Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

GUILLAUME L'INFIRME

***

Un prédicateur de l'Évangile venait de prêcher dans un village situé à peu de distance de son champ de travail ordinaire. Le soir, comme il s'en retournait à pied chez lui, il dut passer au milieu d'un groupe de chaumières à demi cachées dans les arbres.

Une de ces chaumières attira surtout son attention. Son aspect désolé donnait l'idée de l'extrême pauvreté de ceux qui l'habitaient. Le toit était percé en plusieurs endroits; les deux petites fenêtres conservaient à peine quelques vitres. La porte, toute délabrée, était ouverte.

L'évangéliste entra; mais il recula de surprise, à la vue du seul être vivant qui se trouvait dans cette misérable demeure. C'était un homme d'une trentaine d'années, au visage pâle et défait. Sa tête, d'une grosseur démesurée, contrastait d'une manière choquante avec ses membres grêles et difformes. La taille ne dépassait pas celle d'un enfant de dix ans, et les deux béquilles placées à la portée de sa main disaient assez que le malheureux ne pouvait se mouvoir qu'avec difficulté.

Guillaume (c'était son nom) n'était pas né infirme; il avait été réduit à ce triste état par suite de la négligence avec laquelle sa mère l'avait élevé. Cette femme dénaturée s'adonnait à la boisson, et traitait encore son fils avec la plus grande dureté.

Guillaume, assis sur un escabeau, qui composait, avec une chaise cassée et une table boiteuse, tout l'ameublement de la chambre, lisait quand l'inconnu entra. Celui-ci résolut de ne pas se faire connaître avant d'avoir découvert le sentiment du pauvre infirme. Il l'aborda donc d'un air assez indifférent.

Bonjour, mon ami, lui dit-il, quel est le livre que vous lisez?

Je lis le Nouveau Testament de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, répondit Guillaume avec une gravité douce qui effaça sur-le-champ l'impression pénible que sa vue avait d'abord fait éprouver à son visiteur.

Ah! vraiment, continua ce dernier. Et pensez-vous, comme les gens religieux le prétendent, que la lecture de ce livre puisse faire beaucoup de bien? Pensez-vous, par exemple, qu'elle me rendît meilleur?

L'infirme attacha de nouveau sur son interlocuteur un regard qui prouvait que dans ce corps chétif il y avait une belle intelligence.

Si l'Esprit qui inspirait les saints hommes de Dieu, quand ils ont écrit ce livre, ouvre votre cœur, cette lecture vous fera certainement du bien, répondit-il; mais, sans cela, elle ne vous en ferait aucun. Car

«l'homme animal ne comprend point les choses qui sont de l'Esprit de Dieu; elles lui paraissent une folie et il ne peut les entendre parce que c'est spirituellement qu'on en juge.»

En entendant ces paroles, l'évangéliste oublia le lieu où il était et celui qui lui parlait; il comprit qu'il avait devant lui un frère spirituel, un membre de «la race élue, de la sacrificature royale, du peuple acquis»; néanmoins il voulut encore éprouver la foi de l'infirme, et, affectant de ne pas saisir le sens de ses paroles, il lui demanda:

«Mais, mon ami, comment avez-vous fait pour entendre ces choses spirituelles? Vous n'êtes sûrement pas un savant?

Guillaume regarda alors son visiteur avec une attention profonde; son œil semblait chercher à lire dans son âme.

Monsieur, je ne vous connais pas, dit-il enfin; j'ignore le motif de votre visite; mais l'Évangile me commande «d'être toujours prêt à répondre de l'espérance qui est en moi», et je prie Dieu de me faire la grâce de m'acquitter de ce devoir avec douceur et respect. Vous voyez, Monsieur, la difformité de mon corps, mais vous ne voyez point celle de mon âme: vous ne pouvez pas savoir combien j'ai péché.

Vous, pécher! s'écria son visiteur; vous pouvez à peine bouger: quels péchés pourriez-vous commettre dans l'état où vous êtes?

Il est vrai, je ne puis offenser Dieu de la même manière que les autres hommes, répliqua-t-il, cependant je suis une des plus viles créatures qui existent. J'ai cru pendant longtemps que les infirmités qui rendaient ma vie si malheureuse me donnaient le droit de pécher autant que je le voudrais.

