LE
MIEL
DÉCOULANT DU ROCHER
QUI EST CHRIST
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Préface de l'auteur.
LECTEUR
Depuis quelque temps je
sens que la charité de Christ me presse. Elle a dardé sur mon coeur
des rayons si puissants, qu'il en est tout pénétré et comme embrasé.
C'est trop peu pour moi de bénir, dans le silence, le meilleur ami des
hommes, je veux dire Jésus, notre cher Sauveur, dont l'amour surpasse
toute connaissance
(Eph.
III, 19)
; je me sens aussi entraîné à embrasser en esprit tous les enfants de
Dieu, et à leur souhaiter du bien. Mon coeur se livre d'autant plus
volontiers à ce doux penchant, que, dans ces derniers temps, il se
trouve çà et là, dans le monde, beaucoup de pauvres âmes qui, avec de
bons désirs, sont encore flottantes et sujettes à se laisser emporter
à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes et par leur
adresse dans l'art de séduire
(Eph
IV, 14).
Il s'en trouve plusieurs qui, pour travailler à leur édification et à
celle des autres, bâtissent sur un fondement faux et ruineux ; ce
qui rend inutiles toutes les peines qu'ils se donnent. La raison de
cela est qu'il y en a peu qui, comme parle l'apôtre, aient une charité
sincère, et qui croissent à tous égards dans celui qui est notre chef,
savoir Jésus-Christ
(Eph
IV, 15).
Cela étant, il ne faut pas s'étonner qu'on remarque si peu de solidité
et d'accroissement parmi les âmes. Tout ce qu'on fait hors de l'union
avec Christ et sans être enraciné en lui, est perdu et maudit.
Cher
lecteur ! s'il plaît à Dieu de bénir la lecture de ce
petit ouvrage, j'espère que vous y reconnaîtrez le langage d'un
fidèle ami. Peut-être entendrez-vous une douce voix qui vous dira
intérieurement : « C'est ici le chemin que tu dois
suivre ; ne t'en écarte ni à droite ni à gauche. » En
effet, l'heureuse route qui mène le pécheur à la justification
devant Dieu est celle qui le conduit à la justice de Jésus-Christ.
Quant à notre propre justice, c'est un drap souillé ; et il
faut que chacun dise : « Ma justice et ma force sont dans
le Seigneur (Esa.
XLV, 24,25). »
Il n'y a point de
réconciliation ni de réunion avec Dieu qu'en ce seul Juste par
excellence, qui est mort pour nos injustices. « Celui qui n'a
point connu de péché a été fait péché pour nous, afin que, par lui,
nous qui sommes pécheurs, fussions revêtus d'une justice valable
devant Dieu
(2
Cor. V, 21). »
Lecteur
chrétien ! jetez aux pieds de Jésus tout ce qui se trouve
en vous appartenant encore au vieil homme. Rendez hommage au Fils de
Dieu en lui donnant la préférence sur tout autre. Sous le Nouveau
Testament, il faut que tous les vases du temple spirituel de Dieu,
depuis le plus petit jusqu'au plus grand, soient consacrés et
attachés à Jésus-Christ. Cet honneur lui est dû, et il en est seul
digne. C'est lui qui bâtit le temple de Dieu, et selon le conseil
éternel du Père, il en doit être le fondement, la pierre angulaire
et la couronne. En lui réside la plénitude de la grâce et de la
gloire du Père. N'hésitez donc point d'aller à lui, quels que vous
soyez. Il n'est aucune sorte de péchés, de misères, ni de maladies,
qui doivent vous en empêcher. Il est le vrai et unique Médecin des
âmes, chez qui vous trouverez le remède à tous les maux.
Cher
lecteur ! Dieu vous fasse la grâce d'éprouver la réalité
de toutes les paroles que vous lirez dans ce petit ouvrage. Que tout
ce qui y est contenu soit pour vous un baume qui restaure votre âme,
qui vous fortifie dans vos faiblesses, et guérisse vos langueurs.
Alors votre âme se félicitera elle-même de son bonheur.
Je suis, dans l'unité
de la foi et dans la communion du saint Évangile,
Votre frère.
Point N°
1
Vous qui jetez les yeux
sur cet ouvrage, c'est à votre coeur et au mien que je veux parler.
Vous portez le nom de
chrétien, vous vivez dans la communion extérieure de l'Église, et vous
jouissez de ses sacrements. J'avoue que ces prérogatives sont
précieuses ; mais, avec tout cela, si votre piété n'a pas pris
racine dans le sang de Jésus-Christ, elle sera sèche et stérile, elle
se réduira à une fausse apparence, avec laquelle vous pouvez devenir
la proie du démon.
2
Aussi longtemps que
vous serez rempli de votre propre justice, vous demeurerez sous la
puissance du péché. Vous nourrissez dans votre sein un serpent, qui
soufflera sur votre piété, et portera un coup mortel à votre âme.
Examinez donc fréquemment, avec une sévère exactitude, quelle est la
base de votre espérance. Est-ce la main de Jésus-Christ lui-même qui
l'a posée ? À défaut de cela, votre édifice ne résistera jamais à
l'orage qui éclatera sur lui. L'ennemi viendra à bout de le saper et
de le renverser de fond en comble.
3
Âme
présomptueuse, attendez-vous à être criblée. Vous allez passer
par des épreuves qui dévoileront tout le fond de votre
christianisme. Quelle affreuse situation, quand tout vous échappera,
et que vous ne saurez plus à quoi vous en tenir !
4
Esprit
qui volez trop haut, ne vous fiez pas à vos ailes de cire.
Elles se fondront dans l'ardeur des tentations, et votre chute en
sera d'autant plus grande. Qu'il est triste de se voir réduit à une
honteuse banqueroute, après avoir fait longtemps un brillant
commerce ! Tel est le sort d'une âme qui néglige de prendre ses
précautions pour l'éternité.
5
Chrétien
éclairé, prenez garde qu'il n'y ait à votre racine un ver
capable de gâter toute la plante, et de vous faire devenir un tronc
sec et pourri. Portez la sonde dans votre coeur, et demandez-vous à
vous-même : « Mon âme est-elle teinte du sang de
Jésus-Christ ? En porté-je la marque ? Et sur quelle
justice est fondée l'espérance que j'ai d'être sauvé ? Suis-je
entièrement dépouillé de ma propre justice ? » Cet examen
est d'autant plus nécessaire, que plusieurs chrétiens des plus
considérés ont vu, à la fin de leur vie, toutes leurs oeuvres
disparaître à leurs yeux. Combien dans ce moment-là se sont écriés
qu'ils étaient perdus sans ressource !
6
Réfléchissez qu'un
homme à bonnes oeuvres peut receler plusieurs de ces péchés criants
qui en font gémir un autre dans la plus grande angoisse de son âme, et
que souvent une conscience bourrelée n'annonce pas plus de crimes
secrets qu'une âme n'en cache sous l'appareil de ses prétendues
vertus. N'ayez point de repos que votre âme blessée par le péché ne
soit guérie radicalement par le sang de Jésus-Christ. Ne vous
contentez pas que la cicatrice soit légèrement couverte par la
pratique des devoirs de la religion, par des actes de repentance, par
des humiliations ou par des consolations. Tout ce que vous y
appliquerez, hormis le sang de Jésus-Christ, ne fera que renfermer le
venin dans la plaie. Vous vous apercevrez bientôt que le péché n'a pas
été amorti, parce que vous n'avez jamais bien contemplé Jésus-Christ
répandant son sang pour vous sur la croix. Rien ne peut détruire le
péché que le regard de la foi fixé sur la justice du Sauveur.
7
La nature ne saurait
préparer de remède pour la guérison de l'âme. Toute guérison opérée
par la voie des oeuvres et des devoirs, et non par le sang de
Jésus-Christ, est pire que la maladie la plus incurable. Les lumières
et les forces de la nature corrompue ont beau être cultivées et
portées au plus haut point, elles ne sauraient fournir à l'âme qu'un
habit souillé pour couvrir sa nudité. Le seul habit pur et sans tache
qu'il faut à notre âme, c'est la justice et le mérite parfait du
Sauveur.
8
Que deviendra l'ouvrage
que la faible nature a tissu ? Ou il faut consentir à vous en
voir dépouillé, pour vous laisser revêtir de la justice de Christ, ou
bien, si vous gardez sur vous ce tissu de la nature, Satan le mettra
en lambeaux ; et alors votre âme, nue et confuse, n'aura d'autre
attente que la colère à venir.
Non, la nature, avec
toutes ses forces, ne saurait attirer sur votre âme un seul rayon de
la grâce divine, capable de détruire le péché en vous, et de vous
éclairer jusque devant la face du Seigneur.
