Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE MIEL
DÉCOULANT DU ROCHER
QUI EST CHRIST

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Préface de l'auteur.


LECTEUR

Depuis quelque temps je sens que la charité de Christ me presse. Elle a dardé sur mon coeur des rayons si puissants, qu'il en est tout pénétré et comme embrasé. C'est trop peu pour moi de bénir, dans le silence, le meilleur ami des hommes, je veux dire Jésus, notre cher Sauveur, dont l'amour surpasse toute connaissance (Eph. III, 19) ; je me sens aussi entraîné à embrasser en esprit tous les enfants de Dieu, et à leur souhaiter du bien. Mon coeur se livre d'autant plus volontiers à ce doux penchant, que, dans ces derniers temps, il se trouve çà et là, dans le monde, beaucoup de pauvres âmes qui, avec de bons désirs, sont encore flottantes et sujettes à se laisser emporter à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes et par leur adresse dans l'art de séduire (Eph IV, 14). Il s'en trouve plusieurs qui, pour travailler à leur édification et à celle des autres, bâtissent sur un fondement faux et ruineux ; ce qui rend inutiles toutes les peines qu'ils se donnent. La raison de cela est qu'il y en a peu qui, comme parle l'apôtre, aient une charité sincère, et qui croissent à tous égards dans celui qui est notre chef, savoir Jésus-Christ (Eph IV, 15). Cela étant, il ne faut pas s'étonner qu'on remarque si peu de solidité et d'accroissement parmi les âmes. Tout ce qu'on fait hors de l'union avec Christ et sans être enraciné en lui, est perdu et maudit.

Cher lecteur ! s'il plaît à Dieu de bénir la lecture de ce petit ouvrage, j'espère que vous y reconnaîtrez le langage d'un fidèle ami. Peut-être entendrez-vous une douce voix qui vous dira intérieurement : « C'est ici le chemin que tu dois suivre ; ne t'en écarte ni à droite ni à gauche. » En effet, l'heureuse route qui mène le pécheur à la justification devant Dieu est celle qui le conduit à la justice de Jésus-Christ. Quant à notre propre justice, c'est un drap souillé ; et il faut que chacun dise : « Ma justice et ma force sont dans le Seigneur (Esa. XLV, 24,25). »

Il n'y a point de réconciliation ni de réunion avec Dieu qu'en ce seul Juste par excellence, qui est mort pour nos injustices. « Celui qui n'a point connu de péché a été fait péché pour nous, afin que, par lui, nous qui sommes pécheurs, fussions revêtus d'une justice valable devant Dieu (2 Cor. V, 21). »

Lecteur chrétien ! jetez aux pieds de Jésus tout ce qui se trouve en vous appartenant encore au vieil homme. Rendez hommage au Fils de Dieu en lui donnant la préférence sur tout autre. Sous le Nouveau Testament, il faut que tous les vases du temple spirituel de Dieu, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, soient consacrés et attachés à Jésus-Christ. Cet honneur lui est dû, et il en est seul digne. C'est lui qui bâtit le temple de Dieu, et selon le conseil éternel du Père, il en doit être le fondement, la pierre angulaire et la couronne. En lui réside la plénitude de la grâce et de la gloire du Père. N'hésitez donc point d'aller à lui, quels que vous soyez. Il n'est aucune sorte de péchés, de misères, ni de maladies, qui doivent vous en empêcher. Il est le vrai et unique Médecin des âmes, chez qui vous trouverez le remède à tous les maux.

Cher lecteur ! Dieu vous fasse la grâce d'éprouver la réalité de toutes les paroles que vous lirez dans ce petit ouvrage. Que tout ce qui y est contenu soit pour vous un baume qui restaure votre âme, qui vous fortifie dans vos faiblesses, et guérisse vos langueurs. Alors votre âme se félicitera elle-même de son bonheur.
Je suis, dans l'unité de la foi et dans la communion du saint Évangile,
 Votre frère.


Point N°

1


Vous qui jetez les yeux sur cet ouvrage, c'est à votre coeur et au mien que je veux parler.
Vous portez le nom de chrétien, vous vivez dans la communion extérieure de l'Église, et vous jouissez de ses sacrements. J'avoue que ces prérogatives sont précieuses ; mais, avec tout cela, si votre piété n'a pas pris racine dans le sang de Jésus-Christ, elle sera sèche et stérile, elle se réduira à une fausse apparence, avec laquelle vous pouvez devenir la proie du démon.

2


Aussi longtemps que vous serez rempli de votre propre justice, vous demeurerez sous la puissance du péché. Vous nourrissez dans votre sein un serpent, qui soufflera sur votre piété, et portera un coup mortel à votre âme. Examinez donc fréquemment, avec une sévère exactitude, quelle est la base de votre espérance. Est-ce la main de Jésus-Christ lui-même qui l'a posée ? À défaut de cela, votre édifice ne résistera jamais à l'orage qui éclatera sur lui. L'ennemi viendra à bout de le saper et de le renverser de fond en comble.

3


Âme présomptueuse, attendez-vous à être criblée. Vous allez passer par des épreuves qui dévoileront tout le fond de votre christianisme. Quelle affreuse situation, quand tout vous échappera, et que vous ne saurez plus à quoi vous en tenir !

4


Esprit qui volez trop haut, ne vous fiez pas à vos ailes de cire. Elles se fondront dans l'ardeur des tentations, et votre chute en sera d'autant plus grande. Qu'il est triste de se voir réduit à une honteuse banqueroute, après avoir fait longtemps un brillant commerce ! Tel est le sort d'une âme qui néglige de prendre ses précautions pour l'éternité.

5


Chrétien éclairé, prenez garde qu'il n'y ait à votre racine un ver capable de gâter toute la plante, et de vous faire devenir un tronc sec et pourri. Portez la sonde dans votre coeur, et demandez-vous à vous-même : « Mon âme est-elle teinte du sang de Jésus-Christ ? En porté-je la marque ? Et sur quelle justice est fondée l'espérance que j'ai d'être sauvé ? Suis-je entièrement dépouillé de ma propre justice ? » Cet examen est d'autant plus nécessaire, que plusieurs chrétiens des plus considérés ont vu, à la fin de leur vie, toutes leurs oeuvres disparaître à leurs yeux. Combien dans ce moment-là se sont écriés qu'ils étaient perdus sans ressource !

6


Réfléchissez qu'un homme à bonnes oeuvres peut receler plusieurs de ces péchés criants qui en font gémir un autre dans la plus grande angoisse de son âme, et que souvent une conscience bourrelée n'annonce pas plus de crimes secrets qu'une âme n'en cache sous l'appareil de ses prétendues vertus. N'ayez point de repos que votre âme blessée par le péché ne soit guérie radicalement par le sang de Jésus-Christ. Ne vous contentez pas que la cicatrice soit légèrement couverte par la pratique des devoirs de la religion, par des actes de repentance, par des humiliations ou par des consolations. Tout ce que vous y appliquerez, hormis le sang de Jésus-Christ, ne fera que renfermer le venin dans la plaie. Vous vous apercevrez bientôt que le péché n'a pas été amorti, parce que vous n'avez jamais bien contemplé Jésus-Christ répandant son sang pour vous sur la croix. Rien ne peut détruire le péché que le regard de la foi fixé sur la justice du Sauveur.

7


La nature ne saurait préparer de remède pour la guérison de l'âme. Toute guérison opérée par la voie des oeuvres et des devoirs, et non par le sang de Jésus-Christ, est pire que la maladie la plus incurable. Les lumières et les forces de la nature corrompue ont beau être cultivées et portées au plus haut point, elles ne sauraient fournir à l'âme qu'un habit souillé pour couvrir sa nudité. Le seul habit pur et sans tache qu'il faut à notre âme, c'est la justice et le mérite parfait du Sauveur.

8


Que deviendra l'ouvrage que la faible nature a tissu ? Ou il faut consentir à vous en voir dépouillé, pour vous laisser revêtir de la justice de Christ, ou bien, si vous gardez sur vous ce tissu de la nature, Satan le mettra en lambeaux ; et alors votre âme, nue et confuse, n'aura d'autre attente que la colère à venir.
Non, la nature, avec toutes ses forces, ne saurait attirer sur votre âme un seul rayon de la grâce divine, capable de détruire le péché en vous, et de vous éclairer jusque devant la face du Seigneur.

