Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ESCLAVAGE ET ROYAUTÉ

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

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Vous me serez un royaume de sacrificateurs, dit l'Éternel aux Hébreux. Exode XIX, 6.

Vous êtes sacrificateurs et rois, écrit saint Pierre aux chrétiens. 1 Pierre II, 9.

Tu nous as faits rois et sacrificateurs, disent les rachetés à l'Agneau dans les cieux. Apoc. V, 10.


Nous sommes esclaves de nos passions et nous aimons notre esclavage. Que nous importe notre royauté?

Mais nous avons beau faire: nous voulons primer en tout et ne sommes heureux qu’à la condition de régner.

L’ambitieux aspire à posséder le sceptre;

le voluptueux veut les plaisirs les plus raffinés;

l’avare, les plus grandes richesses;

l’artisan, la supériorité sur tous ses rivaux;

l’écrivain, la plus éclatante gloire;

le philosophe, la vérité absolue.

Esclave de son propre cœur, chaque homme vise à devenir roi dans son domaine.

Il fait servir la passion qui l’enchaîne, à l’élever au-dessus du monde entier. De ses fers il se forge une couronne.

Se complaire dans l’esclavage, et à la fois ne pouvoir être heureux sans régner; vouloir en même temps être le dernier et le premier: quelle contradiction!

Comment expliquer tant de folie dans le cœur de tous les hommes?

Par la création d’Adam et par sa chute.

En tant que déchus, nous sommes asservis au péché, car le péché a donné à la chair tout pouvoir sur l’esprit.

En tant qu’hommes, nous sommes appelés à devenir rois, car Dieu nous a créés à son image, et il ne se peut faire que celui qui est presque un Dieu, ne désire régner.


Le Créateur n’a-t-il même pas fait à l’homme un devoir de la royauté, en lui imposant l’obligation de s’assujettir la terre (Genèse I, 28.), de soumettre à ses volontés la nature entière depuis les animaux domestiques et les céréales jusqu’à la vapeur et à l’électricité?

Cet instinct de royauté est si vivant dans le cœur de l’homme, que lorsque Satan voulut séduire Ève, il n’eut qu’à lui dire: Vous serez comme des dieux.

Cette parole a dès lors retenti perpétuellement aux oreilles et dans la poitrine des mortels, dont l’élite vise à la philosophie absolue et à la monarchie universelle, et dont le plus grand génie sera L’ANTICHRIST, L’HOMME DE PÉCHÉ QUI S’ASSIÉRA COMME UN DIEU DANS LE TEMPLE DE DIEU (2 Thes, II, 4.).

Régner avec Dieu et à la manière de Dieu, ou régner avec le diable et à la manière du diable, voilà le dilemme qui tient dans son étau chacun de nous!

Mais pour régner avec Dieu, il faut avant tout que nous soyons retirés de notre servitude. Entre la prison et le trône est l’air libre.

L’homme libre n’est plus condamné à ne faire que ce qui plaît à autrui. Mais il ne fait pas comme le souverain, comme Dieu, tout ce qui lui plaît. Il est soumis aux lois de son propre être (Rom. VI, 18.), et sa liberté consiste à faire joyeusement et facilement ce que ces lois lui ordonnent.

Que lui ordonnent-elles?

Qu’il aime Dieu de tout son cœur, et que par la puissance de ce suprême amour, son esprit surmonte les amours et les convoitises de la chair.


Être libre,

c’est obéir à la justice,

c’est être saint comme Dieu est saint,

c’est être semblable à Dieu,

c’est vivre comme il convient à un être que Dieu a créé à son image.

Mais celui qui par son esprit use librement de toutes ses facultés physiques et morales, est roi sur son corps et sur son âme.

Celui qui par son amour pour Dieu se meut librement au milieu des accidents de la vie, est roi sur la souffrance, la maladie et la mort.

Celui qui par sa foi s’unit librement à Dieu, participe en quelque manière à la toute-puissance divine et doit être un jour roi sur la nature, dont il transporterait au besoin les montagnes (Matth. XVII, 20.).

Celui qui a pour soutien le Dieu de vérité, est roi sur l’humanité, car la vérité restera victorieuse sur toutes les erreurs.

Celui qui a la gloire de Dieu, éclipse par sa gloire royale celle de tous les autres hommes.

Celui qui possède Dieu même, possède toutes les richesses de l’univers. L’homme esclave ne peut recouvrer sa liberté sans arriver à la royauté.


Toutefois, l’affranchi ne l’est ici-bas qu’en espérance,

car ce n’est même qu’en espérance qu’il est sauvé (Rom. VIII, 24.).

Sa royauté ne sera manifestée que dans l’éternité.



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