Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

MORT SPIRITUELLE

FRÉDÉRIC DE ROUGEMONT

1869

***

Vous étiez morts dans vos fautes et dans vos péchés. Ephés. II, 1.


«Morts? non.... Malades? bien. Il y a chez les hommes inconvertis trop de bonheur, trop de talents, trop de vertu pour qu’il soit juste et vrai de les dire morts.»

J’ai, sur le bonheur, interrogé les païens. Ils m’ont répondu, par un de leurs mythes les plus anciens, que d’après la déclaration du vieux Silène, la mort valait mieux que la vie, et ne pas naître, mieux que vivre et mourir. Ils m’ont répondu par les écrits de Cicéron qui a résumé toutes leurs pensées, que tout homme qui respire est misérable, et qu’il n’est personne de vraiment heureux; que l’homme est né pour expier certains crimes; que la vie présente, ce qu’on appelle vie, est une mort, et que l’esprit ne commence à vivre que lorsque, délivré de son corps, il est en possession de l’éternité.

J’ai, sur le talent, interrogé les poètes modernes, et Théophile Gautier, dans la force de l’âge, m’a dit:

Je n’aime rien, parce que rien ne m’aime,

Mon âme usée abandonne mon corps,

Je porte en moi le tombeau de moi-même

Et suis plus mort que ne sont bien des morts.

Ce même poète, dans sa comédie de la Mort dans la vie, distingue les morts du corps et les morts de l’âme:

Aux uns. . . le cercueil avide. . . le palpable néant, ...

Aux autres, que l’on voit, sans qu’on s'en épouvante,

Passer et repasser dans la cité vivante

Sous leur linceul de chair,

L’invisible néant, la mort intérieure

Que personne ne sait, que personne ne pleure,

Même votre plus cher.

J’ai, sur la vertu, interrogé de nouveau les païens. Héraclite répond au nom des Grecs:

«Tout d’autant qu’il y a d’hommes sur la terre, ils se détournent du chemin de la vérité et de la justice, et poursuivent, sans jamais s’assouvir, les richesses et la vaine gloire, enchaînés qu’ils sont par une folie désespérée.»

Au nom des Romains, Perse s’écrie:

«O âmes courbées vers la terre et vides des choses célestes.» L’âme, vide de Dieu, n’est-elle pas morte?


L’homme que dévore une soif insatiable de biens périssables,

n’est-il pas atteint d’une maladie mortelle?


Saint Paul a raison:

HORS DE CHRIST, NOUS SOMMES MORTS DANS NOS PÉCHÉS:

morts, parce que la seule nourriture qui puisse faire vivre éternellement notre âme, c’est:

- la vérité divine,

- la sainteté divine,

- l’amour divin,

- c’est Jésus-Christ, le pain de vie descendu du ciel, c’est Dieu;

morts, parce que le péché, tel qu’un poison lent, tue les unes après les autres toutes nos facultés;

morts, parce que la colère de Dieu pèse sur nous et qu’elle consume ceux qu’elle atteint.

Il y a dans la mort spirituelle de l’homme inconverti des abîmes de condamnation, de corruption et de ténèbres, qu’un saint Paul seul pouvait sonder de ses regards.





- Table des matières -