9


Vous faites profession d'être chrétien, vous assistez au culte divin, vous participez aux saints sacrements, tout cela est bon ; mais savez-vous bien qu'en faisant tout cela vous pouvez être le plus malheureux de tous les hommes ? Pouvez-vous vous souvenir d'un moment auquel Jésus se soit approché de votre coeur pour demeurer si bien présent à vos yeux, que vous préfériez cet unique objet à tout ce qu'il y a de perfections, de beautés et de vertus dans le monde ? Tout ce que vous présumiez avoir fait de bon, est-il réputé de votre part comme le linge le plus souillé ? Tout cela est-il abaissé devant la gloire magnifique de sa grâce et de son amour (Esa. II, 17.19) ?

10


Si jamais vous avez appris à connaître véritablement Jésus-Christ, vous n'avez découvert en lui que pure grâce, que justice parfaite, qui, abonde infiniment sur tout péché et sur toute misère humaine. Si vous avez véritablement vu et connu Jésus-Christ, vous pouvez fouler aux pieds la justice des hommes et des anges, plutôt que de chercher, par l'une ou par l'autre, un libre accès auprès de Dieu.

Si vous connaissez Jésus-Christ, vous ne voudrez pas, pour tout au monde, faire aucune bonne oeuvre sans lui (2 Cor. III, 5). Si jamais vous l'avez connu, vous devez l'avoir aperçu comme le rocher du salut, infiniment élevé au-dessus de toute propre justice, de même qu'au-dessus de Satan et du péché (Ps. LXI, 3). Et ce rocher, qui est Christ, vous suivr a partout (1 Cor. X, 4). C'est de lui que découle continuellement le Miel de la grâce, qui peut vous rassasier.

Sondez-vous bien, et me dites si jamais vous avez contemplé Jésus, comme le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité (Jean I, 14, 16, 17). Ne vous donnez aucun relâche, jusqu'à ce que vous soyez bien assuré que vous êtes entré dans la communion avec Christ, que vous êtes assis sur ce rocher des siècles, que vous avez suivi l'appel que sa voix a adressé à votre âme, et que votre justification est une affaire réglée entre lui et vous.

11


Rien de plus commun que d'entendre des gens parler admirablement bien de la foi, lorsqu'ils sont jeunes et en santé ; mais rien de plus rare que ceux qui en connaissent, par expérience, la nature et l'efficace.

Le grand mystère révélé dans l'Écriture sainte, c'est Jésus-Christ, ou Dieu manifesté en chair. Le mystère de la doctrine de Christ, c'est la grâce acquise par lui, destinée, offerte et accordée aux pauvres pécheurs. L'ouvrage le plus merveilleux de Dieu dans le monde, c'est la foi. Dès que vous y mêlez du vôtre, c'est un ouvrage défiguré, sur lequel le Sauveur ne daigne pas jeter le moindre regard.

Désirez-vous aller par la foi à Jésus-Christ ? Laissez toute votre propre justice bien loin en arrière, et ne lui portez rien que vos péchés et votre misère. Cette parole est dure ! répliquerez-vous. Oui, dis-je encore une fois, il faut que vous abandonniez toute votre sainteté, vos vertus, vos bonnes oeuvres, vos actes d'humiliation, et que vous n'ayez à présenter au Seigneur Jésus que vos défauts et votre misère. Sans cela, il n'est pas le Jésus qu'il vous faut, et vous ne lui convenez pas non plus. Il est un Médiateur et un Sauveur qui ne souffre point qu'on mette rien à côté de lui. Il ne prétend pas que vous soyez autre chose qu'un pauvre pécheur qui se donne pour perdu. Si cela ne vous accommode pas, jamais vous ne conviendrez ensemble.

Rien de plus difficile à l'homme que de chercher toute sa justice en Jésus. Cependant personne ne le reconnaît pour son Sauveur, que celui qui recherche toute sa justice en lui seul. Dès que vous lui associez quelque autre chose, vous dérogez à sa qualité de Sauveur parfait.

12


S'il vous arrive, en vous présentant devant Dieu pour être reçu en grâce, de vous prévaloir d'autre chose que du mérite de Jésus-Christ, tenez pour certain que cette pensée est un antichrist. Repoussez-la loin de vous, afin que la justice de Jésus demeure seule triomphante. Partout où elle ne domine pas, là est le règne de Babel ; et il faut que ce règne soit détruit, pour faire place en vous à celui de Christ. Christ a été tout seul à fouler au pressoir, et personne n'était avec lui (Esa. LXIII, 3) . Tout mérite que vous voudriez associer au sien, il le foulera aux pieds sans ménagement, parce que ce serait une tache sur la robe de sa parfaite justice.

13


Vous qui vous imaginez que la foi est une chose si aisée, la vôtre a-t-elle jamais passé par le creuset des épreuves ? A-t-elle tenu bon dans le temps que toute la laideur de vos péchés vous a été mise devant les yeux ? car une foi non éprouvée est toujours suspecte et chancelante. Vous souvenez-vous que, Satan ait eu la permission de s'approcher de vous ? Et votre conscience a-t-elle senti le poids de la colère de Dieu ? Si cela est, et que vous vous soyez vu sur le bord de l'abîme, dans ce cas il doit vous avoir été manifesté que le sang de Jésus est votre rançon, votre justice et votre délivrance. Alors vous avez pu dire : Il y a abondance de grâce en Jésus. Alors il vous aura été donné de proférer la plus importante parole qu'un pécheur puisse prononcer, et de dire : Je crois, j'ai la foi.

14


Quand un homme a la foi, il est vivement pénétré du sentiment de ses péchés ; il est convaincu du prix immense et de l'efficace divine du sang de Christ, et persuadé de la bonté de coeur avec laquelle le Seigneur Jésus veut le sauver, par la raison même qu'il est un misérable pécheur. Cette oeuvre de grâce présente quelque chose de plus grand que la création d'un monde. Quand une âme est alarmée de ses innombrables forfaits, effrayée des peines que méritent ses péchés, toutes les forces de la nature réunies ne sauraient la porter à croire fermement qu'il y a une grâce et une volonté en Christ de sauver le pécheur. Une âme possède le secret de l'Évangile, quand elle se décharge sur l'Agneau de Dieu du poids des péchés que Satan reproche à sa conscience. C'est là faire hommage à Jésus comme à notre Sauveur, parce que c'est pour cela qu'il a voulu l'être. Ne connaître de justice qu'en Jésus, et ne vouloir être sauvé que par son sang, c'est le sommaire de l'Évangile. Ce qui met une âme à couvert de tout assaut, c'est lorsque ni le souvenir de ses meilleures oeuvres, ni le sentiment de ses grandes misères, ne l'empêchent de dire avec confiance :

Rien, ô Jésus ! que ta grâce,
Rien que ton sang précieux,
Qui seul mes péchés efface,
Ne rend juste, saint, heureux.
Ne me dites autre chose,
Sinon qu'il est mon Sauveur,
L'auteur, la source et la cause
De mon éternel bonheur.

15


Une des causes des tentations, aussi bien que des avantages que l'ennemi peut remporter sur nous, et la principale source de nos plaintes, gisent dans la propre justice et dans la présomption de nous-mêmes. C'est pour nous dépouiller de cette propre justice et de cette présomption que Dieu permet à Satan de nous poursuivre, comme Laban poursuivait Jacob pour l'obliger à laisser en arrière les idoles qu'il emportait avec lui. Il faut que celles que vous gardez dans votre sein vous soient enlevées, à quelque prix que ce soit ; sans cela, Jésus-Christ ne pourra pas prendre place chez vous. La condamnation reposera sur vous jusqu'à ce qu'il ait pris possession de votre coeur. Partout où la condamnation se trouve encore, elle suppose nécessairement une dureté et une résistance de coeur. D'où il parait que la condamnation que l'homme sent encore dans son coeur est une preuve, ou que Jésus-Christ ne s'en est pas encore rendu le maître, ou qu'il y trouve encore de l'opposition. Jusqu'à ce qu'il ait érigé son trône de grâce dans votre coeur, vous n'y sentirez que condamnation, frayeur et défiance secrète ; ainsi votre âme flottera toujours entre la crainte et l'espérance, et vous ne goûterez jamais la douceur de l'Évangile.

