Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PRIÈRE DU COEUR

Société des Traités Religieux (Paris)

1829

***

Il est impossible de s’occuper de ce divin commerce, dans lequel l’homme aspire à entrer avec le Tout Puissant, des grâces, des douces jouissances qui y sont attachées, sans éprouver quelque émotion, quelque attrait, quelque désir d'y participer.

Mais, chez la plupart des hommes, ces mouvements sont passagers et restent sans effet.

Après avoir contemplé avec admiration, peut-être avec une secrète envie, le fidèle qui s'entretient avec l’Être infini, avec le Dieu créateur, bienfaiteur, rédempteur, et qui, dans ces heureux moments, fait descendre le ciel sur la terre, on n’en demeure pas moins séparé du Seigneur, le cœur et les pensées ne se portent pas vers lui plus qu’auparavant: on peut même rester dans cet état de mort avec une sorte de tranquillité.

D’où vient cela?

De mille prétextes que LES PASSIONS DE LA TERRE et L'ENNEMI DE NOTRE ÂME élèvent comme une barrière entre nous et notre Dieu.

On ne peut tous les réfuter ici; mais il en est un plus absurde, plus révoltant, s’il est possible, que tous les autres, et qui pourtant est celui qu’on allègue le plus souvent et par lequel on se rassure davantage.


Nous n’avons pas le temps de prier, disent un grand nombre de personnes.

À l'abri de cette excuse, qui leur semble très légitime:

elles se persuadent qu’elles sont sans reproche en négligeant le devoir de la prière.


Vous n'avez pas le temps de prier, dites-vous?

Eh! pourquoi donc le temps vous a-t-il été donné?

Quel est le but de cette vie dont vous jouissez?


Est-ce seulement de pourvoir à vos besoins corporels, de goûter quelques plaisirs frivoles et fugitifs?

N’est-ce pas avant tout de chercher le royaume de Dieu et sa justice (Matth. VI, 33),

de vous assurer l’éternelle félicité, ce riche héritage que Jésus-Christ nous a mérité par son sang, et qu’on obtient par la foi, la vigilance et la prière?

Si vous disiez que, tout occupés du soin de combattre vos passions, de surmonter vos mauvais penchants, de purifier votre âme, de vous préparer pour le ciel, vous avez à peine le temps de vaquer à vos affaires temporelles; ce langage, bien nouveau sans doute, bien étrange aux yeux de l’homme charnel, serait plus raisonnable et plus conséquent à ceux du chrétien.

Vous savez, dans l’occasion, négliger une bagatelle pour atteindre un but plus important.

Vous savez abandonner un gain médiocre pour un profit plus considérable.

Si l’on venait vous dire qu’un trésor est caché dans vos champs et qu’il faut vous hâter d’en prendre possession de peur qu’on ne vous le ravisse, vous courriez aussitôt; vous seriez fort éloignés de répondre que vous n'avez pas le temps.

Et cette perle de grand prix, ce trésor (Matth. XIII, 44-46), dont parle notre divin maître, ce royaume du ciel, pour lequel il faudrait tout sacrifier si cela était nécessaire, vous n’avez pas même le temps de prier pour qu’il vous soit accordé!

Grand Dieu! par quelle fatalité des hommes si clairvoyants, si judicieux pour des objets d’un jour, sont-ils frappés d’aveuglement et de vertige, lorsqu’il s’agit des choses invisibles et éternelles?


Vous n’avez pas le temps de prier!

Ah! LORSQUE VOUS VOUS RÉVEILLEREZ DANS L’ÉTERNITÉ, au bruit de la dernière trompette, à la lueur des mondes embrasés, à la voix de celui qui fut votre Sauveur et qui ne sera plus alors que votre juge; lorsqu’il vous demandera compte de ce temps qu’il vous a donné pour vous préparer à son avènement, oh! alors, que penserez-vous du langage que vous tenez maintenant?

Vous applaudirez-vous d’avoir consumé ce temps précieux dans la poursuite d’objets périssables?

Vous applaudirez-vous de ces spéculations qui vous font négliger pour la terre les soins de l’éternité?


Vous n'avez pas le temps de prier!

Mais prenez garde que cette excuse renferme un blasphème!

Le commandement de la prière s’adresse à vous comme à tous les chrétiens; vous êtes forcés d’en convenir. Or, prétendriez-vous que le Dieu qui vous l’impose a mal connu votre position, a mal jugé de vos affaires et de vos facultés?


Vous n'avez pas le temps de prier!

