Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Dorothée Trudel

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par Sophie Vinet


Le nom de Dorothée Trudel a été connu d'un grand nombre de personnes en Suisse et en Allemagne. Elle a été l'objet de beaucoup de préventions de la part de ceux qui ne l'ont connue que de nom, et de beaucoup de haine de la part de ceux dont elle heurtait les idées ou troublait la sécurité. Lorsque Dieu suscite une personne extraordinaire, il a un but particulier qu'on ne reconnaît souvent qu'après sa disparition.

La mère de Dorothée était une femme pieuse Demandée en mariage à l'âge de 24 ans par un homme qui lui avait toujours inspiré de la crainte, elle l'avait refusé plusieurs fois. Mais comme elle était belle et de plus connue pour son dévouement, il persista dans sa recherche. Le père et la sœur de cet homme étaient des gens pieux et la jeune fille les aimait beaucoup. Pour l'amour d'eux, elle finit par accepter ce mariage.

Mlle Trudel a raconté elle-même l'histoire de sa mère.

«Il est triste, dit-elle, de repasser dans son souvenir les souffrances d'une mère comme la mienne; mais je dois dire à la gloire de Dieu que durant les vingt-sept ans que je l'ai connue, je ne lui ai pas entendu proférer une seule plainte. Nous ne pouvions concevoir comment elle pouvait rester toujours si sereine et conserver au milieu de tant de difficultés un si joyeux courage; moi surtout, qui avais malheureusement l'humeur impétueuse et colère de mon père, je ne comprenais pas la patience avec laquelle elle supportait ses injustices. Lorsque je voyais ma mère douce et amicale avec lui et sachant toujours nous montrer en lui un bon côté, tandis que nous ne voyions que méchanceté, je m'écriais: — 0 mère! comment peux-tu parler ainsi? Si j'avais un tel mari, je m'y prendrais bien autrement; tu le gâtes; au lieu de lui montrer ses torts, tu ne fais que prier. — Enfant, répondait-elle, un jour tu me comprendras. Mon mari est mon bienfaiteur, c'est lui qui m'a appris à ne m'attendre qu'au Seigneur, et à nous remettre nous-mêmes uniquement à sa garde. Si vous ne voulez pas reconnaître que le Sauveur nous bénit en brisant notre volonté, vous me préparez encore plus de chagrins que votre père ne m'en cause à présent. Ma tâche est de prier afin que la verge dont Dieu se sert ne soit pas jetée au feu éternel; quant à l'épreuve, j'en bénirai Dieu toute ma vie. — Comment bénir Dieu d'une telle épreuve? répliquai-je. — Mon cœur ne pouvait consentir à une telle acceptation, mais l'exemple de ma mère triompha enfin.

«Nous étions onze enfants, et comme nos ressources étaient très bornées, nous fûmes élevés dans une grande simplicité; en ceci nous comprenions mieux notre mère, et malgré bien des privations, notre jeunesse fut douce et joyeuse. En dépit des scènes violentes de mon père, la paix habitait notre humble toit, grâce sans doute à la constante prière de ma mère en faveur de son mari et de ses enfants.

«Notre nourriture était fort simple et uniforme; mais nous nous portions aussi bien que les enfants les mieux nourris, et quand nous rapportions à notre mère combien de bonnes choses les autres enfants mangeaient, elle nous disait de rendre grâces à Dieu de ce que nous avions le nécessaire, tandis que tant d'autres en étaient privés. Souvent il n'y avait rien dans la maison; personne ne le savait que ma mère et Celui qui nourrit les oiseaux des champs, et qui ne nous abandonna jamais. Nous fîmes dans ce genre les plus douces expériences; aussi le mot d'ordre de ma mère était-il: Prier et non mendier. Enfants, disait-elle, il est écrit: Celui qui se confie en l'Éternel ne sera jamais confus. Un jour l'un de nous avait dit que si notre père ne changeait pas de conduite, nous serions tous ruinés et il avait terminé par cette boutade: — Mère, tu ne dirais rien, quand même tu nous verrais tous réduits à mendier. — Cela n'arrivera jamais, répondit-elle avec assurance, car la Parole de Dieu est plus ancienne que nous, et David dit: J'ai été jeune et je suis devenu vieux, mais je n'ai jamais vu le juste abandonné, ni sa postérité réduite à mendier son pain! Enfants, travaillez et priez, et vous ne manquerez de rien.

» Quoique conduits sur le chemin de la foi, nous n'y marchions pas nous-mêmes. Si nous avions eu les yeux ouverts, nous aurions mieux compris la Bible, et mieux reconnu dans notre vie le Dieu vivant qui s'y montre dès le commencement. Nous n'avions pourtant pas de peine à croire que les habits et les souliers des Israélites ne se fussent point usés pendant les 40 ans de marche à travers le désert, car nous étions nous-mêmes l'application vivante des promesses contenues dans Deutéronome XXIX, 5; Deut. VIII, 4; Néhémie IX, 21.

» Nous n'avions point d'autre livre que la Bible, et ses histoires nous devinrent peu à peu si chères que, quoique nous les sussions presque par cœur, nous aimions toujours à les relire. Ce fut presque notre seule instruction; car nous ne fréquentâmes l'école que fort peu de temps, le travail de chacun étant nécessaire à tous. Ma mère aussi aimait la Bible par-dessus tout; mais elle ne pouvait la lire que le dimanche. Nous étions bien assujettis. Dès l'âge de neuf ans je dus travailler du matin au soir, sans heures de récréation. Quoique nous eussions bien aimé courir à l'air comme nos petits voisins, nous étions néanmoins heureux et contents. Les discours de ma mère et les prières à haute voix dont elle accompagnait son travail nous faisaient vivre dans une atmosphère de paix et de sainteté. Elle ne permettait aucune médisance, aucun commérage, et jamais elle ne répétait les nouvelles du village. Elle parlait peu, mais sa vie agissait en nous, et sa parole était accompagnée de la puissance de Dieu dans les coeurs; elle a souvent atteint le mien comme une flèche. Sans cesse elle nous remettait entre les mains de Dieu et il me semble encore l'entendre répéter: «Je t'en prie qu'aucun d'eux ne manque au dernier jour.»

» Quoique je fusse la cadette, je me rappelle une foule de prières exaucées. Une entre autres m'a particulièrement frappée. Ma tante qui vivait avec nous et nous était d'un grand secours, tomba gravement malade. Tous les symptômes d'une fin prochaine étant là, elle se prépara à la mort et prit la sainte cène. Peu après elle perdit tout mouvement, il ne lui restait que la parole. Elle avait des visions célestes, et lorsque le soir on apporta la lampe, elle s'écria: Quelle idée, lorsqu'une telle clarté nous environne! Ma mère comprit qu'elle allait mourir, et, se jetant à genoux, elle pria Dieu avec instance de lui laisser cette précieuse soeur jusqu'à ce que sa fille aînée fût en état de la seconder. Vers minuit, ma tante qui avait été longtemps immobile et muette, dit tout à coup: Je vois bien qu'il me faut rester encore dans celte vallée de larmes pour être avec toi. En effet elle vécut encore quinze ans, jusqu'à ce que ma sœur aînée put être utile à ma mère. Cette chère tante s'était entièrement donnée à nous et travaillait jour et nuit pour que nous ne manquassions de rien. Elle s'était dépouillée de presque toute sa garde-robe pour nous habiller. Déjà en 1770, lors d'une grande famine, ayant à peine 48 ans, elle s'était consacrée à son père et à ses jeunes sœurs, travaillant pour eux jour et nuit. — N'aie aucune crainte, lui disait elle, je n'abandonnerai jamais tes enfants; j'aimerais mieux souffrir moi-même de la faim que de les laisser manquer du nécessaire. — En effet, pendant plusieurs années, elle ne se nourrit que de lait et de pommes de terre, tandis qu'elle apprêtait à son père une nourriture fortifiante.