16

Quand votre conscience est agitée par le sentiment de vos péchés, gardez-vous bien de chercher du soulagement ailleurs que dans le sang de Christ ; votre coeur ne ferait que s'endurcir davantage. Cherchez votre tranquillité en Jésus, qui est seul notre paix (Eph. II, 14). Mais ne la cherchez ni dans vos oeuvres, ni dans vos larmes, ni quelque autre part que ce soit. Faites consister votre justice uniquement en Jésus, et non dans les dons que vous pouvez avoir, reçus de lui. La confiance aux bonnes oeuvres ne nous éloigne pas moins du Sauveur que l'attachement au péché. Si votre regard est uniquement fixé sur Jésus, ce divin maître vous fera bientôt exécuter toute sa volonté. Appuyez-vous sur lui, de façon que tout le poids de votre âme repose sur sa personne. Gardez-vous bien d'asseoir un de vos pieds sur votre propre justice, tandis que vous posez l'autre sur la sienne.

17


Celui qui hésite d'arrêter ses regards sur l'extrême laideur de ses péchés, et de porter la vue jusqu'au fond de l'abîme de son propre coeur, n'a point encore de confiance aux mérites de Jésus-Christ. J'admets que vous soyez le plus grand de tous les pécheurs, essayez d'aller vous jeter à ses pieds ; pour certain, vous trouverez en lui un Sauveur tout-puissant, le Saint et le Juste, qui justifie le pécheur.
Au milieu de tous vos doutes, des détresses et des angoisses de votre conscience, regardez à Jésus, sans le perdre de vue. Ne vous laissez point entraîner dans des contestations avec Satan, ce serait lui donner trop beau jeu ; réfugiez-vous plutôt auprès de Christ, c'est lui qui saura le vaincre. Intercéder et combattre pour nous, c'est sa fonction (Jean XVII, 9, 10, 16, 17-20.). Comme notre caution, c'est à lui de répondre aux accusations de la loi (Héb. VII, 22). Et c'est enfin à lui de plaider notre cause devant le tribunal de la justice divine, parce qu'il est notre Médiateur (Gal. III.20; 1 Tim. II, 5.) Il s'est obligé à cela par serment (Hébr. VII, 20, 21). Ainsi, remettez-lui toutes vos affaires. Que si vous prétendiez contribuer pour quelque chose à l'expiation de vos péchés, vous renonceriez par là à Jésus-Christ le juste, qui a été fait péché pour vous (2 Cor. V, 21).

18


Satan a bien le talent de citer et de tordre les Écritures, mais il ne peut rien répliquer quand la foi s'en sert pour le combattre. La Parole de Dieu est l'instrument dont notre Sauveur s'est servi lui-même pour fermer la bouche à l'ennemi (Math. IV). 

Parcourez tous les livres saints, vous n'y trouverez aucune parole dure, capable de rebuter un pauvre pécheur dépouillé de toute propre justice. Bien loin de là, il y est dépeint sous des traits qui font juger que c'est lui, et nul autre, qui est le vrai et le plus cher objet de la grâce. 

Comptez sur les dispositions du coeur de Jésus à vous recevoir, et le vôtre sera disposé à aller à lui. Vous apercevez-vous que vous manquez de foi - souvenez-vous que la production de la foi est son oeuvre. Demandez-la-lui avec larmes ; c'est lui qui produit en nous avec efficace le vouloir et l'exécution, selon son bon plaisir (Philip. II, 13). Déplorez votre incrédulité, qui veut vous persuader que votre péché abonde par-dessus la grâce, qui ravale le mérite de Christ, et qui veut faire passer son précieux sang pour impuissant et insuffisant à opérer une pleine et entière satisfaction pour vous.

19


Quand vous vous plaignez de vous-même, voyez si votre misère vous conduit à regarder moins sur vous-même que sur le Seigneur Jésus. Si cela est, vos plaintes partent de bonne source. 

Les âmes ne sont jamais plus à plaindre que quand elles s'arrêtent à considérer avec complaisance leurs bonnes oeuvres, leurs bons mouvements et les consolations qu'elles peuvent avoir reçues, dans le temps que Jésus seul devrait fixer toute leur attention. La considération de tous ces avantages ne sert qu'à vous enfler, au lieu qu'un constant regard sur Jésus vous retiendra dans les bornes de l'humilité. C'est par grâce que vous êtes sauvé (Eph. II, 5).

20


Que votre courage ne se ralentisse point dans les adversités (Jacq. I, 2). Ces épreuves, selon l'intention du Seigneur, ne tendent pas à vous terrasser, mais elles ont pour but de vous faire perdre toute confiance en vous-même, pour ne chercher d'appui qu'en Jésus-Christ, le Rocher inébranlable. 

 Vous pouvez être abaissé jusqu'à vous voir sur le bord de l'abîme et sur le point d'y être précipité ; et qu'y aurait-il en cela d'étonnant ? Plus d'un saint s'est trouvé dans ce cas et s'est vu criblé par Satan. Je suppose que vous soyez aussi réduit à cette extrémité : rien ne vous empêche de crier au Seigneur et de tourner vos yeux vers le temple de sa sainteté (Jon. II, 4.5). Personne n'avait entrée dans l'ancien temple que celui qui était purifié et qui y portait une victime. Or Jésus-Christ est notre temple, notre victime, notre autel et notre souverain sacrificateur ; et ce qu'il y a de consolant dans l'Évangile, c'est que les plus grands pécheurs y sont invités à s'approcher de Jésus. Ils osent le faire, lorsqu'ils ont renoncé à présenter toute autre offrande que le sang qu'il a lui-même offert en sacrifice (Hébr. VII, 26, 27).

21


Peut-être pensez-vous en vous-même : « La grâce pourrait-elle opérer un miracle aussi surprenant que le serait celui de ma conversion ? » Mais représentez-vous l'assemblée des bienheureux dans le ciel : vous trouverez sûrement parmi eux mille et mille exemples de la grâce du Seigneur la plus éclatante. Vous n'êtes pas trop misérable pour en devenir un pareil monument : le Sauveur ne connaît point de pécheur à qui il ne puisse faire la même grâce. 

Ne vous abandonnez pas au désespoir, mais persévérez dans l'espérance. Lorsque les plus épais nuages environneront votre âme, que votre foi perce au travers pour découvrir Christ : c'est lui qui est cette colonne de grâce et de charité que le Père céleste a érigée et qui va de la terre au ciel, afin que tous les pauvres pécheurs y aient leur recours. 

Quelque accusation que Satan et votre propre conscience puissent intenter contre vous, n'en tirez pas un jugement définitif contre vous-même ; c'est à Jésus-Christ à prononcer et sa parole demeurera la seule valable. Comme il est le Juge des vivants et des morts, il n'appartient qu'à lui de dicter la sentence définitive. Or son sang plaide pour notre réconciliation (Col. I, 20), pour notre purification (1 Jean I, 7), pour notre rançon (Actes XX, 28), pour notre rédemption (1 Pier. I, 18, 19), pour notre sanctification (1 Cor. I, 30), pour notre justification (Rom. V, 9), et pour nous procurer un libre accès auprès de Dieu (Eph. II, 13). Il ne se peut pas qu'une seule goutte de ce divin sang perde sa valeur. 

Arrêtez-vous pour écouter ce. que le Seigneur dira : David nous assure qu'il prononcera la paix sur son peuple et sur ses bien-aimés, de peur qu'ils ne retournent à leur première folie (Ps. LXXXV, 9 ; il promet grâce, miséricorde et paix (2 Tim. I, 2). C'est là le langage du Père et celui que parle Jésus-Christ.

22


Attendez la manifestation de Jésus-Christ dans votre coeur, comme le guet attend l'étoile du Matin (Ps. CXXX, 5, 6). Il se lèvera comme l'aurore, et il viendra à vous comme la rosée qui humecte la campagne (Osée VI, 3). 

Comme rien ne peut retarder le lever du soleil, rien ne peut empêcher que Jésus, le Soleil de justice, ne vienne vous éclairer (Mal. IV, 2). Que rien ne soit capable de détourner vos regards de dessus lui. Le premier objet qui doit les arrêter, c'est le Sauveur. Quand la douleur d'avoir péché ne vous permet pas de regarder à Christ, votre repentance est vaine. 

En tout ce que vous faites, regardez à Jésus : avant l'action, pour lui demander grâce ; pendant l'action, pour implorer son assistance ; et après l'action, pour le supplier qu'il agrée votre service et qu'il en pardonne les défauts. Ne pas faire attention à cela, c'est agir à la légère et en homme charnel. 

Ne faites pas de l'Évangile une seconde loi, comme s'il vous restait quelque chose à faire et à souffrir, pour l'expiation de vos péchés, après ce que le Sauveur a fait et souffert pour vous. Jésus-Christ ne serait pour vous qu'un Médiateur imparfait, si vous vous croyiez obligé de porter et d'expier une partie de vos péchés. Que le péché navre et brise votre coeur, mais qu'il n'abatte point votre confiance en la grâce que l'Évangile présente au pécheur.