Est-il donc inutile, même pour vos intérêts temporels, d’implorer la bénédiction de celui qui donne et qui ôte les forces et l’intelligence, qui renverse nos espérances ou qui les couronne, qui, lorsque nous plantons et que nous arrosons, donne seul l’accroissement?

Est-ce là une précaution que vous puissiez négliger impunément? *

Mais encore, est-il donc réellement impossible dé trouver du temps pour remplir tous nos devoirs?

N’est-ce pas ce que font, sous vos yeux, des hommes non moins occupés que vous, mais plus religieux et plus sensibles?

N’est-ce pas ce qu’ont su faire, dans tous les temps, ces saints hommes, un Moïse, un Josué, un David, qui, chargés de grands et nombreux travaux, cherchaient cependant et trouvaient dans la prière les lumières dont ils avaient besoin pour se diriger, et la force de soutenir le fardeau de tant de soins?

C'est dans ces doux entretiens avec le Seigneur que leur âme se délassait, se rafraîchissait, renouvelait ses facultés.

Où prenaient-ils le temps de s’y livrer?

C’est qu’on en trouve toujours pour ce qui plaît.

Vous-mêmes, qui prétendez être si occupés, n’avoir pas le temps de prier, répondez-nous de bonne foi.

N’en dépensez-vous jamais en parties de plaisir, en courses inutiles, en soins superflus que multiplient l’ambition, l’intérêt, la vanité?

Soins, hélas! qui vous tourmentent pour néant, qui vous abusent et vous perdront peut-être.

Ne trouvez-vous pas toujours du temps pour la conversation la plus vaine, pour les objets de curiosité les plus frivoles?


Ah I si vous aimiez à prier, vous en trouveriez aisément pour la prière.

Mais ces vaines excuses, tout absurdes qu’elles sont, ont cependant quelque chose de spécieux qui pourra toujours faire illusion au grand nombre.

IL FAUT DONC ALLER À LA RACINE DU MAL; il faut détruire d’un seul coup tous ces misérables prétextes, en vous apprenant une prière qui, loin de nuire aux exercices de dévotion pratiqués au sein de vos familles, ou dans vos églises, vous les rendra plus chers et plus salutaires; une prière qui demande fort peu de temps, qui se mêle à toutes les occupations de la vie sans en interrompre le cours, la véritable prière:


la Prière du Coeur;


cette élévation de l’âme, ce mouvement qui la porte vers son Dieu

pour lui marquer sa confiance,

pour implorer sa miséricorde,

pour célébrer sa grandeur, s’anéantir en sa présence,

et toujours pour lui adresser d’humbles supplications et d’ardentes actions de grâces.

Tous les saints ont connu et pratiqué celte prière du cœur, par laquelle l’homme religieux se tourne vers son Dieu en toute occasion, en tout lieu, en tout temps, et du milieu même des travaux de la vie.

J'ai péché (2 Samuel XII, 13), s’écrie David, rappelé à lui-même par les paroles de Nathan, et cette voix du repentir a déjà pénétré jusqu’au trône de la miséricorde.

Ayez pitié de moi (Matth. XV, 22), s’écriait la Cananéenne en suivant les pas du Sauveur, et c’en est assez pour obtenir la délivrance de sa fille.

«Beauté si ancienne et toujours nouvelle, je vous ai connus trop tard!» répétait Saint-Augustin.

Un respectable évêque, parcourant son diocèse, rencontra une pauvre femme, qui, pour toute prière, ne savait que joindre les mains en levant les yeux au ciel. Priez toujours ainsi, lui dit ce bon pasteur. C'est que ce mouvement par lequel nous nous élevons à Dieu est précisément ce que Dieu veut de nous.


La droiture de l'intention, la force, la sincérité, l’abandon du sentiment,

voilà ce qui plaît au Seigneur, voilà ce qui le touche.


C'est dans ce sens que Saint-Paul nous dit: Priez sans cesse (1 Thess. V, 17).

Il n’entendait sans doute pas que, laissant les soins de notre vocation, nous fussions toujours occupés à présenter à Dieu des supplications et des prières.

Il savait que le royaume de Dieu ne consiste pas dans l’abondance des paroles;

il savait qu’il ne faut à l’homme qu’un instant, UN SIMPLE ÉLAN DU CŒUR, pour s’approcher de Dieu, pour s’unir à lui.

Ce mouvement peut se passer du secours de l'expression; quelquefois une simple parole l’accompagne: «Ô mon Dieu! Ô mon Père! je suis à toi; je t'appartiens.»

