Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE MYSTÈRE DE LA VIE NOUVELLE

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

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Je vis, non plus moi, mais Christ vit en moi. Gal. II, 80.

Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ. Rom. XIII, 14.

Nous désirons avec ardeur de nous survêtir de notre domicile céleste,

si toutefois nous sommes trouvés revêtus, et non pas nus. 2 Cor. V, 2. 3.


Christ vit en moi, disait saint Paul, et ailleurs (Phil. I, 21.): Christ est ma vie. Que signifie cette expression?

Le Joghi hindou pourrait aussi dire: «Ce n’est plus moi qui vis, c’est Brahma;», car il n’a plus une pensée à lui, plus un sentiment à lui; il est tout entier absorbé en son Dieu. MAIS SON DIEU, C’EST LE VIDE, et lui a fait le vide dans son cerveau, le vide dans son cœur. Aussi, n’ayant plus une seule idée, un seul désir, il reste stupidement immobile, les bras en l’air. Brahma est sa mort, et non sa vie.

Le Musulman pourrait prétendre qu’Allah est sa vie: «Je crois tout ce qu’il me révèle, je veux tout ce qu’il veut, et à chaque heure je suis prêt à mourir pour lui.» Il est vrai qu’Allah ne tue pas toutes les facultés de l’âme comme fait Brahma; mais il rend fataliste, fanatique, sanguinaire. IL EST POUR SES ADORATEURS LE FEU QUI LES DÉVORE, ET NON LEUR VIE.

Le Jésuite, à son tour, dira: «Jésus est ma vie.» Il a renoncé à son jugement, à ses affections, à sa volonté, à sa conscience, pour obéir à Jésus qui s’est incarné pour lui à Rome dans le chef de son ordre. Aux commandements qu’il reçoit, il agit sans relâche avec un zèle et un courage que rien n’abat. Il agit... mais comme un mort, «perinde ac cadaver». SON JÉSUS, qui est tout à la fois sa mort et sa vie, TUE LA VIE ET GALVANISE LA MORT.

Le Christ de saint Paul est aussi vie et mort;

mais il est la mort du mal et la vie du bien.

Il tuait et détruisait chez son apôtre l’égoïsme, l’amour de la gloire mondaine et l’ambition, les affections et les inimitiés de la chair, la lâcheté et la témérité, les projets irréfléchis et les plans savamment combinés, les vieilles erreurs du pharisien et les erreurs possibles du docteur chrétien.

Ainsi dégagée du péché, l’âme de saint Paul recouvrait sa primitive ressemblance avec Dieu, et ses facultés natives, jusqu’alors comprimées et altérées, pouvaient se déployer en plein.

En même temps Jésus-Christ faisait passer son disciple de la vie psychique dans la vie spirituelle par l’action régénératrice de l’Esprit saint, et lui communiquait les pensées et l’amour de Dieu.

Il lui expliquait ainsi intérieurement l’Évangile, et le remplissait d’un ardent désir de le prêcher au monde païen tout entier.

Par son affranchissement du péché, par la restauration de sa nature primitive et par le don du Saint-Esprit, saint Paul approchait de la perfection humaine; l’homme idéal, qui était latent en lui, se manifestait de plus en plus et à Dieu et aux hommes(2 Cor. V, II, en grec.).

Or, comme Jésus-Christ est l’homme parfait, et que par son Esprit il habite dans les cœurs des fidèles, saint Paul se sentait de plus en plus métamorphosé en la ressemblance de son Seigneur (2 Cor. III, 18.), de plus en plus identifié avec lui; il se sentait penser, aimer et faire ce que Jésus-Christ à sa place aurait fait, aimé et pensé, et il se voyait si différent du vieux Saul, si dépouillé de toute volonté égoïste, qu’il pouvait dire avec d’ardentes actions de grâces à son Dieu, ce que ni le Jésuite, ni le Musulman, ni l’Hindou ne pourraient dire de leurs dieux: «Je vis, non plus moi-même; C’EST CHRIST QUI VIT EN MOI.»

Mais si Christ était substantiellement en lui par l’Esprit, à quoi bon se revêtir de Christ?

Si l’on possède en soi-même la lumière, pourquoi s’envelopper d’une atmosphère lumineuse?

Si la vie elle-même habite en vous, pourquoi prendre la peine de s’en tisser un vêtement?

Jésus-Christ lui-même l’avait ainsi voulu: Demeurez en moi, et moi je demeurerai en vous (Jean XV, 4.) Il avait exprimé cette double relation en des termes d’une vérité objective, idéale et absolue, que saint Paul a traduits dans le langage de l’expérience chrétienne.

De nature notre âme est nue; le péché l’a dépouillée de la gloire que Dieu avait donnée à l’homme en la créant (Rom. III, 22.), et l’a souillée, corrompue de part en part. Elle se place sur Golgotha au pied de la croix, y contemple le Sauveur la rachetant par son sang de l’éternelle condamnation, et se couvre, se revêt du pardon, de la paix que nous avons par ses meurtrissures (Es. LIII, 5.). Jésus-Christ nous a été fait rédemption (I Cor. I, 30.).

Toute rachetée qu’elle est, l’âme est encore nue, dénuée de toute propre justice, et cependant, sans être juste, nul être au monde ne peut subsister devant le Dieu qui est la justice même.

Que peut-elle faire?

Se hâter de devenir juste?

Mais le péché, pour être pardonné, n’est point extirpé, et jusqu’à notre mort, il conserve sur nous une lamentable puissance. L’âme donc par sa foi s’unira à Jésus, le juste qui justifie le fidèle (Es. LIII, 11.) elle s’appropriera ses mérites, elle s’en revêtira. Jésus-Christ nous a été fait justice (I Cor. I, 30.).

Justifiée par l’imputation d’une justice étrangère, l’âme est dénuée de sainteté, de bonnes œuvres, de charité.

Puiserait-elle dans sa vieille nature la force morale pour l’accomplissement de la loi?

Impossible.

La trouverait-elle même, cette force, dans sa nature régénérée par l’Esprit saint?

Non, elle la tirera du dehors, par le recueillement et la prière; en toute circonstance elle la demandera à Jésus-Christ, elle s’en entourera, elle s’en revêtira. Jésus-Christ nous a été fait sanctification (I Cor. I, 30.).

Enfin, l'âme est par elle-même dénuée de toute sagesse, elle s’égare à droite dans le panthéisme, à gauche dans le matérialisme; elle affirme, elle nie, elle doute.

Où se tournera-t-elle pour être éclairée?

Vers Celui qui est la lumière du monde.

* * *

Je suis la lumière du monde;

celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres,

mais il aura la lumière de la vie.

Jean VIII, 12






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