23


Assurez-vous avant tout de votre justification devant Dieu. Dans l'observation des commandements les plus importants, n'envisagez pas Jésus-Christ comme un Moïse qui a toujours le bâton levé quand il commande, mais considérez-le comme celui qui s'est chargé de faire lui-même en vous l'oeuvre qu'il vous commande. S'il vous arrive de faire plus de fond sur vos oeuvres, sur vos vertus et sur la pratique de vos devoirs, que sur ses mérites, vous vous préparez de grands regrets pour l'avenir.
Il n'est pas étonnant que vous vous plaigniez de votre état, malgré tant d'attraits de la grâce que vous avez sentis dans votre coeur. Ces opérations de la grâce prévenante ne doivent pas être le fondement de votre espérance ; ce n'est que sur le mérite de Jésus que vous devez vous reposer. Lui seul est l'espérance de notre gloire (Col. I, 27).

24


Quand nous paraissons devant Dieu, ne prenons rien avec nous que Jésus-Christ. Tout autre accompagnement tiré de notre propre fonds, tout appareil ou préparatif venant de nous-mêmes est un poison qui éteint la foi. Quiconque bâtit sur ses bonnes oeuvres, fût-ce même sur des mouvements que la grâce produit en lui, celui-là méconnaît le mérite de Jésus-Christ. 

Voulez-vous savoir ce qui rend la foi si difficile, et ce qui la met tellement au-dessus de toutes les forces de la nature ? C'est que, pour croire, il faut vous résoudre à ne plus regarder comme oeuvres méritoires vos avantages, votre obéissance, l'observation de vos devoirs, vos dons, vos bonnes oeuvres, vos larmes, vos attendrissements de coeur, vos humiliations, etc. ; mais à regarder tout cela comme une perte, comme de la balayure et de l'ordure, afin de gagner Christ, et de ne vous attacher qu'à lui (Philip. III, 7, 8).

Il faut que vos propres oeuvres et vos propres forces soient anéanties de jour en jour. C'est de la main de Dieu que vous devez tout recevoir ; Jésus-Christ est le grand don de Dieu (Jean IV, 10). La foi est un don de Dieu (Eph. II, 8) ; la rémission des péchés est un don gratuit de Dieu (Rom. V, 16). Ah ! que ces vérités sont révoltantes pour la nature orgueilleuse ! Rien ne la blesse et ne l'irrite plus que quand on lui dit que tout est grâce, que tout est don gratuit, qu'elle ne peut rien acquérir ou mériter, ni par ses oeuvres, ni par ses larmes, ni par tout ce qu'elle peut faire de plus beau ; et que tout ce qui est produit par les seules forces humaines est de nulle valeur dans le ciel.

25


S'il eût été remis au choix de l'homme de régler l'ordre de la grâce et la voie du salut, il ne se fût pas avisé de chercher sa félicité auprès de Jésus-Christ, qui la donne gratuitement, et qui, par là même, ne saurait gagner la confiance du coeur humain. Il l'aurait plutôt placée entre les mains des anges on des saints, à condition qu'ils la vendraient. Il aurait tellement disposé de l'acquisition du salut, qu'il eût pu l'acheter par des oeuvres. L'homme naturel aimerait mieux, pour être sauvé, faire toute autre chose que d'aller à Jésus et d'entrer en liaison avec lui. Quant au Sauveur, il n'exige absolument rien de l'âme pour sa justification ; mais l'âme voudrait à toute force l'obliger à recevoir quelque chose d'elle.


26


Puisque les idées et les inclinations de la nature sont si peu d'accord avec l'économie de Dieu, sondez-vous bien pour voir si le mérite de Christ, si la parfaite propitiation qu'il a opérée par sa mort est pour vous une chose claire. Cette vérité vous a-t-elle été manifestée dans le temps que votre conscience gémissait sous le poids du péché et de la colère de Dieu ? Si cela est, vous avez reçu grâce. 

Il n'est donné qu'à une pauvre âme travaillée et angoissée de connaître la valeur immense du mérite de Jésus-Christ. Celui qui n'a qu'une légère conviction et un sentiment passager de sa corruption, ne saurait apprécier les mérites du sang de Jésus-Christ.

27


Pécheur désolé, vous vous tournez à droite et à gauche pour demander : Qui me fera voir ce qui est bon (Ps. IV, 7) ? Vous parcourez dans votre esprit tout l'amas de vos bonnes oeuvres et de vos actes de religion, pour composer un fantôme de justice à la faveur duquel vous puissiez vous sauver. Quittez cette entreprise, il est plus que temps de vous adresser à Jésus-Christ. Il vous y invite lui-même, en disant : Regardez vers moi de tous les bouts de la terre, et vous serez sauvés (Esa, XLV, 22) . Aussi est-ce lui, et lui seul, qui est Sauveur ; il n'y en a point d'autre. De quelque autre côté que vous vous tourniez, vous ne verrez que votre perte. Dieu lui-même ne regarde qu'à Jésus ; c'est donc lui qui doit seul aussi fixer vos regards.

Comme le serpent d'airain fut élevé dans le désert, de même Jésus l'a été sur le Calvaire, afin que les pécheurs, même les plus éloignés, puissent l'apercevoir et le contempler en croix. Le plus faible regard jeté sur lui est déjà salutaire, le plus léger de ses attouchements porte avec soi la guérison. 

C'est aussi pour l'exposer aux regards de votre foi que le Père l'a exalté publiquement sur le trône de sa gloire. Il est placé là pour être le refuge de tous les pauvres pécheurs. Vous avez mille raisons de vous adresser à lui, et vous n'en avez aucune de vous en tenir éloigné, car il est doux et humble de coeur (Math. XI, 29). 

Il ne manquera pas de faire lui-même ce qu'il commande à ses enfants ; comme : user de support envers les faibles, ne point fermer ses entrailles à celui qui a besoin, ne point donner lien à la vengeance, ne pas se prévaloir de la rigueur de la loi. 

Il vous corrigera avec un esprit de douceur, et il vous soulagera de ce qui vous pèse sur le coeur (Gal. VI, 1, 2). Il pardonnera, non-seulement sept fois, mais sept fois septante fois (Math. XVIII, 21, 22). Un de ses disciples eut de la peine à admettre cette maxime, et comme il nous en coûte de pardonner, nous nous figurons le Seigneur aussi dur que nous le sommes.

28


Quand notre conscience est réveillée, nous nous imaginons que le Seigneur ne peut pas nous pardonner nos péchés. C'est ainsi que nous prétendons réduire une charité infinie à la mesure de la nôtre, et établir une proportion égale entre nos péchés et les infinis mérites du Sauveur. Imagination qui a sa source dans l'orgueil, et qui approche du blasphème ( Esa. XL, 15).

Écoutez ce qu'il dit lui-même : J'ai trouvé la propitiation (Job XXXIII, 24) . Écoutez la voix du Père : C'est en lui que j'ai pris tout mon plaisir. Dieu ne prétend rien de vous ; rien ne peut vous faire subsister devant lui ; rien ne peut tranquilliser votre conscience que Jésus seul. Il n'y a que lui qui ait donné à la justice divine une pleine satisfaction. Le Père fait tout en faveur de son Fils.

Voulez-vous savoir quel est le prix de vos propres mérites ? C'est l'enfer, c'est la colère, l'abandon et la réjection. Le fruit des mérites de Jésus, c'est la vie, le pardon, la réconciliation et l'adoption. Il ne vous met devant les yeux ce que vous avez mérité que pour vous donner ce qu'il vous a acquis. Pardonner, c'est en quoi Jésus fait consister sa gloire, sa plus grande joie, et, si j'ose le dire, une partie de sa félicité.

Parcourez l'histoire de sa vie, durant les jours de sa chair, vous verrez qu'il a eu plus de conversations avec les péagers et avec les pécheurs qu'avec les docteurs de la loi et les pharisiens, qui étaient ses ennemis jurés, et qui se regardaient comme des justes. Ne vous figurez pas qu'en passant de son état d'abaissement à celui de la gloire il ait changé de sentiment, qu'il soit devenu indifférent envers les pauvres pécheurs, ou qu'il les regarde avec mépris. Bien loin de là : son coeur est le même aujourd'hui, dans le ciel, qu'il était autrefois, sur la terre, Il est Dieu, il ne change point.