«Au milieu des épreuves de ma pauvre mère, Dieu lui avait préparé un secours efficace dans la personne de cette belle-sœur et de son père, qui étaient tous deux animés d'une vraie piété. Ils furent toujours un cœur et une âme avec elle et partagèrent toutes ses souffrances avec une chrétienne résignation. Leur travail réuni subvint aux besoins de notre nombreuse famille. Si l'un de nous tombait malade, il était porté par eux aux pieds du Sauveur. Notre mère n'avait de médecin que Lui, et de remèdes que la prière. Même lorsque je pris la petite vérole et que je fus menacée de perdre la vue, on n'en dit rien à personne. Ma mère le fit savoir à mon père, mais il resta au cabaret sans se soucier de moi. Elle n'en témoigna aucune humeur, mais pria avec ferveur pour lui, pour nous, et surtout pour l'enfant malade; et je recouvrai la vue et la santé. Une autre fois un de mes frères à la suite d'une grande frayeur prit des attaques d'épilepsie. Mon père était encore absent. — Je connais ce mal, nous dit ma mère; c'est la plus grande épreuve qui pût nous être envoyée, mais Celui qui guérit le lunatique en Judée vit encore. Ne dites rien à personne et prions.

» Lorsqu'elle parla à mon père de ce nouveau coup, celui-ci, qui ne voulait pas être dérangé dans ses plaisirs, se moqua d'elle et dit que sans doute c'était un rêve. — Eh bien! lui dit ma mère, je prie Dieu que Jean ait un troisième accès devant toi, mais aussi que ce soit le dernier. — Huit jours après l'enfant tomba aux pieds de son père, écumant et se débattant. Mais ma mère avait été doublement exaucée: cet accès fut le dernier, et il n'en eut de nouveaux symptômes que trente-quatre ans après.

» À une époque de grande détresse, que nous ne croyions connue que de Dieu seul, un pasteur s'adressa à ma sœur aînée, qui était devenue un appui pour nous tous, et lui dit: — Que vous agissez follement, votre mère et vous, délaisser aller les choses ainsi. Votre mère ne doit pas abandonner à son mari la disposition de tout votre bien; elle doit porter plainte devant les tribunaux.

Nous n'entendons jamais notre mère se plaindre de lui, répondit ma sœur; elle nous a fait prendre la même habitude, dans la pensée que ce que Dieu permet nous est bon, et que nous devons accepter les choses, non comme venant de notre père, mais de Dieu. S'il permet que nous soyons chassés de notre maison, il nous en ouvrira une autre où il nous accompagnera de sa bénédiction.

C'est aussi Dieu, répliqua le pasteur, qui a permis à Napoléon de faire beaucoup de mal. Sur qui compte donc votre mère?

Sur Dieu seul, monsieur le pasteur; elle dit que nous ne savons pas comment il nous aidera, mais que nous avons l'assurance qu'il le fera.

Mais il faut aussi écouter la voix de la raison.

La Bible ne parle pas de raison; elle dit: Celui qui croit ne sera point confus.

» Lorsque ma sœur rapporta cet entretien à ma mère: — Mes enfants, nous dit-elle, croyez-moi, ne vous adressez pas aux hommes, mais à Dieu seul. Malheur à l'homme qui se confie en l'homme et qui de la chair fait son bras; mais béni soit l'homme qui se confie en l'Éternel et dont l'Éternel est la confiance. Vous verrez que ceux qui ne regardent pas aux circonstances extérieures, mais à Dieu seul avec une foi ferme, sont toujours secourus au moment favorable.

» La confiance de ma mère ne fut pas trompée, car le secours nous vint très peu de temps après par une main secourable que Dieu nous avait préparée.

» À peu près à la même époque, nous fîmes d'autres expériences qui couronnèrent magnifiquement la foi de ma mère. Notre père nous abandonna et s'en alla à l'étranger; à son départ, il vendit notre seconde vache et en emporta le prix. Un riche voisin nous offrit en prêt la somme nécessaire pour en acheter une autre; quoique nous n'y entendissions rien, Dieu nous en fit trouver une excellente. Nous pûmes vendre chaque jour douze à quatorze pots de lait, jusqu'à ce que nous eussions payé ce qu'elle avait coûté. Outre cela, elle servait aux labours et aux transports avec une telle vigueur, que nous en étions émerveillés.

Lorsque mon père revint au bout de quelques années, et qu'ils nous entendit parler avec tant de joie de cette bonne vache, il en eut tant de dépit qu'il jura de la vendre, et l'offrit à tout venant à vil prix. Nous étions dans des transes continuelles, quand nous voyions quelqu'un s'approcher de l'étable. Ma mère nous tança d'être si effrayés. — Si votre père n'avait été retenu par une main invisible, croyez qu'aucun de vous ne serait là; il ne peut nous faire de mal que celui que Dieu permet. Croyez aussi qu'après nous avoir procuré la vache, Dieu peut nous la conserver tant que nous en aurons besoin.

» La vache nous resta, en effet, tant que vécut ma mère et que nous ne fûmes pas tous élevés. Alors un homme, qui avait entendu parler de celle excellente bête par notre laitier, vint nous en offrir un très bon prix.

» Combien d'exemples de foi et de prières exaucées n'aurais-je pas encore à raconter s'il ne fallait pour cela accuser mon père, qui en était presque toujours l'occasion. Mais comme nous eûmes la joie, après avoir perdu notre tendre mère, de le voir embrasser la foi qu'elle avait tant demandée pour lui, et s'endormir dans la paix du Seigneur après avoir pleuré ses péchés, je veux seulement insister sur la vérité de ces paroles: «Il ne tombe pas un cheveu en terre sans la volonté de voire Père céleste, et toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu.»

» Lorsque nous fûmes tous élevés, ce fut à notre tour d'entourer notre mère de nos soins. Comme elle nous avait accoutumés à un travail assidu, nous gagnions assez pour être désormais à l'abri du besoin. Il est vrai que la santé de plusieurs d'entre nous avait été compromise par suite d'une enfance et d'une jeunesse trop sédentaires, et l'une de mes soeurs disait souvent: — Que deviendrons-nous dans la vieillesse, si nous ne pouvons plus travailler, et que nous ne possédions rien? Laissez faire le bon Dieu, répondait tranquillement ma mère. — Eh bien! peu de temps avant sa mort, elle nous vit tous bien établis et en bonne santé de corps et d'âme.