Je me disais que Dieu ne punirait pas dans l'autre monde un homme qu'il avait si cruellement traité dans celui-ci, et, selon moi, sans sujet. D'après cette idée, comme je ne pouvais presque commettre d'autres péchés, je me mis à jurer et à blasphémer avec fureur.

J'inventais des imprécations dont aucun homme, je crois, n'aurait eu l'idée. Mais enfin, Dieu soit béni! Il y a environ trois ans qu'en me traînant au soleil, devant la porte, appuyé sur mes béquilles, je fus saisi d'une violente douleur: je crus que j'allais mourir, et je tombai à terre en poussant des cris. De sérieuses pensées me vinrent alors à l'esprit: «Quel bien ai-je fait pendant ma vie? me dis-je à moi-même. — Aucun. Je ne puis donc espérer d'aller au ciel. Et si je n'y vais pas, où irai-je donc?»

Ces questions que ma conscience me posait sans cesse me faisaient trembler; car il faut vous dire, Monsieur, qu'à cette époque, je ne connaissais aucun autre moyen de salut que mes propres œuvres.

Mais enfin, interrompit le visiteur, quel autre moyen de salut pourrions-nous avoir que de faire tout le bien qui dépend de nous, en vue de mériter la faveur du Tout-Puissant?

Le visage de l'infirme s'illumina.

«Nul ne sera justifié par les œuvres de la loi, répondit-il, car c'est la loi qui donne la connaissance du péché. Dieu nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa miséricorde, par le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint-Esprit qu'il a répandu abondamment sur nous par Jésus-Christ notre Sauveur» (Romains III, 20; Tite III, 5, 6).

Dans cet état de détresse, ajouta-t-il en reprenant son récit, j'essayai de prier. Les prières que je fis ne ressemblaient sans doute en rien à celles que vous pouvez avoir lues et entendues. Quoi qu'il en soit, je crois que Dieu les entendit et les exauça. Je ne sais pas pourquoi, mais ce fut comme si elles lui étaient agréables. Voici ce que je disais, autant que je puis m'en souvenir: Seigneur, je suis un pauvre pécheur; je n'ai jamais rien fait de bon en ma vie, et maintenant j'ai peur de mourir et d'aller en enfer. Ô Seigneur, si tu peux me sauver, fais-le, quoique je ne sache pas comment tu peux le faire. Ô épargne-moi encore, et je ferai plus que David, car il priait sept fois par jour, mais je prierai huit fois et je lirai douze chapitres. Mais par prier, j'entendais lire les prières d'un livre.

Que pouvez-vous faire de mieux que de lire ces prières?

Ah! monsieur, vous pourriez lire toutes les prières du monde et n'avoir jamais prié.

C'est étrange, qu'est-ce donc que prier?

Prier, c'est demander à Dieu ce dont nous avons besoin.

Continuant son récit, il dit:

«Dieu permit que je me rétablisse un peu. Je commençai donc à faire ce que j'avais promis; mais, hélas! au bout de peu de temps je vis que je ne priais pas du tout, et je cessai de lire les prières, parce que je craignais que ce ne fût se moquer de Dieu; mais grâce à Lui, je ne cessai pas de lire mon Nouveau Testament. Je le lus tout entier.

Au commencement, il me sembla qu'il ne contenait que des menaces. Je ne pouvais y voir les grandes et précieuses promesses qu'il contient. Je ne pouvais faire attention qu'à des passages tels que ceux-ci:

«Serpents, race de vipères, comment échapperez-vous au jugement de la géhenne» (Matthieu XXIII, 33)?

«Selon ta dureté et ton cœur sans repentance tu amasses pour toi-même la colère» (Romains II, 5).

«Le Seigneur Jésus sera révélé du ciel avec les anges de sa puissance en flammes de feu, exerçant la vengeance contre ceux qui ne connaissent pas Dieu, et contre ceux qui n'obéissent pas à l'évangile de notre Seigneur Jésus-Christ» (2 Thessaloniciens I, 7, 8).

«Celui qui désobéit au Fils ne verra pas la vie; mais la colère de Dieu demeure sur lui» (Jean III, 36).

«Et le roi, étant entré pour voir ceux qui étaient à table, aperçut là un homme qui n'était pas vêtu d'une robe de noces. Et il Lui dit: «Ami, comment es-tu entré ici, sans avoir une robe de noces? Et il eut la bouche fermée. Alors le roi dit aux serviteurs: Liez-le pieds et mains, emportez-le, et jetez-le dans les ténèbres de dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents. Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus» (Matthieu XXII, 11-14).