Il est l'Agneau de Dieu, qui ôte te péché du monde (Jean I, 29). Il a lui-même éprouvé les tentations, les inquiétudes, les embarras auxquels vous pouvez être exposé. Il a été rejeté des hommes et abandonné de Dieu, il a bu toute l'amertume du calice pour ne vous en laisser que la douceur.

Plus de condamnation pour ceux qui sont en lui. Il a bu jusqu'au fond toute la coupe de la colère divine, et il ne vous a laissé pour votre part que la coupe de louange, le calice du salut.

29


Vous direz peut-être ; « Si seulement je pouvais croire ; mais je n'ai pas même une vraie contrition, ni une vive componction de coeur à la vue de mes péchés. Mais sachez que, par là même que vous n'avez que péché et que misère, vous êtes dans le cas où Jésus peut d'autant mieux signaler sa grâce. Allez seulement à lui avec toute votre impénitence et votre incrédulité, pour recevoir de lui le don de la repentance et de la foi. Par là, vous lui ferez honneur, Dites-lui : « Seigneur, je ne t'apporte ni justice ni don, pour t'engager à me recevoir et à me justifier. Ce sont tes dons que je viens Le demander. C'est La justice absolument nécessaire que je réclame. » Nous ne pouvons pas nous défaire de la prétention de vouloir apporter quelque chose au Sauveur ; cependant il n'y a rien de si déplacé. Les plus brillants talents de la nature ne valent pas la monnaie d'un denier dans le ciel. La grâce de Dieu et le mérite des oeuvres sont deux choses à jamais incompatibles (Tite III, 5 ; Rom. XI, 6).

Rien ne répugne autant à l'homme naturel, et rien ne lui est plus incompréhensible que de se voir dépouillé de tout, au point qu'il ne lui reste pas la moindre ombre de bien dont il puisse faire parade. La propre justice et le penchant à chercher des ressources en soi-même, sont les deux enfants chéris de la nature ; elle en est aussi jalouse qu'elle l'est de sa propre vie. Mais ils aveuglent tellement leur mère, qu'ils ne lui laissent pas la faculté de voir Jésus-Christ dans sa véritable forme, et qu'ils étouffent en elle tout désir d'aller à lui. Lui, de son côté, est l'ennemi irréconciliable des productions les plus apparentes de l'amour-propre raffiné.

Permettez à l'homme naturel de dresser un Évangile à sa façon, vous verrez qu'il sera diamétralement contraire à celui que Jésus-Christ nous a donné. Selon lui, il n'y aurait de grâce et de salut que pour les justes, pour les saints, pour les parfaits. Il est donc heureux pour vous que ce soit Jésus-Christ qui ait donné l'Évangile, parce qu'il est fait exprès pour des pécheurs misérables, corrompus, injustes et damnables. L'esprit humain se révolte contre la simple idée d'un Évangile qui n'est que pour des pécheurs. Le parti du désespoir est moins affreux pour lui, que celui d'aller à Christ dans une posture si humiliante, et à des conditions si mortifiantes pour lui.

Dès que la nature se sent serrée de près et mise à l'étroit par le sentiment de ses péchés et par la crainte du jugement, aussitôt, pour se défendre, elle fait arme de sa propre justice, de sa piété, de sa dévotion. Il ne faut pas moins qu'une grâce toute-puissante pour détruire ses retranchements.

S'il est vrai que Jésus-Christ exclue quelqu'un de la grâce, ce ne peut être que ceux qui se justifient eux-mêmes. Il favorisera les plus insignes pécheurs de ses regards propices, tandis qu'il les détournera de ces faux justes. La raison en est qu'il ne peut pas être leur justice, parce qu'à leurs yeux ils ne sont pas pécheurs.

30


Rien de plus aisé que de dire, sans sentir la valeur de ses paroles : « Je suis une créature pécheresse ; » mais dire avec sincérité, dans les sentiments du pauvre péager : « 0 Dieu ! sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! » c'est à mon avis la prière la plus rare, la plus difficile.
C'est ainsi qu'il est aisé de dire : « Je crois en Jésus-Christ ; » mais reconnaître en la personne de Jésus crucifié ce Fils de Dieu plein de grâce et de vérité, de la plénitude duquel on reçoit grâce sur grâce, c'est là le grand point. Il en coûte peu d'avoir dans la bouche le nom de JÉSUS ; mais confesser de coeur, comme saint Pierre, qu'il est le CHRIST, le Fils du vivant, et le seul Médiateur, c'est ce qui n'est pas au pouvoir de la chair et du sang. Rien de plus commun que d'entendre nommer Jésus-Christ le Sauveur, et rien de plus rare que les gens qui le reconnaissent véritablement pour tel.

31


Quel objet plus ravissant pour un coeur que la grâce et le salut qui résident en Jésus-Christ ! L'a-t-on découverte, on éprouve à l'instant que ce glorieux salut est notre partage. Le connaître et l'embrasser, sont deux choses inséparables.

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Je ne saurais me rappeler, sans rougir qu'au milieu de mes plus grandes dévotions j'ai oublié le sang de Jésus-Christ, qui pourtant est le fondement et l'essence de l'Évangile. Après l'image de l'enfer, il n'y en a point, de plus hideuse qu'un système de christianisme dont Jésus-Christ n'est pas la base et le centre. 

Quoique vous ayez nombre de bonnes dispositions, il suffit qu'il vous en manque une pour que, à l'exemple du jeune homme dont parle l'Évangile, vous sortiez avec tristesse de la présence du Sauveur (Luc XVIII, 23). Vous n'avez pas encore consenti à renoncer à tout, et à vous dépouiller de toute propre justice. Vous pouvez passer chez les hommes pour un modèle de vertu, et avec cela être un ennemi secret, que dis-je ! un adversaire déclaré de Jésus-Christ, même dans vos prières et dans tous vos autres exercices de piété.

33


Ne négligez rien pour avancer dans la sanctification, mais gardez-vous bien d'y fonder votre espérance d'être sauvé, comme si elle pouvait vous tenir lieu de Sauveur. Si vous tombiez dans cette erreur, vous ne pourriez en revenir qu'en consentant à voir toute votre sainteté anéantie. Ce n'est pas par votre sainteté que vous pouvez être justifié devant Dieu, mais par la satisfaction infinie de Jésus-Christ. La propre justice sera consumée par le feu, comme le foin et le chaume, au jour que le Seigneur paraîtra glorieux sur son tribunal, Alors aucune religion ne sera trouvée véritable, que celle qui se réduit précisément à ceci :
1. N'avoir pour unique fondement que la grâce et la charité éternelle de Dieu en Jésus-Christ, et s'y tenir fermement attaché comme au Rocher immuable des siècles.
2. Vivre continuellement dans la foi du Fils de Dieu, en regardant à lui comme à celui dont les mérites font notre justice éternelle ; aussi n'y a-t-il que cela qui sanctifie le coeur ; sans quoi il demeure toujours charnel. 
3. Pouvoir, sans perdre le Sauveur de vue, voir toute l'étendue de notre misère, dans l'assurance que tous nos péchés nous sont pardonnés, et que dès lors le Seigneur les regarde comme s'ils n'avaient jamais été commis.
4. Dans cette situation, être assidu à la prière, lire et méditer la Parole de Dieu, et vaquer à d'autres exercices de piété, en conservant toujours le sentiment de la corruption de notre nature et de l'imperfection de nos oeuvres, quoique agréées de la part du Seigneur.
5. Renoncer, aux pieds du Sauveur, à toute estime de nous-mêmes, à toutes prérogatives et à toute justice propre, et fouler cela aux pieds, comme ce qu'il y a de plus vil.
6. Être continuellement trouvé, revêtu de la justice de Christ et sentir notre coeur rempli d'amour pour lui.
7. Pouvoir nous réjouir de voir tous nos prétendus mérites anéantis, afin que toute gloire soit rendue à l'Agneau qui est sur le trône.
8. Enfin, regarder comme autant de péchés et déplorer amèrement toutes les oeuvres que nous pourrions avoir faites hors de la communion du Sauveur et par un autre principe que par amour pour lui. Aussi bien, tout culte et toute oeuvre qui ne provient pas d'un coeur arrosé du sang de Jésus-Christ, est une oeuvre morte.