» Dans les dernières années de la vie de ma mère, lorsque nous fûmes tous en état de gagner notre pain, nous eûmes le courage de la prendre sous notre protection. Nous déclarâmes à notre père que nous ne permettrions plus que celle qui s'était sacrifiée pour lui et pour nous, fût maltraitée, qu'il pouvait décharger sur nous sa mauvaise humeur, mais que pour elle c'en était assez. Nous nous efforçâmes à l'envie d'adoucir sa vie et souvent elle disait en pleurant: — Enfants, pourquoi voulez-vous que je sois si bien? — Cependant elle acceptait tout pour nous faire plaisir et se réjouissait de nous voir mettre en pratique ce qu'elle nous avait appris, l'oubli de soi-même et la confiance en Dieu. Elle eut aussi la joie de voir plusieurs de ses enfants naître à un christianisme personnel et vivant. Et voyant ainsi ses ardentes prières en partie exaucées, elle les continuait pour son mari et ses autres enfants avec la ferme assurance d'être un jour entendue.

» Elle le fut effectivement la dernière année de sa vie. Une hydropisie de poitrine lui causa de longues souffrances, qu'elle supporta sans plaintes et sans murmures. Elle cherchait à nous épargner toute fatigue à nous qui étions si heureux de la soigner. Elle ne voulut jamais qu'on la veillât. — Je n'ai besoin de rien, disait-elle, et je ne puis reposer que lorsque vous dormez tous.

» C'est dans cette dernière année que fut couronnée son inébranlable confiance en la Providence de Dieu. Onze semaines avant sa mort, un parent dont nous n'avions jamais entendu parler arriva de Hollande. Il nous prit en affection, et, dès lors, notre vie extérieure fut toute changée. Au lit de mort de ma mère, il lui promit de nous servir de père, et il a tenu fidèlement parole. Il témoignait sa joie de nous avoir pour enfants adoptifs et de nous laisser sa fortune; il considérait comme un privilège d'être l'instrument par lequel Dieu se montrait fidèle envers sa fidèle servante.

» La dernière nuit de la vie de ma mère, je persistai dans ma résolution de la veiller. — Voilà que je te cause encore de la fatigue, me dit-elle de sa voix affectueuse. 0 mère! lui dis-je, tu sais que tous tes enfants ne demanderaient pas mieux que de te prodiguer leurs soins jour et nuit, tu ne l'as que trop mérité. Je sais bien, dit-elle, que vous me soignez volontiers, mais cela n'est pas nécessaire.

» Vers le matin nous l'entourions tous; elle dit un tendre adieu à chacun, puis elle perdit la parole et fit signe de s'asseoir. Ma sœur aînée la prit dans ses bras, et peu après elle s'endormit. Nous la remîmes avec des larmes d'amour entre les bras de son Sauveur, et notre ardente prière fut d'honorer sa mémoire par une foi et une vie semblables à la sienne.

» Je voudrais, dans l'esprit de ma mère, dire à toutes les mères: si vous voulez être en bénédiction à vos enfants, ne vous mettez pas en peine pour eux de trésors que les vers et la rouille consument, ni de leur assurer une grosse dot et un beau trousseau. Apprenez-leur à prier et à travailler, mais à travailler par obéissance et avec foi, et priez vous-mêmes pour eux, afin qu'ils soient des offrandes vivantes dont chaque membre serve à la gloire de Dieu.»


***

C'est ainsi que Dorothée fut préparée à l'œuvre à laquelle Dieu la destinait. Son instruction avait été sans doute fort incomplète, mais elle avait reçu en revanche une intelligence et des dons extraordinaires. Ajoutons que si les paroles et l'exemple de sa mère lui furent très salutaires, ils ne suffirent pas toutefois à changer son cœur. Elle tenait de la nature de son père; avec les traits de son visage, elle en avait hérité une violence qui la faisait souffrir elle-même. Dans sa jeunesse, elle se contentait de dire: «Je n'y puis rien, c'est un défaut de race.» Mais elle était d'une droiture parfaite et le sentiment du devoir la préserva des écueils et des chutes de la jeunesse.

Une amie avec laquelle elle aimait beaucoup à aller danser mourut subitement. De graves maladies l'assaillirent elle-même, et défigurèrent sa taille et son visage. Toutes ces circonstances l'amenèrent à s'humilier de ses péchés et à donner son cœur au Sauveur. Dès lors elle conserva une grande paix, au milieu des souffrances que causait à son corps affaibli un travail incessant et au-dessus de ses forces. Elle lissait la soie; mais son oncle Trudel, ce protecteur par lequel Dieu avait exaucé les prières de la mère, ne voulut pas qu'elle continuât et lui fit apprendre à faire des fleurs. Malheureusement cet oncle ne vécut que treize mois au milieu de sa famille adoptive à laquelle il laissa, il est vrai, une grande partie de sa fortune. Un neveu de Dorothée fonda alors un établissement industriel dans lequel elle chercha à se rendre utile. Elle avait aussi à cœur le bien-être moral et physique des ouvriers et cherchait sans cesse à leur faire comprendre quel bonheur se trouve dans la paix en Jésus. Dans leurs maladies, elle leur prodiguait ses soins, mais comme elle n'avait jamais eu de médecin dans ses propres maladies, elle n'en appelait point pour eux, et se bornait à une prière instante et continuelle, accompagnée de l'imposition des mains. Dieu couronna sa loi et ses malades guérirent.

«Pendant cette première année, dit-elle, je fis bien des expériences qui devaient anéantir ma volonté propre. Je reconnus que ce ne sont pas les maladies par elles-mêmes qui nous unissent au Seigneur, mais l'effusion de son amour dans le cœur. Auparavant, je n'avais pas su ce que c'est que d'être zéro, je m'étais crue convertie. Mais mes yeux furent ouverts, et je reconnus que les poings au cœur qui me saisissaient à la moindre contrariété n'étaient que l'effet de ma vieille nature passionnée et qu'il s'agissait d'avoir la charité qui supporte tout et ne se laisse irriter par rien. À mesure que je devins maîtresse de moi-même en ceci, mes douleurs diminuèrent et disparurent. Depuis cette époque le Seigneur m'a fortifiée jour et nuit, et les merveilleuses guérisons opérées plus tard chez nous, étant une simple confirmation des promesses de la Parole, sont peut-être moins étonnantes que ma propre vie et l'activité que j'ai pu déployer.»

En 1852 elle vint habiter la maison de son oncle; elle continuait à faire des fleurs pour vivre; mais elle avait consacré sa vie au Seigneur; elle visitait les malades et les aliénés dans ses heures de loisir et réunissait autour d'elle les enfants du village pour leur lire la Bible et prier avec eux. Son mot d'ordre était:

Que mon nom, disparu de la scène du monde,

Soit un jour répété par l'écho du saint lieu;

Qu'il dorme enseveli dans une nuit profonde,

Pourvu qu'il soit inscrit dans le livre de Dieu.

Une jeune fille de Maennedorf ayant été placée dans un autre endroit, y prit une violente nostalgie. Dorothée l'ayant appris, alla la voir, pria beaucoup avec elle et la guérit. La maîtresse de la jeune fille fut la première qui engagea Mlle Trudel à prendre des malades chez elle. Elle répondit qu'elle ne s'y sentait point appelée. Malgré ce refus, cette dame lui adressa plusieurs personnes entre autres la veuve d'un pasteur, mère de douze enfants, que la mort de son mari avait rendue folle. Après un séjour de sept semaines, elle retourna complètement guérie au milieu de sa famille. C'est elle qui engagea Dorothée à s'établir de manière à recevoir des malades, ce qu'elle fit après avoir beaucoup demandé à Dieu de lui montrer sa volonté»

En 1886 des plaintes ayant été portées contre Dorothée pour exercice illégal de la médecine, il lui fut enjoint de payer 60 francs d'amende et de fermer sa maison.

