Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Bienheureux sont ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux.

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

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«Je ne suis que paix, disait déjà le Psalmiste (Ps. CXX, 7.); mais dès que je parle, ils sont pour la guerre.»


Les mondains repoussent le fidèle qui leur apporte la paix. Ils cherchent la paix, le bonheur dans les richesses qui leur procurent toutes les jouissances, désirables; dans le rassasiement de toutes leurs convoitises; dans les vices et les divertissements qui leur font oublier leur malaise intérieur, la toute présence de Dieu et le jugement dernier; dans l’approbation du monde qui leur tient lieu de celle de leur conscience (Luc VI, 24-26.).

Croient-ils donc sérieusement que là se trouve le bonheur?

Non, ils ne peuvent le croire, car de génération en génération, ils se disent les uns aux autres: Vanité des vanités, tout n’est que vanité.

Mais la paix que Dieu leur offre par ses fils, est le fruit de la justice, et ils aiment l’injustice.

Ou plutôt L’INJUSTICE LES POSSÈDE ET ILS SONT SES ESCLAVES.

Quand elle entend la voix d’un des amis de Jésus parler de la conscience et du jugement à venir, elle s’épouvante et s’écrie par la bouche de son serviteur: «Va-t-en pour cette fois, et quand j’en aurai le loisir, je te rappellerai» (Actes XXIV, 25.).

Mais si l’homme de paix insiste, elle s’enflamme de colère et se jette sur lui. Tel un malheureux qu’a mordu un chien enragé, et qui déchirerait le médecin qui lui apportait la guérison.

Pour être ainsi persécuté et mis à mort, le fidèle est-il malheureux?

Nullement, car le royaume des cieux est à lui. Mais que ta parole est étrange, ô Seigneur!

À tes héroïques témoins, qui proclament ton Évangile au milieu du monde et qui sont à chaque heure exposés aux persécutions les plus cruelles, tu n’as pas un autre genre de bonheur à donner que celui que tu leur as déjà promis à leur entrée dans ton royaume?

Tu es le Fils unique de Dieu, et tu es si pauvre en récompenses à distribuer ou si avare des biens éternels dont tu disposes souverainement?

Mais, que dis-je?

Ce royaume qui doit faire la béatitude de tes martyrs, n’est-il pas la consolation de ceux qui pleurent, la richesse des débonnaires, le rassasiement des affamés, la vision divine des coeurs purs et le privilège des fils de Dieu?

Quels biens plus grands pourraient souhaiter sur les bûchers ces enfants d’Adam qui étaient morts dans leurs péchés et que tu as sauvés par ta mort sanglante?

Ne quittent-ils pas tous cette terre en te disant: «Pardonne, pardonne, pardonne, ta grâce nous suffit.»

Cependant il y aurait justice à compenser les excès de souffrances par des excès de gloire. Mais telle est bien aussi ta pensée, ô Sauveur!

Écoutez:

Bienheureux êtes-vous lorsqu’on vous injuriera et vous persécutera et dira contre vous toute espèce de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, car votre récompense est grande dans les deux. C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous.

Quand tu dis: grand, ô Toi qui nous parles le langage des cieux, nous devons traduire: immense.

Quelle est-elle, cette immense récompense assurée aux martyrs?

Seigneur, tu le sais!

Mais tu nous fais passer de la terre dans les cieux comme si le sépulcre ne séparait pas ces deux mondes et que la mort ne fût pas le roi des épouvantements (Job XVIII, 14.)!

Tu parles des persécutions ici-bas et des récompenses là-haut sans dire un mot des tortures, des bûchers, des glaives, des croix où périront misérablement tes disciples?

As-tu peur d’appeler leur attention sur ces objets d’horreur?

Les trompes-tu comme fait la mère qui présente à son enfant une potion repoussante dans une coupe emmiellée?

Non, non, la vérité divine n’a pas besoin de ces petites ruses, et, toi qui es le Prince de la vie, qui es la Vie elle-même,

tu sais que la mort est une simple sortie (Luc IX, 31.) d’une terre de servitude, une entrée dans un ciel de glorieuse liberté;

tu sais que la vie consiste non dans l’union de l’âme avec le corps qui périt, mais dans l’union de l’âme avec toi-même qui fais vivre;

tu sais que celui qui croit en toi, ne peut mourir, et que te rejeter, c’est être mort (Jean VIII, 5I.).

Tu as tenté de réformer le langage des hommes qui ne comprennent ni la mort ni la vie, et qui donnent à ces deux mots des sens complètement faux; mais les hommes du monde ne te permettent pas même de redresser leur vocabulaire, et ils t’auraient lapidé pour cela si ton heure eût déjà sonné.

Tes disciples au moins acceptent tes enseignements. Ils le font sans toujours les comprendre, comme Marthe qui fait taire ses doutes devant le Christ, le Fils de Dieu (Jean XI, 24.), et ceux même d’entre eux qui te comprennent le mieux, ne te comprennent point encore, car tu nous parles comme un habitant des cieux, et nous, nous sommes sur la terre et de la terre (Jean III, 31.).

Mais du moins nous entrevoyons le sens de tes discours, et quand tu nous as mis au cœur assez de charité pour braver les persécutions, tu nous as en même temps mis dans l’esprit assez de lumière pour discerner au milieu des ténèbres du sépulcre le sentier lumineux qui de cette terre conduit l’âme fidèle en droite ligne vers ta céleste demeure (Ps. XVI, 10, 11.).

Tu peux donc hardiment nous rappeler les prophètes hébreux (Matth. V, 12.) lapidés, sciés, torturés, égorgés (Héb. XI, 37.): leur exemple ne nous effrayera pas.

Leur mort, DANS LA LANGUE DES HOMMES, n’est qu’un départ pour la félicité suprême;

Notre mort, DANS LA LANGUE DES CIEUX, serait de te renier et de te perdre par une folle peur de cette FAUSSE mort.

Le chemin par lequel notre Seigneur nous a conduits de la terre aux cieux, et qui traverse le fleuve de la mort sur un pont aérien, se dessine à nos regards sous la forme d’un immense escalier qui compterait huit paliers ou plates-formes.

La première rampe s’élève du bas monde directement vers la hauteur et aboutit à la première station, celle de la pauvreté.

De là, par une seconde rampe, qui se dirige vers la droite, on monte au palier des larmes.

La rampe suivante, symétrique à la deuxième, se dirige vers la gauche et nous élève à la station de la débonnaireté.

La quatrième rampe à droite, au-dessus de la seconde, est celle de la faim de la justice;

la cinquième à gauche, au-dessus de la troisième, est celle de la miséricorde.

Les deux suivantes sont à droite la rampe de la pureté de cœur, à gauche, celle de l’évangélisation.

Enfin, la huitième, qui correspond à la première, nous introduit dans les cieux.


Persécutions.

Évangélisation.      Pureté de cœur.

Miséricorde.     Faim et soif.

Débonnaireté.      Pleurs.

Pauvreté.


Les stations de droite sont celles de la vie intérieure de l’âme, de son développement caché, de ses secrètes relations avec Dieu.

Les stations de gauche sont celles de sa vie extérieure, de son activité manifeste, de ses relations apparentes avec le monde.

D’une part, pleurs amers sur le passé, aspiration à un avenir de sainteté, possession présente de la pureté.

De l’autre, patience qui supporte, compassion qui embrase le cœur, paroles de paix qui débordent.




 

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