LES ESPÉRANCES AVEUGLES

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

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L’aveugle espérance, telle est la plus lourde de nos misères. Elle était seule restée au fond de la boîte de Pandore. Elle se cache dans les replis de notre cœur, et n’en sort trop souvent qu’à l’instant de la mort.

Nous savons que l’ivresse abrutit;

mais dans notre aveuglement nous espérons que par exception elle ne fera qu’exalter notre imagination, et bientôt, sans nous en douter nous-mêmes, nous inspirons à chacun le dégoût ou la pitié.

On nous dit, et nous le croyons, que la volupté est une bête féroce.

Mais tels que des enfants insensés, nous nous jetons dans ses bras avec le vague espoir de l’apprivoiser, et elle nous déchire de ses griffes, et tandis qu’elle nous suce l’âme avec le sang, nous lui sourions encore, en lui demandant le bonheur qu’elle nous avait promis.

L’avarice est un vice hideux, que le monde même condamne sévèrement.

Mais nous, nous saurons trouver le moyen d’entasser toujours de l’or sans que jamais il nous domine. Et nous vieillissons possédés de cette fièvre, et la prenant pour l’avant-goût de la félicité.

Les plaisirs, l’ambition, la gloire n’ont jamais rendu parfaitement heureux personne.

Mais nous nous disons que la coupe à moitié vide pour tous les autres sera pleine pour nous. Espérance aveugle!

La mort nous menace à chaque instant, nous le savons,

mais nous ne voulons pas y penser, et nous nous persuadons que nous ne mourrons jamais aujourd’hui, et toujours demain.

Dieu est un juste juge, dit la religion, et il rémunère les bons et les méchants.

Mais si Dieu est juste, il est aussi miséricordieux, et s’il existe des peines pour les grands criminels, elles ne sauraient durer toujours.

Vivons donc selon les instincts de notre nature; après la mort, on se tirera d’affaire comme on pourra et à meilleur marché que ne le disent les dévots!

Mêmes espérances folles chez les philosophes, qui prétendent posséder la vérité absolue et ne savent que multiplier dans leurs caveaux funéraires le nombre de leurs faux dieux morts et oubliés.

Encore quelques révolutions politiques et sociales, crient d’autres aveugles, et la terre sera un Éden où l’homme vivra des siècles.

Mais leur paradis serait une salle d’orgie.

Quel est donc le Prométhée qui a mis au cœur de l’homme ces espérances aveugles?

Le serpent dit à la femme (qu’il incitait à violer le commandement divin): Vous ne mourrez nullement, mais... au jour que vous mangerez (de ce fruit), vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux (Gen. II, 1-5.).

À cet instant a pris naissance au-dedans de l’homme la pensée que Dieu menace et ne frappe point, l’espoir de concilier le bonheur et le vice, l’assurance du salut éternel après les joies passagères du péché.

Avec ces espérances aveugles nous ne pouvons être guéris d’aucun mal, et c’est à les dissiper que tu travailles, ô Dieu,

– par ta providence, qui châtie les pécheurs,

– par ta loi, qui leur rappelle ta sainteté,

– par ta prophétie, qui leur parle du grand Médecin, par Jésus-Christ, qui annonce le pardon aux pénitents,

– par ton Esprit, qui convainc le monde de péché, de justice et de jugement (Jean XVI.).

Oeuvre lente et laborieuse, qui manifeste autant l’insondable puissance du mal, que ta miséricorde ingénieuse et ton infatigable patience.

Hélas! d’entre ceux mêmes qui viennent à toi pour être guéris, PLUSIEURS GARDENT DANS LE FOND DE LEUR CŒUR, À CÔTÉ DE QUELQUE INTERDIT, DES ESPÉRANCES AVEUGLES SUR LESQUELLES ILS GREFFENT L’ASSURANCE ÉVANGÉLIQUE DU SALUT.

Ils cachent avec adresse à tous les yeux, sauf aux tiens, Dieu qui vois tout, leur plaie secrète, et ils parlent des cieux, comme s’ils y étaient entrés déjà.

Mais nul n’a le droit de se dire certain de son admission au ciel, que celui qui s’est donné tout entier à toi, Dieu-Sauveur.

O Dieu, garde-nous des espérances aveugles et des séductions du serpent!

* * *

Il n’y a de salut en aucun autre;

car il n’y a sous le ciel AUCUN AUTRE NOM

qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés.

Actes 4: 12

Et Jésus nous a ordonné de prêcher au peuple et d’attester que

C’EST LUI QUI A ÉTÉ ÉTABLI PAR DIEU JUGE DES VIVANTS ET DES MORTS.

Actes 10: 42