Ce que le Seigneur faisait à cette époque par Dorothée était ignoré du monde, et le serait probablement resté, si l'incrédulité elle-même n'avait contribué à le faire connaître.

Le gouvernement ayant renoncé à son opposition contre l'hospice, et le nombre des malades ayant augmenté, il fallut acheter une nouvelle maison pour laquelle la sœur de Dorothée donna sa part à l'héritage de son oncle.

Mlle Trudel n'avait recours qu'aux moyens prescrits dans la Parole de Dieu, le seul remède, selon elle, à tous les maux, lorsqu'on ne se borne pas à l'enseigner, mais qu'on lui obéit. Aussi tenait-elle trois ou quatre cultes journaliers, auxquels assistaient tous ceux qui le voulaient, sans que jamais elle y obligeât personne.

Le reste du temps était employé à soigner les malades, ce qu'elle faisait avec une tendresse et un dévouement sans bornes, passant souvent plusieurs nuits de suite à leur chevet. Convaincue de l'influence directe ou indirecte du péché sur tous les maux de la vie, elle s'attachait à amener ses malades à la connaissance d'eux-mêmes, et de leur misère. Alors elle présentait le plan de Jésus à notre égard et rendait grâce au céleste Médecin qui seul peut renouveler le cœur et lui communiquer un esprit nouveau de confiance et de foi.

Dans la persuasion que le Seigneur est le même hier, aujourd'hui, et éternellement, et que nous pouvons nous appliquer les promesses faites à ses disciples, elle employait les moyens de guérison autorisés de Dieu: après la prière, l'imposition des mains et l'onction d'huile. Elle exerçait aussi la discipline avec une salutaire sévérité, et malgré son amour pour les affligés, elle ne leur passait aucune fantaisie. Tendre pour les malheureux, elle était inexorable pour le péché, parce qu'il est une barrière entre Dieu et les hommes. Dieu répondait aux instantes prières de Dorothée d'une manière très variée.

Les uns n'obtenaient de soulagement que lorsque, rentrant en eux-mêmes, ils confessaient leurs fautes et se repentaient, se demandant comme les frères de Joseph: «Pourquoi ceci nous arrive-t-il?»

D'autres étaient arrachés à leur état d'indifférence et d'incrédulité par un secours immédiat du Seigneur. Ce fut le cas, par exemple, d'un jeune ouvrier gravement malade par suite d'inconduite: du jour où il eut confessé ses péchés, non seulement à Dieu, mais devant les hommes, il se sentit soulagé dans son corps. Et quand il eut déchargé sa conscience par l'aveu de son plus grand péché, il alla de mieux en mieux jusqu'à guérison complète et inespérée.

Ce fait est digne de remarque, et il n'y a pas besoin d'aller à Maennedorf pour en faire son profit. Si pour bien des maux, les médecins recommandent d'éviter les émotions et les inquiétudes:

il est clair que la paix du cœur qui suit la repentance et la soumission de l'âme au Sauveur, doit être favorable à la guérison des maux du corps.

Dorothée ne vit pas toujours ses efforts récompensés: souvent, après avoir été guéris, ses malades retournaient au mal, mais jamais sa charité ne se laissa décourager. Elle redoublait d'ardeur, lorsqu'elle voyait des personnes approcher de la mort sans posséder la foi. Dans ce cas, elle rappelait hardiment au Seigneur ses promesses, et lui demandait de prolonger la vie de ces malheureux, jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé le salut en Christ.

De l'abondance du cœur la bouche parle, voilà pourquoi on retrouvait toujours dans les explications bibliques de Mlle Trudel, dans ses entretiens particuliers, dans sa correspondance, cette même pensée: «une seule chose est nécessaire.» S'adressait-on à elle pour avoir quelques conseils, elle répondait par des paroles aussi pleines de droiture que d'amour. Toute pénétrée de la puissance que donne la communion vivante avec Jésus, elle en communiquait en quelque degré l'influence à tous ceux qui l'approchaient. Si la première impression qu'elle produisait, n'était pas agréable pour le vieil homme, on ne tardait pas à en ressentir néanmoins d'heureux effets pour le corps et pour l'âme.

Dorothée s'était donnée au Seigneur corps et biens dans la personne de ceux qui venaient à elle, et cette grande affluence ne l'a certes pas enrichie. Dans ses maisons, tout était propre, mais de la plus grande simplicité. La table aussi, quoique frugale, était toujours abondante et les mets bien apprêtés. Elle demandait dix francs par semaine aux gens riches, et cinq à ceux qui ne l'étaient pas. Beaucoup de pauvres étaient reçus pour rien. On ne faisait rien pour les attirer, mais on les accueillait avec simplicité. Pour se tirer d'affaire, il fallait économiser la main d'œuvre: aussi Dorothée employait-elle, comme dans une famille, les personnes valides, surtout les jeunes, à toutes sortes de services. Ainsi l'une lavait la vaisselle, une autre pliait le linge, etc. Elle se faisait tant aimer que travailler pour elle était un plaisir et un privilège.

Cependant un nouvel orage se formait. Un médecin de Maennedorf posa à l'inspecteur sanitaire du district la question de savoir, si un établissement comme celui de Mlle Trudel pouvait être toléré dans le canton de Zurich. À la suite de cette démarche, une ordonnance du préfet condamna Mlle Trudel à 150 fr. d'amende et lui prescrivit de renvoyer tous ses malades. Ne pouvant se soumettre à une telle décision, elle eut recours au tribunal du district qui confirma la sentence. Alors elle en appela au tribunal suprême de Zurich.

Les circonstances ne paraissaient pas favorables et peu de personnes espéraient un acquittement. Dorothée se retira dans son cabinet et dit au Seigneur: «Vois, ô mon Dieu, le conseil de santé et le préfet m'ordonnent de renvoyer mes malades, mais je sais qu'il ne faut obéir qu'à toi; montre-moi dans ta Parole ce que tu me commandes de faire.» Puis elle tira dans la foi ces passages:

«Un édit est fait de ma part que, dans toute l'étendue de mon royaume, on ait crainte et frayeur pour le Dieu de Daniel, car c'est le Dieu vivant, et qui demeure à toujours, et son royaume ne sera point dissipé et sa domination sera jusqu'à la fin

» Il sauve et il délivre, et il fait des prodiges et des merveilles dans les cieux et sur la terre, tellement qu'il a délivré Daniel de la puissance des lions. Daniel VI, 26, 27.»

Dès lors, elle attendit avec courage le jour du jugement: Si Dieu est pour nous, disait-elle, qui sera contre nous? M. Spœndlin, avocat à Zurich, s'était offert avec empressement pour plaider sa cause.

Elle écrivait à ses amis: «Demandons à Dieu la foi d'Abraham et une résignation entière. Quand même le glaive est levé et qu'il n'y a plus de force pour lui échapper il est possible que la voix du Seigneur le détourne encore. Les jours douloureux sont les plus bénis, quand on accepte l'amertume dans une obéissance enfantine. Il ne faut pas dire: donne-moi ce bien, laisse-le-moi, mais plutôt: ne me le laisse pas, quoiqu'il en coûte, s'il est contraire au salut et à la vie de mon âme. Mon Dieu, je puis parfaitement me soumettre à quitter ceux avec lesquels j'avais l'habitude d'intercéder auprès de toi pour les âmes; ils savent le chemin, ils ont le grand privilège de te connaître. Ce qui m'importe, tout l'objet de ma prière, c'est que tu ouvres les yeux aux juges; quant aux malades, le chagrin de les voir tous partir, tu le sais, je l'ai surmonté.»