9
Vous faites profession
d'être chrétien, vous assistez au culte divin, vous participez aux
saints sacrements, tout cela est bon ; mais savez-vous bien qu'en
faisant tout cela vous pouvez être le plus malheureux de tous les
hommes ? Pouvez-vous vous souvenir d'un moment auquel Jésus se
soit approché de votre coeur pour demeurer si bien présent à vos yeux,
que vous préfériez cet unique objet à tout ce qu'il y a de
perfections, de beautés et de vertus dans le monde ? Tout ce que
vous présumiez avoir fait de bon, est-il réputé de votre part comme le
linge le plus souillé ? Tout cela est-il abaissé devant la gloire
magnifique de sa grâce et de son amour
(Esa.
II, 17.19)
?
10
Si jamais vous avez
appris à connaître véritablement Jésus-Christ, vous n'avez découvert
en lui que pure grâce, que justice parfaite, qui, abonde infiniment
sur tout péché et sur toute misère humaine. Si vous avez véritablement
vu et connu Jésus-Christ, vous pouvez fouler aux pieds la justice des
hommes et des anges, plutôt que de chercher, par l'une ou par l'autre,
un libre accès auprès de Dieu.
Si vous connaissez
Jésus-Christ, vous ne voudrez pas, pour tout au monde, faire aucune
bonne oeuvre sans lui
(2
Cor. III, 5).
Si jamais vous l'avez connu, vous devez l'avoir aperçu comme le rocher
du salut, infiniment élevé au-dessus de toute propre justice, de même
qu'au-dessus de Satan et du péché
(Ps.
LXI, 3).
Et ce rocher, qui est Christ, vous suivr a partout
(1
Cor. X, 4).
C'est de lui que découle continuellement le Miel de la grâce, qui peut
vous rassasier.
Sondez-vous bien, et me
dites si jamais vous avez contemplé Jésus, comme le Fils unique du
Père, plein de grâce et de vérité
(Jean
I, 14, 16, 17).
Ne vous donnez aucun relâche, jusqu'à ce que vous soyez bien assuré
que vous êtes entré dans la communion avec Christ, que vous êtes assis
sur ce rocher des siècles, que vous avez suivi l'appel que sa voix a
adressé à votre âme, et que votre justification est une affaire réglée
entre lui et vous.
11
Rien de plus commun que
d'entendre des gens parler admirablement bien de la foi, lorsqu'ils
sont jeunes et en santé ; mais rien de plus rare que ceux qui en
connaissent, par expérience, la nature et l'efficace.
Le grand mystère révélé
dans l'Écriture sainte, c'est Jésus-Christ, ou Dieu manifesté en
chair. Le mystère de la doctrine de Christ, c'est la grâce acquise par
lui, destinée, offerte et accordée aux pauvres pécheurs. L'ouvrage le
plus merveilleux de Dieu dans le monde, c'est la foi. Dès que vous y
mêlez du vôtre, c'est un ouvrage défiguré, sur lequel le Sauveur ne
daigne pas jeter le moindre regard.
Désirez-vous aller par
la foi à Jésus-Christ ? Laissez toute votre propre justice bien
loin en arrière, et ne lui portez rien que vos péchés et votre misère.
Cette parole est dure ! répliquerez-vous. Oui, dis-je encore une
fois, il faut que vous abandonniez toute votre sainteté, vos vertus,
vos bonnes oeuvres, vos actes d'humiliation, et que vous n'ayez à
présenter au Seigneur Jésus que vos défauts et votre misère. Sans
cela, il n'est pas le Jésus qu'il vous faut, et vous ne lui convenez
pas non plus. Il est un Médiateur et un Sauveur qui ne souffre point
qu'on mette rien à côté de lui. Il ne prétend pas que vous soyez autre
chose qu'un pauvre pécheur qui se donne pour perdu. Si cela ne vous
accommode pas, jamais vous ne conviendrez ensemble.
Rien de plus difficile
à l'homme que de chercher toute sa justice en Jésus. Cependant
personne ne le reconnaît pour son Sauveur, que celui qui recherche
toute sa justice en lui seul. Dès que vous lui associez quelque autre
chose, vous dérogez à sa qualité de Sauveur parfait.
12
S'il vous arrive, en
vous présentant devant Dieu pour être reçu en grâce, de vous prévaloir
d'autre chose que du mérite de Jésus-Christ, tenez pour certain que
cette pensée est un antichrist. Repoussez-la loin de vous, afin que la
justice de Jésus demeure seule triomphante. Partout où elle ne domine
pas, là est le règne de Babel ; et il faut que ce règne soit
détruit, pour faire place en vous à celui de Christ.
Christ a été
tout seul à fouler au pressoir, et personne n'était avec lui
(Esa.
LXIII, 3)
. Tout mérite que vous voudriez associer au sien, il le foulera aux
pieds sans ménagement, parce que ce serait une tache sur la robe de sa
parfaite justice.
13
Vous qui vous imaginez
que la foi est une chose si aisée, la vôtre a-t-elle jamais passé par
le creuset des épreuves ? A-t-elle tenu bon dans le temps que
toute la laideur de vos péchés vous a été mise devant les yeux ?
car une foi non éprouvée est toujours suspecte et chancelante. Vous
souvenez-vous que, Satan ait eu la permission de s'approcher de
vous ? Et votre conscience a-t-elle senti le poids de la colère
de Dieu ? Si cela est, et que vous vous soyez vu sur le bord de
l'abîme, dans ce cas il doit vous avoir été manifesté que le sang de
Jésus est votre rançon, votre justice et votre délivrance. Alors vous
avez pu dire : Il y a abondance de grâce en Jésus. Alors
il vous aura été donné de proférer la plus importante parole qu'un
pécheur puisse prononcer, et de dire : Je crois, j'ai la foi.
14
Quand un homme a la
foi, il est vivement pénétré du sentiment de ses péchés ; il est
convaincu du prix immense et de l'efficace divine du sang de Christ,
et persuadé de la bonté de coeur avec laquelle le Seigneur Jésus veut
le sauver, par la raison même qu'il est un misérable pécheur. Cette
oeuvre de grâce présente quelque chose de plus grand que la création
d'un monde. Quand une âme est alarmée de ses innombrables forfaits,
effrayée des peines que méritent ses péchés, toutes les forces de la
nature réunies ne sauraient la porter à croire fermement qu'il y a une
grâce et une volonté en Christ de sauver le pécheur. Une âme possède
le secret de l'Évangile, quand elle se décharge sur l'Agneau de Dieu
du poids des péchés que Satan reproche à sa conscience. C'est là faire
hommage à Jésus comme à notre Sauveur, parce que c'est pour cela qu'il
a voulu l'être. Ne connaître de justice qu'en Jésus, et ne vouloir
être sauvé que par son sang, c'est le sommaire de l'Évangile. Ce qui
met une âme à couvert de tout assaut, c'est lorsque ni le souvenir de
ses meilleures oeuvres, ni le sentiment de ses grandes misères, ne
l'empêchent de dire avec confiance :
Rien, ô Jésus ! que
ta grâce,
Rien que ton sang
précieux,
Qui seul mes péchés
efface,
Ne rend juste, saint,
heureux.
Ne me dites autre chose,
Sinon qu'il est mon
Sauveur,
L'auteur, la source et la
cause
De mon éternel bonheur.
15
Une des causes des
tentations, aussi bien que des avantages que l'ennemi peut remporter
sur nous, et la principale source de nos plaintes, gisent dans la
propre justice et dans la présomption de nous-mêmes. C'est pour nous
dépouiller de cette propre justice et de cette présomption que Dieu
permet à Satan de nous poursuivre, comme Laban poursuivait Jacob pour
l'obliger à laisser en arrière les idoles qu'il emportait avec lui. Il
faut que celles que vous gardez dans votre sein vous soient enlevées,
à quelque prix que ce soit ; sans cela, Jésus-Christ ne pourra
pas prendre place chez vous. La condamnation reposera sur vous jusqu'à
ce qu'il ait pris possession de votre coeur. Partout où la
condamnation se trouve encore, elle suppose nécessairement une dureté
et une résistance de coeur. D'où il parait que la condamnation que
l'homme sent encore dans son coeur est une preuve, ou que Jésus-Christ
ne s'en est pas encore rendu le maître, ou qu'il y trouve encore de
l'opposition. Jusqu'à ce qu'il ait érigé son trône de grâce dans votre
coeur, vous n'y sentirez que condamnation, frayeur et défiance
secrète ; ainsi votre âme flottera toujours entre la crainte et
l'espérance, et vous ne goûterez jamais la douceur de l'Évangile.
16
Quand votre conscience
est agitée par le sentiment de vos péchés, gardez-vous bien de
chercher du soulagement ailleurs que dans le sang de Christ ;
votre coeur ne ferait que s'endurcir davantage. Cherchez votre
tranquillité en Jésus, qui est seul notre paix
(Eph.
II, 14).
