, toujours en les implorant,

Nous irons à tes pieds attendre le supplice;

S’il faut périr sous ta justice,

Nous périrons en t’adorant.


Ton courroux veut-il nous éteindre,

Nous nous retirons dans ton sein.

De nous exterminer formes-tu le dessein,

Nous formons celui de te craindre.

Malgré nos maux, malgré la mort.

Nous bénirons les traits que ta main nous apprête:

Ce sont les coups d’une tempête,

Mais ils ramènent dans le port.


Puisse un si beau retour de zèle

Être instructif aux ignorants,

Relever les tombés, ramener les errants,

Affermir quiconque chancelle,

Nous rétablir en ta faveur

Saluer nos ennemis, édifier nos frères

Et triompher de nos misères

Par Jésus-Christ, notre Sauveur!

Ainsi soit-il.


Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français 1853 / 01




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