34


Rien n'est plus aisé que de prouver l'impuissance de notre propre volonté en ce qui regarde le salut. L'incapacité de l'homme ne se démontre pas seulement par l'Écriture ; elle se fait sentir dans le coeur, pour peu qu'on se connaisse, et qu'on ait eu du commerce avec Jésus-Christ. Toute présomption de nous-mêmes cesse quand il s'agit de nous approprier ses mérites et de nous couvrir de sa robe de justice. Le Fils de Dieu est une personne trop élevée pour que la faible nature puisse d'elle-même entrer dans une union étroite avec lui, ou seulement atteindre jusqu'à lui. Il est si souverainement saint que la nature ne peut l'envisager qu'en tremblant. Sa bonté est si inconcevable qu'il n'est pas possible à l'homme naturel de se la représenter aussi grande qu'elle est, surtout lorsqu'il a la vue frappée de la laideur de son péché. La gloire et la majesté de Christ sont trop infinies pour que la nature ose seulement s'approcher de lui pour le toucher. Il faut qu'une vertu divine survienne dans l'âme pour lui inspirer celle liberté. Tant il est vrai qu'il est impossible à la nature abandonnée à elle-même de connaître Jésus-Christ et de s'attacher à lui.

35


Un Sauveur que la fantaisie et la volonté de l'homme se forgent n'est qu'une production de l'homme. Ce n'est pas ce Sauveur, ce Jésus, ce Fils du Dieu vivant, auquel nul ne peut aller, à moins que le Père ne l'y attire (Jean VI, 44).

36


Voulez-vous recevoir un conseil de moi ? Laissez-vous conduire par l'esprit de Dieu toujours plus avant dans l'intelligence de l'Écriture sainte. C'est la vraie mine où vous trouverez le plus précieux de tous les trésors. Vous y découvrirez le coeur de Christ. 

Soyez en garde contre les péchés de toute espèce, et principalement contre ceux auxquels vous êtes le plus enclin par tempérament. Mais ne vous contentez pas de voir toute l'énormité des péchés qui blessent celui qui vous a tant aimé. Comme il est mort pour les expier, recourez aussi d'abord à lui. Il peut seul vous en affranchir. Si vous observez cette règle, les mauvaises pensées n'allumeront point la convoitise, et la convoitise n'enfantera point le péché.

Qu'on vous trouve toujours dans la situation d'un pauvre pécheur, ayant le coeur abaissé et plein de componction à la vue de vos innombrables fautes, sensible à vos plus légers écarts, attentif à toutes les impressions de la grâce, ouvert à tous les dons qu'elle voudra répandre en vous et disposé à recevoir toutes ses visitations.
Vous êtes-vous rendu coupable de quelque faute, ne souffrez pas que votre conscience en demeure longtemps chargée. Recourez incontinent au sang de Jésus-Christ. Dieu ne rend le sentiment du péché douloureux à votre conscience que pour vous porter à chercher votre guérison en Jésus, comme les Israélites trouvaient la leur en regardant le serpent d'airain.

37


 Jugez de la grandeur de l'amour du Sauveur, non pas tant par vos circonstances extérieures, riantes ou pénibles, que par l'étendue des promesses qu'il vous a faites.

Bénissez Dieu de ce qu'il vous enlève tous vos faux appuis, et de ce qu'il vous oblige, par tous les moyens, à ne regarder qu'à Jésus-Christ. La sécurité et la légèreté sont mille fois plus à craindre que les maladies et les traverses.

38


Un chrétien qui tombe dans la tiédeur, dans la légèreté et l'indifférence envers le Sauveur, dégénère insensiblement en un pécheur déterminé. Il trouve le malheureux secret de prier et de pécher en même temps. La tiédeur est la peste et le poison du christianisme. Si cette racine vénéneuse n'est pas détruite dans votre mur par un commerce continuel avec le Sauveur et par un regard de foi fixé sans cesse sur lui, elle deviendra toujours plus forte et plus mortelle, par là même que vous garderez encore les bienséances extérieures et les dehors de la religion.

39


Ne mettez pas les dons que vous avez reçus en balance avec ceux des autres ; mais examinez-les sur la véritable pierre de touche, qui est la Parole de Dieu.

Ce qui vous est commandé, faites-le avec zèle et fidélité ; et que la moindre chose vous soit importante, dès qu'elle fait partie de vos devoirs. Mais ne cherchez jamais de consolation qu'en Jésus-Christ. De quelque part que la consolation vienne, elle est dangereuse et funeste quand ce n'est pas le Sauveur qui la donne.

Persévérez dans la prière ; sans quoi, n'espérez pas de pouvoir vous maintenir dans la communion avec Dieu. Que le recueillement où vous êtes, en priant secrètement dans votre cabinet, vous accompagne dans toutes vos autres occupations.

40


Ne jugez pas de vos bonnes actions par l'éclat qu'elles peuvent faire, mais par l'abaissement de coeur dont elles sont suivies, et par la disposition où elles vous laissent de vous approcher de Jésus en pauvre pécheur.

Tremblez de vous enorgueillir à la vue des oeuvres et des dons par lesquels vous pourriez vous faire remarquer.

41


Conservez comme votre plus riche trésor les impressions que le Sauveur vous donne de son amour ; elles rendront votre coeur toujours plus humilié à ses pieds, et élevé au-dessus des assauts du péché. Ne méprisez pas les moindres témoignages de sa grâce. Un temps viendra peut-être où les grâces que vous avez regardées comme les moins importantes vous seront les plus utiles, et où la grâce de pouvoir vivre fraternellement avec les enfants de Dieu vous sera plus précieuse que toutes les richesses de la terre (1 Jean III, 14).

42


Soyez un zélé défenseur de la vérité, mais que votre zèle soit exempt d'aigreur et d'emportement. Quelqu'un est-il tombé dans l'erreur ou dans quelque faute, tâchez de le ramener avec cette douceur et cette bonté de coeur dont Jésus nous a donné l'exemple. Que la main de la douceur et le baume de la charité évangélique soient les moyens que vous employiez pour remettre à leur place les membres disloqués du corps spirituel de Christ.
 Esprit altier, sachez qu'il ne vous appartient pas de regarder avec mépris les enfants de Dieu, à cause de leurs faiblesses. Vous pourriez vous trouver dans le cas d'envier le bonheur d'être le plus petit d'entre eux.

Supportez patiemment les défauts d'autrui, et ne soyez pas indulgent à l'égard des vôtres. Fréquentez assidûment les âmes qui ont passé par toutes sortes d'épreuves ; vous acquerrez de l'expérience à leur école.

43


Étudiez-vous à être fidèle dans votre vocation, et que votre fidélité envers le Seigneur règle celle que vous devez à votre prochain. Soyez en garde contre l'envie de posséder beaucoup ; peu suffit à vos besoins. Si vous regardez à la main qui donne, et à l'indignité de celui qui a reçu, fussiez-vous dans la plus grande médiocrité, vous serez confus de vous voir aussi riche. Mais quand le Seigneur vous comble de ses dons spirituels, que l'abondance de ses bienfaits et le nombre de ses libéralités ne vous en fassent pas méconnaître le prix.
 Demandez des yeux qui ne voient personne moindre et plus indigne que vous. Portez partout dans votre coeur un mépris si profond de vous-même, que vous vous jugiez indigne de la société et même du support de tous les enfants de Dieu.
Si vous êtes obligé de voir les objets du monde qui passent rapidement, n'ayez des yeux que pour en voir la vanité, et que Jésus soit l'objet qui fixe votre coeur. Lui seul est digne de votre amour et de votre attachement.
 Que votre plus grand sujet d'affliction soit de voir que le Seigneur Jésus est presque inconnu au monde, et qu'il y a si peu d'hommes qui fassent cas de lui. Un objet vain, un jeu, une bagatelle est capable de leur plaire et de les occuper, tandis qu'ils n'ont pour lui que mépris et indifférence. Tel est l'effet de la funeste incrédulité du coeur humain, qu'il regarde Jésus-Christ comme un personnage chimérique, et son Évangile comme une fable et une fiction.
 Ayez le coeur navré de douleur, quand vous considérez que, parmi ceux qui ont été baptisés, il y en a plusieurs qui observent les rites extérieurs de l'Église, mais peu qui entrent dans l'économie de la grâce. Les plus dévots s'appliquent à la pratique de certains devoirs, mais le nombre est petit de ceux qui font de Jésus leur principal objet, et qui se rangent sous la discipline de son Esprit.