Mais ne la cherchez ni dans vos oeuvres, ni dans vos larmes, ni
quelque autre part que ce soit. Faites consister votre justice
uniquement en Jésus, et non dans les dons que vous pouvez avoir, reçus
de lui. La confiance aux bonnes oeuvres ne nous éloigne pas moins du
Sauveur que l'attachement au péché. Si votre regard est uniquement
fixé sur Jésus, ce divin maître vous fera bientôt exécuter toute sa
volonté. Appuyez-vous sur lui, de façon que tout le poids de votre âme
repose sur sa personne. Gardez-vous bien d'asseoir un de vos pieds sur
votre propre justice, tandis que vous posez l'autre sur la sienne.
17
Celui qui hésite
d'arrêter ses regards sur l'extrême laideur de ses péchés, et de
porter la vue jusqu'au fond de l'abîme de son propre coeur, n'a point
encore de confiance aux mérites de Jésus-Christ. J'admets que vous
soyez le plus grand de tous les pécheurs, essayez d'aller vous jeter à
ses pieds ; pour certain, vous trouverez en lui un Sauveur
tout-puissant, le Saint et le Juste, qui justifie le pécheur.
Au milieu de tous vos
doutes, des détresses et des angoisses de votre conscience, regardez à
Jésus, sans le perdre de vue. Ne vous laissez point entraîner dans des
contestations avec Satan, ce serait lui donner trop beau jeu ;
réfugiez-vous plutôt auprès de Christ, c'est lui qui saura le vaincre.
Intercéder et combattre pour nous, c'est sa fonction
(Jean
XVII, 9, 10, 16,
17-20.).
Comme notre caution, c'est à lui de répondre aux accusations de la loi
(Héb.
VII, 22).
Et c'est enfin à lui de plaider notre cause devant le tribunal de la
justice divine, parce qu'il est notre Médiateur
(Gal.
III.20; 1
Tim. II, 5.)
Il s'est obligé à cela par serment
(Hébr.
VII, 20, 21).
Ainsi, remettez-lui toutes vos affaires. Que si vous prétendiez
contribuer pour quelque chose à l'expiation de vos péchés, vous
renonceriez par là à Jésus-Christ le juste, qui a été fait péché pour
vous
(2
Cor. V, 21).
18
Satan a bien le talent
de citer et de tordre les Écritures, mais il ne peut rien répliquer
quand la foi s'en sert pour le combattre. La Parole de Dieu est
l'instrument dont notre Sauveur s'est servi lui-même pour fermer la
bouche à l'ennemi
(Math.
IV).
Parcourez tous les
livres saints, vous n'y trouverez aucune parole dure, capable de
rebuter un pauvre pécheur dépouillé de toute propre justice. Bien loin
de là, il y est dépeint sous des traits qui font juger que c'est lui,
et nul autre, qui est le vrai et le plus cher objet de la grâce.
Comptez sur les
dispositions du coeur de Jésus à vous recevoir, et le vôtre sera
disposé à aller à lui. Vous apercevez-vous que vous manquez de foi -
souvenez-vous que la production de la foi est son oeuvre.
Demandez-la-lui avec larmes ; c'est lui qui produit en nous avec
efficace le vouloir et l'exécution, selon son bon plaisir
(Philip.
II, 13).
Déplorez votre incrédulité, qui veut vous persuader que votre péché
abonde par-dessus la grâce, qui ravale le mérite de Christ, et qui
veut faire passer son précieux sang pour impuissant et insuffisant à
opérer une pleine et entière satisfaction pour vous.
19
Quand vous vous
plaignez de vous-même, voyez si votre misère vous conduit à regarder
moins sur vous-même que sur le Seigneur Jésus. Si cela est, vos
plaintes partent de bonne source.
Les âmes ne sont jamais
plus à plaindre que quand elles s'arrêtent à considérer avec
complaisance leurs bonnes oeuvres, leurs bons mouvements et les
consolations qu'elles peuvent avoir reçues, dans le temps que Jésus
seul devrait fixer toute leur attention. La considération de tous ces
avantages ne sert qu'à vous enfler, au lieu qu'un constant regard sur
Jésus vous retiendra dans les bornes de l'humilité. C'est par grâce
que vous êtes sauvé
(Eph.
II, 5).
20
Que votre courage ne se
ralentisse point dans les adversités
(Jacq.
I, 2).
Ces épreuves, selon l'intention du Seigneur, ne tendent pas à vous
terrasser, mais elles ont pour but de vous faire perdre toute
confiance en vous-même, pour ne chercher d'appui qu'en Jésus-Christ,
le Rocher inébranlable.
Vous pouvez être
abaissé jusqu'à vous voir sur le bord de l'abîme et sur le point d'y
être précipité ; et qu'y aurait-il en cela d'étonnant ? Plus
d'un saint s'est trouvé dans ce cas et s'est vu criblé par Satan. Je
suppose que vous soyez aussi réduit à cette extrémité : rien ne
vous empêche de crier au Seigneur et de tourner vos yeux vers le
temple de sa sainteté
(Jon.
II, 4.5).
Personne n'avait entrée dans l'ancien temple que celui qui était
purifié et qui y portait une victime. Or Jésus-Christ est notre
temple, notre victime, notre autel et notre souverain
sacrificateur ; et ce qu'il y a de consolant dans l'Évangile,
c'est que les plus grands pécheurs y sont invités à s'approcher de
Jésus. Ils osent le faire, lorsqu'ils ont renoncé à présenter toute
autre offrande que le sang qu'il a lui-même offert en sacrifice
(Hébr.
VII, 26, 27).
21
Peut-être pensez-vous
en vous-même : « La grâce pourrait-elle opérer un miracle
aussi surprenant que le serait celui de ma conversion ? »
Mais représentez-vous l'assemblée des bienheureux dans le ciel :
vous trouverez sûrement parmi eux mille et mille exemples de la grâce
du Seigneur la plus éclatante. Vous n'êtes pas trop misérable pour en
devenir un pareil monument : le Sauveur ne connaît point de
pécheur à qui il ne puisse faire la même grâce.
Ne vous abandonnez pas
au désespoir, mais persévérez dans l'espérance. Lorsque les plus épais
nuages environneront votre âme, que votre foi perce au travers pour
découvrir Christ : c'est lui qui est cette colonne de grâce et de
charité que le Père céleste a érigée et qui va de la terre au ciel,
afin que tous les pauvres pécheurs y aient leur recours.
Quelque accusation que
Satan et votre propre conscience puissent intenter contre vous, n'en
tirez pas un jugement définitif contre vous-même ; c'est à
Jésus-Christ à prononcer et sa parole demeurera la seule valable.
Comme il est le Juge des vivants et des morts, il n'appartient qu'à
lui de dicter la sentence définitive. Or son sang plaide pour notre
réconciliation
(Col.
I, 20),
pour notre purification
(1
Jean I, 7),
pour notre rançon
(Actes
XX, 28),
pour notre rédemption
(1
Pier. I, 18, 19),
pour notre sanctification
(1
Cor. I, 30),
pour notre justification
(Rom.
V, 9),
et pour nous procurer un libre accès auprès de Dieu
(Eph.
II, 13).
Il ne se peut pas qu'une seule goutte de ce divin sang perde sa
valeur.
Arrêtez-vous pour
écouter ce. que le Seigneur dira : David nous assure qu'il
prononcera la paix sur son peuple et sur ses bien-aimés, de peur
qu'ils ne retournent à leur première folie
(Ps.
LXXXV, 9)
; il promet grâce, miséricorde et paix
(2
Tim. I, 2).
C'est là le langage du Père et celui que parle Jésus-Christ.
22
Attendez la
manifestation de Jésus-Christ dans votre coeur, comme le guet attend
l'étoile du Matin
(Ps.
CXXX, 5, 6).
Il se lèvera comme l'aurore, et il viendra à vous comme la rosée qui
humecte la campagne
(Osée
VI, 3).
Comme rien ne peut
retarder le lever du soleil, rien ne peut empêcher que Jésus, le
Soleil de justice, ne vienne vous éclairer
(Mal.
IV, 2).
Que rien ne soit capable de détourner vos regards de dessus lui. Le
premier objet qui doit les arrêter, c'est le Sauveur. Quand la douleur
d'avoir péché ne vous permet pas de regarder à Christ, votre
repentance est vaine.
En tout ce que vous
faites, regardez à Jésus : avant l'action, pour lui demander
grâce ; pendant l'action, pour implorer son assistance ; et
après l'action, pour le supplier qu'il agrée votre service et qu'il en
pardonne les défauts. Ne pas faire attention à cela, c'est agir à la
légère et en homme charnel.
