Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

D’OÙ PRIES-TU?

Tu pries, et tu n’es pas exaucé: mais d’où pries-tu?


FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

***


I

TU ES DU MONDE, ET TU PRIES DE TA DEMEURE MONDAINE ET PROFANE.

Le matin ou le soir, tu as l’habitude d’adresser à Dieu quelques paroles d’actions de grâces et d’invocation.

Mais ces paroles sont si courtes que si Dieu t’envoyait sa réponse par le plus prompt de ses anges, il arriverait trop tard et te trouverait à tes affaires, ne songeant déjà plus à ce que tu disais à Dieu un instant avant.

Tu n’es pas exaucé, mais tu n’en es point surpris.

DIEU TE TRAITE COMME TU LE TRAITES, AVEC DISTRACTION.


II

Tu es sorti du monde, tu es entré dans le temple et c’est des parvis que tu pries.

Tu pries le Dieu qui t’a créé et qui prolonge de moments en moments ton existence; le Dieu de qui te vient tout ce qui réjouit ton cœur et tout ce qui l’afflige: tu le pries avec crainte, et tu fais bien, car la crainte lui appartient (Jér. X, 7.).

Mais il t’inspire je ne sais quels sentiments de terreur servile: il te semble un maître arbitraire et dur (Matth. XXV, 21.) qui pourrait t’infliger de rudes châtiments si tu ne lui faisais pas régulièrement ta cour. Un élément impur se mêle à l’encens de ta prière.

Tu pries le Dieu qui t’a racheté par son Fils, et tu lui rends grâces de son pardon.

Tu sais que toute grâce procède de lui, et que de toi ne peut rien venir de bon.

Tu lui demandes chaque jour que par son Esprit Saint il vienne habiter dans ton cœur, te remplir de l’assurance de ton salut, faire de toi une nouvelle créature, et arracher de ton âme l’interdit qui s’y cache et s’y enracine dans l’ombre.

Mais tu fais de la grâce divine et de l’infirmité humaine un double oreiller de paresse; tu exaltes outre mesure l'une et l’autre pour te dispenser de vouloir et d’agir; tu te fais corps-mort pour ne pas être contraint à faire acte de vie, et pour rejeter sur Dieu toute la responsabilité de ta tiédeur; tu veux que Dieu t’enlève, et te crois, en attendant, autorisé à ne pas marcher.

Aussi la prière n’est pour toi qu’un DEVOIR dont tu t’acquittes SANS JOIE, SANS ÉLAN; car l’âme, qui est liée à la chair, n’aime pas d’elle-même à sortir du domaine des affaires de ce monde et des travaux habituels, pour s’élever dans celui des choses spirituelles et chercher Dieu.

Dans ta paresse, tu ne fais rien pour vaincre ta chair et réveiller ton esprit,

et Dieu, de son côté, ne fait rien non plus pour réveiller et rendre victorieux un paresseux tel que toi.

Sans te l’avouer, tu te complais dans ta tiédeur et dans tes infirmités.

Quand tu demandes à Dieu qu’il t’en retire, tu ne le désires qu’à demi, et TU SERAIS DÉSOLÉ QU’IL T’EXAUÇÂT. 


TU AIMES PAR-DESSUS TOUT TON ÉTAT PRÉSENT DE MOYENNE PIÉTÉ.

Ton cœur est partagé: ne t’attends donc pas à recevoir quoi que ce soit du Seigneur (Jacq. 1,6, 7.).

Les seules choses que tu demandes d’un cœur entier, sont celles qui concernent non ta sanctification, ni la gloire de Dieu, MAIS TES INTÉRÊTS TEMPORELS.

T’étonnerais-tu que Dieu n’exauce pas de telles prières?

Tu le sais, Il ne donne le par-dessus de la terre qu’à qui cherche avant tout et uniquement le royaume de Dieu et sa justice (Matth. VI, 33.).


III

Ô toi, âme bénie qui as traversé les parvis, c’est du temple que tu pries.

Tu éprouves une douce et secrète joie à faire brûler ton encens sur l’autel des parfums et à faire monter tes prières vers Dieu.

Tu contemples avec un plaisir toujours nouveau la septuple lumière des révélations divines; tu peux, avec une conscience pure, déposer sur la table de proposition les fruits d’une vie que l’Esprit saint a renouvelée.

Courage, ô âme bénie, poursuis ta marche vers le Lieu Très saint, dont Jésus-Christ t’a frayé le chemin (Hébr. X, 20.).

Comprends enfin ce que le Seigneur veut de toi: renonce non seulement au péché, mais à toi-même; livre à Dieu ta vie, meurs.

Va, ne crains rien, risque tout pour tout gagner, meurs pour vivre, livre ta vie pour la retrouver, renonce à toi-même pour te posséder.

Hasarde-toi à n’aimer plus que Dieu.

Alors il se passera en toi une chose inouïe: tu pourras de tout ton cœur, sans la moindre arrière-pensée, pardonner à tes ennemis toutes leurs offenses;

alors l’amour, qui est l’accomplissement de la loi et la perfection où tend l’homme, s’accomplira de soi-même en toi par un parfait amour pour ceux que tu haïssais.

Alors aussi ton Père te pardonnera de tout son cœur toutes tes offenses (Marc XI, 25, 26.), et les joies des cieux inonderont ton âme.

Le voile du Lieu très saint que Jésus-Christ a déchiré, s’entr’ouvrira devant toi; tu entreras dans le sanctuaire de la Divinité, et TOUT CE QUE TU DEMANDERAS EN PRIANT ET AVEC UNE PLEINE FOI, TE SERA ACCORDÉ.

Si tu l’oses, tu pourras en quelque sorte transporter des montagnes et les jeter dans la mer (Marc XI. 22-21.).

Les premiers chrétiens ne guérissaient-ils pas ainsi des malades (Marc XVI, 18), et de nos jours encore des âmes d’élite n’ont-elles pas exercé cette puissance?



 


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