Dieu prit soin de montrer que cette œuvre était la sienne. L'argent nécessaire manquait souvent, mais il venait toujours au moment du besoin. Un adversaire même avait offert d'en prêter. Il arriva une fois de Hollande 3000 fr., sur lesquels on ne comptait plus. Un jour, on allait emprunter, quand un ami envoya 250 fr. destinés à payer les frais de justice.

Cela était nécessaire, car le procès dura sept mois. Les journaux en parlèrent et firent ainsi connaître l'œuvre de Maennedorf, ce qui y attira de nouveaux visiteurs. Sachant que Dorothée n'avait pas le courage de renvoyer, on arrivait sans s'annoncer.

Enfin le tribunal conclut comme suit:

«Considérant l'extrême difficulté qu'éprouvent dans le temps présent les pauvres et les gens peu fortunés, pour placer les aliénés à leur charge, dans des hospices ou chez des médecins patentés, et qu'à ce point de vue, l'établissement de la demoiselle Trudel a certainement son côté avantageux, les malades pauvres y étant reçus soit à des prix excessivement bas, soit même gratuitement, et y trouvant nourriture, soins et accueil bienveillant; considérant d'autre part qu'il est extrêmement douteux que le législateur ait entendu frapper d'une pénalité des faits comme ceux dont il s'agit: à l'unanimité prononce: La demoiselle Trudel n'est pas coupable d'une contravention de police, et en conséquence, décide à l'unanimité:

Que la demoiselle Trudel est acquittée; 2° Que les émoluments de première et de seconde instances seront restitués par l'État.»

Dorothée écrivait à ce propos à ses amis: «Mes enfants bien-aimés,

» La voilà donc passée cette journée, objet de tant de supplications. Oui, nous avons tous de quoi nous écrier: Mon âme, loue l'Éternel! car il a exaucé les requêtes unanimes des enfants et de la mère; il a incliné les cœurs à la vérité comme des ruisseaux d'eau, et quoiqu'il y eût un médecin au nombre des juges, c'est à l'unanimité qu'ils ont reconnu mon innocence.

» Pendant la nuit, que nous passâmes tout entière en prières, j'eus aussi la joie extrême d'entendre dire aux enfants (Dorothée avait l'habitude de nommer ses enfants ceux qui, après avoir été guéris ou convertis, étaient devenus ses compagnons d'oeuvre.) qu'ils faisaient au Seigneur l'entier sacrifice de leur mère, de ce foyer domestique et de leurs frères et soeurs, ne demandant qu'une chose, c'est que les ennemis de notre œuvre parvinssent au même bonheur que nous. Alors j'ai senti au fond du cœur que sans un entier renoncement à soi, il n'y a pas de victoire. À deux heures, nous tirâmes des passages. Nous étions tous ensemble pleins de joie. Sur le matin j'avais quelque peine à contenir cette allégresse intérieure. Je me retirai seule à quatre heures et je lus les chapitres dont nous avions reçu des passages; auparavant j'avais encore lutté, priant pour les ennemis et tout particulièrement aussi pour que cette affaire fût en bénédiction à tous mes enfants, et que, quoiqu'il arrivât, ceux qui n'étaient pas encore bien avancés dans la foi n'en reçussent pas de scandale. En me relevant j'étais sûre que cette cause servirait à glorifier Dieu, quoique nous ne pussions voir encore de quelle manière.

» Et maintenant ne m'a t-il pas miséricordieusement exaucée? Ainsi donc, mes bien-aimés, me voici déclarée non coupable à l'unanimité; on prononce que je n'ai pas enfreint la loi médicale par le fait que l'on prend soin des âmes dans notre maison selon la Parole de Dieu. C'est magnifique, mes chers enfants; mais pour moi et pour vous tous, c'est une nouvelle tâche et un nouveau stimulant. Il ne faut pas que les âmes puissent nous accuser, si elles n'obtiennent pas l'affranchissement par la force de Christ. De même que nous avons prié le Seigneur de fléchir le cœur des juges, il nous faut prier maintenant d'être en bénédiction à nos juges, à nos adversaires, à tout le monde, et que nos maisons deviennent un asile de paix pour beaucoup.

» L'amour de Christ dans cette circonstance m'a tellement humiliée que je ne l'aurais pas été autant si nous avions tout perdu. Je me sens complètement indigne d'un tel amour? Le Seigneur bénisse toutes les âmes. Recevez les salutations cordiales d'une mère qui vous aime tous tendrement.

» Dorothée Trudel.»

Plus tard elle écrivait encore:

«Il est bon de jeter un coup d'œil en arrière sur toute cette période, afin que nous en retirions tous quelque instruction sur la manière de se comporter en pareille circonstance. Certainement nous devons des actions de grâces au Sauveur pour toutes les trames qu'on ourdit contre nous.... Je ne saurais vous dire combien le Seigneur nous bénit et nous fortifia pendant la dernière nuit, mes enfants et moi, tellement que j'aurais voulu crier tout haut: Amour des ennemis, quel bonheur n'es-tu pas? Ne croyez pas que j'aie seulement pensé aux risées qu'on ferait de nous si nous perdions. — Je pouvais hardiment dire à mon Sauveur: «Je t'abandonne entièrement mes enfants et le soin de leur avenir.»

Dorothée continua donc son œuvre de charité, et de partout lui venaient des visiteurs, en sorte qu'on pouvait lui appliquer cette parole biblique: «La vierge solitaire a plus d'enfants que celle qui a un mari.» Aussi ne s'épargnait-elle pas, et dans son zèle, elle accomplissait sans s'en apercevoir la parole de St. Paul: «Je traite durement mon corps et je le tiens en servitude.» Dure pour elle-même, elle était pleine de ménagement pour ses compagnons de travail. Mais tant de fatigues avaient fini par épuiser sa constitution, et cette âme ardente allait enfin goûter le repos.

Quelques lignes d'une lettre de Dorothée à ses amis nous font connaître dans quels sentiments elle commença l'année qui devait être la dernière de son pèlerinage terrestre:

«Il faut pourtant que je vous écrive comment nous avons commencé l'année. Nous avons d'abord tiré les textes pour tous les habitants de la maison; un malade les a transcrits. C'est un homme de beaucoup de talent, qui a servi comme missionnaire en Inde. Souvent il est bien pendant plusieurs jours de suite, puis tout à coup il tombe dans un étrange mutisme. Une fois, il partit et nous causa pendant trois jours une grande inquiétude. Il était allé à pied à Frauenfeld, d'où l'on nous envoya un avis, et nous fûmes l'y reprendre dans un triste étal. En cette occasion, Dieu me donna un témoignage bien touchant de son amour: je lui demandai si Samuel (M. Zeller, qui, guéri à Maennedorf d'une crise de mélancolie, s'est consacré dès lors tout entier à l'œuvre de Dorothée, et la continue après elle.) qui était allé chercher notre fugitif, le ramènerait. Il me désigna cette parole de son saint Livre: «Je serai son garant; si je ne le ramène, je veux en porter la peine toute ma vie.» Je pouvais être tranquille. Le Seigneur a tenu parole. Depuis lors, on le surveillait de plus près, mais le matin de l'an, à 2 1/2 heures, comme il avait fini d'écrire, il sortit. Quelques-uns regardèrent après lui; il se rendit dans sa chambre, et quand on y alla voir, il était déjà parti. Voilà quelles furent les étrennes sous le toit maternel; de très bonnes étrennes, assurément; cette visitation nous avertissait de ne pas craindre les gouttes amènes cette année-ci plus que les précédentes, et de ne nous laisser décourager par rien dans la pratique de cet amour qui cherche à sauver les âmes. Pendant tout le jour nous n'eûmes aucune trace de la direction dans laquelle s'en allait notre pauvre ami. Vous pensez bien comment nous avons prié pour cette âme, afin que le malheureux ne pérît pas de froid dans son état d'égarement. Ce n'est que dans la soirée d'hier que j'ai été consolée. Il avait couru environ quatre lieues, lorsqu'on l'arrêta. Un gendarme, en habit civil, nous le ramena au moment où notre Samuel allait repartir à sa poursuite. Ainsi dès le second jour de l'année, nous voyions nos prières richement exaucées dans cet exemple de la manière dont le Seigneur cherche et ramène ceux qui sont égarés. Aussi je vous recommande instamment à tous de prendre pour arme dans cette nouvelle année la prière perpétuelle. Quand vous aurez appris à bien manier celle arme, vous pourrez traverser la vie sans inquiétude; ce n'est pas vous, c'est Lui qui tient le timon. La grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Recevez les salutations d'une mère unie à vous dans le Seigneur.

» Dorothée Trudel.»

Durant la dernière année de sa vie, le grand nombre de visites la forçait à soigner ses malades pendant la nuit. À cela se joignit la construction d'un nouveau bâtiment. La grandeur de sa tâche l'avait déjà tellement épuisée qu'elle était obligée de s'arrêter au milieu de ses prédications, pour demander mentalement à Dieu la force de continuer, et comme le plus grand des encouragements qu'elle pût recevoir était la conversion des âmes, elle osa demander un jour d'être soutenue de cette manière. Dans la journée une personne vint lui dire qu'elle avait enfin trouvé le pardon de ses péchés et goûtait déjà le bonheur de l'amour de Dieu.

En écoulant sa parole sérieuse et ardente, on ne pouvait s'empêcher d'être surpris de l'expression d'amour qui brillait sur son visage. Ayant un jour à parler sur l'un des textes qui lui étaient échus au Nouvel-An: 1 Chron. XVIII, 5, et Marc VIII, 35, «Or, les Syriens de Damas étaient venus pour donner du secours à Hadarhézer, roi de Tsoba; et David battit vingt-deux mille Syriens. — Quiconque voudra sauver son âme la perdra; mais qui conque perdra son âme pour l'amour de moi et de l'Évangile, celui-là la sauvera.»

«Je comprends mieux, dit-elle entre autres, aujourd'hui qu'au Nouvel-An, le texte qui m'est échu en partage. Ce n'est point par hasard que tout ce chapitre m'a été adressé; ainsi ce trait, que David remit toutes choses à son fils Salomon.

» II y a déjà longtemps que j'ai remis ma personne au Seigneur, mais cette année j'ai fait passer mon bien temporel à Samuel Zeller, qui ne l'emploiera pas pour lui même, mais pour le bien des âmes. Être détaché de sa propre vie, tel doit être notre désir, puisque Jésus a donné sa vie pour nous. Ne nous ménageons donc point. Il faut persévérer dans cette voie et y tenir ferme. Notre établissement n'est pas une œuvre d'homme, il appartient au Seigneur. Que le Seigneur reste le Père, le Médecin et le Pasteur, en un mot le tout dans cette maison, alors nous n'aurons pas à nous inquiéter de la jeunesse du serviteur qu'il s'est choisi.»

La saison devenait étouffante; on se sentait sous un poids indéfinissable. Enfin l'orage éclata. Une fièvre nerveuse fort maligne sévit dans le village et atteignit aussi la maison de Dorothée. Celle-ci se multipliait, allant d'un malade à l'autre. Ses forces cependant diminuaient à vue d'œil, mais son amour allait grandissant. Sa constante exhortation était: «Soyez fidèles, attachez-vous à Dieu seul! Ne vous attachez à aucune créature, ne vous attachez point à moi. Pensez à Jésus et non à ses chétifs instruments, qu'il peut vous retirer d'un instant à l'autre.»

Le dimanche qui précéda sa maladie, elle parla avec une force particulière dans la réunion du matin. Elle fit encore le culte des enfants et le dernier culte du soir. Elle avait écouté retirée dans un cabinet le culte de cinq heures, et le soir elle exprima sa joie sur la manière dont le jour du Seigneur se passait chez elle. En effet, pour satisfaire les visiteurs qui arrivaient et repartaient incessamment, on faisait une méditation biblique à 8 1/2 h.; une à 10 h; un nouveau culte à 1 h; à 3 h. un catéchisme biblique pour les enfants; à 5 h. une explication pour les adultes; enfin à 8 h. du soir une double réunion pour les hôtes français et allemands; avec cela il ne restait guère de temps pour les futilités. On a souvent reproché à Dorothée la trop grande quantité de ses cultes; mais elle trouvait chez les assistants si peu de cœurs ouverts à la Parole, si peu d'intelligence du plan de Jésus-Christ pour guérir les âmes, qu'elle voulait leur offrir sans cesse l'aliment spirituel, laissant du reste chacun libre de venir le prendre ou de rester chez soi.

Le mardi 12 août elle voulut encore visiter les malades du dehors, ce qu'elle fit en partie à pied, en partie en bateau. Dans les diverses rencontres qu'elle faisait, dans les objets de la nature, elle trouvait partout des sujets d'édification. Elle voyait dans les arbres étayés de toutes parts pour supporter le poids de leurs fruits une image du chrétien. — Il est pourtant permis, n'est-ce pas, d'avoir de ces bâtons qui soutiennent les fruits? lui demanda quelqu'un.— Point d'autre que Christ répondit-elle. Qu'il est beau, ajouta-t-elle d'un air pensif, d'être ainsi chargé de fruits.

Les visites terminées, elle reprit le chemin de la maison; elle avait vu Zurich pour la dernière fois.

Le samedi 16 août, elle fit sa dernière improvisation qui fut sérieuse et pleine de vie. Après ces dernières exhortations, Dorothée alla visiter tous les malades, mais elle dut renoncera à voir les aliénés. Elle en exprima le regret en rentrant: les forces lui avaient manqué. Après un peu de repos, elle voulut encore écrire, mais cela fut impossible. Elle se coucha et passa une mauvaise nuit; cependant Dieu lui accorda un dimanche paisible.

Le lundi après-midi, un de ses amis priant avec elle, elle dit: «Attends un peu que je m'assoie pour pouvoir respirer.» On crut qu'elle allait mourir; mais, joignant les mains, elle dit à haute voix: «Seigneur, tu sais quel amour m'attache à mes enfants. Si tu veux me retirer, je te fais le sacrifice de cet amour; je ne ferai aucune objection; mais tu peux me rendre des forces, si tu veux me conserver plus longtemps à ceux que j'aime.» Celte prière la fortifia. Le soir, une nouvelle crise étant survenue, elle s'écria: «Si le Seigneur ne m'aide miraculeusement, j'étoufferai!» Cependant, après, elle parla à une aliénée qui avait de violents accès de désespoir, et la supplia affectueusement de ne pas douter de l'amour de Dieu, ce qui était, lui dit-elle, le plus grand des péchés.