Ne faites pas de
l'Évangile une seconde loi, comme s'il vous restait quelque chose à
faire et à souffrir, pour l'expiation de vos péchés, après ce que le
Sauveur a fait et souffert pour vous. Jésus-Christ ne serait pour vous
qu'un Médiateur imparfait, si vous vous croyiez obligé de porter et
d'expier une partie de vos péchés. Que le péché navre et brise votre
coeur, mais qu'il n'abatte point votre confiance en la grâce que
l'Évangile présente au pécheur.
23
Assurez-vous avant tout
de votre justification devant Dieu. Dans l'observation des
commandements les plus importants, n'envisagez pas Jésus-Christ comme
un Moïse qui a toujours le bâton levé quand il commande, mais
considérez-le comme celui qui s'est chargé de faire lui-même en vous
l'oeuvre qu'il vous commande. S'il vous arrive de faire plus de fond
sur vos oeuvres, sur vos vertus et sur la pratique de vos devoirs, que
sur ses mérites, vous vous préparez de grands regrets pour l'avenir.
Il n'est pas étonnant
que vous vous plaigniez de votre état, malgré tant d'attraits de la
grâce que vous avez sentis dans votre coeur. Ces opérations de la
grâce prévenante ne doivent pas être le fondement de votre
espérance ; ce n'est que sur le mérite de Jésus que vous devez
vous reposer. Lui seul est l'espérance de notre gloire
(Col.
I, 27).
24
Quand nous paraissons
devant Dieu, ne prenons rien avec nous que Jésus-Christ. Tout autre
accompagnement tiré de notre propre fonds, tout appareil ou préparatif
venant de nous-mêmes est un poison qui éteint la foi. Quiconque bâtit
sur ses bonnes oeuvres, fût-ce même sur des mouvements que la grâce
produit en lui, celui-là méconnaît le mérite de Jésus-Christ.
Voulez-vous savoir ce
qui rend la foi si difficile, et ce qui la met tellement au-dessus de
toutes les forces de la nature ? C'est que, pour croire, il faut
vous résoudre à ne plus regarder comme oeuvres méritoires vos
avantages, votre obéissance, l'observation de vos devoirs, vos dons,
vos bonnes oeuvres, vos larmes, vos attendrissements de coeur, vos
humiliations, etc. ; mais à regarder tout cela comme une perte,
comme de la balayure et de l'ordure, afin de gagner Christ, et de ne
vous attacher qu'à lui
(Philip.
III, 7, 8).
Il
faut que vos propres oeuvres et vos propres forces soient
anéanties de jour en jour. C'est de la main de Dieu que vous devez
tout recevoir ; Jésus-Christ est le grand don de Dieu
(Jean
IV, 10).
La foi est un don de Dieu
(Eph.
II, 8)
; la rémission des péchés est un don gratuit de Dieu
(Rom.
V, 16).
Ah ! que ces vérités sont révoltantes pour la nature
orgueilleuse ! Rien ne la blesse et ne l'irrite plus que
quand on lui dit que tout est grâce, que tout est don gratuit,
qu'elle ne peut rien acquérir ou mériter, ni par ses oeuvres, ni
par ses larmes, ni par tout ce qu'elle peut faire de plus
beau ; et que tout ce qui est produit par les seules forces
humaines est de nulle valeur dans le ciel.
25
S'il eût été remis au
choix de l'homme de régler l'ordre de la grâce et la voie du salut, il
ne se fût pas avisé de chercher sa félicité auprès de Jésus-Christ,
qui la donne gratuitement, et qui, par là même, ne saurait gagner la
confiance du coeur humain. Il l'aurait plutôt placée entre les mains
des anges on des saints, à condition qu'ils la vendraient. Il aurait
tellement disposé de l'acquisition du salut, qu'il eût pu l'acheter
par des oeuvres. L'homme naturel aimerait mieux, pour être sauvé,
faire toute autre chose que d'aller à Jésus et d'entrer en liaison
avec lui. Quant au Sauveur, il n'exige absolument rien de l'âme pour
sa justification ; mais l'âme voudrait à toute force l'obliger à
recevoir quelque chose d'elle.
26
Puisque les idées et
les inclinations de la nature sont si peu d'accord avec l'économie de
Dieu, sondez-vous bien pour voir si le mérite de Christ, si la
parfaite propitiation qu'il a opérée par sa mort est pour vous une
chose claire. Cette vérité vous a-t-elle été manifestée dans le temps
que votre conscience gémissait sous le poids du péché et de la colère
de Dieu ? Si cela est, vous avez reçu grâce.
Il n'est donné qu'à une
pauvre âme travaillée et angoissée de connaître la valeur immense du
mérite de Jésus-Christ. Celui qui n'a qu'une légère conviction et un
sentiment passager de sa corruption, ne saurait apprécier les mérites
du sang de Jésus-Christ.
27
Pécheur désolé, vous
vous tournez à droite et à gauche pour demander : Qui me fera
voir ce qui est bon
(Ps.
IV, 7)
? Vous parcourez dans votre esprit tout l'amas de vos bonnes oeuvres
et de vos actes de religion, pour composer un fantôme de justice à la
faveur duquel vous puissiez vous sauver. Quittez cette entreprise, il
est plus que temps de vous adresser à Jésus-Christ. Il vous y invite
lui-même, en disant :
Regardez vers moi de tous les bouts de
la terre, et vous serez sauvés (Esa,
XLV, 22)
. Aussi est-ce lui, et lui seul, qui est Sauveur ; il n'y en a
point d'autre. De quelque autre côté que vous vous tourniez, vous ne
verrez que votre perte. Dieu lui-même ne regarde qu'à Jésus ;
c'est donc lui qui doit seul aussi fixer vos regards.
Comme
le serpent d'airain fut élevé dans le désert, de même Jésus l'a
été sur le Calvaire, afin que les pécheurs, même les plus
éloignés, puissent l'apercevoir et le contempler en croix. Le plus
faible regard jeté sur lui est déjà salutaire, le plus léger de
ses attouchements porte avec soi la guérison.
C'est aussi pour
l'exposer aux regards de votre foi que le Père l'a exalté publiquement
sur le trône de sa gloire. Il est placé là pour être le refuge de tous
les pauvres pécheurs. Vous avez mille raisons de vous adresser à lui,
et vous n'en avez aucune de vous en tenir éloigné,
car il est doux
et humble de coeur (Math.
XI, 29).
Il ne manquera pas de
faire lui-même ce qu'il commande à ses enfants ; comme :
user de support envers les faibles, ne point fermer ses entrailles à
celui qui a besoin, ne point donner lien à la vengeance, ne pas se
prévaloir de la rigueur de la loi.
Il vous corrigera avec
un esprit de douceur, et il vous soulagera de ce qui vous pèse sur le
coeur
(Gal.
VI, 1, 2).
Il pardonnera, non-seulement sept fois, mais sept fois septante fois
(Math.
XVIII, 21, 22).
Un de ses disciples eut de la peine à admettre cette maxime, et comme
il nous en coûte de pardonner, nous nous figurons le Seigneur aussi
dur que nous le sommes.
28
Quand notre conscience
est réveillée, nous nous imaginons que le Seigneur ne peut pas nous
pardonner nos péchés. C'est ainsi que nous prétendons réduire une
charité infinie à la mesure de la nôtre, et établir une proportion
égale entre nos péchés et les infinis mérites du Sauveur. Imagination
qui a sa source dans l'orgueil, et qui approche du blasphème
(
Esa.
XL, 15).
Écoutez
ce qu'il dit lui-même : J'ai trouvé la propitiation
(Job
XXXIII, 24)
. Écoutez la voix du Père : C'est en lui que j'ai pris
tout mon plaisir. Dieu ne prétend rien de vous ; rien
ne peut vous faire subsister devant lui ; rien ne peut
tranquilliser votre conscience que Jésus seul. Il n'y a que lui
qui ait donné à la justice divine une pleine satisfaction. Le Père
fait tout en faveur de son Fils.
Voulez-vous
savoir quel est le prix de vos propres mérites ? C'est
l'enfer, c'est la colère, l'abandon et la réjection. Le fruit des
mérites de Jésus, c'est la vie, le pardon, la réconciliation et
l'adoption. Il ne vous met devant les yeux ce que vous avez mérité
que pour vous donner ce qu'il vous a acquis. Pardonner, c'est en
quoi Jésus fait consister sa gloire, sa plus grande joie, et, si
j'ose le dire, une partie de sa félicité.
Parcourez
l'histoire de sa vie, durant les jours de sa chair, vous verrez
qu'il a eu plus de conversations avec les péagers et avec les
pécheurs qu'avec les docteurs de la loi et les pharisiens, qui
étaient ses ennemis jurés, et qui se regardaient comme des justes.
Ne vous figurez pas qu'en passant de son état d'abaissement à
celui de la gloire il ait changé de sentiment, qu'il soit devenu
indifférent envers les pauvres pécheurs, ou qu'il les regarde avec
mépris. Bien loin de là : son coeur est le même aujourd'hui,
dans le ciel, qu'il était autrefois, sur la terre, Il est Dieu, il
ne change point.