Résolvez-vous à porter le joug de Christ ; recevez-le avec joie, et faites consister votre plus grande gloire à être chargé de sa croix. Que ce soient mépris, railleries, affronts, injures, persécutions, ou d'autres mauvais traitements, il n'importe, pourvu que ce soit véritablement la croix de Christ que vous portiez et non une croix que vous vous soyez choisie et forgée vous-même.

44


 Une bouche qui se glorifie de la croix de Christ, et un coeur qui aime encore le péché, sont deux choses incompatibles. Retenir captive une seule vérité dont la conscience est convaincue, cela suffit pour y allumer un feu tout aussi dévorant que les remords des plus grands crimes.

Jouissez-vous du bonheur d'avoir été arraché des griffes de l'ennemi, pour être transporté dans le sein du Fils de Dieu, et assis parmi les princes de son peuple ? Oh ! qu'il vous souvienne, pendant toute votre vie, de vous comporter comme un vase d'élection, comme un éternel monument de sa miséricorde !

Âme rachetée et sauvée, que ne devez-vous pas à votre Sauveur ! Combien sont infinies les obligations que vous lui avez ! 

Votre reconnaissance doit être sans bornes. Si elle est telle, toutes vos paroles et vos actions, aussi bien que tous les mouvements de votre coeur, en seront autant de témoignages. Chaque fête de l'année, que dis-je ? chaque jour de la semaine, sera pour vous un jour de réjouissance et de louanges.

Être incorporé au peuple de l'Agneau, être un membre vivant de Christ, un concitoyen des saints, un associé des anges, quel glorieux privilège, quel doux bonheur ! C'est un paradis sur terre.

Quand vous avez la grâce de participer avec une vraie foi au sacrement de la chair et du sang du Seigneur, vous entrez dans l'immensité de l'amour de Dieu, dans une mer profonde, où votre âme doit nager et se plonger jusqu'au fond. Là, vous devez vous ensevelir avec Christ, et mourir à toutes choses, pour ne vivre que pour lui.

Quand on a goûté la douceur de son amour, le souvenir s'en retrace à chaque instant, et l'on ne pense jamais à lui sans avoir le coeur saisi de honte et d'admiration.

45


Rappelez-vous sans cesse ce temps heureux où l'ami des âmes cherchait la vôtre, et cette époque de grâce où il vous saisit et étendit le pan de sa robe sur vous, lorsque vous étiez nu et gisant dans votre sang (Ezéch. XVI, 8, 9). Si vous aviez la faiblesse de donner lieu à la moindre pensée d'orgueil et de présomption de vous-même, regardez à la main charitable qui vous a soutenu dans votre infirmité. Sans cet appui, vous eussiez fait autant de chutes que de pas. C'est cette main qui a retiré votre âme de l'abîme le plus profond (Ps. LXXXVI, 13).

Bénissez l'Auteur de votre salut. Que vos chants de louange retentissent jusqu'aux oreilles des armées célestes ! Publiez à jamais l'excellence de sa grâce (Ps CXLVII).

Que l'esprit d'abaissement et de prière vous accompagne partout ! Cheminez en la présence de votre Maître, en suivant l'odeur de ses parfums, de manière que ceux avec qui vous conversez sentent l'onction que sa grâce a versée dans votre coeur.

N'oubliez jamais que vous êtes pécheur, et que Jésus vous a pardonné. Que le sujet de vos méditations journalières soit vos péchés et ses mérites ; votre extrême faiblesse et la vertu de sa grâce ; votre penchant à l'élévation et le profond abaissement du Fils de Dieu ; vos faiblesses et son assistance ; vos fautes et l'aspersion de son sang ; vos trébuchements et sa main secourable ; votre grande pauvreté et sa plénitude infinie ; vos misères et ses tendres compassions ; votre indignité et sa parfaite justice.

46


Heureuse l'âme qui sera ainsi trouvée en Jésus, non avec sa propre justice (Philip. III, 9), mais lavée et blanchie dans le sang de l'Agneau (Apoc. VII, 14) ! 

Homme qui n'avez jamais éprouvé dans votre coeur l'efficace de l'Évangile de Christ, ni la vertu de sa grâce, que votre état est triste ! personne n'est plus à plaindre que vous. C'est une faible consolation pour vous, de voir que l'Église vous tolère. Vous pourriez même être regardé par vos semblables comme un de ses vrais membres, et avec cela être méconnu et rejeté de Christ au grand jour du jugement. Vous pouvez avoir été baptisé, et pourtant ne vous être pas approché de Jésus ni du sang de l'aspersion (Héb. XII, 24).

Faire tous ses efforts pour pratiquer la vertu sans les mérites, sans la justice et le sang de Jésus, c'est quitter la route que l'Évangile nous trace ; et toute âme qui s'en écarte marchera infailliblement dans un pays d'incertitudes, de craintes et de perplexités continuelles. Ces doutes, quand ils ne sont pas dissipés à temps, plongent l'âme dans la tiédeur et le découragement, état tout à fait dangereux et le plus funeste que l'on puisse imaginer.

Ayez un grand respect pour les choses saintes et pour tout ce qui a rapport à la religion : gardez-vous de les traiter à la légère, et surtout d'en faire des plaisanteries. Entrez souvent dans le recueillement pour y vaquer à la méditation et à la prière. Ne négligez aucune des occasions où vous pouvez être instruit et édifié. L'instruction, la correction, les encouragements et les consolations sont, pour la vie spirituelle de l'âme, ce que sont pour l'accroissement des plantes la chaleur, la pluie et la rosée (Deut. XXXII, 2).

Tout ce que vous faites, faites-le de coeur, au nom de Jésus-Christ, et en vue de lui obéir. Dans toutes vos occupations, agissez comme si c'était avec lui immédiatement que vous eussiez à faire, comme ayant la vue fixée sur lui, et lui sur vous. Surtout, qu'il soit la source où vous alliez, à chaque instant, puiser les lumières et les forces dont vous avez besoin.

47


Soyez attentif aux mouvements intérieurs de la grâce, et suivez fidèlement ce qu'elle vous met au coeur. Regardez comme un don inestimable la grâce que le Sauveur vous fait de pouvoir penser à lui, d'oser vous approcher de lui, d'avoir la liberté de parler de lui avec sentiment de coeur ; et n'oubliez jamais de l'en bénir. 
Vous apercevez-vous chaque matin que le Soleil de justice vous visite d'en haut, pour amollir votre coeur par la rosée qui distille de lui, et pour et faire couler des larmes de componction et d'amour ? L'étoile matinière, en se levant sur vous, vous apporte-t-elle de nouvelles influences de grâce et de paix ? Sentez-vous les douces approches de Jésus, le fidèle ami de votre âme ?

Songez que tout travail qui nous empêche de nous élever vers les choses spirituelles appesantit notre âme et l'entraîne vers les choses terrestres et charnelles. Tout ce qui ne sert pas à notre avancement dans l'humilité et dans la vie spirituelle, éteint cette vie et affaiblit la sensibilité du coeur.

48


Il peut être permis à un Judas de tremper avec Jésus dans le plat, c'est-à-dire de participer au baptême, à la sainte cène et à la communion extérieure de l'église ; mais il n'est donné qu'à un saint Jean d'oser se pencher sur le sein de son cher Maître (Jean XIII, 23).

L'attitude de ce disciple bien-aimé est positivement celle où il nous convient d'être en priant, en écoutant la parole de Dieu, et en vaquant à nos différents devoirs. Ce n'est qu'en nous approchant du coeur du Sauveur que le nôtre s'attendrit, qu'il devient sensible à sa misère, et que nous sommes guéris de cette tiédeur et de cette indifférence qui étouffent l'esprit de la piété. Cette heureuse proximité du Sauveur est ce qu'il y a de plus efficace pour nous conserver dans une profonde humilité, pour nous lier plus intimement avec lui, et pour nous inspirer de l'aversion pour tout ce qui lui déplaît. Que dis-je ? D'un pécheur condamné, elle fait une nouvelle créature formée à la ressemblance de Jésus-Christ.

Ne présumez pas que votre état soit tel qu'il doit être, et gardez-vous bien de vous considérer comme un chrétien avancé, dans la voie du salut, jusqu'à ce que vous soyez parvenu au point de vivre dans un continuel commerce de coeur avec le Fils bien-aimé qui est dans le sein du Père (Jean I, 18).

Allez avec assurance au trône du Père, pour le supplier qu'il révèle et qu'il glorifie son Fils en vous. Certainement il écoutera votre demande, et vos voeux seront accomplis. Vous ne pouvez lui présenter aucune requête qui lui soit plus agréable et qu'il se plaise tant à exaucer. Pourquoi ce Père des miséricordes a-t-il voulu que son cher Fils sortît de son sein pour venir dans le monde ? C'est pour en faire un signe visible aux yeux de tous les pécheurs, et un monument éternel de son amour infini.

