Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Bienheureux sont les pauvres selon l’esprit.

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

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Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux!

Matth. 5, 3 (V. S.)

La pauvreté spirituelle: telle est donc la première béatitude que tu nous présentes, ô Jésus; tel est le premier état d’âme auquel se reconnaissent tes vrais disciples, leur première station sur la voie du salut, le premier degré de l’échelle mystérieuse qui conduit de la terre au ciel.

Le pharisien de tous les siècles et de tous les pays, l’honnête mondain, SE CROYAIT RICHE:

riche de tout le mal qu’il ne faisait pas et de tout le bien qu’il se croyait sans cesse prêt à faire,

riche de son exactitude à fréquenter les cultes publics,

riche de ses abondantes aumônes,

riche de sa bonne réputation,

riche de sa confiance en un Dieu de bonté, et de ses espérances de salut.

Tout à coup un éclair qui se fait spontanément dans sa conscience, une prédication, une page des Évangiles ou des Épîtres, un mot d’un ami pieux, un traité religieux; ou quelque revers de fortune, une maladie qui semblait mortelle, un deuil irréparable; ou bien une délivrance merveilleuse, ou la vue d’un nouveau-né souriant dans son berceau, suspend le cours habituel de ses pensées, le place pour la première fois en présence de Dieu, en face de lui-même, de son cœur, de sa vie, et l’angoisse s’empare de lui.

La pensée lui vient que sa grande fortune pourrait bien n’être qu’une grande illusion. Il se sent pressé d’en faire le compte exact:

il se croyait riche, et il se voit au-dessous de ses affaires.

LE VOILÀ PAUVRE jusqu’à l’indigence;

pauvre d’amour pour Dieu et pour son prochain,

pauvre d’esprit de prière, de sainteté, d’espérances solides, de foi,

pauvre de tout bien réel.

Il croyait avoir dix, vingt, cent mille livres de rente, et il est un misérable mendiant, spirituellement parlant.


Le péager, l’enfant prodigue, se croyait riche en joies, en plaisirs, en voluptés; rien, pensait-il, ne manquait à son bonheur, tant l’ivresse des passions lui troublait l’esprit et le cœur.

Mais la voix tonnante d’un Jean-Baptiste ou la voix douce et subtile de Jésus-Christ, une extrême misère, un affreux chagrin, un naufrage, un coup de foudre l’arrête subitement dans les ténèbres...

il rentre en lui-même, pèse le bonheur du vice et en sent l’amère vanité, fait le compte de ses richesses spirituelles et voit qu’il n’est qu’un misérable mendiant.

MISÉRABLE, ET CEPENDANT BIENHEUREUX,

parce que le péager comme le pharisien vivait dans le mensonge et que maintenant ils connaissent la vérité;

parce qu’ils étaient plongés dans de mortelles illusions et qu’elles se sont dissipées;

parce qu’ils ont tourné le dos aux ténèbres et la face vers la lumière.


Bienheureux sont les pauvres selon l’esprit...

Car le royaume des deux est à eux.


Est à eux?

Non, le texte doit certainement se traduire par: «sera à eux». Les pauvres se sont mis en chemin pour arriver un jour, pour arriver bientôt dans le royaume des cieux; mais ils n’y sont pas encore entrés. Ils posent un pied sur le premier degré de l’escalier par où l’on monte au ciel, mais de l’autre pied ils tiennent encore à la terre.

Il y aurait de leur part présomption, folie, à croire que le royaume est déjà à eux.

Les béatitudes suivantes ne sont-elles pas toutes au futur?

Ils seront consolés,

il leur sera fait miséricorde,

ils seront appelés fils de Dieu.

Mais que vois-je?

Les chrétiens qui ont atteint la perfection, ceux de la huitième béatitude, les martyrs... il est dit d’eux:

Le royaume des cieux EST à eux.

Et le texte dit exactement la même chose des croyants de la première station!

Quoi! la même promesse est faite aux martyrs qu’aux pauvres, et aux pauvres qu’aux martyrs?

Quoi! ceux qui sont à peine entrés dans la carrière t’appartiennent, ô Jésus, aussi certainement que ceux qui l’ont parcourue tout entière et inondée de leur sueur et de leur sang?

Quoi! le royaume des cieux est bien à nous dès le moment où nous nous avouons à nous-mêmes notre pauvreté?

Ô sainte folie de la bonne nouvelle! Ô adorable témérité de la grâce divine! Oui, tu nous le déclares, toi qui es la Vérité faite chair: le royaume EST, et non sera, aux pauvres.

Où trouvera-t-on désormais des hommes assez insensés pour ne pas faire une faillite qui leur assure immédiatement le ciel et ses béatitudes, pour soutenir contre toi que le pharisaïsme et la débauche sont des richesses qui valent ton salut et qui donnent un bonheur supérieur à ta paix? Mais, hélas!

Qui prend garde à ta prédication?

Qui se donne la peine de comprendre tes enseignements?

Le monde s’est fait à sa souffrance et à sa mort, il ne veut pas apprendre de toi à vivre de ta vie et à se réjouir de ta joie:

LE PÉCHÉ L’A RENDU FOU.

Pour nous que ta grâce attire hors du monde, nous te croyons.

Tu nous dis que ton royaume est aux pauvres, et nous te prenons au mot.

Tu nous le dis, et nous saisirons des deux mains un tel bonheur.

Tu nous le dis, et, si nous sommes pauvres, forts de ta parole, nous étoufferons tous les doutes qui se forment dans notre cœur sur notre salut.

Si nous sommes pauvres?...

Nous serait-il bien possible de nous croire du nombre de tes pauvres sans l’être?

Ne le reconnaîtrons-nous pas à notre secrète joie?

Certainement, PAUVRETÉ SPIRITUELLE ET BONHEUR INTIME NE SE TROUVENT ASSOCIÉS QU’AUPRÈS DE TOI.

Qui se sent heureux de sa pauvreté, doit, de par ton ordre divin, être certain, d’une certitude complète, qu’il fait partie de ton troupeau.

Au reste, tu connaissais bien, ô Jésus, le cœur de l’homme quand tu disais que le royaume est aux pauvres tout aussi bien qu’aux martyrs; car le courage héroïque de tes témoins est compris en germe dans la pauvreté comme le chêne dans le gland, et les béatitudes qui suivent nous feront assister au rapide développement de cette vie spirituelle qui commence par l’indigence.



 

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