Il
est l'Agneau de Dieu, qui ôte te péché du monde
(Jean
I, 29).
Il a lui-même éprouvé les tentations, les inquiétudes, les
embarras auxquels vous pouvez être exposé. Il a été rejeté des
hommes et abandonné de Dieu, il a bu toute l'amertume du calice
pour ne vous en laisser que la douceur.
Plus
de condamnation pour ceux qui sont en lui. Il a bu jusqu'au fond
toute la coupe de la colère divine, et il ne vous a laissé pour
votre part que la coupe de louange, le calice du salut.
29
Vous direz
peut-être ; « Si seulement je pouvais croire ; mais je
n'ai pas même une vraie contrition, ni une vive componction de coeur à
la vue de mes péchés. Mais sachez que, par là même que vous n'avez que
péché et que misère, vous êtes dans le cas où Jésus peut d'autant
mieux signaler sa grâce. Allez seulement à lui avec toute votre
impénitence et votre incrédulité, pour recevoir de lui le don de la
repentance et de la foi. Par là, vous lui ferez honneur,
Dites-lui : « Seigneur, je ne t'apporte ni justice ni don,
pour t'engager à me recevoir et à me justifier. Ce sont tes dons que
je viens Le demander. C'est La justice absolument nécessaire que je
réclame. » Nous ne pouvons pas nous défaire de la prétention de
vouloir apporter quelque chose au Sauveur ; cependant il n'y a
rien de si déplacé. Les plus brillants talents de la nature ne valent
pas la monnaie d'un denier dans le ciel. La grâce de Dieu et le mérite
des oeuvres sont deux choses à jamais incompatibles
(Tite
III, 5 ; Rom.
XI, 6).
Rien
ne répugne autant à l'homme naturel, et rien ne lui est plus
incompréhensible que de se voir dépouillé de tout, au point qu'il
ne lui reste pas la moindre ombre de bien dont il puisse faire
parade. La propre justice et le penchant à chercher des ressources
en soi-même, sont les deux enfants chéris de la nature ; elle
en est aussi jalouse qu'elle l'est de sa propre vie. Mais ils
aveuglent tellement leur mère, qu'ils ne lui laissent pas la
faculté de voir Jésus-Christ dans sa véritable forme, et qu'ils
étouffent en elle tout désir d'aller à lui. Lui, de son côté, est
l'ennemi irréconciliable des productions les plus apparentes de
l'amour-propre raffiné.
Permettez
à l'homme naturel de dresser un Évangile à sa façon, vous verrez
qu'il sera diamétralement contraire à celui que Jésus-Christ nous
a donné. Selon lui, il n'y aurait de grâce et de salut que pour
les justes, pour les saints, pour les parfaits. Il est donc
heureux pour vous que ce soit Jésus-Christ qui ait donné
l'Évangile, parce qu'il est fait exprès pour des pécheurs
misérables, corrompus, injustes et damnables. L'esprit humain se
révolte contre la simple idée d'un Évangile qui n'est que pour des
pécheurs. Le parti du désespoir est moins affreux pour lui, que
celui d'aller à Christ dans une posture si humiliante, et à des
conditions si mortifiantes pour lui.
Dès
que la nature se sent serrée de près et mise à l'étroit par le
sentiment de ses péchés et par la crainte du jugement, aussitôt,
pour se défendre, elle fait arme de sa propre justice, de sa
piété, de sa dévotion. Il ne faut pas moins qu'une grâce
toute-puissante pour détruire ses retranchements.
S'il
est vrai que Jésus-Christ exclue quelqu'un de la grâce, ce ne peut
être que ceux qui se justifient eux-mêmes. Il favorisera les plus
insignes pécheurs de ses regards propices, tandis qu'il les
détournera de ces faux justes. La raison en est qu'il ne peut pas
être leur justice, parce qu'à leurs yeux ils ne sont pas pécheurs.
30
Rien de plus aisé que
de dire, sans sentir la valeur de ses paroles : « Je suis
une créature pécheresse ; » mais dire avec sincérité, dans
les sentiments du pauvre péager : « 0 Dieu ! sois
apaisé envers moi qui suis pécheur ! » c'est à mon avis la
prière la plus rare, la plus difficile.
C'est ainsi qu'il est
aisé de dire : « Je crois en Jésus-Christ ; » mais
reconnaître en la personne de Jésus crucifié ce Fils de Dieu plein de
grâce et de vérité, de la plénitude duquel on reçoit grâce sur grâce,
c'est là le grand point. Il en coûte peu d'avoir dans la bouche le nom
de JÉSUS ; mais confesser de coeur, comme saint Pierre, qu'il est
le CHRIST, le Fils du vivant, et le seul Médiateur, c'est ce qui n'est
pas au pouvoir de la chair et du sang. Rien de plus commun que
d'entendre nommer Jésus-Christ le Sauveur, et rien de plus rare que
les gens qui le reconnaissent véritablement pour tel.
31
Quel objet plus
ravissant pour un coeur que la grâce et le salut qui résident en
Jésus-Christ ! L'a-t-on découverte, on éprouve à l'instant que ce
glorieux salut est notre partage. Le connaître et l'embrasser, sont
deux choses inséparables.
32
Je ne saurais me
rappeler, sans rougir qu'au milieu de mes plus grandes dévotions j'ai
oublié le sang de Jésus-Christ, qui pourtant est le fondement et
l'essence de l'Évangile. Après l'image de l'enfer, il n'y en a point,
de plus hideuse qu'un système de christianisme dont Jésus-Christ n'est
pas la base et le centre.
Quoique vous ayez
nombre de bonnes dispositions, il suffit qu'il vous en manque une pour
que, à l'exemple du jeune homme dont parle l'Évangile, vous sortiez
avec tristesse de la présence du Sauveur
(Luc
XVIII, 23).
Vous n'avez pas encore consenti à renoncer à tout, et à vous
dépouiller de toute propre justice. Vous pouvez passer chez les hommes
pour un modèle de vertu, et avec cela être un ennemi secret, que
dis-je ! un adversaire déclaré de Jésus-Christ, même dans vos
prières et dans tous vos autres exercices de piété.
33
Ne négligez rien pour
avancer dans la sanctification, mais gardez-vous bien d'y fonder votre
espérance d'être sauvé, comme si elle pouvait vous tenir lieu de
Sauveur. Si vous tombiez dans cette erreur, vous ne pourriez en
revenir qu'en consentant à voir toute votre sainteté anéantie. Ce
n'est pas par votre sainteté que vous pouvez être justifié devant
Dieu, mais par la satisfaction infinie de Jésus-Christ. La propre
justice sera consumée par le feu, comme le foin et le chaume, au jour
que le Seigneur paraîtra glorieux sur son tribunal, Alors aucune
religion ne sera trouvée véritable, que celle qui se réduit
précisément à ceci :
1. N'avoir pour unique
fondement que la grâce et la charité éternelle de Dieu en
Jésus-Christ, et s'y tenir fermement attaché comme au Rocher immuable
des siècles.
2. Vivre
continuellement dans la foi du Fils de Dieu, en regardant à lui comme
à celui dont les mérites font notre justice éternelle ; aussi n'y
a-t-il que cela qui sanctifie le coeur ; sans quoi il demeure
toujours charnel.
3. Pouvoir, sans perdre
le Sauveur de vue, voir toute l'étendue de notre misère, dans
l'assurance que tous nos péchés nous sont pardonnés, et que dès lors
le Seigneur les regarde comme s'ils n'avaient jamais été commis.
4. Dans cette
situation, être assidu à la prière, lire et méditer la Parole de Dieu,
et vaquer à d'autres exercices de piété, en conservant toujours le
sentiment de la corruption de notre nature et de l'imperfection de nos
oeuvres, quoique agréées de la part du Seigneur.
5. Renoncer, aux pieds
du Sauveur, à toute estime de nous-mêmes, à toutes prérogatives et à
toute justice propre, et fouler cela aux pieds, comme ce qu'il y a de
plus vil.
6. Être continuellement
trouvé, revêtu de la justice de Christ et sentir notre coeur rempli
d'amour pour lui.
7. Pouvoir nous réjouir
de voir tous nos prétendus mérites anéantis, afin que toute gloire
soit rendue à l'Agneau qui est sur le trône.
8. Enfin, regarder
comme autant de péchés et déplorer amèrement toutes les oeuvres que
nous pourrions avoir faites hors de la communion du Sauveur et par un
autre principe que par amour pour lui. Aussi bien, tout culte et toute
oeuvre qui ne provient pas d'un coeur arrosé du sang de Jésus-Christ,
est une oeuvre morte.
