RIEN QUE LA MANNE!!!

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

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Maintenant nos âmes sont accablées, nos yeux ne voient que de la manne. Nomb. XI, 6.

Sortir du monde quand on a reçu dans son cœur l’assurance que le sang de l’Agneau vous met à l’abri de l’Ange exterminateur, c’est chose aisée.

Surmonter tous les obstacles qui vous barrent le chemin, moqueries, menaces et persécutions des ennemis de la foi, et triompher de votre défiance de Dieu en faisant l’expérience de sa merveilleuse délivrance, c’est chose qui de loin peut sembler impossible, mais qui de près est aussi simple que de passer à pieds secs une mer dont les flots s’ouvriraient devant vous.

Monter par la prière sur les sommités de la vie spirituelle où vous entrez pour la première fois en une communion vivante avec Dieu, où vous le sentez près de vous et dans votre cœur, où vous éprouvez dans l’accomplissement de vos devoirs l’efficace de son secours, et où votre âme est pleine d’un feu saint qui la renouvelle et la sanctifie, c’est la plus grande joie que vous puissiez espérer ici-bas.

MAIS DESCENDRE DE LA MONTAGNE ET S’ENGAGER DANS LE DÉSERT DE LA VIE;

– voir les années s’écouler sans amener de nouveaux miracles, et devoir pendant quarante ans ne se nourrir que de la manne de l’Évangile;

– vivre de grâce et de pardon, et encore et toujours de pardon et de grâce;

– lire et relire sans cesse le même volume sacré, qui finit par ne plus avoir pour vous une page qui ne vous soit familière;

– ne point se laisser détourner des doctrines vitales par des questions secondaires ou des subtilités théologiques ou des curiosités prophétiques;

– se rendre bien compte que la révélation, qui est notre aliment spirituel, est un don de Dieu, et que Dieu pourrait à chaque instant nous en retirer l’intelligence et nous replonger dans les doutes d’où sa grâce nous a retirés;

– le remercier chaque jour à genoux de cette manne sans laquelle notre âme périrait, mais qui n’a pas pour notre chair la saveur et la diversité des poissons, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx d’Égypte (Nomb. XI, 5.):

voilà ce qui est chose difficile pour quiconque n’a pas complètement renoncé au monde dont il est sorti.

Dieu veuille nous préserver du malheur de périr de lassitude et de découragement dans le désert, et nous introduire dans la Canaan céleste, sur les pas du vrai Josué, en refoulant devant nous les eaux mugissantes du grand fleuve de la mort!