Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA VUE ET LA FOI

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

***

Ne jugez point selon l’apparence. Jean VII, 24.


J’ouvre les yeux et je vois que tout dans la nature et dans l’humanité est régi par des lois immuables ou livré à un hasard aveugle.

Les mouvements des astres peuvent se calculer des centaines et des milliers d’années à l’avance;

les forces physiques fonctionnent,

les combinaisons des corps simples s’opèrent d’après des formules d’une exactitude mathématique;

dans les divers règnes de la nature, les types des espèces sont invariables,

et la vie individuelle traverse sans se lasser les mêmes phases; les peuples, les empires, les civilisations ont pareillement leur enfance, leur jeunesse, leur âge mûr et leur vieillesse; la logique et les passions ont leurs lois, qui produisent dans tous les siècles les mêmes phénomènes.

Dans cette machine du monde si bien réglée, ce qui ne s’explique pas par la nécessité, n’a pas de sens: ce sont les caprices de la nature, ceux de l’homme et ceux de la destinée, c’est-à-dire les fléaux du monde physique, les volontés irraisonnables des mortels et les événements inopinés. Toutefois ces accidents ne portent aucune atteinte à l’immuabilité des lois universelles.

Je ne sais d’ailleurs depuis quand la machine subsiste ni combien de temps elle durera: les roues tournent et s’engrènent aujourd’hui comme elles l’ont fait hier, comme elles le feront demain; tout va son train sans que rien change; il n’y a, il ne peut y avoir rien de nouveau sous le soleil.

Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera,

il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Ecclésiaste 1: 9

Les phénomènes physiques sont produits par des causes physiques, les mouvements du corps par l’âme; rien ne se fait ici-bas par des êtres inconnus tels que les anges ou les démons, ni par l’intervention miraculeuse de la Divinité.

Pour plusieurs, il n’est pas même certain que Dieu soit; car l’astronome ne l’aperçoit pas au bout de sa lunette, le naturaliste ne le découvre pas sous son scalpel, le chimiste ne le voit pas sortir de son creuset.

On ne peut guère constater que l’existence de forces inhérentes à la matière, dont la plus noble est la vie.

L’âme même est-elle distincte de la vie?

Est-elle autre chose que l’efflorescence du corps, que l’harmonie résultant du jeu des organes?

Et la morale n’est-elle point le simple épanouissement des instincts physiques?

Nier formellement l’âme peut-être aller trop loin; les admettre semble plus conforme au bon sens; y croire d’une foi qui deviendrait la règle de toute la vie, serait du fanatisme.

Voilà le langage de la vue.


* * *


Voici celui de la foi, qui contemple l’invisible par les yeux de l’esprit.

DIEU SEUL EST D’UNE EXISTENCE ÉTERNELLE, NÉCESSAIRE, ABSOLUE;

TOUTES LES CHOSES FINIES NE SONT QUE SES ŒUVRES.


Infinie est sa puissance: d’un mot il appelle du néant l’univers, d’un mot il l’y fait rentrer, et tous les êtres, depuis l’insecte au soleil, ne subsistent avec leurs propriétés et leurs lois que parce qu’il les pense, les sent et les prononce sans cesse.

Infinie est sa sagesse: les mille, myriades d’astres ne sont dans leur totalité que l’expression d’une seule et même pensée, où chacun d’eux a sa place assignée et sa fonction particulière; ainsi la terre se relie par le soleil au monde des étoiles fixes et par celles-ci aux voies lactées; ainsi l’humanité est un anneau dans l’immense hiérarchie des êtres intelligents et libres.

Infinie est sa toute-science: comme nul être n’existe qu’autant que Dieu le pense, Dieu ne peut pas ne pas connaître à fond ses propres pensées; comme toutes ses pensées s’enchaînent et se complètent.

Il ne pourrait ignorer un seul être sans les ignorer tous; comme il est pur esprit, il est hors de l’espace et par là même il est ou nulle part ou partout; aussi toutes choses sont nues et entièrement découvertes à ses yeux, même chaque pensée du milliard d’hommes qui couvrent notre terre, et il n’est pas jusqu’aux cheveux de notre tête dont il ne sait le nombre aussi exactement qu’il connaît le nombre des étoiles.

Infinie est sa justice envers ses créatures intelligentes: en les créant à son image, il les a douées d’une liberté de Dieu, si bien qu’elles peuvent:

1. vouloir ce qu’il ne veut pas,

2. faire ce qu’il leur défend,

3. le fuir quand il les poursuit,

4. le haïr quand il les aime,

5. et se damner quand il les sauve;

mais aussi ses châtiments sont divins comme le sont nécessairement ses récompenses:

- à qui obéit à ses lois, il donne sa gloire propre et sa félicité;

- à qui lui résiste en face, il inflige la peine d’une mort éternelle.