34
Rien n'est plus aisé
que de prouver l'impuissance de notre propre volonté en ce qui regarde
le salut. L'incapacité de l'homme ne se démontre pas seulement par
l'Écriture ; elle se fait sentir dans le coeur, pour peu qu'on se
connaisse, et qu'on ait eu du commerce avec Jésus-Christ. Toute
présomption de nous-mêmes cesse quand il s'agit de nous approprier ses
mérites et de nous couvrir de sa robe de justice. Le Fils de Dieu est
une personne trop élevée pour que la faible nature puisse d'elle-même
entrer dans une union étroite avec lui, ou seulement atteindre jusqu'à
lui. Il est si souverainement saint que la nature ne peut l'envisager
qu'en tremblant. Sa bonté est si inconcevable qu'il n'est pas possible
à l'homme naturel de se la représenter aussi grande qu'elle est,
surtout lorsqu'il a la vue frappée de la laideur de son péché. La
gloire et la majesté de Christ sont trop infinies pour que la nature
ose seulement s'approcher de lui pour le toucher. Il faut qu'une vertu
divine survienne dans l'âme pour lui inspirer celle liberté. Tant il
est vrai qu'il est impossible à la nature abandonnée à elle-même de
connaître Jésus-Christ et de s'attacher à lui.
35
Un Sauveur que la
fantaisie et la volonté de l'homme se forgent n'est qu'une production
de l'homme. Ce n'est pas ce Sauveur, ce Jésus, ce Fils du Dieu vivant,
auquel nul ne peut aller, à moins que le Père ne l'y attire
(Jean
VI, 44).
36
Voulez-vous recevoir un
conseil de moi ? Laissez-vous conduire par l'esprit de Dieu
toujours plus avant dans l'intelligence de l'Écriture sainte. C'est la
vraie mine où vous trouverez le plus précieux de tous les trésors.
Vous y découvrirez le coeur de Christ.
Soyez en garde contre
les péchés de toute espèce, et principalement contre ceux auxquels
vous êtes le plus enclin par tempérament. Mais ne vous contentez pas
de voir toute l'énormité des péchés qui blessent celui qui vous a tant
aimé. Comme il est mort pour les expier, recourez aussi d'abord à lui.
Il peut seul vous en affranchir. Si vous observez cette règle, les
mauvaises pensées n'allumeront point la convoitise, et la convoitise
n'enfantera point le péché.
Qu'on
vous trouve toujours dans la situation d'un pauvre pécheur, ayant
le coeur abaissé et plein de componction à la vue de vos
innombrables fautes, sensible à vos plus légers écarts, attentif à
toutes les impressions de la grâce, ouvert à tous les dons qu'elle
voudra répandre en vous et disposé à recevoir toutes ses
visitations.
Vous êtes-vous rendu
coupable de quelque faute, ne souffrez pas que votre conscience en
demeure longtemps chargée. Recourez incontinent au sang de
Jésus-Christ. Dieu ne rend le sentiment du péché douloureux à votre
conscience que pour vous porter à chercher votre guérison en Jésus,
comme les Israélites trouvaient la leur en regardant le serpent
d'airain.
37
Jugez de la
grandeur de l'amour du Sauveur, non pas tant par vos circonstances
extérieures, riantes ou pénibles, que par l'étendue des promesses
qu'il vous a faites.
Bénissez
Dieu de ce qu'il vous enlève tous vos faux appuis, et de ce qu'il
vous oblige, par tous les moyens, à ne regarder qu'à Jésus-Christ.
La sécurité et la légèreté sont mille fois plus à craindre que les
maladies et les traverses.
38
Un chrétien qui tombe
dans la tiédeur, dans la légèreté et l'indifférence envers le Sauveur,
dégénère insensiblement en un pécheur déterminé. Il trouve le
malheureux secret de prier et de pécher en même temps. La tiédeur est
la peste et le poison du christianisme. Si cette racine vénéneuse
n'est pas détruite dans votre mur par un commerce continuel avec le
Sauveur et par un regard de foi fixé sans cesse sur lui, elle
deviendra toujours plus forte et plus mortelle, par là même que vous
garderez encore les bienséances extérieures et les dehors de la
religion.
39
Ne mettez pas les dons
que vous avez reçus en balance avec ceux des autres ; mais
examinez-les sur la véritable pierre de touche, qui est la Parole de
Dieu.
Ce
qui vous est commandé, faites-le avec zèle et fidélité ; et
que la moindre chose vous soit importante, dès qu'elle fait partie
de vos devoirs. Mais ne cherchez jamais de consolation qu'en
Jésus-Christ. De quelque part que la consolation vienne, elle est
dangereuse et funeste quand ce n'est pas le Sauveur qui la donne.
Persévérez dans la
prière ; sans quoi, n'espérez pas de pouvoir vous maintenir dans
la communion avec Dieu. Que le recueillement où vous êtes, en priant
secrètement dans votre cabinet, vous accompagne dans toutes vos autres
occupations.
40
Ne jugez pas de vos
bonnes actions par l'éclat qu'elles peuvent faire, mais par
l'abaissement de coeur dont elles sont suivies, et par la disposition
où elles vous laissent de vous approcher de Jésus en pauvre pécheur.
Tremblez
de vous enorgueillir à la vue des oeuvres et des dons par lesquels
vous pourriez vous faire remarquer.
41
Conservez comme votre
plus riche trésor les impressions que le Sauveur vous donne de son
amour ; elles rendront votre coeur toujours plus humilié à ses
pieds, et élevé au-dessus des assauts du péché. Ne méprisez pas les
moindres témoignages de sa grâce. Un temps viendra peut-être où les
grâces que vous avez regardées comme les moins importantes vous seront
les plus utiles, et où la grâce de pouvoir vivre fraternellement avec
les enfants de Dieu vous sera plus précieuse que toutes les richesses
de la terre
(1
Jean III, 14).
42
Soyez un zélé défenseur
de la vérité, mais que votre zèle soit exempt d'aigreur et
d'emportement. Quelqu'un est-il tombé dans l'erreur ou dans quelque
faute, tâchez de le ramener avec cette douceur et cette bonté de coeur
dont Jésus nous a donné l'exemple. Que la main de la douceur et le
baume de la charité évangélique soient les moyens que vous employiez
pour remettre à leur place les membres disloqués du corps spirituel de
Christ.
Esprit altier,
sachez qu'il ne vous appartient pas de regarder avec mépris les
enfants de Dieu, à cause de leurs faiblesses. Vous pourriez vous
trouver dans le cas d'envier le bonheur d'être le plus petit d'entre
eux.
Supportez
patiemment les défauts d'autrui, et ne soyez pas indulgent à
l'égard des vôtres. Fréquentez assidûment les âmes qui ont passé
par toutes sortes d'épreuves ; vous acquerrez de l'expérience
à leur école.
43
Étudiez-vous à être
fidèle dans votre vocation, et que votre fidélité envers le Seigneur
règle celle que vous devez à votre prochain. Soyez en garde contre
l'envie de posséder beaucoup ; peu suffit à vos besoins. Si vous
regardez à la main qui donne, et à l'indignité de celui qui a reçu,
fussiez-vous dans la plus grande médiocrité, vous serez confus de vous
voir aussi riche. Mais quand le Seigneur vous comble de ses dons
spirituels, que l'abondance de ses bienfaits et le nombre de ses
libéralités ne vous en fassent pas méconnaître le prix.
Demandez des yeux
qui ne voient personne moindre et plus indigne que vous. Portez
partout dans votre coeur un mépris si profond de vous-même, que vous
vous jugiez indigne de la société et même du support de tous les
enfants de Dieu.
Si vous êtes obligé de
voir les objets du monde qui passent rapidement, n'ayez des yeux que
pour en voir la vanité, et que Jésus soit l'objet qui fixe votre
coeur. Lui seul est digne de votre amour et de votre attachement.
Que votre plus
grand sujet d'affliction soit de voir que le Seigneur Jésus est
presque inconnu au monde, et qu'il y a si peu d'hommes qui fassent cas
de lui. Un objet vain, un jeu, une bagatelle est capable de leur
plaire et de les occuper, tandis qu'ils n'ont pour lui que mépris et
indifférence. Tel est l'effet de la funeste incrédulité du coeur
humain, qu'il regarde Jésus-Christ comme un personnage chimérique, et
son Évangile comme une fable et une fiction.
Ayez le coeur
navré de douleur, quand vous considérez que, parmi ceux qui ont été
baptisés, il y en a plusieurs qui observent les rites extérieurs de
l'Église, mais peu qui entrent dans l'économie de la grâce. Les plus
dévots s'appliquent à la pratique de certains devoirs, mais le nombre
est petit de ceux qui font de Jésus leur principal objet, et qui se
rangent sous la discipline de son Esprit.