Ces mots semblent bien peu de chose, mais ils sont pour l'âme d’un effet merveilleux. Ils ranimeront en elle le souvenir des choses célestes dont l’oubli est ce qui la perd; ils affaibliront l’influence fatale des objets périssables; ils l’uniront au Seigneur.


Cette prière du cœur n’a pas besoin de variété.

LE CŒUR NE PEUT PARLER À DIEU QU’AVEC AMOUR, et le caractère de l'amour, c’est le plaisir de répandre son âme, d’exprimer ce qu’on sent, sans penser à varier ce que l’on dit.

On raconte d’un saint homme, que sa prière n’était autre chose qu’une méditation habituelle sur les bienfaits de Dieu, méditation dont il sortait pour prononcer toujours les mêmes paroles: «ô bonté! ô bonté infinie!» Il y en avait assez pour Dieu et pour celui qui l'adorait.

Voulez-vous cependant user de prières qui, sans demander plus de soins et de loisir, aient plus de variété, et s'appliquent directement aux situations diverses où vous vous rencontrez?

Les livres saints vous en offriront un fonds inépuisable.

Lassés des voies de l'iniquité, sentez-vous le désir de revenir au Seigneur, d’obtenir votre pardon?

Dites avec le publicain: ô Dieu! aie pitié de moi qui suis un grand pécheur (Luc XVIII, 13);

ou avec le fils prodigue: Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi (Luc XV, 18).

Une tentation violente vient-elle vous assaillir? Empruntez le langage des apôtres: Seigneur, sauvez-nous, nous périssons (Matth. VIII, 25).

Quelque danger vous menace-t-il? Fortifiez votre courage par ces mots du psalmiste: L'Éternel est pour moi, que me fera l'homme mortel (Ps. CXVIII, 6)?

Souffrez-vous dans votre corps ou dans votre esprit quelque douleur cruelle? Dites avec le Seigneur: Mon Père y s’il était possible que cette coupe s'éloignât de moi! Cependant que ta volonté soit faite, et non pas la mienne (Matth. XXVI, 39).

Vous pouvez dire, quand la prospérité entre dans votre demeure: Qu'est-ce que l'homme mortel que tu en prennes soin (Ps. VIII, 4)!

Et quand Dieu vous enlève quelqu'un des objets de votre affection: L'Éternel l’avait donné, l’Éternel l’a ôté; que le nom de l'Éternel soit béni (Job I, 21). Je me suis tu et je n'ai point ouvert la bouche, parce que c’est toi qui l'as fait (Ps. XXXIX, 9).

En contemplant la terre parée de ses richesses: Ô Dieu! tu couronnes l'année de tes biens (Ps. LXV, 11);

et lorsque l’hiver dépouille nos campagnes de tout ce qui les embellissait: La vie de l'homme est comme l'herbe et toute la gloire de l'homme connue la fleur de l'herbe (1 Pierre I, 24).

Êtes-vous fatigués des travaux de la vie, de la pénible uniformité de tout ce qui se passe sous le soleil, et surtout de la vue des désordres qui souillent la terre et troublent la société? Dites alors: Je désire d'être avec Christ, ce qui m'est bien plus avantageux (Philippiens I, 23). Oui, Seigneur Jésus, viens, viens, bientôt (Apoc. XXII, 20).


Ces prières et d’autres du même genre que nos Livres Sacrés nous fourniront en abondance, suivant la disposition de notre âme et notre situation dans ce monde, ces prières n’ont rien qui ne soit à la portée de tous ceux à qui Dieu s’est fait connaître.

Elles ne demandent ni préparation, ni circonstance favorable.

Elles ne nous obligent pas à nous retirer à l’écart, à venir aux pieds des autels, à quitter le travail qui nous est imposé, à rompre une conversation, une visite où la bienséance nous retient.

Partout et à toute heure on peut élever son âme à Dieu!

Celui qui prendra cette heureuse habitude, de s’entretenir avec Dieu, de penser à lui dans tous les moments, quels avantages précieux il eu retirera!

Elle charmera ses travaux et embellira sa vie.

Il y a je ne sais quelle agitation, quelle inquiétude attachée aux occupations terrestres, aux choses de ce monde. Quelquefois nous commençons la journée avec un esprit calme et serein; mais à peine entrés dans le mouvement des affaires, nous nous sentons emportés comme par un tourbillon rapide; mille soucis se réveillent, mille pensées inquiètes se forment au-dedans de nous-mêmes: quelquefois l'humeur nous domine malgré nous: ainsi se corrompt toute la douceur de notre vie.


Pour se préserver de ce poison attaché aux choses terrestres..., l’homme pieux entretient un fréquent commerce avec son Dieu.