Restée seule, elle pleura et dit: «J'aurais bien voulu ne pas précéder ma sœur et E.» Puis elle dit à Nettli: «Tu me promets, n'est-ce pas, de toujours seconder Samuel?» — Elle dit aux assistants: «Cette maladie est un jugement, il fallait qu'il commençât par la maison de Dieu.»

Jusqu'au 30 août elle fut comme privée de ses sens. Cependant elle disait quelques mots de temps en temps. «Éloignez ces portraits, contremandez ma lithographie. Les portraits sont des agrafes qui nous attachent aux créatures, quand on ne s'en défie pas.» — Elle dit à Nettli: «Vous allez perdre votre mère; ne me touchez pas, ne vous exposez pas à la contagion.» Puis, croyant sa dernière heure arrivée, elle demanda à voir ceux qu'elle appelait ses enfants. Après qu'ils eurent prié l'un après l'autre, elle se mit à prier elle-même d'une voix claire en faveur de tous les assistants, de tous ses enfants spirituels en quelque lieu qu'ils fussent, de ses parents, enfin des ennemis de sa personne et de son œuvre. Le fond de sa prière était: «Seigneur, fais toutes choses nouvelles.»

Elle recommanda particulièrement à ceux qui la secondaient dans son œuvre, de traiter affectueusement les insensés et les mélancoliques. — «Si méchants qu'ils soient, montrez-leur, dit-elle, trois fois plus d'amour que vous n'avez fait jusqu'ici.» — La faiblesse redoublant, elle avait presque perdu l'usage de la vue; elle pria qu'on imposât les mains sur elle, afin qu'elle pût voir ses enfants jusqu'au dernier moment. On le fit, ses yeux reprirent leur clarté. Un peu plus tard, elle demanda de l'eau, quoique ordinairement elle n'en prît jamais; un demi-verre ne lui suffit pas, elle but un verre après l'autre et dit, comme sortant d'un rêve: «C'est un miracle que je sois encore là.» — Puis un peu plus tard: «On me retient.» — Il semble que cette eau eût éteint l'inflammation; ses yeux reprirent, avec leur vivacité, leur expression habituelle. Elle recommença à parler avec une force étonnante.

«Si je me rétablis, dit-elle, que personne ne revienne médire: Ménage-toi;» ceux qui travaillent pour le Seigneur ont une promesse formelle: «Quand ils auront bu quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal.» Je veux désormais m'en tenir uniquement à la Parole de Dieu. Cette maladie ne vient pas d'avoir trop travaillé, elle vient d'avoir trop écouté ceux qui voulaient me ménager. C'est mon peu de foi qui a laissé pénétrer en moi ce germe de maladie, que j'ai cru avoir gagnée en soignant Mme N.; c'est l'ennemi qui m'a soufflé cette crainte; j'aurais dû n'y pas prendre garde, et le Seigneur aurait détruit le poison; je me suis trop ménagée et j'ai trop ménagé mes enfants. Ce n'était pas un bon amour pour eux qui m'a fait leur dire ce matin de ne pas m'imposer les mains pour ne pas prendre ma maladie (Mlle Trudel ayant dû donner des soins à une personne atteinte d'un cancer, elle éprouva pour la première fois un dégoût qu'elle ne put surmonter. De ce moment elle n'eut presque plus d'appétit jusqu'à la fin de sa vie.).»

Sentant que la fièvre l'avait quittée, elle demanda à s'habiller, ajoutant: «Maintenant je suis guérie, je veux me lever: j'ai enfin reconnu que toute ma maladie n'était qu'un jeu de l'ennemi.» — On l'en empêcha, et elle profila de ce moment de bien-être pour faire de sérieuses exhortations. En entendant la cloche du dîner, elle dit: «Je suis si bien que je pourrais me lever, mais vouloir mourir le matin, et à midi être debout, on pourrait y voir de la présomption. Il ne faut pas le faire.»

Elle éprouva alors un grand besoin de silence et de repos; mais, ayant bu plus tard de l'eau fraîche, elle fut prise d'une toux qui la fatiguait extrêmement; enfin elle s'écria: «Non, ce n'est pas ta volonté, Seigneur; daigne me délivrer de cette torture.» — La toux céda immédiatement. Ce témoignage de l'amour de Jésus lui fut bien doux, le Seigneur lui renouvela ainsi constamment les forces nécessaires pour soutenir la lutte contre les tentations du malin qui se multiplièrent dans cette dernière crise. Tous espéraient qu'elle allait se remettre, mais la fièvre reparut vers le soir; elle parlait par phrases décousues.

Le jeudi elle eut de nouveau beaucoup d'angoisses, la fièvre augmentait et son cœur était oppressé. Elle répéta souvent: — «Quelle puissance! quelle puissance! il y a dans la maison un air étouffant, un esprit de somnolence qui pèse lourdement sur moi.» — Puis bientôt: «Seigneur, quand je suis dans les ténèbres, sois ma lumière, empêche-moi de me plaindre; ne souffre pas que je te fasse cet affront dans ma maladie.» Nettli lui imposa les mains et la fièvre céda. Sa compagne ne la quitta point. Quoique lasse et faible elle-même, elle vivait de foi, et l'on ne pouvait qu'avec peine l'éloigner quelques instants du chevet de la malade pour lui faire prendre un peu de repos. Les autres membres de la maison reçurent, comme elle, les forces dont ils avaient besoin pour soigner leur mère et beaucoup d'autres personnes atteintes de la même maladie dans la maison et dans le village, sans négliger la direction d'un ménage si considérable.

Dorothée eut des alternatives de haut et de bas pendant le vendredi; c'était son jour de prédilection, celui où elle avait la constante habitude de méditer sur la mort de son libérateur. Elle exhorta ses enfants à obéir fidèlement à la Parole de Dieu. — Quelqu'un lui demandant de ses nouvelles: «Je m'abandonne, dit-elle, au pilote, comme un navire.»

Jour et nuit on recourait à la prière dans la maison de Dorothée; les services en commun avaient à peu près cessé, mais on priait d'autant plus. Le jeudi de la semaine suivante, la malade sentit sa fin approcher; elle posa les mains sans parler sur ses amis les plus proches, qui venaient prendre congé d'elle encore une fois. Elle voulut voir aussi les grandes filles de son école du dimanche, et leur adressa des paroles d'adieu qu'elles ne pourront oublier. — Le vendredi elle se sentit comme abandonnée de Dieu et des hommes.

Le dimanche suivant, de bonne heure, elle se mit à prier, au grand étonnement des assistants, car la nuit précédente elle n'avait pas dit un mot, se bornant à faire quelques signes de tête. Elle pria pour ses malades et particulièrement pour une âme égarée, sur laquelle elle ne donna du reste aucun détail.

La grande lutte avait cessé; elle s'avançait victorieuse par le sang de Christ; les chants d'action de grâces et de triomphe s'échappaient comme les eaux d'un fleuve qui a rompu ses digues. «Laissez-moi donc adorer et bénir, disait-elle; puisque personne ne rend grâces, c'est à moi de le faire.» Dès qu'elle entendait prier à haute voix, elle écoutait en silence, puis elle reprenait à son tour en s'écriant. «Christ a vaincu; gloire! gloire! gloire! Rendez grâce de ce que le Seigneur est victorieux. 0 Sauveur! fais de mes enfants des vainqueurs, détache-les de tout ce qui n'est pas toi, détache-les tout à fait.»