Résolvez-vous
à porter le joug de Christ ; recevez-le avec joie, et faites
consister votre plus grande gloire à être chargé de sa croix. Que
ce soient mépris, railleries, affronts, injures, persécutions, ou
d'autres mauvais traitements, il n'importe, pourvu que ce soit
véritablement la croix de Christ que vous portiez et non une croix
que vous vous soyez choisie et forgée vous-même.
44
Une bouche qui se
glorifie de la croix de Christ, et un coeur qui aime encore le péché,
sont deux choses incompatibles. Retenir captive une seule vérité dont
la conscience est convaincue, cela suffit pour y allumer un feu tout
aussi dévorant que les remords des plus grands crimes.
Jouissez-vous
du bonheur d'avoir été arraché des griffes de l'ennemi, pour être
transporté dans le sein du Fils de Dieu, et assis parmi les
princes de son peuple ? Oh ! qu'il vous souvienne,
pendant toute votre vie, de vous comporter comme un vase
d'élection, comme un éternel monument de sa miséricorde !
Âme
rachetée et sauvée, que ne devez-vous pas à votre Sauveur !
Combien sont infinies les obligations que vous lui avez !
Votre reconnaissance
doit être sans bornes. Si elle est telle, toutes vos paroles et vos
actions, aussi bien que tous les mouvements de votre coeur, en seront
autant de témoignages. Chaque fête de l'année, que dis-je ?
chaque jour de la semaine, sera pour vous un jour de réjouissance et
de louanges.
Être
incorporé au peuple de l'Agneau, être un membre vivant de Christ,
un concitoyen des saints, un associé des anges, quel glorieux
privilège, quel doux bonheur ! C'est un paradis sur terre.
Quand
vous avez la grâce de participer avec une vraie foi au sacrement
de la chair et du sang du Seigneur, vous entrez dans l'immensité
de l'amour de Dieu, dans une mer profonde, où votre âme doit nager
et se plonger jusqu'au fond. Là, vous devez vous ensevelir avec
Christ, et mourir à toutes choses, pour ne vivre que pour lui.
Quand
on a goûté la douceur de son amour, le souvenir s'en retrace à
chaque instant, et l'on ne pense jamais à lui sans avoir le coeur
saisi de honte et d'admiration.
45
Rappelez-vous sans
cesse ce temps heureux où l'ami des âmes cherchait la vôtre, et cette
époque de grâce où il vous saisit et étendit le pan de sa robe sur
vous, lorsque vous étiez nu et gisant dans votre sang
(Ezéch.
XVI, 8, 9).
Si vous aviez la faiblesse de donner lieu à la moindre pensée
d'orgueil et de présomption de vous-même, regardez à la main
charitable qui vous a soutenu dans votre infirmité. Sans cet appui,
vous eussiez fait autant de chutes que de pas. C'est cette main qui a
retiré votre âme de l'abîme le plus profond
(Ps.
LXXXVI, 13).
Bénissez
l'Auteur de votre salut. Que vos chants de louange retentissent
jusqu'aux oreilles des armées célestes ! Publiez à jamais
l'excellence de sa grâce
(Ps
CXLVII).
Que
l'esprit d'abaissement et de prière vous accompagne partout !
Cheminez en la présence de votre Maître, en suivant l'odeur de ses
parfums, de manière que ceux avec qui vous conversez sentent
l'onction que sa grâce a versée dans votre coeur.
N'oubliez
jamais que vous êtes pécheur, et que Jésus vous a pardonné. Que le
sujet de vos méditations journalières soit vos péchés et ses
mérites ; votre extrême faiblesse et la vertu de sa
grâce ; votre penchant à l'élévation et le profond
abaissement du Fils de Dieu ; vos faiblesses et son
assistance ; vos fautes et l'aspersion de son sang ; vos
trébuchements et sa main secourable ; votre grande pauvreté
et sa plénitude infinie ; vos misères et ses tendres
compassions ; votre indignité et sa parfaite justice.
46
Heureuse l'âme qui sera
ainsi trouvée en Jésus, non avec sa propre justice
(Philip.
III, 9),
mais lavée et blanchie dans le sang de l'Agneau
(Apoc.
VII, 14)
!
Homme qui n'avez jamais
éprouvé dans votre coeur l'efficace de l'Évangile de Christ, ni la
vertu de sa grâce, que votre état est triste ! personne n'est
plus à plaindre que vous. C'est une faible consolation pour vous, de
voir que l'Église vous tolère. Vous pourriez même être regardé par vos
semblables comme un de ses vrais membres, et avec cela être méconnu et
rejeté de Christ au grand jour du jugement. Vous pouvez avoir été
baptisé, et pourtant ne vous être pas approché de Jésus ni du sang de
l'aspersion
(Héb.
XII, 24).
Faire
tous ses efforts pour pratiquer la vertu sans les mérites, sans la
justice et le sang de Jésus, c'est quitter la route que l'Évangile
nous trace ; et toute âme qui s'en écarte marchera
infailliblement dans un pays d'incertitudes, de craintes et de
perplexités continuelles. Ces doutes, quand ils ne sont pas
dissipés à temps, plongent l'âme dans la tiédeur et le
découragement, état tout à fait dangereux et le plus funeste que
l'on puisse imaginer.
Ayez
un grand respect pour les choses saintes et pour tout ce qui a
rapport à la religion : gardez-vous de les traiter à la
légère, et surtout d'en faire des plaisanteries. Entrez souvent
dans le recueillement pour y vaquer à la méditation et à la
prière. Ne négligez aucune des occasions où vous pouvez être
instruit et édifié. L'instruction, la correction, les
encouragements et les consolations sont, pour la vie spirituelle
de l'âme, ce que sont pour l'accroissement des plantes la chaleur,
la pluie et la rosée
(Deut.
XXXII, 2).
Tout
ce que vous faites, faites-le de coeur, au nom de Jésus-Christ, et
en vue de lui obéir. Dans toutes vos occupations, agissez comme si
c'était avec lui immédiatement que vous eussiez à faire, comme
ayant la vue fixée sur lui, et lui sur vous. Surtout, qu'il soit
la source où vous alliez, à chaque instant, puiser les lumières et
les forces dont vous avez besoin.
47
Soyez attentif aux
mouvements intérieurs de la grâce, et suivez fidèlement ce qu'elle
vous met au coeur. Regardez comme un don inestimable la grâce que le
Sauveur vous fait de pouvoir penser à lui, d'oser vous approcher de
lui, d'avoir la liberté de parler de lui avec sentiment de
coeur ; et n'oubliez jamais de l'en bénir.
Vous apercevez-vous
chaque matin que le Soleil de justice vous visite d'en haut, pour
amollir votre coeur par la rosée qui distille de lui, et pour et faire
couler des larmes de componction et d'amour ? L'étoile matinière,
en se levant sur vous, vous apporte-t-elle de nouvelles influences de
grâce et de paix ? Sentez-vous les douces approches de Jésus, le
fidèle ami de votre âme ?
Songez
que tout travail qui nous empêche de nous élever vers les choses
spirituelles appesantit notre âme et l'entraîne vers les choses
terrestres et charnelles. Tout ce qui ne sert pas à notre
avancement dans l'humilité et dans la vie spirituelle, éteint
cette vie et affaiblit la sensibilité du coeur.
48
Il peut être permis à
un Judas de tremper avec Jésus dans le plat, c'est-à-dire de
participer au baptême, à la sainte cène et à la communion extérieure
de l'église ; mais il n'est donné qu'à un saint Jean d'oser se
pencher sur le sein de son cher Maître
(Jean
XIII, 23).
L'attitude
de ce disciple bien-aimé est positivement celle où il nous
convient d'être en priant, en écoutant la parole de Dieu, et en
vaquant à nos différents devoirs. Ce n'est qu'en nous approchant
du coeur du Sauveur que le nôtre s'attendrit, qu'il devient
sensible à sa misère, et que nous sommes guéris de cette tiédeur
et de cette indifférence qui étouffent l'esprit de la piété. Cette
heureuse proximité du Sauveur est ce qu'il y a de plus efficace
pour nous conserver dans une profonde humilité, pour nous lier
plus intimement avec lui, et pour nous inspirer de l'aversion pour
tout ce qui lui déplaît. Que dis-je ? D'un pécheur condamné,
elle fait une nouvelle créature formée à la ressemblance de
Jésus-Christ.
Ne
présumez pas que votre état soit tel qu'il doit être, et
gardez-vous bien de vous considérer comme un chrétien avancé, dans
la voie du salut, jusqu'à ce que vous soyez parvenu au point de
vivre dans un continuel commerce de coeur avec le Fils bien-aimé
qui est dans le sein du Père
(Jean
I, 18).