Infini est enfin son amour, sa miséricorde: il suit, il dirige avec un cœur de mère les actes et les destinées de toutes les créatures et si, pour les sauver de la mort, il fallait sa propre mort ou, comme il ne saurait mourir, la mort de son Fils unique, il ne reculerait pas devant un tel sacrifice, car un amour qui ne va pas jusques à mourir pour qui l’on aime, n’est pas un amour infini.

Cependant, séduit par l’archange déchu, le premier homme avait péché, et par son péché avait introduit dans sa race le remords, la maladie, le trépas, dans la nature les fléaux dévastateurs.

Dieu, qui dans sa justice aurait pu abandonner le rebelle à la mort, LE LAISSE dans sa sagesse subir toutes les cruelles conséquences du péché, ET LUI PRÉPARE dans sa miséricorde un Sauveur en la personne de son Fils.

Jésus-Christ, qui sans le péché aurait été le second Adam et le père d’une humanité spirituelle, devient en outre la victime expiatoire et le restaurateur de l’humanité déchue. Il est ainsi le centre de toute l’histoire.

Depuis Adam et la chute, tout tend et aspire à lui; depuis sa venue, tout part de lui, et en même temps tout tend de nouveau à lui. Mais il ne devait paraître que lorsque l’humanité serait mûre pour le recevoir.

Dieu choisit un peuple où naîtra Jésus-Christ; à ce peuple il donne une loi révélée qui prépare les cœurs par LA REPENTANCE À SOUPIRER APRÈS LE PARDON QU’APPORTERA JÉSUS-CHRIST.

Il opère de nombreux miracles pour retenir Israël, dont le cœur est idolâtre, dans la voie directe de Jésus-Christ; il suscite chez la race élue de nombreux prophètes qui lui montrent dans l’avenir la lumineuse figure de Jésus-Christ, et les prophètes ainsi que les pieux patriarches et les rois pieux sont chacun des précurseurs et, avec le culte lévitique, les types de Jésus-Christ.

Cependant les nations païennes, abandonnées à elles-mêmes, à leur insu, sont dirigées de Dieu par la voie indirecte de la souffrance vers Jésus-Christ:

Leurs législateurs, en cherchant en vain à faire régner ici-bas la justice et la paix, prophétisent Jésus-Christ, qui seul donnera la justice de Dieu et la paix du ciel.

Les poètes, les artistes, qui tentent de reproduire la beauté idéale, prophétisent Jésus-Christ, qui est la beauté morale elle-même, parce que tout en lui est harmonie, force et mesure.

Les philosophes, en prétendant tous avoir trouvé la vérité, et en se contredisant tous, prophétisent Jésus-Christ, qui est tout à la fois le chemin (ou la méthode), la vérité et la vie.

Jésus paraît, accomplit en plein la loi,

révèle Dieu,

ressuscite les morts,

expire sur la croix,

ressuscite,

envoie son Esprit qui est l’Esprit de Dieu même,

et Juifs et païens reconnaissent en lui LE SAUVEUR DU MONDE, celui en qui sont oui et amen toutes les promesses que Dieu avait faites aux Juifs par ses prophètes, aux païens par les instincts confus de l’âme.


À dater de la fondation de l’église, les individus et les peuples se jugent eux-mêmes par leur attrait ou par leur répulsion pour Jésus-Christ.

Ils vivent dans la paix ou dans le trouble, dans la lumière ou dans les ténèbres, selon qu’ils acceptent ou rejettent l’Évangile.

Ils grandissent ou déclinent, vivent ou meurent avec leur foi; même, leur foi est pour l’observateur attentif la mesure de leur gloire scientifique et littéraire.

Cependant, Dieu dirige tous les événements du monde en vue de Jésus-Christ

Il laisse se former les monarchies universelles pour aplanir la voie aux messagers du Christ,

il les renverse les unes sur les autres, parce qu’elles persécutent le Christ et ses serviteurs,

et il prépare ainsi toutes choses pour les temps où le Christ régnera sur la terre entière, prosternée à ses genoux.

Ou le Dieu de Jésus-Christ ou le doute.

Ou la révélation ou le rationalisme.

Ou la foi ou la vue.

Ou le prétendu bon sens avec le matérialisme,

ou les mystères avec tout un immense ensemble de vérités sublimes.


Il faut choisir.

choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir...


MOI ET MA MAISON, NOUS SERVIRONS L’ÉTERNEL.

Josué 24: 15



 

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