COMPLAINTES DES ÉGLISES DU DÉSERT

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Un de nos correspondants du Midi nous a communiqué quelques extraits d’un Recueil de Complaintes du Désert, et entre autres le Cantique que nous publions.

«Ces pièces, nous dit-il, quoique bien souvent la rime y force la raison, sont loin d’être sans intérêt et sans mérite. Elles nous décèlent l’esprit public protestant de l’époque. Ce sont des soupirs, des vœux, des imprécations, quelquefois des satires très virulentes.

Les catholiques usaient aussi de cette arme, pour flétrir même leurs propres frères, témoin une lettre du 28 juin 1740, dans laquelle il est dit que «les papistes de Saint-Genier (Saint-Geniès) tirent une chanson où ils appelaient Vignier vendeur de chiens, pour avoir, avec le curé, mis les soldats de Beaucaire à la poursuite de Simon qui s’enfuyait de Mauressargues.»

Cette lettre est dans le vol. 18 des Mss. d’Ant. Court, à la bibliothèque de Genève. Il y a, je m’en souviens, dans cette collection, un certain nombre de morceaux en ce genre qui mériteraient d’être connus. Tel vous paraîtra sans doute ce Cantique sur la persécution, qui exprime avec tant d’énergie la lassitude et l’amertume de cœur de nos malheureux aïeux.

C’est un Super flumina Babylonis. Pour avoir le cachet du temps, le style n’en a pas moins une certaine vigueur. D’ailleurs il faut se rappeler que la houlette, les agneaux, les bergers, ne sont pas ici de simples fadeurs métaphoriques; ce sont les lamentables réalités du sujet. Troupeaux et pasteurs sont à la merci des bourreaux.»

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CANTIQUE SUR LA PERSÉCUTION

(Sur le chant du Ps. 129.)

Que ce climat nous devient odieux!

Pour le troupeau ne se voit plus d’herbage.

De quelque part que l’on jette les yeux

Pour les bergers ne se voit plus d’ombrage;

Où sont ces bois si riants et si doux?

L’onde en fureur inonde nos prairies,

La foudre éclate, et l’on voit sous ses coups

Frémir partout nos tristes bergeries.

Le faux Pasteur, jusque dans nos hameaux,

À nos bergers vient ôter la houlette,

D’entre leurs mains enlève leurs agneaux...

Ils les paissaient; le cruel les maltraite.

Le soldat vient, par le feu, par le fer,

Exécuter ce que la fraude trame.

De nos maisons il fait un autre enfer

Où notre corps souffre moins que notre âme.

Où fuirons-nous? Comment nous garantir?

Nous ne voyons partout que labyrinthes,

Où nous tournons sans en pouvoir sortir.

Et nul espoir ne luit pour notre crainte!

Nous ne pouvons chez nous trouver la paix,

Ni la chercher aux terres étrangères.

Le ciel ne vit, ni ne verra jamais,

Tant d’innocents souffrir tant de misères!

Nous envions le sort des animaux

Qui, dans les bois, errent à l’aventure,

Et souhaitons, dans l’excès de nos maux,

Même retraite et même nourriture.

Heureux, au moins, si, par un prompt trépas

On mettait fin aux assauts qu’on nous livre!

En expirant nous ne nous plaindrons pas:

Nous craignons moins de mourir que de vivre!

Toujours haïs, toujours persécutés,

Sans excepter ceux que la tombe enserre,

Vivants ou morts, puissions-nous habiter

Sous d’autres cieux et sous une autre terre!

Mais sans mourir il faut souffrir toujours.

Nos ennemis, qu’un zèle amer soulève,

Pour s’assouvir laissent languir nos jours:

Le bourreau frappe, et jamais il n’achève.

Que dis-je? on va, par un forfait nouveau,

Forcer des morts l’asile inviolable;

Et, les traînant arrachés du tombeau.

En faire au monde un exemple effroyable.

O grand Pasteur, dans ce pressant besoin,

Découvre aux tiens quelque route sur l’onde,

Et, sous tes yeux, et par tes tendres soins,

Rassemble-les aux bords du Nouveau Monde.

Là, racontant ta sainte vérité

Aux habitants de ces climats étranges,

Nous leur ferions partager la clarté

Et le bonheur de chanter tes louanges.

Vivre et mourir sous tes divines lois

Est le seul bien que chacun de nous aime.

Reçois nos vœux, Seigneur, entends nos voix,

Nous t’adorons, te chérissons quand même!

Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français 1853 /01