Cependant, je relus le Nouveau Testament une seconde fois, et quand j'arrivai de nouveau à la 1re Épître de saint Jean, et que j'y vis ces précieuses paroles:

«LE SANG DE SON FILS JÉSUS-CHRIST NOUS PURIFIE DE TOUT PÉCHÉ»,

je sentis que ce sang répondait à ma conscience, et il me sembla que je passais dans un monde nouveau. Je pouvais maintenant aimer Dieu; et si j'avais eu mille vies, je les aurais toutes données pour l'amour de Christ.

Et depuis ce moment, n'avez-vous jamais péché? demanda le visiteur.

Hélas! dit Guillaume en secouant la tête avec tristesse:

«nous bronchons tous en plusieurs choses. Si nous disons que nous n'avons point de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous» (Jacques III, 2; 1 Jean I, 8).

Mais si vous veniez à retomber tout à fait dans le péché, n'aurait-il pas mieux valu pour vous d'être resté dans l'ignorance?

À cela, il répliqua:

«Celui qui a commencé cette bonne œuvre la perfectionnera jusqu'au jour de Jésus-Christ. Si quelqu'un a péché, nous avons un avocat auprès du Père: Jésus-Christ le Juste. Car c'est lui qui est la propitiation pour nos péchés» (Philippiens I, 6; 1 Jean II, 1, 2).

Le pauvre infirme qui parlait ainsi, et qui citait avec tant d'à-propos la Parole de Dieu, n'avait jamais lu d'autre livre que la Bible, jamais entendu un sermon, jamais mis le pied dans un lieu de culte; mais, enseigné par le Saint-Esprit, il était devenu sage à salut, riche en la foi, enfant de Dieu et héritier de son royaume. Quelque grande que fût sa difformité physique, il possédait la beauté spirituelle; et, quoique couvert de misérables haillons, il était revêtu de la robe de justice de son Rédempteur.

Mais, reprit son ami inconnu, pouvez-vous donc pécher sans crainte et vous conduire à votre gré, maintenant que Jésus-Christ est votre Sauveur?

Dieu nous en garde! s'écria Guillaume avec l'accent d'une sainte indignation;

«nous qui sommes morts au péché, comment y vivrions-nous encore!

Car l'amour de Christ nous presse, étant persuadés que si un est mort pour tous, tous donc sont morts, et qu'il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour eux» (Romains VI, 2; 2 Corinthiens V, 14, 15).

En parlant ainsi, ses regards étaient fixés sur son visiteur, et il aperçut des larmes dans ses yeux.

«Oh! Monsieur, s'écria-t-il alors avec joie, je suis sûr que vos sentiments sont tout différents de ceux que vous avez exprimés. Apprenez-moi, je vous en conjure, qui vous êtes et ce qui vous a amené ici.

Mon bien-aimé frère, répondit celui-ci, je ne suis pas, en effet, ce que j'ai voulu paraître. Je suis un pauvre pécheur que le Saint-Esprit a conduit, comme vous, à se confier en Celui qui est mort pour des impies. C'est moi qui ai dit ce matin même à vos pauvres voisins

«que les gages du péché, c'est la mort, MAIS QUE LE DON DE GRÂCE DE DIEU, C'EST LA VIE ÉTERNELLE PAR JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR» (Romains VI, 23).

L'effet que ces paroles produisirent sur Guillaume fut vraiment saisissant. Il fit un effort pour s'élancer vers son visiteur, saisit ses deux mains dans les siennes et, tombant à genoux, il s'écria:

Ô mon Dieu, je te remercie! Tu as répondu à mes prières. Je t'avais demandé de me permettre, au moins une fois dans ma vie, de converser avec l'un des tiens, et tu m'as exaucé!
 Et maintenant, mon cher monsieur, répétez-moi, je vous en prie, ce que vous avez dit sur ce beau verset, car je n'ai jamais entendu un seul sermon dans toute ma vie.

Le visiteur fit selon le désir de l'infirme, puis, ayant prié avec lui et l'ayant recommandé à la grâce de Dieu, il se sépara de lui.

Je laisse ce simple récit à vos réflexions, cher lecteur, demandant à Dieu de l'appliquer à votre conscience.


 

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