Allez
avec assurance au trône du Père, pour le supplier qu'il révèle et
qu'il glorifie son Fils en vous. Certainement il écoutera votre
demande, et vos voeux seront accomplis. Vous ne pouvez lui
présenter aucune requête qui lui soit plus agréable et qu'il se
plaise tant à exaucer. Pourquoi ce Père des miséricordes a-t-il
voulu que son cher Fils sortît de son sein pour venir dans le
monde ? C'est pour en faire un signe visible aux yeux de tous
les pécheurs, et un monument éternel de son amour infini.
49
L'éclat du soleil
blesse la vue de ceux qui le regardent fixement. Il n'en est pas de
même de Jésus-Christ, le Soleil de justice. Plus nos regards sont
fixés sur lui, plus l'oeil de la foi en devient clairvoyant. Regardez
à Jésus ; plus vous le considérerez de près, plus vous l'aimerez
et plus vous désirerez de vous nourrir de lui. Souvenez-vous sans
cesse de ce qu'il vous est, et de ce qu'il a fait pour vous surtout
pensez beaucoup au précieux sang découlant de ses plaies. Si cette
pensée ne vous fixe pas, le moindre vent sera capable de vous agiter
et de vous faire tomber dans la tentation.
Voulez-vous voir
combien vos péchés sont énormes et dignes de condamnation, pour
apprendre à les détester et à en gémir ? Ne vous arrêtez pas à
les examiner tels qu'ils sont en vous, mais approchez-vous de Jésus
sur la croix, et lisez sur son corps sanglant et meurtri ce que c'est
que le péché.
Voulez-vous
en même temps vous assurer si vous êtes avancé dans la carrière du
salut ? Ne commencez pas par examiner les oeuvres de grâce et
de sainteté qui peuvent avoir été produites en vous, mais allez
d'abord au Sauveur, pour voir comment vous êtes avec lui. Si vous
le possédez, vous avez tout. Après vous être assuré de cela, je
consens que vous repassiez les expériences que vous avez faites à
l'école de sa grâce.
50
Avant que la foi soit
épurée, on saisit chaque objet qui se présente, dès qu'on y voit
quelque apparence de bien ; et, dans l'idée que ce sera pour nous
un moyen d'avancement, nous y rattachons nos espérances.
Ne
vous y trompez pas : allez à Jésus-Christ avec des yeux
arrêtés sur vos péchés et sur vos misères, et non sur vos bonnes
oeuvres, ni sur les attraits de grâce que vous avez sentis. Ne
vous occupez ni des unes ni des autres. Cela vous empêcherait
d'aller au Sauveur, en qui repose tout votre salut.
Ceux
qui n'ont de confiance au Sauveur qu'à proportion du bien qu'ils
font, imitent cet homme qui considère au fond de l'eau la figure
réfléchie du soleil, lequel semble se mouvoir en différents sens,
selon que l'eau est agitée. Pour voir Jésus-Christ dans sa forme
naturelle, contemplez-le tel qu'il est dans son amour, et qu'il
reluit dans le firmament de la grâce du Père. C'est là que sa
gloire paraît dans tout son éclat, et que sa beauté est
inexprimable.
Le
résultat de l'esprit d'orgueil et d'incrédulité est de porter les
hommes à s'occuper d'eux-mêmes avant toute autre chose, et à
regarder avec complaisance le bien qui peut se trouver en eux. Le
propre de la foi, au contraire, est de s'occuper uniquement de
Jésus-Christ. Cet objet seul touche et ravit l'âme. Son approche
fait disparaître toute la prétendue sainteté de l'homme, comme
elle opère la destruction du péché. C'est pour cela que le Sauveur
a été fait péché pour nous, comme il a été fait justice et
sanctification
(2
Cor. V, 21 ; 1
Cor, I, 30).
Quiconque établit sa
propre sainteté pour s'y mirer et s'en faire un sujet de consolation,
celui-là se forge une idole monstrueuse, qui ne lui servira qu'à
multiplier ses doutes et ses frayeurs.
En effet, il arrive à
tout homme ce qui arriva autrefois à Pierre, lorsque la défiance le
plongea dans les eaux sur lesquelles la foi le faisait marcher
(Mat
XIV, 31).
Le moment où le coeur s'écarte du Sauveur est celui où il tombe dans
le doute.
51
Jamais un vrai chrétien
n'est privé de consolation, si ce n'est lorsqu'il sort de l'ordre et
de la voie de l'Évangile. Or, il quitte cette voie, lorsque, perdant
de vue la justice surabondante de Jésus, il regarde avec satisfaction
les bonnes oeuvres et les belles qualités dont il se croit orné. En
agir ainsi, c'est fermer les yeux à la lumière du soleil, pour marcher
à là faveur d'une lampe de nuit.
Prenez-y
garde : Si vous prétendez tirer de votre propre justice un
miel pour vous en délecter, sa douceur se changera en un fiel des
plus amers pour votre âme, et toute lumière que vous tirerez de
votre propre fonds pour vous conduire, au lieu de vous éclairer,
vous plongera dans les ténèbres les plus épaisses.
Tenez
pour une tentation de l'ennemi, lorsqu'il vous vient à l'esprit de
considérer le bien qui est en vous, pour en tirer un motif de
consolation. Suivez l'attrait du Père qui vous présente la grâce
acquise en son Fils, grâce infiniment riche et abondante, grâce
qui seule rend l'homme pécheur agréable à son Dieu. Il doit vous
être doux de suivre la volonté de votre Père céleste, qui vous
commande de rechercher la justice de Jésus ; et ce qu'il
commande, il le produit lui-même. Ces pressantes sollicitations
qu'il vous adresse sont des moyens également doux et puissants
pour confondre votre incrédulité et pour ranimer votre confiance.
Toutes les fois qu'il vous vient de pareilles visites du Seigneur,
recevez-les comme autant de faveurs inestimables, et répondez-y
par des soupirs ardents, accompagnés d'actions de grâce. Ces
sortes de grâces vous doivent être d'autant plus chères, qu'elles
vous sont autant de garants de celles que Dieu vous destine
encore.
52
Lorsque vous vous
prosternez en oraison, et qu'il ne vous est pas donné de pouvoir
prier, au lieu de vous en affliger longtemps, regardez à Jésus priant
et intercédant continuellement pour vous auprès du Père
(Jean
XIV, 16,17).
Que pouvez-vous désirer
de plus ? Vous reste-t-il encore quelque inquiétude,
attachez-vous à Jésus, qui est votre paix
(Eph.
II, 14).
Cette paix, il vous l'a laissée lorsqu'il est monté au ciel ; et
il vous a averti plus d'une fois que vous ne deviez vous laisser
troubler par aucune chose, ni d'aucune manière afin que votre
consolation non plus que votre foi, ne souffrent aucun échec
(Jean
XIV , 1, 27).
Après
que votre Sauveur, dans son état d'abaissement, a détruit et
aboli, sur la croix, tout ce qui peut vous blesser et vous
tourmenter ; après qu'il a porté tous vos péchés, vos peines,
vos inquiétudes et vos tentations, il est entré dans son ciel pour
vous y préparer place. Vous avez maintenant un Sauveur tel qu'il
vous en faut un, en la personne de Celui qui est assis sur le
trône à la droite du Père.
53
Que votre sort est
heureux, vous qui faites du Seigneur Jésus votre principale et unique
affaire ; vous qui vous regardez vous-même comme un néant, comme
un rien, afin que Jésus seul soit votre tout, votre vie, votre plus
cher objet et votre plus riche trésor. Vous enfin, qui êtes mort à
toute autre chose, même à toute justice propre, pour n'être revêtu que
de la sienne, votre bonheur est digne d'envie ; vous êtes du
nombre de ses bien-aimés ; vous avez trouvé grâce devant
Dieu ; vous êtes un de ses enfants qu'il chérit le plus.
Voulez-vous que je vous
dise, pour conclusion, comment vous pouvez réjouir le coeur de notre
adorable Sauveur, en reconnaissance de l'amour qu'il a pour
vous ?
Aimez-le,
gardez la parole des souffrances de l'Agneau immolé pour
vous ; et puisque vous avez été racheté par son sang, pour
être son éternel salaire glorifiez-le dans votre corps et dans
votre esprit, qui lui appartiennent, en cheminant dignement, comme
il est séant, selon l'Évangile de Christ. Avec cela, ayez un amour
fraternel pour tous ses membres, pour ses troupeaux, même pour les
plus faibles et les plus chétifs de ses serviteurs. Que la
diversité d'opinions et de sentiments sur des points non
essentiels au salut ne vous empêche pas de les regarder et de les
aimer comme des frères. Souvenez-vous qu'ils appartiennent tous au
Sauveur, qui les porte sur son coeur, comme les noms des enfants
d'Israël étaient gravés sur le pectoral du grand sacrificateur
Aaron ; et puisqu'ils ont place dans le coeur de Jésus, ne
les bannissez pas du vôtre.
Enfin,
demandez à Dieu qu'il donne la paix à Jérusalem et qu'il fasse
prospérer ceux qui l'aiment. Amen.