Le lundi elle parla très peu, mais elle avait un regard affectueux et joyeux pour tous ceux qui l'approchaient. Elle dormit un peu durant la nuit et prononça quelques phrases entrecoupées. Elle dit à la compagne qui la veillait et qui attendait quelques paroles de consolation: «Ne t'appuie jamais sur l'homme.»

Ce qui caractérisa cette dernière semaine, c'est le silence. Quelques mots seulement tombèrent dans les cœurs comme des grains de blé: «Transportez les montagnes,» dit-elle à un de ses enfants. «Deviens un imitateur,» dit-elle à un autre. L'après-midi ses traits s'altérèrent subitement. Les enfants entourèrent son lit pour chanter son cantique de prédilection:

Laissez-moi, laissez-moi

Aller à Jésus, mon Roi!

Je languis d'impatience

De jouir de sa présence,

De n'obéir qu'à sa loi.

Depuis longtemps elle n'avait dormi comme dans la journée du mercredi, mais les forces ne semblaient se ranimer en elle que pour s'éteindre plus vite. Le jeudi et le vendredi elle ne dit presque rien.

La nuit du vendredi au samedi se passa presque toute en prière. Sa voix s'élevait de plus en plus au point que S. en fut éveillé et courut auprès d'elle à quatre heures du matin. D'autres personnes vinrent, et cherchèrent à lui prouver leur affection en lui arrangeant ses oreillers et en lui offrant des boissons rafraîchissantes, mais elle ne voulut pas se laisser interrompre. Bientôt on ne put plus entendre ses paroles; ses lèvres cependant remuaient encore. Les enfants entouraient son lit. S. priait à haute voix; il remit cette âme maternelle dans les bras du Seigneur. Après la prière, elle laissa retomber sa tête et s'endormit pour se réveiller dans l'éternité en la présence de Celui en qui elle avait cru avec tant de fidélité, qu'elle avait aimé d'un si ardent amour et qu'elle avait servi jusqu'à la mort. Ce cœur fidèle avait cessé de battre, ces yeux aimants s'étaient fermés, cette bouche pleine de prières restait muette. Elle reposait bienheureuse et transfigurée; un reflet de l'éternelle lumière illuminait sa figure.

Cependant la louange et l'action de grâces remplissaient tous les cœurs, et la paix de cette chambre mortuaire se communiquait à tous les habitants de la maison. — Ils savaient que Jésus peut remplacer toutes choses, et quittèrent ce lit de mort, consolés et fortifiés, pour soigner avec d'autant plus de zèle les malades abandonnés.

Dorothée Trudel n'a pas atteint cinquante ans, mais elle semblait plus âgée. Petite, contrefaite, maigre et ridée, son visage resplendissait; la joie, et la charité s'unissaient dans ses regards et dans son sourire. Autant l'expression plaintive et doucereuse d'une dévotion affectée inspire de répulsion, autant chacun se trouvait saisi par la puissance de vie qui éclatait dans tout son être.

Enseigner, prier, consoler, guérir... voilà quelle était sa vie. Ses jours et ses nuits appartenaient tout entiers au Sauveur qu'elle imitait. C'est en lui qu'elle puisait la force de veiller, d'agir, de parler sans relâche. Véritable missionnaire au milieu de la chrétienté, elle ne voulait au fond qu'une chose, conduire ses frères à la sainteté. Elle cherchait à guérir les maladies corporelles suivant les pratiques en usage dans l'Église apostolique, afin, disait-elle dans son interrogatoire, que les malades fussent conduits à la foi par cette expérience personnelle de l'accomplissement des promesses bibliques: «Qu'on lui impose les mains et il guérira.»

Le rite n'était pourtant à ses yeux que l'élément secondaire de traitement, comme la guérison du corps n'avait aussi pour elle qu'une importance secondaire. Elle était persuadée que les maux du corps sont une dispensation de l'amour divin envers celui qui en souffre, dispensation dont le but est de l'amener à se mieux connaître lui-même et à chercher la guérison de son âme dans la prière et dans la repentance. Elle pensait donc que la cause cessant, l'effet cesserait aussi et que la sanctification du dedans rendrait la santé au-dehors. Cependant elle ne promettait la guérison à personne, elle se bornait à dire? «Si vous vous convertissez, Dieu vous donnera le degré de santé qui vous sera bon; il vous fournira les moyens de le glorifier.

Si sa médecine biblique avait un caractère exclusif, qui s'explique aisément par les circonstances de sa vie, sa manière de comprendre le christianisme lui-même était d'une singulière grandeur. Elle insistait particulièrement sur la sainteté.

Les marques distinctives de la sainteté d'après elle, c'était l'abandon de toute justice propre, un complet anéantissement de l'âme devant Dieu, dans le sentiment de sa profonde misère et de l'absolue gratuité du salut. Le mépris de sa propre chair pour le service de Dieu, et par-dessus tout l'amour des pécheurs et le dévouement à leur salut, à l'imitation de Celui qui nous a aimés malgré nos péchés et qui est mort pour nous arracher au joug du péché.

Dorothée pensait que nous avons quelque chose à faire dans l'œuvre de notre conversion, quoique la conversion elle-même soit un pur don. Nous ne vivons que si nous mourons à nous-mêmes, et si l'Esprit vient vivre en nous, mais il faut que nous travaillions pour faire place à l'Esprit.

Sa simplicité était remarquable,» Ce que je fais, disait-elle, vous pouvez tous le faire chacun à la place où Dieu l'a mis. Si le Seigneur a daigné me recevoir, moi, chétive créature, pleine d'orgueil et de ruse, s'il a détruit ma méchante volonté pour mettre la sienne à la place, comment ne le ferait-il pas pour vous?»

On ne peut rendre par des mots l'impression qu'elle produisait en priant. Elle unissait la raison, le sang-froid, le sérieux réel au plus entier abandon, à la plus brûlante énergie. Elle rendait sensible la réalité des choses divines. On ne saurait parler ainsi qu'à quelqu'un qui vous entend, qui vous répond et dont vous entendez les réponses.

Le nom de Dorothée signifie don de Dieu. Elle lui a fait honneur en se donnant elle-même. Elle a prouvé aux indifférents, aux incrédules que le christianisme n'est pas une simple forme, mais une réalité.

Dans son humble foi, Dorothée ne se croyait point un être exceptionnel; dans la persuasion que chacun en pourrait faire autant qu'elle, elle légua ses maisons à celui qu'elle appelait son fils en Christ. Celui-ci, aussi bien que ses autres amis ne pouvait se dissimuler qu'elle ne serait point remplacée. Mais Dieu lui a fait selon qu'elle a cru. Elle a laissé son manteau à Élisée; la puissance de l'Esprit Saint ne s'est pas retirée des maisons de Maennedorf; et elles sont encore un asile où beaucoup d'infortunés retrouvent la paix de l'âme et le soulagement du corps. Une personne qui les a visitées dernièrement disait que depuis la disparition de cette fidèle servante du Seigneur, la présence de Dieu se fait sentir de plus près encore.

Publié par la Société des Traités religieux de Lausanne. 1868.



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