Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

Les Vaudois des vallées italiennes.

ARTICLE I. - L'INQUISITEUR JEAN ALBERT DE CASTELLAZO.

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Sur le versant italien des Alpes, dans les vals de Luserne, d'Angrogne, de Pragela et autres, les Vaudois avaient subi des épreuves analogues à celles de leurs frères de France, mêlées, si les récits en sont bien authentiques, à des intervalles de répit, malheureusement aussi, à des actes de vengeance, non moins contraires à leurs propres doctrines qu'aux enseignements officiels de leurs persécuteurs. L'inquisiteur dominicain Jean-Albert de Castellazo, sur la nouvelle d'assemblées assez nombreuses de Vaudois à Angrogne, se rendit dans cette vallée. Son arrivée y occasionna des troubles.

Le curé d'Angrogne, soupçonné d'avoir dénoncé ses paroissiens, fut tué ; l'inquisiteur, assiégé dans son château, dut battre en retraite et suspendre son enquête (1331) (1).
Il parait qu'à Angrogne, d'autres hérétiques que les Vaudois peut-être des cathares, faisaient également de la propagande. La bulle de Jean XII, qui nous apprend ce détail, nous fait connaître un autre point intéressant. C'est la présence dans les assemblées vaudoises d'un prédicateur ambulant, Martin Pastre, qui, passant tantôt sur un versant des Alpes, tantôt sur l'autre, allait de val en val encourager ses coreligionnaires. Il tomba entre les mains de l'inquisiteur franciscain de Marseille, Jean de Badès, preuve qu'il poussait son ministère jusqu'en Provence, où nous trouverons, en effet, plus tard, des communautés vaudoises. On ne sait quel fut le sort de ce pasteur.


ARTICLE Il. - ALTERNATIVES DE PERSÉCUTION ET DE TOLÉRANCE.

Pierre de Ruffia, successeur de Castellazo, ne perdit pas de vue les sectaires alpins (1351) ; moins heureux que son prédécesseur, il tomba sous le fer d'un assassin à Suse (2). L'office d'inquisiteur n'avait donc pas que des charmes (1365). Mais on le considérait comme un honneur, périlleux sans doute, si utile cependant à l'Église et au bien des âmes, que les religieux ne manquaient jamais pour le remplir. D'un troisième inquisiteur, nous savons qu'il excita le zèle des seigneurs de Luserne et des princes d'Achaïe, seigneurs de Pignerol, auxquels il signala un certain nombre de suspects (3). Le destin de ces derniers nous échappe (1534). Ce moine ne semble pas avoir éprouvé les mésaventures de tant de ses confrères. Tandis que le Père Antoine Pavoto de Savigliane, inquisiteur dans la vallée, tué au moment où il sortait de l'église de Briquéras (1374) (4), montre que l'Inquisition et les hérétiques ne s'endormaient, ni les uns, ni les autres. Les assassins étaient-ils des Vaudois, des Cathares ou de simples brigands, on ne le sut pas, car ils ne furent pas découverts.

Le XIVe siècle s'écoula ainsi dans les vallées piémontaises, entre des poursuites plus ou moins fructueuses, et les efforts des sectaires pour y échapper. Il ne parait pas au reste y avoir eu beaucoup d'exécutions par le feu : plutôt des amendes, d'autres pénitences, quelques exhumations et crémations de cadavres (5).

Parmi les renseignements épars, assez difficiles à concilier, que nous possédons sur les hérétiques des Hautes-Alpes, il en est qui nous montrent, du moins chez les Vaudois italiens, la tendance que nous avons signalée chez leurs frères de France, de s'adresser au Saint-Siège et d'en obtenir des brefs d'absolution. Nicolas V, par exemple, leva l'interdit lancé sur Luserne, en accordant l'absolution même aux relaps réitérés (1453) (6). D'un autre côté, les Vaudois dirigeaient aussi leurs plaintes vers les princes de Savoie : ils leur demandaient secours contre les inquisiteurs et contre leurs seigneurs immédiats coupables, disaient-ils d'injustices et de cupidité. Sur le sentiment des princes suzerains, nous ne pouvons cependant avoir de doutes, en voyant à Coni leurs officiers prêter leur concours aux inquisiteurs et brûler vingt-deux Vaudois (7). Catholiques, les princes de Savoie l'étaient, en catholiques ils voulaient agir. Même s'ils prenaient la défense de leurs sujets traités injustement, ils n'entendaient nullement favoriser les hérétiques.

On le vit bien dans la suite. Comme l'inquisiteur Jean-André d'Acquapendente avait pris un arrêté ordonnant la confiscation des biens des Vaudois de Luserne, imposant aussi une amende à quiconque leur vendrait ou leur achèterait pour plus d'un florin (1475), le Podestat de Luserne, tout comme les châtelains des environs, fit la sourde oreille. Ils refusèrent tous de faire publier le décret inquisitorial. Afin de vaincre leur résistance, il fallut s'adresser à la duchesse de Savoie, Yolande, veuve du bienheureux Amédée IX, qui par son intervention les contraignit d'obéir (8).

Il se fit aussi, si l'on en croit les traditions locales plus que les documents écrits assez contradictoires (9), il se fit, dis-je, sous le duc Charles 1er de Savoie une véritable expédition armée contre les habitants du val Luserne, avec les prouesses bibliques, les actes de férocité, toutes les scènes habituelles des guerres religieuses. Expédition assez stérile au fond, car elle se termina par un compromis entre le duc et ses tenaces sujets (1484). Ballottés ainsi par des fortunes diverses, soutenus toujours, dirigés par leurs intrépides Barbes, les Vaudois des Alpes, passant des moments de persécution à des heures plus calmes, arrivèrent aux temps de la Réforme.


(1) Bulle de Jean XXII. du 8 juillet 1332 ; Ripoll, t. I, 196 ; Rorengo, Memorie historiche, p. 16 ; Comba, p. 355 sq. ; Raynald, 1332, 31.

(2) Turletti, Storia di Savigliano, III ; Novellis, Biografia saciglianese, Turin, 1810, p. 17 ; Comba, p. 358

(3) Cet inquisiteur exerçait ces fonctions avant la mort de Pierre de Ruffia, peut-être, avec lui. Comba, 358.

(4) Comba, p. 361, 460.

(5) Comba, p. 362 sq. ; Boffito, Gli eretici in Piemonte, p. 9 sq., 41 sq.

(6) Comba, p. 367 ; Rorengo, Mém. hist., p. 19.

(7) Chronique - de Coni, dans les Miscell. della Soc. Itali., XII, 279 Comba, p. 461.

(8) Rorengo, Mem. hist., 22 sq. ; Borelli, Editti antichi e nuovi, Turin, 1681, IIIe partie, p. 1260 ; Comba, p. 368, sq.

(9) Hahn, t. II, p. 162 sq. ; Leger, t. II, p. 7 ; Brez, t. I, p. 17 Perrin, p. 116.
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