49


L'éclat du soleil blesse la vue de ceux qui le regardent fixement. Il n'en est pas de même de Jésus-Christ, le Soleil de justice. Plus nos regards sont fixés sur lui, plus l'oeil de la foi en devient clairvoyant. Regardez à Jésus ; plus vous le considérerez de près, plus vous l'aimerez et plus vous désirerez de vous nourrir de lui. Souvenez-vous sans cesse de ce qu'il vous est, et de ce qu'il a fait pour vous surtout pensez beaucoup au précieux sang découlant de ses plaies. Si cette pensée ne vous fixe pas, le moindre vent sera capable de vous agiter et de vous faire tomber dans la tentation. 

Voulez-vous voir combien vos péchés sont énormes et dignes de condamnation, pour apprendre à les détester et à en gémir ? Ne vous arrêtez pas à les examiner tels qu'ils sont en vous, mais approchez-vous de Jésus sur la croix, et lisez sur son corps sanglant et meurtri ce que c'est que le péché.

Voulez-vous en même temps vous assurer si vous êtes avancé dans la carrière du salut ? Ne commencez pas par examiner les oeuvres de grâce et de sainteté qui peuvent avoir été produites en vous, mais allez d'abord au Sauveur, pour voir comment vous êtes avec lui. Si vous le possédez, vous avez tout. Après vous être assuré de cela, je consens que vous repassiez les expériences que vous avez faites à l'école de sa grâce.

50


Avant que la foi soit épurée, on saisit chaque objet qui se présente, dès qu'on y voit quelque apparence de bien ; et, dans l'idée que ce sera pour nous un moyen d'avancement, nous y rattachons nos espérances.

Ne vous y trompez pas : allez à Jésus-Christ avec des yeux arrêtés sur vos péchés et sur vos misères, et non sur vos bonnes oeuvres, ni sur les attraits de grâce que vous avez sentis. Ne vous occupez ni des unes ni des autres. Cela vous empêcherait d'aller au Sauveur, en qui repose tout votre salut.

Ceux qui n'ont de confiance au Sauveur qu'à proportion du bien qu'ils font, imitent cet homme qui considère au fond de l'eau la figure réfléchie du soleil, lequel semble se mouvoir en différents sens, selon que l'eau est agitée. Pour voir Jésus-Christ dans sa forme naturelle, contemplez-le tel qu'il est dans son amour, et qu'il reluit dans le firmament de la grâce du Père. C'est là que sa gloire paraît dans tout son éclat, et que sa beauté est inexprimable.

Le résultat de l'esprit d'orgueil et d'incrédulité est de porter les hommes à s'occuper d'eux-mêmes avant toute autre chose, et à regarder avec complaisance le bien qui peut se trouver en eux. Le propre de la foi, au contraire, est de s'occuper uniquement de Jésus-Christ. Cet objet seul touche et ravit l'âme. Son approche fait disparaître toute la prétendue sainteté de l'homme, comme elle opère la destruction du péché. C'est pour cela que le Sauveur a été fait péché pour nous, comme il a été fait justice et sanctification (2 Cor. V, 21 ; 1 Cor, I, 30). 

Quiconque établit sa propre sainteté pour s'y mirer et s'en faire un sujet de consolation, celui-là se forge une idole monstrueuse, qui ne lui servira qu'à multiplier ses doutes et ses frayeurs.
En effet, il arrive à tout homme ce qui arriva autrefois à Pierre, lorsque la défiance le plongea dans les eaux sur lesquelles la foi le faisait marcher (Mat XIV, 31). Le moment où le coeur s'écarte du Sauveur est celui où il tombe dans le doute.

51


Jamais un vrai chrétien n'est privé de consolation, si ce n'est lorsqu'il sort de l'ordre et de la voie de l'Évangile. Or, il quitte cette voie, lorsque, perdant de vue la justice surabondante de Jésus, il regarde avec satisfaction les bonnes oeuvres et les belles qualités dont il se croit orné. En agir ainsi, c'est fermer les yeux à la lumière du soleil, pour marcher à là faveur d'une lampe de nuit.

Prenez-y garde : Si vous prétendez tirer de votre propre justice un miel pour vous en délecter, sa douceur se changera en un fiel des plus amers pour votre âme, et toute lumière que vous tirerez de votre propre fonds pour vous conduire, au lieu de vous éclairer, vous plongera dans les ténèbres les plus épaisses.

Tenez pour une tentation de l'ennemi, lorsqu'il vous vient à l'esprit de considérer le bien qui est en vous, pour en tirer un motif de consolation. Suivez l'attrait du Père qui vous présente la grâce acquise en son Fils, grâce infiniment riche et abondante, grâce qui seule rend l'homme pécheur agréable à son Dieu. Il doit vous être doux de suivre la volonté de votre Père céleste, qui vous commande de rechercher la justice de Jésus ; et ce qu'il commande, il le produit lui-même. Ces pressantes sollicitations qu'il vous adresse sont des moyens également doux et puissants pour confondre votre incrédulité et pour ranimer votre confiance. Toutes les fois qu'il vous vient de pareilles visites du Seigneur, recevez-les comme autant de faveurs inestimables, et répondez-y par des soupirs ardents, accompagnés d'actions de grâce. Ces sortes de grâces vous doivent être d'autant plus chères, qu'elles vous sont autant de garants de celles que Dieu vous destine encore.

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Lorsque vous vous prosternez en oraison, et qu'il ne vous est pas donné de pouvoir prier, au lieu de vous en affliger longtemps, regardez à Jésus priant et intercédant continuellement pour vous auprès du Père (Jean XIV, 16,17). 

Que pouvez-vous désirer de plus ? Vous reste-t-il encore quelque inquiétude, attachez-vous à Jésus, qui est votre paix (Eph. II, 14). Cette paix, il vous l'a laissée lorsqu'il est monté au ciel ; et il vous a averti plus d'une fois que vous ne deviez vous laisser troubler par aucune chose, ni d'aucune manière afin que votre consolation non plus que votre foi, ne souffrent aucun échec (Jean XIV , 1, 27).

Après que votre Sauveur, dans son état d'abaissement, a détruit et aboli, sur la croix, tout ce qui peut vous blesser et vous tourmenter ; après qu'il a porté tous vos péchés, vos peines, vos inquiétudes et vos tentations, il est entré dans son ciel pour vous y préparer place. Vous avez maintenant un Sauveur tel qu'il vous en faut un, en la personne de Celui qui est assis sur le trône à la droite du Père.

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Que votre sort est heureux, vous qui faites du Seigneur Jésus votre principale et unique affaire ; vous qui vous regardez vous-même comme un néant, comme un rien, afin que Jésus seul soit votre tout, votre vie, votre plus cher objet et votre plus riche trésor. Vous enfin, qui êtes mort à toute autre chose, même à toute justice propre, pour n'être revêtu que de la sienne, votre bonheur est digne d'envie ; vous êtes du nombre de ses bien-aimés ; vous avez trouvé grâce devant Dieu ; vous êtes un de ses enfants qu'il chérit le plus. 

Voulez-vous que je vous dise, pour conclusion, comment vous pouvez réjouir le coeur de notre adorable Sauveur, en reconnaissance de l'amour qu'il a pour vous ?

Aimez-le, gardez la parole des souffrances de l'Agneau immolé pour vous ; et puisque vous avez été racheté par son sang, pour être son éternel salaire glorifiez-le dans votre corps et dans votre esprit, qui lui appartiennent, en cheminant dignement, comme il est séant, selon l'Évangile de Christ. Avec cela, ayez un amour fraternel pour tous ses membres, pour ses troupeaux, même pour les plus faibles et les plus chétifs de ses serviteurs. Que la diversité d'opinions et de sentiments sur des points non essentiels au salut ne vous empêche pas de les regarder et de les aimer comme des frères. Souvenez-vous qu'ils appartiennent tous au Sauveur, qui les porte sur son coeur, comme les noms des enfants d'Israël étaient gravés sur le pectoral du grand sacrificateur Aaron ; et puisqu'ils ont place dans le coeur de Jésus, ne les bannissez pas du vôtre.

Enfin, demandez à Dieu qu'il donne la paix à Jérusalem et qu'il fasse prospérer ceux qui l'aiment. Amen.

 


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