C’est là le vrai secret de conserver le calme et la paix.

Les peines, les fatigues semblent légères, quand on les supporte auprès d’un ami; et il n’en est pas d’aussi sûr, d’aussi fidèle que Dieu.

Quel n’est pas le privilège du chrétien qui charme ses travaux en s’entretenant avec son Dieu, qui l’entend lui répondre par cette douce voix dont parle l’apôtre, et l’assurer qu’il est son enfant (Rom. VIII, 16). Alors il sent couler en lui-même une source de joie et de consolation que rien ne peut tarir.

En se garantissant par une impression si douce des impressions fâcheuses que laissent le tracas et le mouvement de la vie, il se met à l’abri des tentations et des écueils attachés à ces travaux.

Leur plus grand inconvénient, c’est qu’ils réveillent presque nécessairement des projets, des désirs, tout relatifs à cette terre; des projets d’ambition, de sensualité, d’intérêt. Ainsi, séduits et entraînés en même temps qu’agités et distraits, nous tombons, sans y réfléchir, dans un grand nombre de fautes.

Mais l’homme qui, dans tout ce qu'il fait, dans tout ce qu’il voit, dans tout ce qu’il entend, prend occasion de s’élever à Dieu; l’homme qui se place sous les regards du Saint et du Juste, qui voit sans cesse les yeux de l’Éternel attachés sur lui; UN TEL HOMME EMPÊCHE LES PASSIONS TERRESTRES DE FERMENTER DANS SON SEIN: il est retenu puissamment dans les voies de la droiture.

Il y a plus: non seulement il acquiert la force de résister au mal, mais il apprend à faire le bien comme il faut, parce qu'il y joint la pensée du grand Être à qui tout doit se rapporter.


Malheureux que nous sommes! ce n’est pas assez que chaque jour, par mille et mille péchés, nous grossissions le registre fatal qui fera un jour la matière de notre jugement, nous perdons encore le peu de bonnes œuvres qui s’y mêlent, parce qu’en les faisant nous n’avons que des vues humaines, nous ne suivons que nos penchants, notre fantaisie; nous ne songeons point à Dieu; nous ne les rapportons point à Dieu.

Et pourquoi dépouillons-nous ainsi la vertu de son charme et de sa pureté?

Pourquoi nous privons-nous nous-mêmes de l’inexprimable douceur de l'offrir à notre Père céleste, à notre divin Sauveur, de jouir de son approbation, de sa bienveillance?

C’est que, toujours préoccupés des choses visibles, nous ne l’apercevons point! Il est loin de nos pensées.

Mais si nous savons nous le rendre présent par une prière habituelle et familière, il tiendra dans notre vie la place qu’il doit y tenir; il deviendra le point central de nos pensées et de notre âme, comme il est celui de l’univers.

Ainsi, nous disposerons (et c’est là l’effet à la fois le plus sûr et le plus important de la prière habituelle du cœur) nous disposerons notre âme à recevoir les divines influences de la grâce qui seule peut créer en nous la puissance du bien et donner l’efficace pure, réelle, constante à nos bonnes résolutions.

Serait-il quelqu'un qui pût se refuser à remplir un devoir si pressant, si sacré, dont l’exécution est si aisée, si douce, si avantageuse?

S'y refuser! personne sans doute n’oserait le dire et ne saurait alléguer d’excuse pour le faire. Mais il est des cœurs tièdes et languissons, sur qui les raisons les plus solides, les motifs les plus puissans demeurent sans effet,parce qu’il faudrait trouver en eux le goût de piété que l’homme ne saurait donner. C’est donc à toi que j’aurai recours, Auteur de toute grâce.

Ô Dieu de bonté! donne-nous la volonté, le désir de t’invoquer.

Donne-nous cet Esprit de grâce et de prière que tu nous promets dans ta parole, cet Esprit qui nous aide dans nos faiblesses; car nous ne savons pas ce qu'il faut demander pour prier comme il faut, cet Esprit qui intercède pour nous par des soupirs qui ne se peuvent exprimer (Rom. VIII, 26); cet Esprit qui rend les enfants, même les moins instruits, des hommes éloquents.

Ah! quand une fois il s’est emparé d’un cœur, il n’est pas besoin de le presser pour s’entretenir avec Toi: c’est là sa nourriture; c’est là sa vie.

Ô Dieu! ce sentiment précieux, ce don inestimable de ton amour, n’appartient qu’au petit nombre.

Répands-le sur nous; fais-nous sentir à tous la douceur de la prière, en sorte que nous y trouvions les vrais biens et les plaisirs purs.


 
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