Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

JÉSUS-CHRIST L’IDÉAL DU CHRÉTIEN

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

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Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Christ,

avons été baptisés en sa mort.... Jésus-Christ est mort au péché une seule fois.

Rom. VI, 3-11.


Lorsque Jésus-Christ ou ses apôtres inspirés me parlent de la gloire éternelle du Fils, de l’incarnation du Verbe, de la rédemption par son sang, de la prédestination, je ne m’étonne point de ne pas comprendre: ce sont des choses célestes (Jean III, 12.), et si la nature a ses mystères, Dieu peut bien avoir les siens.

Mais lorsque saint Paul m’impose un devoir qui m’est inintelligible, et me suppose des sentiments de piété dont je ne puis me rendre compte, je suis humilié, l’inquiétude me prend, et je me demande si ma foi est de bon aloi.

Corriger la foi de saint Paul d’après la mienne..., l’idée ne m’en vient même pas: car saint Paul, avec sa foi, a soulevé le monde romain hors de ses gonds, tandis que avec ma foi je ne remuerais rien du tout.

«Être baptisé en la mort de Jésus-Christ, être enseveli avec lui par le baptême pour sa mort, devenir une même plante avec lui par la conformité à sa mort, puis le devenir aussi par la conformité à sa résurrection, marcher en nouveauté de vie, vivre avec Christ après être mort avec lui;» que peuvent signifier toutes ces expressions plus obscures les unes que les autres?

Saint Paul suppose que les chrétiens de Rome ont fait les mêmes expériences que lui, et quand il écrivait ces lignes, il peignait ce qu’il avait lui-même éprouvé.

Transportons-nous donc en lui au moment de son baptême, au terme des trois jours de cécité qui suivirent l’apparition de Jésus-Christ sur le chemin de Damas, et puisque nous ne pouvons bien le comprendre par nos propres expériences, demandons-lui de nous expliquer lui-même ses enseignements par sa vie.

Saul, conduit par Ananias, descend vers le fleuve, laissant derrière lui et condamnant tout son passé:

son orgueil d’israélite,

sa croyance au salut par les œuvres,

sa confiance en ses propres mérites,

son faux zèle et son fanatisme pour la gloire de Jéhovah,

sa haine pour Christ et les chrétiens.


Toute sa vie n’a été que péché, et dans son cœur, son esprit et sa volonté, IL MEURT AU PÉCHÉ, il disparaît un instant dans les flots et s’y ensevelit, en quelque sorte, pour consommer sa mort spirituelle par cet acte symbolique qu’accompagne la grâce toute puissante de Dieu.

Il sort de l’eau, HOMME NOUVEAU, qui prendra bientôt le nom de Paul.

Saul a péri, l’Hébreu a péri, le Pharisien a péri:

Paul vit à Dieu par la foi, il est régénéré par l’efficace de l’Esprit saint.

Cette révolution a été opérée en lui par Jésus-Christ, qu’il avait longtemps persécuté en la personne de ses disciples, comme étant un faux Messie, un imposteur, mais qui venait de se révéler à lui comme

le Fils de Dieu,

le Sauveur du monde,

le fondateur de l’alliance de grâce,

l’auteur de l’humanité spirituelle.

C’est donc bien en Jésus-Christ que Paul est baptisé.


Mais pourquoi Paul ajoute-t-il que nous sommes baptisés en la mort de Jésus-Christ?

Entend-il sa mort expiatoire, sa rédemption?

Il nous serait bien permis de le comprendre ainsi, lui qui dit ailleurs qu’il ne veut savoir que Jésus-Christ crucifié.

Et cependant quelle conformité y a-t-il entre Jésus-Christ, la sainteté même, mourant pour les péchés de Saul par un sentiment d’amour, et Saul pécheur mourant à ses péchés, plein de repentance, et soupirant après la sainteté?

Plus je cherche entre ces deux morts quelque ressemblance, plus j’y trouve de contradictions.

Quelle est donc la pensée de saint Paul?

Il nous l’indique quand il parle de devenir une même plante avec Jésus-Christ dans sa mort comme dans sa résurrection.

Relisons dans l’original ce paragraphe: JÉSUS-CHRIST EST MORT AU PÉCHÉ... IMPOSSIBLE! C’est un blasphème: le Verbe incarné n’est pas homme pour renoncer et mourir au péché, comme Saül!

Mais renoncer à la possibilité du péché, n’est-ce pas renoncer au péché même?

Est-il nécessaire d’avoir tué son ennemi pour étouffer le désir de le tuer?

Faut-il avoir violé tous les commandements de Dieu pour triompher de ses multiples convoitises?

Nullement; on peut mourir au péché sans avoir péché; seulement la tentation qui poussait à pécher, a dû être sérieuse.

Or Jésus-Christ, qui a été semblable à nous en toutes choses, SI CE N’EST DANS LE PÉCHÉ, a surmonté dans le jardin de Gethsemané une tentation si réelle, si terrible, que son corps fut inondé d’une sueur de sang, et c’est bien après être mort au péché dans cette agonie spirituelle qu’il a monté le calvaire et qu’il a expiré sur la croix.

Saint Paul donc, quand il mourait à sa vie de pharisien et de meurtrier pour naître à sa vie de chrétien, s’identifiait en esprit avec Jésus-Christ mourant sur la croix à toute possibilité de péché, et ressuscitant pour vivre à Dieu.

Il crucifiait en quelque sorte son passé, son vieil homme avec Jésus-Christ; il le faisait mourir par un acte de volonté semblable à celui qui avait décidé le Fils de l’homme à boire la coupe que Dieu lui tendait, et à se laisser mettre en croix.

Il voyait son Sauveur marcher devant lui par une voie de renoncement, de mort spirituelle et de renaissance que nul homme avant lui n’avait jamais tentée ni même imaginée. Jésus-Christ était pour lui l’idéal de la sainteté humaine, et la contemplation d’un tel idéal, qui avait vécu en chair et en os sur la terre, lui faisait découvrir en lui-même des forces morales dont il n’avait eu jusqu’alors aucune idée.

En devenant une même plante avec Jésus-Christ:

il pouvait mourir et ressusciter spirituellement avant de mourir et de ressusciter corporellement;

il pouvait briser sa vie en deux parts, et en rejeter une pour ne garder que l’autre;

il pouvait passer des ténèbres à la lumière, du mensonge à la vérité, de l’égoïsme à l’amour, de l’injustice à la sainteté, en un mot, de la mort à la vie.

Telle étant la pensée de saint Paul, quel est, selon lui, le mobile de la vie chrétienne?

L’imitation de Jésus-Christ, la poursuite de l’idéal de sainteté et de vie nouvelle qui s’est parfaitement réalisée en lui.

Mais que ferez-vous, me dira-t-on, de la reconnaissance qui porte l’âme rachetée par le sang de Christ à obéir à tous ses commandements?

J’éprouverai à la pierre de touche des Écritures l’opinion qui fait de ce sentiment l’unique base de la morale chrétienne.

Peut-être établit-on ainsi une confusion fatale entre la joie du salut ou de la justification, et le sérieux de la sanctification.

Peut-être intervertit-on l’ordre de la grâce, et laisse-t-on dans l’oubli l’aspiration à cette sainteté parfaite que Jésus-Christ a seul reproduite dans sa vie, et qu’il a rendue en quelque manière possible à ceux qui demeurent en lui.

Peut-être, par cette grave erreur, favorise-t-on bien involontairement l’antinomianisme, qui est l’écueil de la Réforme; car la reconnaissance est un mobile beaucoup moins intime et puissant que la contemplation de l’idéal.




 

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